Thème : Féminisme et antifascisme
20 % des maires. 36 % des sénateur·rices. 36 % des député·es. 1 président·e de région sur 3. 1 conseiller·e de départements sur 5.
Ces chiffres sont bien loin des 51% de femmes qui composent notre société, mais qui sont inégalement représentées dans nos instances de décision et de démocratie. Malgré un arsenal législatif important pour garantir l’égal accès aux mandats électifs, les femmes restent les grandes absentes du pouvoir politique, tant dans les mandats locaux que dans les mandats nationaux. Si les femmes sont de plus en plus présentes, notamment grâce à l’alternance de genre, les têtes de listes restent en grande majorité masculines. Les partis politiques, ainsi que les électeur.ices, ne considèrent les femmes aussi légitimes que les hommes pour les placer à des postes de responsabilité politique. Puis lorsqu’elles y accèdent, les délégations qui leur sont confiées sont souvent fortement biaisées par nos représentations genrées : plutôt le social, l’éducation, l’égalité femmes-hommes, que les finances et les fonctions régaliennes.
1. Une vision du pouvoir et des pratiques militantes construite par et pour les hommes
Les codes politiques sont en effet très imprégnés de repères masculins, que l’on retrouve notamment dans les codes oratoires. La politique est encore habituée à une culture du clash, à des voix qui portent. De cette vision découle l’attente d’une parole autoritaire, ferme, ne laissant aucune place au doute, à l’incertitude, voire à l’ignorance, et encore moins à l’émotion, totalement bannie de nos registres. Dans Une voix à soi, Aline Jalliet explique comment la parole des femmes est ignorée et moquée car ne correspondant pas aux normes masculines. Elle est souvent renvoyée au ressenti, au sentiment, voire à l'hystérie. En raison de notre socialisation, nous avons appris à ne pas rejeter l’émotion dans notre vision du monde et nos discours. Cette expression contrevient à la représentation masculine de la politique qui domine toujours dans la société et affecte encore la politique de droite comme de gauche, les plateaux télé, les habitudes partisanes.
Lorsque l’on observe nos pratiques quotidiennes, des représentations circulent sous couvert de banalité. Ces dernières définissent la présentation de soi, devant être conforme à des normes écrasantes et imprégnées de masculinité, voire même de masculinisme. Le costume, particulièrement lorsqu'il est porté par un homme, et les représentations qui lui sont associées, confère une légitimité à exprimer des avis politiques ou à exercer ce qui nuit gravement à la vie politique Cette homogénéisation des apparences est excluante mais est aussi un signal de la montée des idées fascistes en politique. Walter Benjamin considérait la société comme un ensemble artistique complet que le fascisme réunit sous une apparence unique et extrêmement normée. L’uniforme politique est réduit à une présentation masculine, comprimée dans un costume et ne laissant aucune place à l’expression personnelle. Nous devons politiser notre apparence et dépasser les carcans autoritaires nous enfermant dans des complets-vestons. En dépassant ces représentations, nous faisons du PS un espace plus accueillant et bienveillant, valorisant toutes les paroles, même celles ne s’exprimant pas dans les normes.
Ces représentations orales et physiques du pouvoir excluent les femmes de notre mouvement politique. Elles les excluent d’autant plus que la définition du pouvoir est encore intrinsèquement liée à celle de la domination. Comme l’explique Léa Chamboncel, les dynamiques de domination, particulièrement présentes dans la sphère politique, profitent aux hommes qui revêtent encore majoritairement ces codes dans nos représentations, et excluent les femmes du monde politique, tant militant que électoral.
De Napoléon au Général de Gaulle, la figure du sauveur appelée à l’aide en période de crises de façon systématique est une spécificité bien française, comme l’exprime l'historien Jean Garrigues dans Les hommes providentiels : histoire d'une fascination française. Cette notion d’homme providentiel est le symbole même de la domination masculine. Imagine-t-on une femme providentielle ? C’est cette vision de la politique que nous voulons voir évoluer.
Cette conception du pouvoir repose sur l’idée que seul un homme est en capacité de conduire la Nation, de rassembler, de sortir l’Etat de la crise, qu’elle soit politique, économique ou militaire. Cette conception du pouvoir se rapproche davantage d’un régime autoritaire que d’une démocratie. Nous le constatons avec l'accession de Donald Trump au pouvoir qui, dans une vision et une pratique autoritaire, machiste, dominatrice du pouvoir, met en œuvre un certain nombre de politiques, visant à réduire voire à supprimer les droits des femmes, des LGBT, des personnes racisées… pour asseoir une forme de domination masculine. Cette pratique du pouvoir confère la légitimité aux individus à agir et à penser de la même manière.
2. De l’anti-féminisme au fascisme: la convergence des haines
Dans nos sociétés, le masculinisme ressurgit avec violence. La haine de l’autre, en ligne notamment, est alors proclamée fièrement. En 2019, l’historienne Christine Baud affirmait déjà dans un entretien au journal Le Monde que “L’antiféminisme fait converger des haines multiples”. C’est ce que des chercheur·euses ont appelé l’intersectionnalité des haines. Les féministes connaissent et utilisent déjà ce terme d'intersectionnalité pour parler de la convergence des luttes entre féminisme, homophobie, anti racisme, validisme… parce qu’on le sait : une femme noire, en situation de handicap, ou lesbienne sera plus susceptible d'être victime de discrimination.
Nous ne devons pas laisser l'extrême droite gagner cette bataille culturelle. Nous devons revoir notre façon de faire de la politique, en introduisant de l'empathie dans nos prises de parole, en laissant aux femmes la possibilité de parler, d'exprimer leurs idées, sans être moquées, sans être victime de paternalisme, ou de mansplaining. Alors que la conscience féministe des femmes dans le monde est en hausse, en témoigne par exemple le nombre grandissant de participantes aux marches du 8 mars, mais aussi le nombre de femmes se déclarant féministes, le masculinisme et ses comportements violents, eux, sont paradoxalement en hausse.
Le Parti socialiste, doit se trouver à l’avant garde de ces changements sociétaux. Pour gagner la bataille culturelle, commençons par repenser notre vision du pouvoir !
Même si des choses sont mises en places, à l’instar de l’alterance femme/homme dans les prises de parole, il n’est pas rare qu’une femme, souvent jeune, se sente à l’écard au sein de nos organisations. Il est de notre responsabilité de faire en sorte que le Parti socialiste ne soit pas un boys club. Si nous saluons les initiatives prises par le Parti, comme l’obligation pour les candidat·e·s aux élections de suivre une formation sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), il est essentiel d’aller encore plus loin. L’accompagnement des militantes sur le modèle du mentorat afin de permettre une meilleure intégration de celles-ci, mais également l’élargissement des formations à des thématiques plus larges sur les masculinismes, les micro-agressions, la transphobie seraient des manières de lutter contre la sous-représentation des femmes dans nos organisations et de permettre leur épanouissement, dans des milieux politiques encore trop masculins.
3. L’empathie comme boussole politique !
Face à ces constats alarmants, une responsabilité structurelle s’impose à nous. Il est en effet de notre responsabilité d’utiliser les moyens dont nous disposons en tant que militantes et militants afin de mettre en avant des outils politiques et humains qui permettent une réelle application de nos principes de féminisme, antifascisme, de préservation du bien être humain et surtout militant. Appliquons un changement de paradigme radical concernant nos pratiques militantes !
En se penchant sur les émotions qui animent nos réunions, nous nous sommes retrouvées face au constat qu’elles sont le plus souvent individuelles et ressenties seules et envers soi-même : apeuré.e d’une assemblée qu’on ne connaît pas, fier.e d’avoir pris la parole, frustré.e d’une décision avec laquelle on est en désaccord, satisfait.e d’un vote, etc. De plus, tous nos combats s’inscrivent dans des luttes collectives, qui par définition se font à plusieurs et qui impliquent donc des interactions et du travail en commun. Or, il n’en est jamais question dans nos Assemblées générales, dans nos Conseils fédéraux, Commissions administratives, ou dans aucune de nos multiples instances.
C’est pourquoi nous sommes convaincues que pour renforcer l’humanité de nos cercles et pratiques militantes, l’empathie doit être notre boussole !
L’empathie est triple : il s’agit d’une part de comprendre le point de vue de l’autre et quelles émotions il ou elle ressent et d’autre part d’une reconnaissance mutuelle, de laisser l’autre s'identifier à soi. Évidemment, ce deuxième volet implique une vulnérabilité certaine. Enfin, à l’empathie, cognitive et émotionnelle, vient s’ajouter l’empathie extimisante, qui permet de voir à travers l’autre de nouvelles facettes de sa personne et de se laisser changer par l’interaction. Ces trois volets de l’empathie semblent donc inhérents à une discussion saine et constructive. Pourtant ils semblent le plus souvent absents de nos paradigmes militants. Comment prendre des décisions politiques et sociales collectives sans utiliser l’émotionnel comme outil? Nous proposons de ne plus rejeter l’empathie et l’émotion qu’elle suscite dans nos expressions politiques. Elles ne doivent plus être perçues comme des signes de faiblesse.
Face à la sous-représentation des femmes et particulièrement des jeunes femmes dans notre Parti, face au sexisme d’ambiance encore trop présent dans nos réunions, au manque de parité aux postes de décisions et dans les expressions féminines dans les médias et dans nos instances, face à la montée du masculinisme et du fascisme dans notre société, nous devons remettre l’empathie au cœur de nos cercles militants. Déconstruire cette vision du militantisme et de la politique, basée sur la méfiance et la manipulation, serait bénéfique pour toutes et tous.
Enfin, le dernier aspect de cette déconstruction est institutionnel. La forme actuelle de notre organisation ainsi que nos pratiques sont modelées par la Ve République. Cette dernière nous assujettie à l’attente de l’homme providentiel. En bouleversant nos représentations politiques, nous devons également transformer nos institutions en sortant du présidentialisme. Pour revaloriser l’empathie dans notre système politique, celui-ci doit être renouvelé en s’ouvrant, à termes, vers une nouvelle constitution. Ainsi, nous pourrons redémocratiser la participation politique grâce à des institutions permettant l’expression des citoyen.ne.s et écoutant leurs ressentis et leurs émotions.
Contributeurs : Alia Enard, Margot Vandecandelaere, Nolwenn Honoré, Garance Litha, Emma Rafowicz, Camille Bourron, Mélissa Martinez, Emmy Mangel, Chloé Battault, Anne Flore Rouillon, Sarah Metennani, Alexandra Girard, Elsa Duboin, Camille Castant, Eléonore Avenet, Jacqueline Devier, Patricia Litha, Laure Aourir, Valérie Delestre, Marilou Guiguet, Laure Botella, Antoine Battini, Ronan Farnos, Cédric Parisi, Milan Sen, Maxime Ayrault-Barjou, Paul Fort, Florent Gautier, Guillaume Rouviere, Arthur Balossier Merchan, Dorian Lemaire, Léon Flachat-Berne, Victor Géraux, Hector Ecolivet--Meunier, Théo Gourbeille, Elie Favreliere, Karl Legeron, Nino Alcock-Boselli, Olivier Goasampis, Martin Cousin, Morgan Bougeard, Pierre Yves Calais, Max-Aimé Mercier, Luc Lebon, Pierre Sokolov, Luc Charpentier, Mathis Commere, Louis Daumal.