« PARLEMENTARISER, DE-PRESIDENTIALISER ET PROTEGER NOTRE CONSTITUTION »


Thème : Institutions


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La vie politique française oscille entre les commentaires désabusés devant la montée des votes en faveur du RN et un accablement vis-à-vis de la faiblesse de la participation des citoyens Français, si l’on excepte celles de législatives de juin 2024 en faveur du front républicain. Chaque échéance électorale amène les mêmes commentaires. Faire comme si on pouvait continuer de la sorte est une folle erreur, qui mine notre démocratie de l’intérieur. Le régime institutionnel français est chaque jour un peu plus instable et un peu plus éprouvé. La tripartition de notre espace politique met désormais de façon permanente nos institutions à l’épreuve. La folle dissolution décidée par Emmanuel Macron en juin 2024 a accentué une crise de régime déjà alimentée par une pratique bien trop verticale du pouvoir depuis 2017. La crise démocratique, qui est aussi et surtout une crise de confiance, est béante. Une vaste défiance, si ce n’est une colère, s’exprime vis-à-vis d’un monde politique soupçonné de tourner à vide. Cette configuration constitue en tant que telle un terreau à l’avènement d’une droite extrême, consubstantiellement porteuse d’une pratique autoritaire et anti démocratique du pouvoir comme l’illustre le cas américain depuis janvier2025. Certes, il ne faut jamais penser que l’organisation institutionnelle est détachée de la société dans laquelle elle s’inscrit. En l’espèce, il est évident que c’est avant tout une réorientation majeure des politiques publiques vers plus de justice sociale et fiscale qui peut redonner confiance aux citoyens. Pour autant, les institutions jouent également un rôle et celles de la Ve République se sont progressivement déréglées.

La polarisation du choix sur la seule échéance présidentielle est devenue mortifère. Pour les partis politiques, d’abord. Ces derniers se sont transformés en écurie présidentielle au détriment de leur rôle d’intégration sociale et d’agrégation des demandes citoyennes. Toutefois, si l’on excepte cette période d’élections présidentielles, la personnalisation accrue du pouvoir présidentiel réduit de fait le rôle des partis, surtout depuis que l’actuel président de la République a montré qu’il était possible de s’en dispenser. Les plateformes de propositions s’individualisent, au détriment d’une vision programmatique partisane unifiée. Tout vise à accroître le combat des egos et la question du casting compte plus que celle du contenu. Les primaires ont accentué ces pratiques avant que la présidentielle de 2022 ne participe à leur relégation. L’élection présidentielle polarise artificiellement les enjeux de pouvoir et génère un niveau d’attente inatteignable, menant inéluctablement à des déceptions qui génèrent un nouveau cycle de méfiance. Elle éclipse toutes les autres échéances et, au premier chef, les législatives. Ces dernières ne sont même plus des élections de confirmation : en 2022, la défiance s’est immédiatement exprimée, conduisant Emmanuel Macron à ne disposer que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Si elles ont repris de l’importance au moment de la dissolution, cela relève plus de l’exception que la règle.

Dans ce contexte troublé, il est nécessaire de reprendre à bras-le-corps la question d’une amélioration de notre régime politique et prendre au sérieux celle de sa nécessaire démocratisation. Il s’agit de transformer celui-ci de fond en comble pour renforcer et rebâtir notre démocratie. Pour ce faire, il faut agir concomitamment sur trois plans :

  • Par le rééquilibrage de nos institutions, la dé-présidentialisation de notre République, le renforcement du rôle du Premier ministre et la revalorisation du Parlement.

  • Par la défense et l’affirmation des contre-pouvoirs, des corps intermédiaires, dans la promotion des droits de l’opposition, de l’indépendance de la justice, du financement de la vie politique, et dans la sauvegarde de nos droits fondamentaux et de nos libertés ;

  • Par la promotion d’une « citoyenneté continue » qui pose chaque citoyen en acteur de la démocratie, la défense sans-concession de la parit́é et du pluralisme politique.

    Il nous appartient de construire cette démocratie forte dans laquelle aucun citoyen ne se sente éloigné ou mis à l’écart du pouvoir. Cette contribution thématique propose de remettre le.a citoyen.ne au cœur de nos institutions. Elle est complémentaire de la contribution «donner une nouvelle chance à notre démocratie »

1. État des lieux

La spécificit́é de la Ve République c’est que le président de la République est l’organe principal de la Constitution. Suite au référendum de 1962, l’élection au suffrage universel du président de la République a fait glisser la France dans la catégorie des régimes semi-présidentiels, comme 60 autres pays dans le monde. Dans ces régimes, le gouvernement a besoin d’être soutenu et/ou accepté par le Parlement et, également, par le président. Le système français se singularise par la place spécifique qui revient à ce dernier et la tendance à la personnalisation du pouvoir, singulièrement renforcée par la pratique de l’actuel président. Par ailleurs le passage au quinquennat en 2000 et l’organisation des élections législatives à l’issue de l’élection présidentielle, rendent désormais presque improbable la situation de cohabitation. Ces évolutions ont remis en cause la capacité du Parlement à contrôler l’exécutif.

Le Parlement français appartient à la catégorie des parlements faibles, que ce soit au regard de son influence sur la production législative ou de sa capacité à contrôler le Gouvernement. Le constat est implacable : l’abaissement du Parlement est inscrit dans le code génétique de la Constitution de la Ve République. La réforme de 2008 n’a pas fondamentalement transformé le cours des choses et elle n’a pas réussi à renforcer la place du Parlement dans la structure institutionnelle française. En outre la place de la justice au sein de l’édifice institutionnel laisse toujours à désirer.

2. Propositions

  1. a)  Protéger notre Constitution par avance des éventuels coups de force, en imposant une voie unique de révision par l’article 89 de la Constitution en élimant de manière explicite toute velléité de recours à l’article 11.

  2. b)  Rénover notre calendrier électoral. Les élections législatives ne doivent plus dépendre de l’élection présidentielle. Elles doivent être désynchronisées. Couplée avec le passage à la proportionnelle, cette évolution s’inscrit dans le sens d’une parlementarisation du régime.

  3. c)  Rééquilibrer les pouvoirs au profit du Premier ministre, issu forcément des rangs des député.e.s de la majorité, en inscrivant explicitement dans la Constitution que c’est lui ou elle qui, avec le Gouvernement, détermine la politique de la Nation. C’est également le Premier ministre qui nommera seul son Gouvernement et se verra confié le droit de dissolution. En outre le pouvoir de nomination du président de la République sera restreint.

  1. d)  Obliger le Gouvernement à passer par un engagement de sa responsabilité et une déclaration de politique générale devant le Parlement, en l’espèce l’Assemblée nationale. Cette mesure permettra de consacrer la double légitimité du Premier ministre (vis-à-vis du président et de la majorité issue des élections législatives).

  2. e)  Limiter drastiquement les procédures de parlementarisme rationalisé au travers de réformes emblématiques :

    • Supprimer l'usage du 49.3, sauf pour les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale qui ne pourront faire l’objet que d’un unique 49.3 par session ;

    • Limiter de façon draconienne les ordonnances. L’article 38 de la Constitution permet au Gouvernement de prendre des mesures qui relèvent de la compétence du Parlement. Il faut les limiter ;

    • Supprimer le vote bloqué. L’article 44 al. 3 contraint les parlementaires à voter le texte du Gouvernement, niant ainsi le droit d’amendement des élus nationaux.

  3. f)  Redonner au Parlement sa pleine compétence :

    • En matière budgétaire, en supprimant l’article 40 de la Constitution. Les parlementaires doivent pouvoir débattre des choix budgétaires du pays à armes égales avec le Gouvernement ;

    • Donner la réalité du pouvoir budgétaire et financier au Parlement et initier une nouvelle loi organique aux lois de finances pour limiter le pouvoir de Bercy face au Parlement ;

    • En instaurant un quota minimum de textes législatifs d’origine parlementaire ;

    • En lui donnant de nouveaux pouvoirs de contrôles et d’évaluation afin d’améliorer

      la qualité de la loi et de bâtir, enfin, une vraie culture de l’évaluation ;

    • En renforçant les pouvoirs de contrôle du Parlement sur les opérations extérieures.

  4. g)  Reconnaître la place des oppositions dans le débat démocratique :

    • Accroître le recours aux commissions d’enquête et aux missions d’information pour l’opposition ;

    • Créer un shadow rapporteur qui bénéficie des mêmes moyens que le rapporteur de la majorité ;

    • Augmenter les créneaux parlementaires réservés aux initiatives de l’opposition.

  5. h)  Imposer au Gouvernement des exigences nouvelles :

    • Soumettre la composition du Gouvernement à l’exigence de parité ;

    • Rendre la fonction de membre du Gouvernement incompatible avec tout mandat

      exécutif local ;

    • Assurer des nominations plus démocratiques notamment par la nécessité d’une

      approbation à la majorité absolue des membres des commissions

      parlementaires ;

    • Garantir l’éthique à tous les niveaux de la vie politique en étendant au Président,

      au Premier ministre et aux membres du Gouvernement comme à ceux du Conseil constitutionnel les dispositions de transparence, y compris financières, applicables aux parlementaires.

  6. i)  Renforcer les règles de transparence et de déontologie :

    • Mieux encadrer et rendre transparent le recours aux cabinets de conseils privés et renforcer leurs obligations déontologiques ;

    • Renforcer drastiquement le contrôle par la HATVP du pantouflage et du rétro- pantouflage ;

  • Durcir les règles contre les conflits d’intérêts ;

  • Conditionner l’éligibilité à un casier judiciaire vierge (absence de mention au bulletin n° 2) ;

  • Réformer le financement de la vie politique.

j) Moderniser la justice et parachever son indépendance :

  • Moderniser le Conseil constitutionnel en supprimant les sièges des anciens présidents de la République, en augmentant le nombre de membres de neuf à douze et ainsi instaurer la parité au sein de l’institution, en instaurant l’approbation des nominations à la majorité des 3/5 des commissions compétentes du Parlement ; en instituant l’élection de son président en son sein et non plus par la nomination du président de la République ;

  • Séparer les fonctions juridictionnelles et de conseil du Conseil d’État en deux entités distinctes, en clarifiant les compétences de chacune ;

  • Supprimer la Cour de justice de la République, les ministres étant désormais jugés par des tribunaux de droit commun ;

  • Parachever la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et garantir son indépendance en composant à parité des magistrats et non-magistrats de chaque formation, élisant son président en son sein, respectant son avis conforme pour la nomination des magistrats, lui accordant la possibilité d’autosaisine et en supprimant le principe selon lequel « le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » (article 64.1).


Contributeurs :

1er signataire : Éric Kerrouche Secrétaire national aux Institutions Sénateur des Landes

Boris Vallaud, Député des Landes
Gaston Laval, Paris
Olivier Galiana, CNC, SF, Finistère
Dorine Bregman, Maire adjointe de Paris centre / Secrétaire nationale adjointe Paris
Isabelle Rocca, SNA, Maire adjointe 12e, Paris
Yannick Trigance, Conseiller régional, Seine-Saint-Denis
Pierre Yves Calais, Paris
Pierre-Alain Roiron, Sénateur d’Indre et Loire
Luc Lebon, Adjoint au Maire du 11e arrondissement de Paris
Monique Lubin, Sénatrice des Landes
Damien Thomas, Paris
Thomas Godard, Membre du Conseil national, Val de Marne
Philippe Quéré, Val d’Oise
Patrick Châtel, Marne
Bruno PÉRAN, Haute-Garonne
Vincent Tison, Indre-et-Loire
Nicolas Le Viavant, Landes
Simona Spada , Paris
Jean claude Maurin, Drôme
Jean-Baptiste SAVARY, Conseiller municipal et communautaire Mont de Marsan, Landes
Éric Sargiacomo, Député européen, Landes
Eva Gaillat, Membre CNC, Paris


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