Affirmer le rôle central des services publics


Thème : Services publics


L’élection de Donald Trump peut avoir des conséquences imprévisibles sur l’économie mondiale en provoquant une guerre commerciale et tarifaire qui met tous les États sous pression des marchés. La purge de l’administration fédérale et l’affaiblissement des services publics essentiels vont aggraver les inégalités et les conditions de vie de nombreux américains. Les initiatives idéologiques de l’administration Trump peuvent être un contre modèle pour les forces réactionnaires à l’affut des moyens de remettre en cause le fonctionnement de l’État et des services publics qui le composent.

Alors que les temps sont lourds de menace pour notre démocratie et que le chaos bouleverse les équilibres de notre planète, l’heure est grave pour le devenir de nos services publics. Et cela vient de loin.

A quelques mois des élections municipales et quelques semaines de notre 81e congrès national, cette contribution thématique se veut hélas un cri du cœur de militants, ayant à cœur le sens de l’intérêt général et conscients du rôle central des de services publics dans notre pacte républicain.

Beaucoup de nos concitoyens nous disent : « Tout fout le camp ! » et c’est vrai plus encore en zones rurales, souvent proches de l’état de désert de services publics. C’est aussi vrai dans les Outre-mer où subsistent de lourdes inégalités d’accès aux services publics, y compris à l’eau potable et à l’assainissement.

Comme en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi un tel recul des services publics dans nos territoires ? Que faire pour changer la donne dans le futur ?

I/ Une victoire idéologique du libéralisme économique

Pendant des décennies, depuis le programme du CNR de 1945, la gauche a porté au pinacle la construction d’un État-providence puissant capable de promouvoir la justice sociale ainsi que d’accompagner la reconstruction et la modernisation d’un pays traumatisé par la guerre et la déchéance morale du régime de Vichy. Les « trente glorieuses » ont été un temps fort du triomphe de ces thèses progressistes, permettant d’avoir un modèle social robuste. La victoire de l’union de la gauche en 1981 a probablement été le parachèvement de ce cycle historique. L’État-providence a connu alors son apogée jusqu’à la parenthèse ouverte en 1983, puis le démantèlement par la droite du projet de la gauche avec des privatisations massives et un affaiblissement de l’État en 1986.

Depuis, force est de reconnaître que nous sommes dans le reflux, sous la domination idéologique d’un libéralisme auquel les socialistes ont parfois été sensibles, au nom de la construction européenne et du réalisme économique.

La naissance du new public management dans les années 70 a donné corps et contenu à la volonté politique du délitement de l’État. À la rigidité d'une soi-disant administration bureaucratique et centralisée, dite focalisée sur son propre développement, cette théorie oppose un secteur public reposant sur les trois E « Économie, Efficacité, Efficience », capables de répondre à moindre coût aux attentes des citoyens, désormais devenus des clients. Cette conception de l’action publique a fait des ravages au sein d’une partie de nos élites administratives qui ont préféré se comporter comme des managers du secteur privé, gérer des procédures ou produire des normes plutôt qu’imaginer des politiques publiques en harmonie avec les besoins sociaux.

Certes, la gauche, le plus souvent minoritaire en Europe, a subi cette domination libérale et n’a pas toujours su résister au poids des contraintes budgétaires fixées au sein de l’UE, à la pression des marchés financiers quand elle était au pouvoir. Il n’en demeure pas moins que nous avons une part de responsabilité évidente dans cette défaite idéologique face aux tenants du libéralisme. La chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition soudaine de l’empire soviétique en 1991 a laissé croire à certains que c’était la fin de l’histoire, qu’une mondialisation heureuse s’appuyant sur le libre-échange et la démocratie allait succéder à la guerre froide. Cette pensée unique, ce paradigme indépassable a aussi déteint sur la gauche alors qu’en réalité, elle ouvrait un espace politique béant à toutes les formes de populisme à travers l’Europe et le monde. Le gouvernement Jospin à partir de 1997, durant la cohabitation, a tenté d’enrayer ce processus délétère sans succès malgré la profondeur et la qualité de son action publique. Mais, depuis 2002, tout s’est accéléré, sous les coups de boutoir de la droite et des libéraux.

Cette victoire du libéralisme, portée notamment par les forces de droite, explique certainement pour beaucoup la progression du populisme en Europe et les revers de la gauche. Nous n’avons hélas pas su ou réussi à comprendre et expliquer ces bouleversements profonds, accélérés de plus par les progrès technologiques et les effets de la révolution numérique.

De fait, la mondialisation, cette financiarisation excessive de l’économie, cette fuite en avant du libre-échange a occulté l’urgente nécessité de changer de modèle face aux brutales conséquences du dérèglement climatique. Cette paresse intellectuelle et le poids de quelques lourdes erreurs ont abouti à une forte rétraction sociologique de notre force électorale depuis 2017.


II/ Une Europe libérale

La logique libérale de la construction européenne autour d’un marché unique reposant sur le principe d’une concurrence libre et non faussée a fait le reste. La dérégulation de pans entiers de l’économie a ouvert le champ à la fin des monopoles d’État dans de nombreux services publics essentiels au nom d’une logique marchande, désastreuse in fine pour les usagers. Le libre échange est devenu l’alpha et l’oméga au détriment de l’action publique et de la fourniture de services essentiels pour la Nation et les citoyens.

De multiples directives ont méthodiquement défaits nos grands services publics ou conduit à des privatisations d’entreprises nationales qui fournissaient des produits ou des prestations de services au nom de missions d’intérêt général. Les banques et les services financiers, les médias, l’énergie, les transports, les services postaux et les télécommunications, ont été soumis à des mécanismes complexe de régulation, à une logique financière absurde qui ont ouvert ces activités à la concurrence. Ce processus a dégradé de fait les comptes de ces opérateurs placés sous la tutelle de l’État tout en privant bien souvent de sens les agents concernés par ces évolutions structurelles.

Pendant la crise sanitaire, l’Europe a, à juste titre joué son rôle, en finançant masques et vaccins tout en facilitant un judicieux quoiqu’il en coûte pour empêcher une forte récession de l’économie. Mais un retour à l’orthodoxie budgétaire plane toujours et l’Europe est devenue un espace économique si ouvert qu’il a perdu une part de son industrie, et de fait sa puissance et sa compétitivité face au reste du monde.


III/ Un affaiblissement de l’État sans précédent

Les choix politiques de la droite conservatrice et des libéraux ont réussi à dépecer le modèle social de l’État-providence depuis 20 ans et détruire les services publics essentiels au maintien de la cohésion sociale et territoriale au nom d’une rigueur budgétaire qui reste à démontrer au regard des chiffres. Paradoxe ultime, la dette publique de notre pays atteint des sommets et dénote à contrario la mauvaise gestion de nos comptes publics. Pire, même les services régaliens comme la police, la justice, l’armée ou la représentation diplomatiques sont affaiblis, faute de ressources et de moyens. L’Éducation Nationale ou les services de santé sont aux limites de l’effondrement. Dans l’Éducation Nationale la baisse des effectifs d’enseignants depuis 2017 (-7000 postes) se traduit par des fermetures massives de classes en zone rurale particulièrement visible dans le Finistère, dans l’Oise, en Guadeloupe ou ailleurs. Le droit à la santé a reculé depuis la loi Bachelot de 2008 qui a instauré une suradministration anachronique et une logique comptable mortifère, transformant nos campagnes et nos territoires ultramarins en déserts médicaux. Cette paupérisation de l’État ne permet plus d’offrir à chacun avec décence un toit, un travail valorisant ou une éducation solide.

Fort heureusement, la décentralisation initiée par la gauche a juste permis de préserver les services publics locaux en dépit des restrictions budgétaires et de l’inflation de normes aussi coûteuses qu’inutiles parfois. Cela ne peut suffire néanmoins sans un nouvel acte de décentralisation et un nouvel âge de la démocratie locale.

 

IV/ Un projet de rupture avec le libéralisme

Aujourd’hui, la gauche a une responsabilité historique, lourde face aux dangers du populisme qui se nourrit de ce dépérissement de l’État alors qu’il y souscrit pleinement au nom d’un « illibéralisme » inavoué par le macronisme ou la droite extrême.

Notre devoir est donc de préparer une alternative équivalente au programme commun des années 70 en rassemblant la gauche sur un projet de rupture avec l’ordre établi et le libéralisme économique, un projet de résistance au populisme et à l’extrême-droite, que Macron a placé aux portes du pouvoir. En fait, cela s’appelle aboutir à une République sociale.

Ce projet de rupture avec le capitalisme financier appelle un retour en force de la puissance publique, de ses moyens d’interventions, de l’intérêt général, de mécanismes redistributifs par le consentement à l’impôt et une taxation des produits du capital, de l’organisation et de la gestion de services publics étendus, marchands ou non, accessibles et efficaces, partout et pour tous, respectueux du principe d’égalité des chances, des droits, et des libertés garanties à chacun, dans tous les domaines essentiels de la vie quotidienne.

Les progrès technologiques sont de puissants accélérateurs des transitions qui sont à conduire, encore faut-il savoir les utiliser avec discernement et convictions éthiques. Le rétablissement d’une politique d’aménagement du territoire et la priorité à la transition écologique exigent aussi un effort colossal face aux conséquences du dérèglement climatique.

Ce projet doit être partagé à l’échelle européenne car il ne peut être accompli que si l’Europe protectrice et souveraine repose que sur une construction politique progressiste et volontariste. Sans puissance publique européenne dotée d’attributs de puissance et de solidarité, notre projet politique sera vain et voué à l’échec. Le défi d’un pilier européen de défense ne doit pas se faire sur le dos des services publics et de notre système de protection sociale.

L’élection présidentielle sera donc le temps fort dans la bataille idéologique qu’il faudra gagner pour faire refluer le populisme et l’extrême-droite. La suite de notre destin collectif dépendra de nos résultats. Le PS a les ressorts pour rebondir et rassembler les partisans d’un changement de modèle autour de la transition écologique et des progrès sociaux.

Pour retrouver le peuple, il faut donc d’abord l’enchanter autour d’un projet de société, lui offrir une alternative crédible, l’associer à une perspective historique, celle de tourner le dos au repli sur soi, à un individualisme destructeur de communs, une science sans conscience, pour aller vers une humanité nouvelle, respectueuse de la biodiversité et de notre planète, une identité nationale intégratrice, fondée sur une République sociale émancipatrice, assise sur des services publics forts et un État impartial et protecteur.


Contributeurs : GALIANA Olivier (29) - APPÉRÉ Nathalie (35) - BECQUET Jean Pierre (95) - BRIANÇON François (31) - BOURGASSER Matthieu (33) - CALAIS Pierre Yves (75) - CARVOUNAS Luc (94) - CAVALIÉ Marie (82) - CHABRUN Revelyne (24) - CHARPENTIER Luc (12) - COLSON Marie (91) - CUILLANDRE François (29) - DELMESTRE Alain (75) - DESCAMPS Ninuwé (83) - DUFFAUD Laurence (35) - DUVERNOIS Magali (25) - FERREIRA Anne (02) - FOUILLÈRE Christophe (35) - FOVEAU Tristan (29) - GAILLARD Brice (92) - GAILLAT Eva (75) - GOUTAGNY Alexandre (93) - GRÉGOIRE Emmanuel (75) - GUILLORY Franck (75) - HÉLIAS Annick (35) - JALI Lina (77) - JUANICO Régis (42) - KIENZLEN Jonathan (94) - LEBRETON Claudy (22) - LJUBENOVIC Nicolas (78) - MARCINIAK Brigitte (56) - MATTHIEU Sylvain (58) - MERY Serge (11) - MEUNIER Marie (34) - MICHÈLE Suzanne (65) - MOULIN Isabelle (95)- NARASSIGUIN Corinne (93) - NEDELEC Yohann (29) - NICOLAS Olivier (971) - PIC Anna (50) - PICARD Estelle (79) - PRIBETICH Pierre (21) - RAFOWICZ Emma (75) - RIDEL Chloé (30) - ROY Sébastien (95) - SADOUN Marc (75) - SAUVAGE Maxime (75) - TRIGANCE Yannick (93) - VERMOT Jean Paul (29) - VIEILLE Jean-Noel (75) - VINCINI Sébastien (31) - WEBER Thiébaud (68) - YILDIRIM Gulsen (87) - ZIADY Karim (75)


 

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