Thème : Santé
30,2 % de la population vit dans ce que l’on appelle aujourd’hui communément un « désert médical » et plus de 6 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant. Cette offre de soins est inégalement répartie sur le territoire : ces inégalités sont anciennes et se sont amplifiées ces dernières années. Ces difficultés, qu’elles soient liées à l’absence de médecins de proximité, au manque de spécialistes, à la fermeture de lits à l'hôpital ou des services d’urgence, produisent les mêmes effets, une baisse dramatique de la qualité des soins, et surtout la fin de l’égalité d’accès aux soins.
Les groupes parlementaires socialistes ont tous deux produits des pistes de résolutions concrètes et variées pour répondre à ce phénomène d’ampleur qui handicape la population au quotidien. Une solution incontestable réside dans l’augmentation de la démographie médicale. Donc la formation de nouveaux professionnels de santé. Toutefois, cette solution serait incomplète si elle ne prenait pas en compte la question de la répartition des professionnels sur le territoire. Or, « Les départements qui ont gagné des praticiens sont ceux qui étaient déjà les plus avantagés » entre 2012 et 2022, souligne la Cour des Comptes. La voie rapide consistant à restreindre la liberté d’installation, peut être nécessaire, mais d’autres solutions s’offrent à nous lorsque le problème est pris à la racine.
Il est nécessaire de réformer les études de santé.
Si l’augmentation des effectifs en formation est une nécessité, elle doit absolument être en adéquation avec le nombre des effectifs d’étudiants qui pratiquent réellement la médecine en fin de cursus, l’évolution des pratiques médicales, l’évolution démographique de la société, les besoins réels des territoires et les spécialités médicales sous-dotées.
Car 20% des médecins diplômés ne s’inscrivent jamais à l’Ordre et que près de 15% des étudiantes infirmières abandonnent leur formation en cours de route, il nous faut interroger le modèle même des études de santé et ne pas transformer ce qui devrait être une vocation en une contrainte.
De même pour le lieu d’exercice : les étudiants une fois diplômés ont tendance à s’installer sur leur lieu de formation ou dans leur région d’origine. De ce fait, la voie la plus naturelle pour assurer un maillage médical décent dans les milieux ruraux et sous-dotés est d’assurer l’accès de jeunes locaux aux études de santé, a fortiori dans leur région d’origine.
A contre-courant, le système universitaire français subit une sur-métropolisation. Cette concentration géographique des cursus participe à une désertification universitaire préjudiciable à l’accès aux études pour toutes et tous mais aussi, et par conséquent, à une archipelisation de l’exercice professionnel. Cette dynamique est d’autant plus dommageable aux Français quand il s’agit de la formation de professionnels de santé et à leur juste répartition, vitale, sur le territoire.
Le développement de l’offre de formation de santé doit être mobilisé comme un réel outil d’aménagement des territoires.
Le développement d’antennes délocalisées des universités de santé constitue une solution pertinente pour favoriser la diversification géographique et sociale des étudiants en médecine et en soins infirmiers. En implantant des formations médicales en dehors des grands pôles universitaires, ces antennes permettent à des étudiants issus de territoires ruraux ou de petites villes d’accéder à des études de santé sans avoir à se déplacer vers les métropoles, limitant ainsi les freins financiers et logistiques. La période Covid nous a appris que l’enseignement Zoom partiel est envisageable logistiquement et pour les étudiants.
Cette proximité favorise non seulement l’inclusion de profils variés dans les formations médicales, mais elle contribue également à renforcer l’attractivité de ces territoires pour de futurs professionnels de santé. Car les étudiants formés dans un environnement rural ou semi-rural y développent une meilleure compréhension des réalités locales et sont plus enclins à y exercer par la suite, réduisant ainsi la désertification médicale. De plus, ces antennes offrent aux étudiants une formation ancrée dans la pratique de ces territoires, en collaboration étroite avec les structures de soins locales, garantissant ainsi une meilleure adéquation entre la formation et les besoins spécifiques des populations. En somme, les antennes délocalisées apparaissent comme un levier essentiel pour une répartition plus équilibrée des professionnels de santé sur le territoire, tout en renforçant l’égalité des chances dans l’accès aux études médicales.
La diversité sociale et territoriale des étudiants en médecine est un enjeu clé, tant pour l’égalité des chances que pour la lutte contre les déserts médicaux
Recréer une vocation
Aujourd’hui, la majorité des étudiants en médecine et dans d’autres formations sanitaires sont issus de milieux favorisés, en particulier de familles de cadres. Cette homogénéité limite l’accès aux études de santé pour de nombreux jeunes et influe sur la répartition des soignants sur le territoire. Il est donc urgent de diversifier les profils des étudiants pour répondre aux défis de notre système de santé.
Dès le lycée, il est essentiel de mieux sensibiliser les élèves aux études de santé, notamment dans les zones rurales et les quartiers défavorisés, afin de leur montrer que ces formations leur sont accessibles. Aussi, cette présentation permet de créer des vocations sans cacher la réalité des métiers pour éviter les abandons en cours de route.
Il faut également préserver un tronc commun entre les différentes filières (médecine, pharmacie, soins infirmiers, maïeutique, kinésithérapie…) pour favoriser des réorientations en cours de parcours et éviter les pertes de vocation. Certaines spécialités méconnues bénéficient de ce modèle, en favorisant les découvertes de vocations. Car la médecine générale, la pédiatrie ou encore la psychiatrie sont parfois délaissées au profit de spécialités jugées plus prestigieuses ou mieux rémunérées.
Une diversification des étudiants pourrait permettre d’élargir les perspectives et d’encourager des vocations dans ces domaines délaissés. Des étudiants issus de milieux variés, avec des expériences et des aspirations différentes, pourraient être plus enclins à s’orienter vers ces spécialités, notamment s’ils ont été confrontés à un manque de praticiens dans leur propre parcours de vie.
Par ailleurs, la validation des acquis de l’expérience (VAE) constitue une opportunité précieuse pour permettre aux professionnels déjà diplômés de poursuivre leur évolution professionnelle et ainsi renforcer l’ascenseur social au sein des métiers de la santé. Aussi, c’est une occasion de réorientation en cas de perte de sens. Enfin, c’est le minima pour la bonne reconnaissance des professionnels et leur parcours.
Repenser les conditions de formations
La formation en santé souffre encore de nombreux biais et stéréotypes qui influencent aussi bien la perception des métiers que les interactions entre étudiants. Certains secteurs, comme la chirurgie, sont encore majoritairement masculins, tandis que d’autres, comme les soins infirmiers, sont fortement féminisés. Cette division genrée des professions contribue à entretenir des inégalités de reconnaissance et de rémunération.
Une diversification sociale et géographique des étudiants permettrait d’atténuer ces biais en favorisant une mixité accrue au sein des formations. Aussi, des étudiants issus de milieux sont, de fait, sensibilisés aux spécificités environnementales et comportementales de leur territoire et valoriser des pratiques adaptées à ces contextes. De même, une plus grande diversité sociale permettrait d’apporter des perspectives nouvelles et de casser les représentations figées des différentes professions de santé. Il y a donc dans la diversité des étudiants un enjeu dans la pratique des professions de santé : pour favoriser l’aller-vers mais aussi ne plus dévaluer certains symptômes, comme la douleur.
Afin de permettre une inclusion effective, il est nécessaire de considérer les besoins des personnes issues de milieu rural et/ou défavorisé pour compléter leurs études. Les stages en santé (infirmiers, externes, internes) sont des moments clés de la formation, mais ils sont souvent mal indemnisés et peu valorisés. Cette précarité financière représente un frein à l’entrée dans ces formations pour certains étudiants issus de milieux modestes, qui doivent parfois renoncer à ces études faute de moyens. Il est donc urgent de garantir une meilleure reconnaissance de ces périodes de formation, tant en termes financiers que statutaires. Dans un contexte où les étudiants en santé sont souvent confrontés à des conditions de travail difficiles, la prise en compte de leur statut d’étudiants doit être renforcée. Aussi, il faut envisager la prise en charge de bourses géographiques pour faciliter le déplacement vers les lieux de formations métropolitains.
L’amélioration des conditions de stage, notamment par une meilleure indemnisation, serait une avancée significative pour garantir une égalité d’accès à ces formations. De même, il est nécessaire de reconnaître pleinement le statut étudiant des travailleurs sociaux, qui jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement, au sens large, des patients.
Aussi, dans le cas des études de médecine, il est crucial de réguler les dispositifs de prépa privées, qui représentent une rupture d’égalité nette pour les étudiants. Près de la moitié des étudiants en santé ont recours à ces cursus complémentaires. Or, le coût de ces formations, de 4 800 à 6 800 € en moyenne en Île-de-France, est inenvisageable pour beaucoup.
Enfin, il est urgent de faire face aux difficultés psychologiques que subissent les étudiants en santé, de par la difficulté humaine de leur formation mais aussi des pressions infligées très tôt. De même, la lutte contre les violences sexuelles et sexistes doit être un fer de lance dans l’approche des études de santé. En effet, le milieu médical est particulièrement touché par ce phénomène de société, et les étudiantes en santé y sont souvent confrontées dès leur formation. Plus de la moitié des praticiennes affirment avoir été victimes de telles violences, ce qui reflète un problème systémique qui ne peut être ignoré. Il est donc impératif de sensibiliser l’ensemble des étudiants en santé aux enjeux de la lutte contre les violences de genre, tout en promouvant des pratiques professionnelles plus inclusives. Car les violences sexuelles et sexistes se poursuivent dans l’exercice des professions de santé : des affaires sordides et que l’on espère exceptionnelles comme celles du chirurgien Le Scouarnec, à la violence quotidienne et banalisée des institutions, qui se traduit par de moins bonnes prises en charge des femmes.
Contributeurs :
Premier signataire :Annie LE HOUEROU - Sénatrice des Côtes d'Armor
Signataires : Emilienne POUMIROL - Sénatrice de la Haute Garonne, Marion CANALES, Sénatrice du Puy de Dôme, Monique LUBIN - Sénatrice des Landes, Laurence ROSSIGNOL - Sénatrice du Val-de-Marne, Jean-Luc FICHET - Sénateur du Finistère