Énergie, action climatique et souveraineté

Thème : Énergie


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Énergie, action climatique et souveraineté

La question énergétique n'a jamais été aussi cruciale en France, mais aussi en Europe et dans le monde. Le dérèglement climatique nous impose d'avancer rapidement vers la neutralité carbone, ce qui implique l'arrêt de l'utilisation des énergies fossiles (plus de 60 % du mix-énergétique) actuellement utilisées dans les transports, l'industrie, le chauffage et la production électrique. Par ailleurs, la question de notre indépendance énergétique se pose avec force suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et à l'arrivée de D. Trump à la présidence des États-Unis. Au-delà du débat récurrent sur la place du nucléaire et des énergies renouvelables dans notre pays, l'objectif doit être d'assurer l'approvisionnement énergétique de nos concitoyens, de maintenir une production d'électricité bas-carbone, de décarboner les autres secteurs de consommation énergétique, et d'assurer une indépendance énergétique aussi grande que possible. Une fois cet objectif posé, le choix des modes de production à privilégier doit considérer l'état des connaissances scientifiques, les contraintes techniques, économiques et industrielles, en tirant parti de ce qui existe et en orientant les investissements futurs en conséquence.

La transition énergétique, nécessaire pour faire face au dérèglement climatique et à ses conséquences, implique de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. La consommation d’énergie en France représente environ les 3⁄4 de ces émissions. Trois leviers doivent être actionnés, en parallèle, pour arriver à la neutralité carbone : 1/ une réduction de notre dépendance au charbon, au pétrole et au gaz, 2/ une augmentation de la production d’énergie bas-carbone, énergies renouvelables et nucléaire, et 3/ une diminution de la consommation d’énergie. La réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la consommation énergétique est une tâche urgente, globale, et considérable.

L’électricité est la source d’énergie la plus facile à décarboner et sera nécessaire en quantité beaucoup plus importante qu’aujourd’hui dans un scénario à forte part d'énergie renouvelable intermittente (solaire et éolien), a fortiori avec le développement du stockage via l’hydrogène vert (produit par électrolyse de l'eau). La part de l’électricité dans la consommation énergétique devrait croître très fortement d’ici à 2050 pour atteindre environ 55% de la consommation énergétique contre 25% actuellement, avec une hypothèse forte de réduction de la consommation par l’amélioration de l’efficacité et la sobriété1.

Dans ce contexte, la France possède un atout très important avec sa production nucléaire bas carbone à hauteur de 70% environ de la production électrique, qui lui permet de figurer parmi les pays les moins émetteurs de CO22. En Europe, grâce à sa production électronucléaire, la France figure parmi les pays utilisant le moins les énergies fossiles avec les pays scandinaves et la Suisse et fournit nettement plus d’électricité bas-carbone que l’Allemagne malgré des investissements considérables dans les ENR intermittentes. En l'absence de solution de stockage massive pour remédier à l'intermittence, tous les pays ayant développé massivement les ENR intermittentes ont recours au nucléaire ou à défaut aux énergies fossiles (charbon ou gaz) afin d'équilibrer la production avec la demande3.

En 2022, le prix du gaz explose suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, entraînant dans son sillage une hausse des prix de l’électricité et reposant avec force la question de la dépendance à des pays tiers pour satisfaire nos besoins énergétiques. De plus, des conditions météorologiques défavorables à la production éolienne et l'indisponibilité de 25 réacteurs sur les 56 du parc électronucléaire français en raison de maintenances et de problèmes de corrosion sous contrainte contribuent à largement détériorer notre sécurité d’approvisionnement électrique. Les consommateurs subissent de plein fouet les tensions induites sur le marché de l’électricité.

Cette crise, qui aura fortement pesé sur le pouvoir d’achat des ménages, la compétitivité de nos entreprises et in fine sur le budget de l’État (bouclier tarifaire), a révélé la défaillance du marché européen de l’électricité. La création d’un accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) et le maintien d’un tarif réglementé de vente d’électricité suffisamment élevé pour permettre à la concurrence d’exister n’a pas abouti à réduire durablement les prix de l’énergie et en particulier ceux de l’électricité. Les opérateurs alternatifs n’ont pas investi dans la production, se contentant d’utiliser le mécanisme de l’ARENH pour acheter de l’électricité en dessous du cours du marché pour la revendre plus cher. En déterminant le prix de l’énergie à partir du coût de la dernière unité de production utilisée, le mécanisme actuel du marché européen de l’électricité favorise un prix de l’énergie volatile, dépendant du prix des matières fossiles importées. Ce mécanisme est particulièrement inadapté au marché français, dont la majorité de l’électricité est produite par le nucléaire. Enfin, sur le plan européen, la mise en concurrence des concessions hydroélectriques, demandée par la Commission européenne, pose la question d'une perte de souveraineté pour la seule source d’énergie renouvelable pilotable (via les stations de pompage) et l'urgence de trouver une solution, en dialogue avec les autorités européennes.

Des décisions engageant l’avenir sur la part de nucléaire dans le mix énergétique de la France devront être prises très rapidement, en particulier pour renouveler au fil de l’eau une partie du parc nucléaire existant. En effet, la mise en service des 56 réacteurs nucléaires EDF existant a été concentrée sur la fin du XXème siècle. A l’échéance 2050, il sera nécessaire d'avoir anticipé une décroissance partielle du parc. La durée de construction de nouveaux réacteurs implique des décisions rapides confirmant les annonces du président de la République concernant 6 réacteurs EPR2.

Il convient de se doter de moyens d'un pilotage flexible de l'évolution du système énergétique, en concertation avec les citoyens et leurs représentants, en avançant sur les questions ouvertes en s'appuyant sur la recherche, et en effectuant des bilans réguliers. Les choix devront prendre en compte les coûts systèmes, en particulier les coûts réseau pour ce qui concerne le solaire et l'éolien, ainsi que l'impact du dérèglement climatique sur la production renouvelable et nucléaire et sur le réseau.

Nous réaffirmons l’importance vitale de la sécurisation de l’approvisionnement énergétique de la France et de l'Europe en particulier dans un contexte de grande tension géopolitique et face au changement récent aux États-Unis suite à l'arrivée de D. Trump. Sans mettre de signe égal entre les deux, le passage d’une dépendance européenne au gaz russe à une dépendance au GNL américain (freedom gas) pose la question de notre autonomie stratégique dans le cadre de la guerre commerciale que l’administration américaine semble vouloir mener à l’encontre du vieux continent. De plus, à l’heure où les actes de sabotage contre les infrastructures énergétiques européennes sont devenus presque monnaie courante (les gazoducs North Stream et Balticconnector en 2022 et 2023, l’interconnexion électrique Estlink 2 en 2024), assurer leur protection doit être une priorité stratégique.

Nous considérons nécessaire de relancer la construction de centrales nucléaires de façon à sécuriser l'approvisionnement et à continuer de tirer parti de l’avantage considérable que nous procure cette énergie pilotable et bas-carbone. Dans un contexte où les besoins en électricité sont amenés à augmenter fortement, où l’urgence climatique impose une production électrique décarbonée, le maintien d’une production électrique nucléaire est indispensable. Le maintien des compétences et la relance de la filière passe par de nouveaux projets et le recrutement massif de personnels.

Nous exigeons de maintenir nos ouvrages hydroélectriques sous contrôle public et nous opposons fermement à l'ouverture de nos concessions à la concurrence. Nous proposonsd'œuvrerpourtrouverunmoyenderéglerlecontentieuxeuropéensurcesujet. La production électrique hydraulique, première source de production renouvelable en France, est la seule source de production renouvelable. Il est donc nécessaire d' améliorer la capacité de turbinage et d'augmenter le nombre de stations de pompage partout où c'est possible.

Nous considérons nécessaire de soutenir et développer fortement l’éolien et le solaire, en privilégiant l’éolien offshore et les grandes fermes solaires plutôt que les appoints individuels. Un système de stockage bas-carbone massif, court-terme mais aussi long-terme est par ailleurs indispensable à l'intégration par notre système électrique d'une part importante de production d'électricité à partir des énergies renouvelables intermittentes.

Nous proposons de soutenir et développer les projets de stockage massif et long terme, notamment via l'hydrogène, seuls à même de permettre d'envisager dans le futur un mix entièrement renouvelable permettant de se passer du nucléaire et des énergies fossiles. Afin de préparer le futur, il faut s'appuyer sur la recherche dans ce domaine ainsi que dans le domaine du nouveau nucléaire4 (4eme génération, fusion). La recherche dans ces domaines ainsi que les projets correspondants doivent être soutenus.

Nous estimons qu'il faut penser l’énergie comme un bien commun et proposons de favoriser le développement d’une Europe de l'énergie, fondée sur les principes de solidarité énergétique entre États-membres et d’accès équitable à l’énergie pour tous nos concitoyens. L’électricité étant un bien de première nécessité et l’énergie pouvant être considérée dans le contexte actuel comme un bien commun européen, leur gestion ne saurait être laissée aux seuls mécanismes concurrentiels et de marché. Au contraire, c’est d’une véritable organisation fondée sur la coopération entre le secteur énergétique et les autres secteurs de l’économie dont nous avons besoin pour réussir la transition écologique et préserver des prix de l’électricité qui reflètent les coûts de production de notre système électrique. Cette organisation industrielle suppose aussi une réflexion sur la gouvernance du système énergétique à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne, c’est-à-dire sur les grands groupes industriels qui structurent le secteur et qui ont un rôle majeur à jouer pour la réussite de la transition écologique.

Nous rappelons l’importance de faire évoluer le fonctionnement du marché Européen de l’électricité dans une direction plus respectueuse des infrastructures et des particularités de chacun des États membres. L'ancien mécanisme d'accès régulé au nucléaire historique (ARENH) doit être remplacé par un mécanisme qui permette de garantir des prix abordables, proches des prix de production et de limiter les effets des fluctuations du marché de l’énergie sur les consommateurs, les acteurs publics et les entreprises. Il convient de maintenir EDF à 100% public et l'ensemble du groupe sous contrôle majoritaire de l'État. Au niveau français EDF doit être le vecteur clé de la transition et de la décarbonation de notre économie.

Des décisions ont été prises concernant la relance du nucléaire suite au conseil de politique nucléaire institué par le président de la République depuis 2022. Des décisions engageantes pour l'avenir énergétique du pays ne peuvent pas être prises par simple décret. Il est essentiel de revenir à une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), à un fonctionnement démocratique impliquant le Parlement. Nous demandons que le Parlement et que nos concitoyens soient réellement associés aux décisions stratégiques dans le domaine de l’énergie. Ainsi, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit faire l’objet d’une loi de programme débattue au Parlement. Les décisions concernant les grands projets stratégiques, notamment les décisions éventuelles de renouvellement du parc nucléaire et des grands équipements énergétiques, ne peuvent être prises dans le seul cadre du Conseil de Politique nucléaire (CPN) placé auprès du président de la République.

L'information et la consultation des citoyens est un élément essentiel d'une politique énergétique soutenue par la population. Les élus locaux doivent être mieux impliqués dans les décisions concernant l'implantation des nouveaux équipements requis pour la production nucléaire (production du combustible, centrales, gestion des déchets) ainsi que pour les grands parcs éoliens ou solaires. Nous considérons essentiel de mieux informer le public sur les enjeux et les risques des différents choix énergétiques, en particulier pour le nucléaire. Il est indispensable de mettre de la rationalité dans le débat, trop souvent polarisé entre pro et anti-nucléaires, de mieux informer la population sur les questions liées à la radioactivité et les normes de sécurité en vigueur, les questions des déchets et du démantèlement pour chacune des options, et d’associer les citoyens aux choix à effectuer.

Nous prenons acte des changements de gouvernance du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection induits par la fusion opérée entre l’ASN et l’IRSN au sein de l’ASNR. Nous souhaitons que des garanties soient prises pour assurer l’indépendance de fonctionnement, d’expertise et de décision du nouvel organisme. Les conditions du choix des dirigeants de l’ASNR seront à cet égard déterminants.

L’accès à l’énergie conditionne la qualité de la vie de nos concitoyens en termes de bien-être, de budget et d’égalité. L’État doit intervenir de façon rigoureuse et impartiale pour que les offres commerciales proposées aux français correspondent à la recherche de l'intérêt général et à la protection de nos concitoyens.

Pour conclure, toutes les évolutions nécessaires de la politique énergétique de la Nation représentent des défis et auront un coût extrêmement important. Le développement des énergiesrenouvelables,lemaintienenfonctionnement duparcnucléairedanslesprochaines années, son renouvellement partiel, les adaptations du réseau électrique, la recherche dans le domaine de l’énergie, les mesures de rénovation thermique des bâtiments constituent des enjeux financiers majeurs.

Un débat doit être engagé avec nos concitoyens, avec le Parlement mais aussi au niveau européen pour définir un juste prix de l’énergie et les conditions du maintien de notre souveraineté énergétique en France et en Europe.

 

1 Futurs énergétiques, rapport complet, RTE, 2022
2 Il existe de nombreux gaz à effet de serre, les quantités émises sont exprimées en grammes de CO2éq, on note ici simplement CO2 l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre

3 https://app.electricitymaps.com

4 https://www.academie-sciences.fr/considerations-sur-lelectronucleaire-actuel-et-futur


Contributeur.ices :

Alain Delmestre, Secrétaire National à la transition énergétique, Claude Charlot et les membres du groupe de travail « énergie »

Romain Blachier (69), Simon Castres Saint Martin (69), Marielle Chevallier (19), Thomas Fagart (92, secrétaire fédéral), Nicolas Gaborit (92, conseil national), Bertrand Thibault (68), Stéphane Delautrette (87, député, secrétaire national), Gérard Leseul (76, député), Corinne Narassiguin (93, sénatrice, secrétaire nationale), Emma Rafowicz (75, députée européenne, présidente jeunes socialistes), Chloé Ridel (30, députée européenne, co-animatrice groupe des experts), Franck Montaugé (32, sénateur), Anna Pic (50, députée, porte-parole), Dylan Boutiflat (45, secrétaire national), Dorine Bregman (75, secrétaire national adjointe, maire adjointe Paris centre), Isabelle Rocca (75, secrétaire national adjointe, maire adjointe Paris 12), Jérôme Saddier (58, co-animateur groupe des experts), Brice Gaillard (92, premier secrétaire fédéral), Chakib Bouallou (92, conseil fédéral), Christiane Brzezinsky (47), Pierre Yves Calais (75, conseil fédéral), Nadine Delmestre (75, conseil fédéral), Mathieu Delmestre (75, co-secrétaire section Paris 12, maire adjoint Paris 12), Julie Delmestre (75), Patrick Détroit (58), Catherine Détroit (58), Bernard Dufour (92), Thibault Flamant (69, conseil fédéral), Bernard Fritsch (92), Abel Gago (69), Delphine Lauricella (971, bureau fédéral), Serge Le Gal (français de l'étranger, secrétaire fédéral), Monique Leblanc (75, CA section Paris 12), Thimothé Lucius (45, secrétaire de section, conseiller municipal), Denis Maréchal (92, conseiller municipal), Pascale Montrocher (92), Estelle Picard (79, conseil national), Etienne Pourcher (44, secrétaire fédéral), Charles Silvain (78, conseil national jeunes socialistes), Fabienne Stochement (75), Guillaume Stochement (75), Alejo Verga (92), Éric Zuccarelli (75)


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