- Dimanche 16 février
Dylan Boutiflat, Secrétaire national aux relations internationales
Anna Pic, députée et membre de la commission de la défense nationale et des forces armées
Pierre Pribetich, député et membre de la commission des affaires étrangères
Le 1er novembre 2024, la chute d’un auvent à l’entrée de la gare de Novi Sad, en Serbie, provoquait la mort de 15 personnes. Pourtant, cette gare sortait d’un long chantier de rénovation de plus de 65 millions de dollars et le président de la République de Serbie, Aleksander Vucic, avait vanté les qualités de l’entreprise chinoise en charge de sa réalisation.
Ce drame humain est rapidement devenu la preuve ultime que le parti politique du Président Vucic, au pouvoir depuis 2012, a mis en place un système efficace de détournement des fonctions de l’Etat à son profit pour en capter les ressources et se les attribuer par le biais d’un contrôle de l’attribution des marchés publics. C’est ainsi que le Premier ministre démissionnaire de Serbie, Milos Vucevic, était le maire de Novi Sad au moment de la passation de ce marché…
Le fait de ne pas rendre public les documents relatifs à la passation de ce marché et aux flux financiers qui l’ont accompagné ; son refus de saisir immédiatement les instances en charge de la lutte contre la corruption et le crime organisé n’ont pas surpris. Déjà, l’exploitation de la mine de lithium dans la vallée du Jadar ou l’organisation de la Foire internationale de Belgrade avaient été menés, en absence, eux-aussi, de toute transparence de passation des marchés et de contrôle de leur réalisation par une autorité indépendante. Mais elles ont rapidement nourri la colère d’une jeunesse qui ne souhaite pas la chute du régime en place, mais le simple respect de la loi.
À cela s’ajoutent les fusillades de mai 2023 qui ont fait un total de dix-sept morts et qui ont été suivies d’importantes manifestations dans tout le pays, critiquant l’atmosphère de violence et de haine entretenue par le régime dont le principal objectif est de diviser la société et d’assurer de la sorte son maintien au pouvoir.
Un important mouvement de la société civile en a émané, Proglas, concrétisé dans la signature en ligne d’une pétition par plusieurs dizaines de milliers de Serbes. Elle fut toutefois sans réel impact sur le résultat des élections législatives anticipées de décembre 2023, faute notamment d’un scrutin organisé de façon transparente mais aussi d’une certaine incrédulité de la part de ces signataires dans la capacité des partis d’opposition à mettre fin aux dérives du régime en place.
Ce sont donc ainsi, depuis maintenant trois mois, plusieurs dizaines, puis plusieurs centaines de milliers de jeunes qui défilent dans les rues de toutes les villes de Serbie, n’échappant pas à des arrestations arbitraires ou des tabassages organisés par des milices proches du pouvoir. Mais personne n’est dupe et ces manifestations bénéficient d’un soutien croissant de la population dans leur combat pour le respect des normes de l’état de droit.
Pourquoi le pouvoir en place n’est-il pas en mesure de répondre à ces demandes ? Parce que si l’état de droit était fonctionnel, les cadres de ce régime et ses soutiens financiers seraient immanquablement traduits devant les tribunaux et seraient battus dans le cadre d’élections réellement libres et démocratiques.
Le drame de la gare de Novi Sad s’est tenu le 1er novembre 2024 ; mais le Premier ministre n’a annoncé sa démission que le 28 janvier 2025. A cet instant, pas de présentation de celle-ci devant le Parlement de Serbie, comme le demande pourtant la Constitution. Quant au président de la République, il tergiverse face à cette colère populaire car il sait bien que donner suite aux attentes des manifestants le conduirait vers son départ du pouvoir. Et sans réelle implémentation des recommandations formulées par le Conseil de l’Europe pour la réforme du système électoral, l’appel à des élections législatives anticipées, comme il le fait habituellement pour se donner une légitimité politique factice, conduirait à leur boycottage par les forces de l’opposition démocratique et, de ce fait, approfondirait la crise actuelle.
Force est donc de constater que, depuis l’arrivée au pouvoir du parti d’Aleksander Vucic en 2012, le processus d’intégration de la Serbie à l’Union européenne marque le pas, le développement des échanges économiques ne pouvant se substituer au nécessaire travail d’appropriation des valeurs européennes que ce pays doit aussi mener.
En rappelant ce manque, les manifestants - dont la représentativité dépasse aujourd’hui largement cette jeunesse qui ne voit pas se concrétiser la promesse d’une intégration européenne que leurs parents croyaient avoir gagné le 5 octobre 2000 en obtenant la chute de Slobodan Milosevic et qui tire les leçons de l’échec du mouvement Proglas - placent l’Union européenne devant ses responsabilités. Comme l’a rappelé la commissaire à l’Elargissement, Marta Kos, lors du débat qui s’est tenu ce mardi 11 février 2025 au Parlement européen sur la situation en Serbie, les institutions européennes sont à la disposition du gouvernement serbe pour rendre cette promesse crédible. Mais elles ne sont pas là pour se substituer aux responsabilités qui lui incombent.
Dans ces conditions, nous demandons l’établissement d’un gouvernement en Serbie dont les missions principales seront une véritable mise en œuvre des principes de l’état de droit : un parlement fonctionnel dont les membres sont élus de façon incontestable ; un système judiciaire indépendant avec les moyens lui permettant de mener son action ; le fonctionnement d’organismes contrôlant les marchés publics et luttant contre la corruption ; la fin du contrôle des médias publics et d’un système de connivence avec certains médias privés ; la capacité rendue aux acteurs de la société civile de mener leur mission de renforcement de l’état de droit et de dénonciation des acteurs qui en dénaturent son fonctionnement.
Nous exprimons notre confiance aux militantes et militants de nos partis frères - le Parti de la Justice et de la Liberté (SSP) le Parti démocratique (DS) - pour tenir toute leur place dans le redressement des institutions du pays dans le cadre des mandats qu’ils exercent dans les instances locales ainsi qu’au Parlement et s’ouvrir aux préoccupations légitimes des manifestants qui souhaitent, eux-aussi, voir ces institutions représentatives fonctionner selon les principes énoncés dans la constitution avec un personnel irréprochable.
Ce n’est que dans ces conditions que la perspective d’intégration de la Serbie à l’Union européenne retrouvera un début de crédibilité.