Thème : Travail
Pourquoi cette contribution ?
Un nouvel ordre économique mondial : le néolibéralisme, s’est instauré à partir de la fin des années 1980, dans tous les pays occidentaux. Sous une apparence de simple modernisation nécessitée par les évolutions techniques et sociales, il a créé une nouvelle société, une nouvelle civilisation, celle de la consommation, qui est basée sur l’argent, c’est-à-dire que tout le fonctionnement de la société est subordonné à la maximisation des possibilités d’enrichissement des individus en ayant les moyens, au détriment de tous les autres. L’ensemble des mécanismes régulant notre société doivent être « modernisés » pour favoriser ces possibilités d’enrichissement, notamment la production et le commerce des biens.
Ainsi le néolibéralisme a particulièrement affecté les relations de travail. Parce qu’elles sont au cœur de la production des besoins humains, ces relations de travail sont devenues l’un des facteurs essentiels de la maximisation des possibilités d’enrichissement des individus disposant de moyens de création et/ou de gestion d’entreprises.
Ce néolibéralisme a abouti à renforcer considérablement, la domination des apporteurs de capitaux et des patrons sur les travailleurs. Il a entrainé une déréglementation en profondeur des relations de travail afin de permettre aux entreprises de s’engager dans la voie dite de la flexibilité. En France notamment, les réformes du droit social intervenues ces dernières décennies ont opéré une véritable mutation du droit du travail traditionnel en droit du marché du travail. L’essence de ce droit du marché du travail est constituée par la garantie aux employeurs d'une marge de manœuvre leur permettant de développer la compétitivité des entreprises et les profits des dirigeants et actionnaires. Ces réformes sont donc allées au rebours d’une évolution assez linéaire de la législation sociale depuis les années 1840 qui consistait à assurer la protection des salariés à l’égard de pratiques patronales aboutissant à la surexploitation de la main-d’œuvre.
Ces réformes ont entraîné une rupture d’équilibre dans la mesure où la protection des salariés est devenue largement marginale, alors même que les salariés auraient précisément eu besoin d’une protection plus forte , parce que les évolutions économiques et sociales et les révolutions techniques qui ont marqué ces dernières décennies, ont généré le développement de nouvelles formes de travail plus individualisées et plus précaires et de conditions de travail beaucoup plus pénibles et dangereuses.
Il apparaît donc indispensable de reconstruire une société basée sur des relations professionnelles plus justes et plus adaptées à une vraie modernisation de notre économie. La force de travail n'est pas une marchandise comme une autre et les salariés n'ont pas vocation à faire les frais des aléas de la conjoncture économique.
En réalité, le droit social nous parait avoir une finalité naturelle qui consiste à créer les cadres normatifs visant à établir une certaine égalité des parties à la relation de travail, ainsi qu’un impératif de protection contre l’arbitraire lié à la situation de subordination du salarié. L'objectif est que, si l'employeur doit disposer de suffisamment de prérogatives pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise en fonction du contexte économique l'entourant, les salariés ,de leur côté, doivent être dotés de droits et garanties suffisants pour vivre suffisamment heureux dans leur emploi, et même pouvoir participer à la vie de ce qui est aussi leur entreprise. Il faut en effet que les uns comme les autres trouvent leur compte dans la modernisation des relations de travail, un tel équilibre étant un élément de la cohésion sociale de notre pays, cohésion sociale indispensable à au développement de notre économie.
Si les socialistes veulent reconquérir l’électorat ouvrier et populaire aujourd’hui très attiré par l’extrême droite, il faut marquer très clairement la rupture avec la philosophie du néolibéralisme et du social libéralisme. En 1980, le parti socialiste avait rédigé un projet global sur les nouveaux droits des travailleurs dont la mise en œuvre, lors de la présidence Mitterrand, a incontestablement donné un souffle nouveau à notre droit social (et certainement contribué à la victoire de François Mitterrand). Certes, il ne faut pas chercher à revenir aux schémas des années 80, aujourd’hui quelque peu dépassés. Par contre, il convient de renouer avec une démarche clairement progressiste en proposant un autre droit social, véritablement inspiré d’un souci de recherche d’équilibre entre les prérogatives patronales et les droits des salariés.
Cette contribution propose un certain nombre de pistes de réforme, largement inspirées, d’une part, d’échanges avec de nombreux juristes, économistes et sociologues du travail au niveau national et, d’autre part, par les rencontres citoyennes avec les organisations syndicales organisées dans le département de la Loire à l’initiative de la fédération PS.
Toutefois, l’objectif de cette contribution n’étant pas la rédaction d’un projet de réforme du code du travail, ces pistes de réforme n’abordent pas la totalité des problèmes actuellement posés par les relations de travail ; il s’agit simplement d’ouvrir des perspectives sur un certain nombre de ces problèmes particulièrement d’actualité.
1 / INVENTER L’ENTREPRISE NOUVELLE ET DE NOUVELLES RELATIONS PROFESSIONNELLES
- REDONNER VOIX AUX TRAVAILLEURS DANS LA GOUVERNANCE DES ENTREPRISES
On ne peut que constater aujourd’hui l’apparition d’une gouvernance des entreprises et, parallèlement d’un mode de management, très inspirés par une conception financière des entreprises axée sur la rentabilité des actionnaires.
- Ce problème concerne essentiellement les entreprises fonctionnant sous forme de société d’une certaine importance. La solution consisterait en une participation de représentants des salariés au conseil d’administration (ou de surveillance) de ces sociétés.
- Toutefois, les conseils d’administration ou de surveillance s’occupent assez peu des conditions de vie dans les entreprises. De plus, le problème se pose aussi dans des sociétés
de moindre importance où il est difficile d’imposer des représentants du personnel dans les organes d’administration. Or c’est dans ces PME que travaille environ 80 % des salariés.
En conséquence, il conviendrait d’opérer dans toute entreprise un renforcement des pouvoirs de consultation et de contrôle du comité social économique, avec même la nécessité d’un avis conforme de sa part sur certains types de décisions
- La question de la gouvernance ne se pose pas uniquement dans le secteur privé, elle concerne aussi les établissements publics et même les administrations de l’État ou des collectivités territoriales. L’instauration des comités sociaux dans la fonction publique, dans leur organisation actuelle, ne suffit certainement pas pour influer sur les décisions des responsables administratifs ou élus locaux. Leurs pouvoirs doivent être développés sur le modèle préconisé ci-dessus pour le CES dans le secteur privé.
- INTAURER L’IMPLICATION DES SALARIES DANS L’ORGANISATION DE LEUR TRAVAIL
Les ordonnances Macron de 2017, en restructurant la représentation du personnel (notamment suppression du CHSCT et des délégués du personnel), ont entraîné une plus mauvaise prise en compte des thèmes de santé et de sécurité par les institutions représentatives du personnel. L’idée serait donc de promouvoir « une organisation participative du travail » avec les représentants du personnel et les salariés eux-mêmes.
- Il conviendrait d’abord de rétablir dans toutes les entreprises d’au moins 50 salariés un organisme de représentation du personnel spécialisé en matière de conditions de travail, de santé et de sécurité, avec des pouvoirs accrus par rapport aux CHSCT, accompagné de relais de proximité dans les unités de travail (délégués référents). Dans les entreprises d’un effectif inférieur à 50 salariés, il conviendrait de rétablir les délégués du personnel.
- Un élément important dans l’organisation du dialogue social réside dans la suppression de la primauté générale accordée par le code du travail, depuis les années Sarkozy, aux accords conclus au niveau de l’entreprise sur les accords de branche et même sur les dispositions légales en matière de temps de travail. Cette primauté de l’accord d’entreprise est souvent très défavorable à la protection des salariés en raison des facultés de chantage à l’emploi dont disposent les employeurs. Il faut que le code du travail lui-même prévoit un encadrement suffisant et il faut redonner la primauté aux accords de branche sur les accords d’entreprise.
- Les lois Auroux avaient institué le droit d’expression directe et collective des travailleurs sur les conditions de travail ; mais ce dispositif, insuffisamment encadré, n’a pas donné beaucoup de résultats. Pourtant ce droit aurait permis aux salariés de s’exprimer eux-mêmes sur le vécu de leurs conditions de travail. Il apparaît pertinent de le reprendre sous une nouvelle formule donnant plus de responsabilité aux représentants du personnel, au moins pour les entreprises d’au moins 50 salariés.
- GARANTIR A TOUS LES TRAVAILLEURS SUBORDONNES UN REGIME PROTECTEUR INTEGRE DANS LE CODE DU TRAVAIL.
Le législateur français n’a jamais donné de définition des salariés, c’est-à-dire des travailleurs qui relèvent des dispositions protectrices du code du travail. Mais cette solution a permis à de nombreuses entreprises de recruter des travailleurs aussi subordonnés que des salariés classiques, dans un statut juridique autre que celui de salarié et évidemment moins protecteur.
C’est notamment le cas des travailleurs des plates-formes, mais aussi de nombreux travailleurs employés sur des chantiers.
il apparaît ainsi nécessaire de garantir à tous les travailleurs subordonnés une protection sociale minimale, intégrée dans le code du travail, le dispositif protecteur pouvant être gradué et adapté en fonction de la formule de travail.
2/ MIEUX VIVRE DE SON TRAVAIL. CONSTRUIRE UN NOUVEL EQUILIBRE DANS LES RAPPORTS SOCIAUX POUR PLUS DE JUSTICE ET MOINS D’INEGALITES.
- FAIRE EVOLUER LE DISPOSITIF DE SANTE AU TRAVAIL,
La France est l’un des états de l’union européenne qui compte le plus grand nombre d’accidents du travail. Par ailleurs, la santé mentale des salariés français se révèle toujours très dégradée. La loi 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, même si elle a réalisé un certain nombre d’avancées en faveur de la prévention, est largement passée à côté des véritables problèmes de la santé au travail. L’amélioration du dispositif de santé au travail nécessite plusieurs types de réformes, en particulier :
- s’agissant des services interentreprises de santé au travail, il convient de donner plus de pouvoir au paritarisme dans la gestion de ces services (actuellement très largement sous contrôle patronal) et il faut surtout réhabiliter et revaloriser la carrière des médecins du travail pour enrayer leur déficit actuel, plutôt que de chercher a les remplacer par des infirmiers.
- Il faut préciser les obligations de l’employeur, notamment en matière de prévention des risques notamment les risques psychosociaux (et revoir le dispositif de sanction applicable en cas de non-respect de ces obligations).
- REAMENAGER LA REGLEMENTATION SUR LE TEMPS DE TRAVAIL ET DE REPOS,
Depuis plus d'une trentaine d'années, les normes encadrant la durée et l'organisation du travail, de même que celle concernant les divers modes de rémunération, ont été considérablement assouplies.
Aussi convient-il notamment de réécrire la réglementation sur le temps de travail et de repos dans un souci d’équilibre entre les pouvoirs patronaux et la protection des salariés notamment de réorganiser les dispositifs actuels de modulation du temps de travail qui confèrent de larges pouvoirs à l’employeur pour modifier à son gré ce temps de travail, sans quasiment aucune contrepartie pour le salarié
- FAIRE EVOLUER LES SALAIRES :
En matière de rémunération, plus de justice et moins d’inégalités impliquent :
- de créer un mécanisme obligatoire de réévaluation des salaires minima de branche permettant une réévaluation effective et significative des bas salaires (actuellement les salaires de base des conventions collectives sont encore inférieurs au SMIC dans 30 % des branches).
- de réformer les dispositifs de l’intéressement et de la participation aux résultats de l’entreprise pour que les sommes distribuées aux salariés soient en adéquation avec les bénéfices véritables des entreprises et que les avantages fiscaux accordés aux employeurs soient subordonnés à l’octroi de certaines garanties pour les salariés.
- REFORMER LE DROIT DISCIPLINAIRE ET CELUI DU LICENCIEMENT DE DROIT COMMUN
Aujourd’hui, la réglementation du pouvoir disciplinaire et du pouvoir de licenciement est beaucoup plus favorable à l’employeur qu’aux salariés qui disposent de garanties insuffisantes au cours de la procédure. Surtout, les sanctions applicables en cas de licenciement injustifié ne sont pas du tout adaptées à la réparation du préjudice subi par le salarié par la faute de l’employeur. Il convient donc de réécrire le droit disciplinaire et celui du licenciement de droit commun pour instaurer un meilleur équilibre entre les deux parties au contrat de travail. En particulier, il conviendrait d’accroître les sanctions en faveur du salarié licencié de manière injustifiée pour dissuader de manière plus efficace les employeurs de procéder à de tels licenciements.
- REFORMER LA PANOPLIE DES CONTRATS DE TRAVAIL
- Depuis plusieurs dizaines d’années, les employeurs recourent massivement à l’embauche sur des contrats précaires (CDD – travail temporaire – temps partiel – etc.), en contradiction avec l’objet initial de ces contrats pour éviter de s’engager dans la création d’emplois permanents. Il est indispensable aujourd’hui de freiner cette évolution en réformant la panoplie des contrats de travail pour cantonner réellement le recours aux contrats précaires aux seules hypothèses qui le justifient.
- INSTAURER UN NOUVEAU SYSTEME DES RETRAITES
Bien sûr construire un nouvel équilibre implique aussi de faire disparaître la loi retraite Macron qui pourrait être remplacée par un dispositif plus juste, réellement négocié avec les partenaires sociaux, prenant en compte, non uniquement les paramètres habituels (durée des cotisations, âge légal de départ, montant des pensions) mais surtout la question du travail des seniors et celle de la pénibilité des conditions du travail.
3/ METTRE EN PLACE UNE NOUVELLE POLITIQUE DE L’EMPLOI destinée a offrir du travail pour tous
D’ABORD DOTER LA FRANCE D’UN VERITABLE OFFICE NATIONAL POUR L’EMPLOI
Aujourd’hui, tous les spécialistes qui travaillent sur le terrain de l’emploi et de la formation le savent et le disent : le dispositif institutionnel actuellement existant pour favoriser l’emploi et la formation est largement inefficace. Il faudrait donc procéder à la création d’un nouvel office national pour l’emploi qui aurait effectivement la mission – et les moyens – de prospecter les entreprises (et de les inciter à créer des emplois) et d’assurer réellement un accompagnement personnalisé des demandeurs d’emploi.
Contributeur :
Signataires : Marc Véricel, Secrétaire Fédéral du PS Loire
Johann Cesa, Premier Fédéral du PS Loire