Thème : Agriculture
La gestion de l'eau en France fait face à des défis majeurs. Dans L’eau et les rêves, Gaston Bachelard nous rappelle que l’eaupeu profonde a tendance à refléter une image - « les doux fantômes de l’eau » - qui ne correspondent pas tout à fait à la réalité. Si l’eau peu profonde est, pour le philosophe, moins propice à faire rêver que les profondeurs mystérieuses des océans, les eaux qui ruissellent au-dessus et en-dessous de notre territoire – les contrôler - notamment sous forme d’irrigation, suscite à la fois des réactions fortes des mouvements sociaux et des vives réactions de la part des agriculteurs. Au cœur de ce débat est la question de comment gouvernent-on l’eau aujourd’hui ?
Si la France dispose – en surface - d’un modèle de gouvernance démocratique parmi les plus développé du monde, la réalité montre que ces instances souffrent d’un déséquilibre grandissant. Des intérêts divergents entre, d’une part, les intérêtséconomiques portés notamment par les syndicats majoritaires et d’autre part écologiques, défendus par la société civile,polarisent ce débat. Selon le ministère de la transition écologique, la ressource en eau renouvelable a diminué de 14% au cours des quinze dernières années et cette tendance devrait s’aggraver dans les décennies à venir. Si c’est la gouvernance qui est donc au cœur du débat actuel, elle le sera également dans les années à venir.
Ce texte n’appelle pas à un énième « Varenne de l’eau » - l’outil de « l’effet d’annonce » est mieux maitrisé par le gouvernement actuel – mais il montrera qu’il est avant tout nécessaire de renforcer la démocratie au sein des instances de gouvernance existantes, afin que la gestion quantitative et qualitative de l’eau soit assurée pour l’avenir. Ce document proposera donc des pistes d'action dans deux domaines différents : la gouvernance de l'eau (i) et la gestion qualitative et quantitative de l'eau (ii).
I. La démocratie hydrique : un recalibrage du système existant nécessaire
Les bases juridiques existantes
La gestion de l'eau en France repose sur un cadre juridique établi par trois lois fondamentales. La loi du 16 décembre 1964, quia instauré le principe de gestion par bassins versants (7 métropolitains et 5 en outremer) et créé les agences de l'eau ; la loi du 3 janvier 1992 qui a unifié le régime juridique de l'eau, introduisant notamment le concept de la gestion équilibrée ; et enfin, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006 qui a renforcé ces principes en reconnaissant le droit d'accès à l'eau potable et en renforçant la portée juridique des Schémas d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE). Cecadre législatif s'inscrit dans la directive-cadre européenne sur l'eau de 2000 modifiée, qui fixe des objectifs de préservation de la qualité des eaux.
L'ensemble de ces dispositions vise à assurer une gestion durable et équilibrée de la ressource en eau, en tenant compte desaspects environnementaux, économiques et sociaux et a donné lieu à un tissu de gouvernance hydrique très développé qui s'articule autour de plusieurs instances clés :
- Le Comité de bassin détermine les grandes orientations de la politique de l'eau dans le cadre des directives nationales et européennes et qui s’inscrivent dans les SDAGE ;
- Les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), jouent un rôle de planification. Ils fixent pour six ans les orientations qui permettent d'atteindre les objectifs attendus en matière de "bon état des eaux" ;
- Le Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) constitue un document de planification essentiel, fixant les objectifs d'utilisation, de mise en valeur et de protection de la ressource en eau à l'échelle d'un bassin versant ;
- La Commission Locale de l'Eau (CLE), véritable "parlement local de l'eau", est chargée d'élaborer, de réviser et de suivre l'application du SAGE. Elle est composée de trois collèges représentant les collectivités territoriales et élus (40%), les usagers (acteurs économiques, associatifs, consommateurs (40%) et l'État, représenté notamment par le préfet et administrations déconcentrés (20%) ;
- Enfin, les Agences de l'eau en métropole et les Offices de l'eau en outre-mer assurent le financement principal de la politique de l'eau dans leurs bassins respectifs.
Cette organisation décentralisée permet une gestion concertée et adaptée aux spécificités locales, tout en s'inscrivant dans lecadre national et européen de la politique de l'eau. Si ce document n’appelle pas à une réforme en profondeur de cette organisation, le changement climatique suscite le besoin d’une réflexion nouvelle sur notre modèle de gouvernance de l'eau, et notamment de garantir que chaque voix ait un poids égal au sein de ces instances.
Un gouvernement au service d’une agriculture court-termiste
Les préfets, représentants de l'État, exercent un pouvoir considérable et controversé sur la gestion de l'eau en France. Leur rôle central dans la gouvernance locale de l'eau leur confère des prérogatives étendues, allant de l'approbation des SAGE à larépartition des volumes d'eau prélevables. Cette concentration de pouvoir entre les mains de l'État soulève des questions quant à la véritable démocratie locale dans la gestion de cette ressource vitale, notamment lorsque l’Etat atendance à soutenir les intérêts des syndicats majoritaires agricoles ou des irrigants, qui ne cultivent pourtant que 7% des surfaces agricoles. Le pouvoir décisionnel final reste largement aux mains des préfets, qui donne (ou non) l’autorisation pour créer et exploiter une réserve de substitution (« bassine »).
Cette centralisation du pouvoir favorise des intérêts particuliers au détriment d'une gestion équitable et durable de l'eau, dont les premiers perdants sont les agriculteurs. Ce gouvernement a montré à plusieurs reprises que les intérêts court-termiste priment sur les enjeux écologiques et les intérêts des paysans. Emblématique de ce tournant, la loi du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture a renforcé cette dynamique en réduisant les délais accordés aux associations pour leurs recours contre les « mégabassines ».
Face à un gouvernement de plus en plus anti-démocratique la seule solution est donc de renforcer la démocratie au sein de ces instances de gouvernance existantes. Nous proposons de :
Renforcer la démocratie dans les instances de gouvernance de l'eau :
- En limitant les conflits d’intérêts au sein des "parlements de l'eau" (CLE) pour que les élus qui siègent au collège des collectivités, déclarent la détention de parts sociales ou actions en lien avec une entreprise bénéficiant de droits d’irrigation ou une chambre d’agriculture dans son bassin versant ;
- Publier en ligne les comptes-rendus, documents de séance, délibérations et enregistrements vidéo des réunions desAgences de l’eau et des CLE (La démocratie à sec, Greenpeace, 2025);
- Publier systématiquement les votes nominatifs pour les délibérations dans les Agences et dans les CLE ; (La démocratie à sec, Greenpeace, 2025);
Renforcer les études HMUC (Hydrologie, Milieux, Usages, Climat) :
- Améliorer la qualité et la crédibilité des études pour éviter les contestations ;
- Intégrer des critères socio-économiques dans ces études pour mieux prendre en compte les différents types d’agricultures et pour assurer que l’accès à l’irrigation ne soit pas seulement réservé aux grands producteurs céréaliers ;
Tempérer le pouvoir des préfets au sein des instances de gouvernance :
- Suppression de la procédure d’examen au « cas par cas » qui donne aux préfets l’initiative de soumettre ou non lesprojets à des études d’impact, notamment en ce qui concerne l’irrigation ;
Sensibiliser le grand public à la gouvernance de l’eau
- Ouvrir les séances des CLE aux membres du public ;
- Publier un rapport d’activité annuel « grand public » ;
II. Gestion qualitative et quantitative de l'eau
Le deuxième aspect primordial de la gouvernance de l’eau est plus technique. Il s’agit de garantir une qualité d’eau irréprochable à la fois pour les citoyens, les acteurs économiques et pour les agriculteurs. Cette gestion qualitative de l’eau estaussi impactée par comment cette eau est exploitée, et en quelle quantité.
Il est important de distinguer les prélèvements d'eau, qui peuvent être restitués en grande partie à l'environnement (comme dansle cas du nucléaire), de la consommation d'eau qui est en grande partie retirée du milieu naturel (comme pour l'agriculture). En2020, les prélèvements d'eau douce s'élevaient à 31,4 milliards de m³. La répartition des prélèvements est la suivante :
- 48 % pour le refroidissement des centrales électriques,
- 24 % pour l'eau potable,
- 19 % pour l'agriculture,
- 9 % pour les autres usages
Toutefois, lorsque l’on compare avec la consommation d’eau, l’agriculture est le premier poste de consommation. En 2020, la consommation nette d'eau s'élevait à 5,3 milliards de m³, répartie comme suit :
- 46 % pour l'agriculture ;
- 30 % pour l'eau potable ;
- 24 % pour l'industrie et l'énergie.
Ces chiffres donnent un aperçu quantitatif de l'utilisation de l'eau en France et de son évolution récente. Une gestion quantitativeinadéquate des ressources en eau peut entraîner des conséquences négatives sur sa qualité, telle qu’une pollution accrue. Il s’agit notamment de la surexploitation des nappes phréatiques, qui peut entraîner une concentration plus élevée de polluants dans l'eau restante ou des intrusions d'eau salée dans les aquifères côtiers, dégradant ainsi la qualité de l'eau douce. A long terme, cette surexploitation aura un effet néfaste sur la production agricole aussi, menant à des situations de sécheresses telles qu’en Californie ou en Espagne.
Une gestion quantitative équilibrée de l'eau est donc essentielle pour maintenir sa qualité, de prévenir la pollution et de garantir la production d’une alimentation saine.
L’irrigation reste toutefois essentielle pour l’agriculture aujourd’hui et pour les années à venir. Ce texte préconise, en ce sens, une irrigation durable en s’appuyant notamment sur des structures d’irrigation de taille modérée (retenues collinaires, réserves de substitution de taille modérée). Cela implique une utilisation raisonnée des ressources, c’est-à-dire de la sobriété pour tous les usagers – soutenu par des promesses de réduction d’irrigation - une planification adéquate et la mise en place de pratiques durables et agroécologiques dans le domaine agricole. Nous proposons de :
Accompagner les irrigants produisant pour les Français et les européens avec des pratiques agroécologiques et de :
- Confier la gestion des réserves d'eau de (taille modérée) à des organismes publics ;
- Lier la possibilité d’irriguer à un cahier des charges plus strict, contrôlé par un organisme indépendant, et encourager des restaurations de zones humides, plantations de haies, et de l’agroforesterie pour favoriser la pénétration de l’eau dans les sols ;
- Refonder le modèle de financement des agences de l’eau notamment en ce qui concerne la redevance issue del’irrigation et augmenter la redevance pour pollutions diffuses prélevée sur les ventes de produits phytosanitaires ;
- Envisager une tarification des prélèvements d'eau selon le type de culture afin d’éviter que les agriculteurs irriguent des cultures seulement destinées à l’export et instaurer un quota d’irrigation par hectare et par exploitation en fonction descultures à irriguer par ordre de priorité ;
- Créer une aide conditionnée à la collaboration étroite entre agriculteurs irrigants d'une zone donnée - et non une aideindividuelle - afin de leur encourager d’adopter de systèmes de rotation agroécologiques à l’échelle d’un bassin ou de sous-bassin ;
Améliorer la gestion qualitative de l'eau :
Quelque 12 500 points de captage d’eau potable ont été fermés depuis 1980. Aujourd’hui, il ne reste plus que 33 000 sur tout le territoire. La première cause de fermeture de ces points est la pollution diffuse, notamment d’origine agricole. Il est urgent d’agir pour préserver la santé publique, dont celle des agriculteurs. Si les solutions existent, la volonté politique de les mettre en œuvreest inexistante. Il est aujourd’hui nécessaire de déclarer la protection des aires de captage d’utilité publique et engager des efforts importants. En ce sens, il faut :
- Mettre l’accent sur l’action préventive : par arrêté, interdire définitivement les épandages dans les périmètres immédiats et rapprochés, et une suppression progressive dans les périmètres éloignés, moyennant une juste compensation auxagriculteurs en cas de baisse de rendement ou de frais supplémentaire de mécanique, etc. Des des paiements pour services environnementaux encourageraient la transition vers des cultures agroécologiques et biologiques ;
- Agir de façon plus volontariste pour identifier des molécules potentiellement nuisibles qui, aujourd’hui, ne sont pas recherchées, comme il a été proposé par nos camarades dans la proposition de loi n°502 pour protéger durablement la qualité de l’eau potable ;
- Répertorier les parcelles à risque de ruissellement et réaliser des aménagements doux dans les parcelles de manière à favoriser l’infiltration de l’eau dans les sols (infrastructure agroécologique) ;
- Privilégier les actions de prévention par des solutions fondées sur la nature (SFN) ;
La gestion de l'eau en France doit s'adapter aux défis du changement climatique tout en préservant l'équité et l'efficacité du système existant. La possible "renationalisation" des politiques agricoles et l'évolution de la PAC (Politique Agricole Commune) dans les années à venir auront des implications importantes pour les futures politiques de l'eau. Il est crucial de maintenir une approche équilibrée entre les besoins agricoles, industriels et environnementaux. Cet équilibre doit d’abord s’organiser au sein des instances de gouvernance existantes en concertation étroite avec les agriculteurs et tous les usagers de l’eau en France.
Pour faire jaillir une véritable démocratie de l’eau face à la raréfaction des ressources hydriques, signez ce texte !
Contributeurs :
Premiers signataires : Niels Zwarteveen; Dominique Michenot, CNAAR ; Véronique Bonne, CNAAR ; Olivier Leconte, CNAAR; Daniel Trollé, CNAAR; Jean Wohrer, Président de la fédération nationale des jardins familiaux et collectifs ; ; François Thimel ; Marie-Hélène Riamon, PS42, membre du CN, ancienne Présidente de la commission « sensibilisation et communication » de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne ; ; Chantal Jourdan, Députée de la 1ère circonscription de l’Orne ; Etienne Pourcher, secrétaire de section PS Nantes Est;
Signataires : Jean Reparet ; François Colson FD 44 ; Maël Le Pillouër; Frédéric Courleux, CNAAR; ; Hervé Gillé, Sénateur de la Gironde; Patrice Douix, CNAAR; Christine Chevallier, PS 44 ; Michaël Weber, Sénateur de la Moselle, Conseiller régional Grand Est, Président de la Fédération des Parcs naturels régionaux de France; Nicolas, Robin, secrétaire de Section Nantes, Nord, 44; Karim Benbrahim, secrétaire fédéral PS 44 et député de Loire-Atlantique; Christine Denne Secrétaire section presqu’île West 44; Josiane Robert, secrétaire de la section Pornichet 44; Alain Coutant Neveu, C Fédéral 44; Gérard Poisson, secretaire agriculture 44; Marc Guiheneuf, S Section 44 ; Eric Sargiacomo, député européen, Conseiller régional de la Nouvelle-Aquitaine, CNAAR; Sylvain Mathieu, CNAAR; Malone Rolland, CNAAR; Pauline Gavrilov, PS Paris Centre;