Thème : Santé publique
A - L’état des lieux
Le système de santé et notamment le système hospitalier subissent de plein fouet une triple transition, démographique, épidémiologique et technologique.
La transition démographique
Le système de santé et de soins est sous pression notamment en raison de l'évolution sociologique et démographique avec des patients plus âgés, plus nombreux et plus fragiles. En effet un changement majeur est à l'œuvre avec le vieillissement de la population et la diminution des naissances (678 000 naissances en 2023 soit 48 000 de moins qu’en 2022) et un indice de fécondité (1,67) au plus bas depuis l'après-guerre. En 2023 les moins de 20 ans représentent 23 % de la population, à peine plus que les plus de 65 ans.
En 2050, la France compterait 70 millions d'habitants (hypothèse moyenne). Avec une population vieillissante, le nombre de décès augmentera fortement et dépasserait vers 2045 le nombre de naissances. Le solde migratoire de 100 000 entrées par an compenserait ce déficit naturel. En 2050 un habitant sur trois aura plus de 60 ans .
La pression de la demande de soins risque de s’amplifier et de se conjuguer avec un manque d'effectifs soignants liés à la fois aux difficultés de recrutement et aux conditions de travail rendant plus difficile et plus délicat le respect des soins de haute qualité.
Ces données démographiques accompagnent une transition épidémiologique.
La transition épidémiologique
Le vieillissement de la population et le développement des maladies
chroniques liées à la sédentarité ou aux facteurs environnementaux, telles le diabète, les maladies cardio-vasculaires, l’obésité et les cancers, regroupés sous la dénomination d'Affections de Longue Durée (ALD) par l'assurance-maladie concernent 20 % des assurés, soit près de 14 millions de personnes et occasionnent 66 % des dépenses de l'assurance-maladie. Elles sont et seront en constante augmentation
Quant à l'espérance de vie souvent prise comme indicateur de l’excellence du système de santé français, elle est en réalité complexe ; elle a certes augmenté légèrement ces dernières années mais si l'amélioration du système de santé et de l'efficience des soins sont une des causes principales de cet allongement (80 ans pour les hommes et près de 86 ans pour les femmes), il faut aussi tenir compte de l'amélioration du logement, des conditions de travail, de l'alimentation, de l'hygiène publique ...
En revanche l'indicateur le plus parlant est l'espérance de vie en bonne santé qui s'établit plus modestement en 2022 à 63,8 ans pour les hommes et 65, 3 ans pour les femmes ; cet écart de 17 à 20 ans entre ces deux « espérances de vie »est bien dû à l'augmentation des maladies chroniques et témoigne de la nécessaire adaptation de notre système de soins et également du besoin de développement de la prévention, très en retard dans notre pays.
La transition technologique est porté par l'innovation et par les incessants progrès en biologie, imagerie et pharmacologie qui révolutionnent les soins et plus récemment par la chirurgie robotique et le développement de l'intelligence artificielle.
Face à ces évolutions on constate que le système de santé est à bout de souffle.
La question de l'hôpital public doit s'envisager dans le cadre plus global du système de santé, qui inclue les soins de ville, l'hospitalisation privée et le secteur médico-social qui sont également en crise.
En 1945, quand la Sécurité sociale fut créée au lendemain de la guerre l'hôpital public bénéficia alors d'un financement pérenne grâce aux cotisations versées par les salariés et les entreprises. L'hôpital devint un grand service public ouvert à toutes les catégories de personnes et se structura autour d'une triple mission de soins, de recherche et d'enseignement.
Pendant longtemps l'hôpital public a été le pivot du système de santé mais l'évolution de la démographie médicale, les nouvelles attentes des professionnels de la santé, la transformation de la médecine de ville, l'évolution démographique et épidémiologique de la population ont modifié le visage du système de santé tel qu'il fut conçu par le Conseil National de la Résistance.
Si des réformes profondes de financement ont été opérées, en particulier celle de la tarification à l'activité, et de nombreuses réformes de la gouvernance, aucune n'a permis de ralentir la dérive financière de l'hôpital public ces dix dernières années.
Les hôpitaux croulent sous des déficits croissants . avec 115 milliards d'euros de dépenses en 2022 le secteur hospitalier représente près de la moitié (49 %) de la consommation des soins et des biens médicaux et 6,3 %, de la consommation finale des ménages. En 2022 le déficit des hôpitaux publics a été de 1, 3 milliard d’euros, (versus un excédent pour les cliniques privées de 627 millions d'euros).
La FHF estime le déficit des hôpitaux publics entre 2,5 et 3 milliards d'euros pour l'année 2024 et ce malgré une augmentation de l'activité estimée à 4 %. La baisse du nombre de lits s'accentue depuis une vingtaine d'années ; en effet les séjours en hospitalisation complète diminuent pendant qu’augmente l'hospitalisation partielle (sans nuitée). Les innovations en matière de technologies médicales et de traitement médicamenteux ont rendu possible ce virage ambulatoire mais de nombreux lits sont fermés par manque de personnel : ainsi l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris comptait 21 % de lits fermés en 2022 dont 70 % par manque de personnel.
En effet, dans une fonction publique hospitalière qui compte 1 200 000 agents, les effectifs salariés hospitaliers ne progressent plus dans le secteur public. 98 % des hôpitaux connaissent des tensions sur le recrutement dans au moins une spécialité médicale, malgré les mesures de revalorisation du « Ségur de la Santé». Ce qui se traduit par une augmentation du recours aux contractuels sur les deux dernières décennies ; l’organisation du temps de travail dans les établissements de santé et les recrutements de contractuels, sources de tensions quotidiennes, contribuent à l'augmentation du déficit d'attractivité particulièrement chez les médecins, les aides-soignants et les infirmiers et aussi chez d'autres catégories de personnel comme les kinésithérapeutes ou les orthophonistes. Un poste sur trois de praticien hospitalier n’est pas pourvu et cette situation préoccupante explique le recours à des contractuels à diplôme étranger dans de nombreux hôpitaux périphériques.
B- Face à ces difficultés, il faut tracer de nouvelles pistes et propositions :
1) D'abord développer la prévention, parent pauvre de la médecine et du système de santé, car elle est l'un des moyens de freiner les dépenses et d'améliorer l'espérance de vie en bonne santé.
2) Réorganiser la médecine de ville car le modèle du médecin généraliste disponible en permanence n'a plus cours. Il convient donc de réorganiser la médecine de ville en tenant compte des évolutions sociologique de la profession et des attentes des patients avec le souci de mailler le territoire pour pallier ce qu’il est convenu d'appeler les déserts médicaux…
Les nombreux efforts mis en œuvre ces dernières années pour lutter contre les déserts médicaux en particulier par les collectivités locales qui ont financé largement centres de santé et maisons médicales de garde n’ont pas vraiment amélioré la situation et cela nécessitera de passer à des obligations lors de l’installation.
De même, la suppression de l'obligation de garde pour la médecine libérale en 2006 a drainé de plus en plus de patients vers les urgences hospitalières faute d'accès à un médecin traitant. Par exemple entre 1996 et 2019 le nombre de passages aux urgences a plus que doublé. La crise des urgences et le manque de lits d’hospitalisation en aval des urgences contribuent encore plus à mettre l'hôpital sous tension. L’hôpital ne peut pas tout faire et doit être repensé comme l'un des maillons d’une chaîne incluant professionnels de ville, structures médico-sociales ou établissements privés à l’échelle d’un territoire.
3) Réformer le financement et en finir avec le sous-financement : l’approfondissement des déficits année après année pèse sur la capacité d'investissement et nuit à l'image de l'hospitalisation publique.
La politique de rabot budgétaire opérée depuis les années 2010 couplée à la tarification à l'activité, sans prise en compte des spécificités liées à l'exercice des missions de service public et des populations accueillies a eu des conséquences néfastes. La tarification à l’activité (TAA) a montré ses limites : rappelons que le coût d'une journée d'hospitalisation complète est très élevé 1300 euros en médecine, 1700 euros en spécialité et 3000 euros en réanimation, en raison la présence d'un personnel hautement qualifié, d'équipements de pointe, de médicaments coûteux et de techniques sophistiquées. La TAA doit être complétée d’une dotation populationnelle liée aux besoins de santé identifiés pour un territoire et sa population, et par un financement à la qualité, encore marginal.
En effet, le financement doit être pensé à l'aune des populations prises en charge, notamment dans les secteurs des soins de réadaptation, des urgences et de la psychiatrie à partir des nombreuses data dont dispose l'assurance-maladie mais qui ne sont pas mises à disposition des professionnels ou des établissements de santé et qui devraient faire l'objet de diagnostic partagé sur un territoire.
4) Renforcer l’attractivité du travail à l’hôpital en tenant compte des attentes des nouveaux entrants souvent désabusés par la réalité de l'activité hospitalière, son organisation, et par sa hiérarchie pesante. Il est nécessaire de renforcer la délégation des tâches et de sortir d'une vision purement technique du soin; en effet la plupart des professionnels qui quittent l'hôpital aujourd'hui ne le font pas pour des questions financières mais parce qu'ils n'arrivent pas à concilier technicité, qualité, sécurité et temps passé avec les patients.
5 ) Le défi du vieillissement de la population entraine une double préoccupation : d'une part la solidarité nationale doit se donner les moyens d'accompagner ce vieillissement et de financer les retraites, les soins et la dépendance, d'autre part elle doit mettre en place des politiques publiques qui permettront de favoriser l'espérance de vie en bonne santé.
6 ) Repenser l'offre de soins territoriale : il existe près de 3000 établissements publics et privés de santé en France.
Les CHU situés dans les grandes métropoles concentrent personnels hautement qualifiés, nouvelles technologies et équipements médicaux de pointe. Ils offrent des soins de qualité dans un contexte difficile de recrutement et d'investissement mais au-delà de ces CHU, la question du nombre d'établissements de santé doit être posée même si l'on connaît la forte sensibilité des élus locaux et de la population sur cette question car il n'est pas évident de concilier proximité, sécurité et qualité des soins égalitaires en tous points du territoire . L’organisation territoriale doit donc être repensée : de ce point de vue les groupement hospitaliers de territoire pourraient être renforcés dans leur mission de prise en charge de l'organisation territoriale de la santé en lien avec les CPTS de façon à assurer une gradation des soins permettant une meilleure pertinence et un meilleur parcours pour les patients . Ce mouvement s'opère dans de nombreux territoires grâce à l'investissement des professionnels de santé mais cet engagement est aujourd'hui trop dépendant des collectifs de professionnels et de leur capacité à se coordonner dans des temps très contraints et avec des faibles marges de manœuvre sur la densité de l'offre de soins.
7 ) Promouvoir une ambitieuse politique d'amélioration de la pertinence des soins.
La culture de la pertinence doit être renforcée au sein des établissements et dans la formation des professionnels de santé. La pertinence c'est le « juste soin au bon patient, au bon moment », qu'il s'agisse de prescriptions médicamenteuses ou d’examens d'imagerie, des actes non pertinents moins nombreux représentent un grand gisement d'économies encore insuffisamment exploité .
Contributeurs : Contribution soutenue par "Debout les socialistes"
Jean-Claude Beneton (39)
Madeleine Brun (84)
Robert Gaia (83)
Chantal Jeoffroy (49)
Danielle Levy (75)
Jean Mallot (03)
Nicolas Morvan (44)
Thierry Philip (69)
Delphine Pineda (75)
Sylvette Thirionet (78)