À Gaza, nous sommes les spectateurs impassibles d’un massacre


Thème : Diplomatie


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François Mitterrand : « A tous les combattants de la liberté, la France lance son message d'espoir. […]
- Salut aux humiliés, aux émigrés, aux exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres.
- Salut à celles et à ceux qu'on baillonne, qu'on persécute ou qu'on torture, qui veulent vivre et vivre libres.
- Salut aux séquestrés, aux disparus et aux assassinés qui voulaient seulement vivre et vivre libres.
- Salut aux prêtres brutalisés, aux syndicalistes emprisonnés, aux chômeurs qui vendent leur sang pour survivre, aux indiens pourchassés dans leur forêt, aux travailleurs sans droit, aux paysans sans terre, aux résistants sans arme qui veulent vivre et vivre libres.
- A tous, la France dit : Courage, la liberté vaincra. » 

Le 7 octobre, plus de mille deux-cents militaires et civils israéliens périssaient sous les coups de l’attaque terroriste du Hamas, soutenu par des régimes théocratiques islamistes. Dès le lendemain, le gouvernement israélien, démocratiquement élu, ripostait pour assurer sa défense et sa sécurité. L’offensive israélienne sur Gaza, sous prétexte d’éliminer le Hamas, a conduit à des destructions méthodiques, des dizaines de milliers de morts, l’affamement d’une population entière et l’obstruction à l’aide alimentaire. Ici, la France, loin d’être une puissance médiatrice, une puissance de paix comme le président Macron le prétend, s’est enfermée dans une posture d’accompagnement du statu quo. Le Parti socialiste, quoique tenant une ligne officielle exemplaire, a brillé par son absence de discours fort sur le sujet, craignant d’être assimilé par ricochet à la France insoumise. 

Alors que l’histoire nous apprend que les grandes tragédies internationales dessinent aussi les lignes de fracture entre ceux qui se couchent et ceux qui résistent, le silence de notre parti sur la question palestinienne est devenu intenable. Le Parti socialiste, qui devrait être une force anti-impérialiste et internationaliste, est aujourd’hui bien trop timoré. Il est urgent de rompre avec cette tiédeur et d’assumer une position claire contre l’impérialisme israélien et la complicité des grandes puissances occidentales, au premier rang desquelles les États-Unis.

Un impérialisme des petits pas de plus en plus grands

Depuis sa création, Israël a développé une politique de défense s’appuyant sur une militarisation poussée de la société. Cette logique se comprend aisément au vu de l’hostilité, de la haine qu’elle suscite chez ses voisins, dont il faut à juste titre rappeler que, certains, s’ils en avaient les moyens, n’hésiteraient pas à l’anéantir. Le récit d’un « État assiégé » a contribué à légitimer des interventions militaires répétées. Il a été la base théorique d’une politique de colonisation, notamment à partir de 1967. C’est là que le récit achoppe. À cette date, l’ONU dénonce officiellement l’établissement de colonies dans les territoires occupés. Les conflits de 1967, 1982 et 2008-2009 ont illustré une approche dépassant la seule réaction aux menaces extérieures, Israël utilisant ces affrontements pour asseoir son influence régionale. Depuis le 7 octobre 2023, dont on peine en France à comprendre le traumatisme qu’il a suscité chez les Israéliens, la riposte, légitime en soi, s’est intensifiée au point de multiplier les violations du droit international et les crimes contre l’humanité. 

À Gaza, le massacre rampant auquel nous assistons depuis près de dix-huit mois repose sur trois piliers aux dimensions imbriquées :

  • Dans Gaza même, on observe une stratégie de destruction massive des infrastructures civiles. Les hôpitaux, les écoles et les camps de réfugiés sont systématiquement ciblés sous prétexte d’abriter des combattants. Mais comment peut-on accepter que pour un terroriste du Hamas tué, des dizaines de civils innocents perdent la vie ? Ou peut-être, comme l’expliquait si calmement Céline Pina, « une bombe […] tuera sans doute des enfants, mais ces enfants ne mourront pas en ayant l’impression qu’en face d’eux l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre » ? 
  • Autour de Gaza, une politique de famine organisée empêche l’acheminement de l’aide humanitaire et renforce l’enclave dans son statut de prison à ciel ouvert, sans eau ni nourriture. Comment ne pas y voir un plan de déplacement forcé des populations, avec l’objectif non dissimulé de chasser les Palestiniens vers l’Égypte. Les appels, israéliens et étatsuniens, à l’Egypte pour ouvrir ses frontières sont récurrents. 
  • Au niveau international, Israël jouit d’une impunité totale garantie par les États-Unis et certains pays européens. La répétition des crimes de guerre, désormais bien documentés par les Nations Unies et des ONG, ne déclenche ni changement de position, ni sanctions concrètes.

Plus largement, la situation actuelle montre à quel point l’Union européenne, et les pays qui la composent, sont en train de sortir de l’histoire. Parrain revendiqué d’Israël, les Etats-Unis sont la boussole de la politique de Benjamin Netanyahou qui connaît tout des arcanes et des rapports de force de la superpuissance. L’arrivée de Donald Trump a été l’occasion de donner à la nouvelle administration la victoire de la mise en œuvre d’une trêve au Moyen-Orient. Ces derniers jours montrent pourtant à quel point rien n’a changé. Les frappes israéliennes sur l’enclave ont massivement repris dans la nuit du 17 au 18 mars dernier. Des mots même du Premier ministre israélien elles ne sont « que le début ». 

Preuve s’il en fallait, le retour d’Itamar Ben-Gvir, figure de l’extrême-droite suprémaciste israélienne, au gouvernement, après avoir démissionné en janvier pour protester contre la trêve. De plus en plus, les vues israéliennes sur la bande de Gaza se rapprochent. Le « plan Eiland » affirmait dès septembre 2024 la nécessité de vider le nord de l’enclave pour mettre fin à l’implantation du Hamas. Gaza City, l’idée trumpienne, semble proprement sortir du champ de la réalité pour vendre le territoire à la découpe aux plus offrants. 

Au niveau régional, les effets du retour de Donald Trump ne sont pas moins inquiétants. Début mars, le président américain a évoqué une attaque militaire directe des États-Unis sur le sol iranien pour mettre fin à son programme nucléaire. 

Doit-on ignorer, une fois de plus, les actes ? Comment répondre à nos concitoyens, de plus en plus nombreux, qui parlent d’un « deux poids deux mesures » français ?  

La capitulation diplomatique de la France : une trahison de sa tradition politique

Face à cela, la communauté internationale, et en particulier la France, s’est montrée incapable d’exercer la moindre pression réelle sur Israël. En acceptant cette logique du fait accompli, les puissances occidentales envoient un signal clair : le droit international n’existe que lorsqu’il sert leurs intérêts. Comment s’offusquer alors que l’Occident soit taxé d’hypocrisie ? Depuis des décennies, cet aveuglement nous est reproché. Par les pays des Suds et par leurs populations d’abord, qui dénoncent un « deux poids, deux mesures » occidental, selon lequel la vie vaudrait plus chère sous notre regard qu’ailleurs. Les Ukrainiens, les Israéliens, les Arméniens sont dans notre lumière. Pas les Yéménites, les Syriens, les Afghans ou les Soudanais. 

Historiquement, la France a oscillé entre engagement en faveur du droit international et alignement sur les grandes puissances. De Gaulle, en 1967, avait eu le courage de dénoncer l’occupation israélienne comme une impasse, et avait même décidé d’un embargo sur les ventes d’armes à Israël, et François Mitterrand, en 1982, avait au moins posé la question de l’État palestinien. 

Si c’est à Paris que Yasser Arafat proclama le 2 mai 1989 « c’est caduc » en parlant de la charte de l’OLP, c’est parce que la France a toujours su porter une voix singulière dans sa diplomatie, en particulier au Proche-Orient. La diplomatie française, c’est partout la défense absolue des civils et des innocents, à Gaza comme en Israël. 

La diplomatie française, c’est aussi la défense des opprimés. « Salut aux humiliés, aux émigrés, aux exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres » proclamait le 20 octobre 1981 le président Mitterrand lors du sommet Nord-Sud, dans son discours dit de Cancun. Quelle voix peut contester sérieusement que cette phrase ne s’applique pas au peuple palestinien aujourd’hui ? Quelle voix peut contester sérieusement que nombre des résolutions de l’ONU sur le conflit israélo-palestinien sont restées lettre morte ?

Mais depuis vingt ans, la diplomatie française s’est progressivement dissoute dans la doctrine atlantiste, répétant les éléments de langage américains et se refusant à toute action coercitive contre Israël. Cette capitulation diplomatique s’est accélérée sous Emmanuel Macron, qui alterne déclarations ambiguës et alignement sur les intérêts israéliens.

Le tournant majeur a eu lieu après l’attaque terroriste du 7 octobre, lorsque la France a d’abord exprimé un soutien total et inconditionnel à la réplique israélienne, avant de rétropédaler timidement sous la pression de l’opinion publique. Ce double jeu a abouti à une série de décisions désastreuses : 

  • L’alignement sur la ligne américaine refusant un cessez-le-feu immédiat.
  • L’absence de toute sanction contre Israël, alors que la France n’a jamais hésité à sanctionner d’autres pays pour des violations bien moindres du droit international. 
  • Un soutien économique et militaire indirect à Tel-Aviv, par le maintien d’accords commerciaux et de coopération sécuritaire.
  • Accorder l’immunité à Benjamin Netanyahou face au mandat d’arrêt de la CPI, alors même que le cessez-le-feu est en ce moment-même violé.

Cette démission française n’est pas seulement une erreur morale : c’est une faute stratégique. En renonçant à exercer une pression réelle, Paris condamne toute possibilité de jouer un rôle de médiateur crédible. Pire, elle expose la France aux accusations d’hypocrisie, au moment où elle se veut le phare de la liberté européenne, notamment en Ukraine.

 

Le Parti socialiste doit être anti-impérialiste et internationaliste 

Jadis acteur clé du débat sur le Proche-Orient, défendant les droits des peuples contre les impérialismes, notre parti est aujourd’hui inaudible. Incapable d’assumer une rupture nette avec la politique israélienne, il se contente d’une rhétorique floue sur la nécessité de préserver la paix et le dialogue. Or, à quoi sert un parti de gauche qui refuse de désigner clairement l’oppresseur et d’appeler à des mesures concrètes ? Le retour d’une ligne crédible ne pourra advenir que par des prises de positions claires. 

Une politique de sanctions volontaristes et organisées : 

  • Des sanctions individuelles contre toutes les parties prenantes de la colonisation israélienne en Cisjordanie. Jusqu’à présent, les sanctions sont timides et ne ciblent pas de personnalité politique majeure. Il faut désormais proposer un plan de sanctions contre les dirigeants israéliens qui soutiennent dans les discours comme dans les faits la colonisation appuyée par l’Etat israélien. 
  • Des sanctions contre l’Etat d’Israël lui-même par un embargo sur des exportations ciblées en lien avec l’effort de guerre israélien tant que celui-ci sera dirigé prioritairement vers les destructions systématiques dans la bande de Gaza. 

Une compréhension fine des évolutions du droit international et une défense résolue du droit :

  • Nous devons clarifier le débat sur le génocide. La Cour internationale de Justice est compétente en la matière sur le fondement de la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, laquelle lie Israël et l'État de Palestine. Saisie par une requête déposée par l'Afrique du Sud, c'est donc à la Cour internationale de Justice de se prononcer sur la question. Alors que la qualification de certains faits au moment même où ils se produisent est particulièrement difficile, il importe désormais de laisser la justice travailler. Parallèlement, la France se doit d'utiliser résolument toutes les prérogatives que lui reconnaît le droit international public, en déclenchant les procédures disponibles et en soutenant les mécanismes internationaux d'enquête. Plutôt que d’arguer sur sa présence ou son absence, nous devons soutenir sans relâche les Nations Unies qui ont déjà largement documenté de nombreux crimes de guerre voire de crimes contre l’humanité. 
  • La défense du droit international passe par ailleurs par deux actes forts pour la diplomatie française. C’est d’abord le retrait de la promesse française de ne pas arrêter Benjamin Netanyahou. Et par la reconnaissance de l’Etat de Palestine et par sa construction par une Autorité palestinienne revitalisée et soutenue par une coalition internationale. 

Guerre israélo-palestinienne, guerre russo-ukrainienne, nouvel impérialisme américain, impérialisme chinois, les soubresauts géopolitiques actuels n’ont pas d’égaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les pays d’Europe de l’Ouest. Ils remettent en cause un triple ordre parfois pluriséculaire. Les affirmations impériales bousculent un système européen construit autour de la coopération dans un ordre post-westphalien qui a pris la forme de l’Union européenne. Le basculement américain remet en cause un système d’alliance transatlantique vieux d’au moins quatre-vingts ans. 

Il est grand temps pour les socialistes français de renouveler leur regard sur le monde. Si nous faisons partie de l’Occident, nous devons nous extraire de nous-mêmes et décentrer notre regard pour à nouveau parler au monde : comme Clemenceau en 1885, comme Jaurès en 1914, comme Breton et Eluard en 1931, comme Mitterrand en 1981. La pensée socialiste vaut de l’homme au monde, universelle car humaniste. Sans cela, elle s’affaisse, voire se travestit à force d’accommodements. 


Premiers signataires : Milan Sen, Romain Troussel-Lamoureux, Myriam Briant-Benabdallah, Adrien Félix, Victor Géraux, Emmy Mangel, Gautier Pezy, Enzo Philip, Maxence Pigrée.

Foued Abdelouahab, Timy Antigny, Mohamed Arouel, Antoine Babajko, Farah Belkheir, Nesrine Bellache, Rayane Bellatar, Louka Certa, Marie Berger de Comarmond, Rémi Brineau, Guillaume Bugliani, Paul Casalis, Antoine Chavant, Chiraz Chermat, Maxime Clam, Martin Cousin, Clément Delage, Hector Ecolivet-Meunier, Alia Enard, Raoul Georger, Victor Géraux, Thomas Genet, Simon Guerand, Nolwenn Honoré, Théophile Joubert, Naïl Klioua, Malak Lemal, Aurélien Levonian, Isam Loicif, Noah Lucas, Mickaël Mbah, Chaina Medahi, Grisha Mkrtchyan, Sarah Nequey, Cédric Parisi, Ahmet Polat, Maylis Quivy, Mathilde Régis, Axelle Renaud, Anne-Flore Rouillon, Adèle Sadouet, Amine Senaici, Matteo Sommet, Joachim Taïeb, Théo Troussel-Lamoureux, Lénaïc Vaz-Santiago, Aurore Videau, Maëlys Vente, Jacqueline Vesperini, Pierre-Emmanuel Vidal, Yanis Zelmat.


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