1936 | Le discours de victoire de Léon Blum à la Chambre

6 juin 1936. Un mois plus tôt, les élections législatives ont donné la majorité à la coalition des partis de gauche, S.F.I.O., Parti radical socialiste et Parti communiste, réunis sous le nom de Front populaire.

Alors que partout en France éclatent les premières « grèves de la joie » (selon l'expression de Simone Weil), Léon Blum, le nouveau chef du gouvernement, prend la parole à la Chambre des députés pour présenter le programme de la coalition élue. Le Populaire, journal de Blum, retranscrit son discours :

"Le gouvernement se présente devant vous au lendemain d’élections générales où la sentence du suffrage universel, notre juge et notre maître à tous, s’est traduite avec plus de puissance et de clarté qu’à aucun moment de l’histoire républicaine.

Le peuple français a manifesté sa décision inébranlable de préserver contre toutes les tentatives de la violence ou de la ruse les libertés démocratiques qui ont été son œuvre et qui demeurent son bien. Il a affirmé sa résolution de rechercher dans des voies nouvelles les remèdes de la crise qui l’accable, le soulagement de souffrances et d’angoisses que leur durée rend sans cesse plus cruelles, le retour à une vie active, saine et confiante.

Enfin, il a proclamé la volonté de paix qui l’anime tout entier.

La tâche du gouvernement qui se présente devant vous se trouve donc définie dès la première heure de son existence. Il n’a pas à chercher sa majorité, ou à appeler à lui une majorité. Sa majorité est faite. Sa majorité est celle que le pays a voulue. Il est l’expression de cette majorité rassemblée sous le signe du Front populaire. Il possède d’avance sa confiance et l’unique problème qui se pose pour lui sera de la mériter et de la conserver.

Il n’a pas à formuler son programme. Son programme est le programme commun souscrit par tous les partis qui composent la majorité, et l’unique problème qui se pose pour lui sera de le résoudre en actes. Ces actes se succéderont à une cadence rapide, car c’est de la convergence de leurs effets que le gouvernement attend le changement moral et matériel réclamé par le pays.

Dès le début de la semaine prochaine, nous déposerons sur le bureau de la Chambre un ensemble de projets de loi dont nous ­demanderons aux deux Assemblées d’assurer le vote avant leur séparation. Ces projets de loi concerneront :

  • L’amnistie ;
  • La semaine de quarante heures ;
  • Les contrats collectifs ;
  • Les congés payés ;
  • Un plan de grands travaux, c’est-à-dire d’outillage économique, d’équipement sanitaire, scientifique, sportif et touristique ;
  • La nationalisation de la fabrication des armes de guerre ;
  • L’office du blé qui servira d’exemple pour la revalorisation des autres denrées agricoles, comme le vin, la viande et le lait ;
  • Une réforme du statut de la Banque de France, garantissant dans sa gestion la prépondérance des intérêts nationaux ;
  • Une première révision des décrets-lois en faveur des catégories les plus sévèrement atteintes des agents des services publics et des services concédés, ainsi que des anciens combattants.

Sitôt ces mesures votées, nous présenterons au Parlement une seconde série de projets visant notamment le fonds national de chômage, l’assurance contre les calamités agricoles, l’aménagement des dettes agricoles, un ­régime de retraites garantissant contre la misère les vieux travailleurs des villes et des campagnes. Nous vous saisirons ensuite d’un large système de simplification et de détente fiscale, soulageant la production et le commerce, ne demandant de nouvelles ressources qu’à la contribution de la richesse acquise, à la répression de la fraude, et surtout à la reprise de l’activité.

Tandis que nous nous efforcerons ainsi, en pleine collaboration avec vous, de ranimer l’économie française, de résorber le chômage, d’accroître la masse des revenus consommables, de fournir un peu de bien-être et de sécurité à tous ceux qui créent, par leur travail, la véritable richesse, nous aurons à gouverner le pays. Nous gouvernerons en républicains. Nous assurerons l’ordre républicain. Nous appliquerons avec une tranquille fermeté les lois de défense républicaine. Nous montrerons que nous entendons animer toutes les administrations et tous les services publics de l’esprit républicain. Si les institutions démocratiques étaient attaquées, nous en assurerions le respect inviolable avec une vigueur proportionnée aux menaces ou aux résistances. (…) Les origines de la République en France ont été trois fois de suite des origines populaires et révolutionnaires. Je vous rappellerais que, chaque fois que la République a été menacée, elle a été sauvée par cette union de la bourgeoisie et du peuple ­républicains, et de la masse des travailleurs et des paysans. »

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