Améliorer les conditions de travail :
une urgence politique, un enjeu démocratique, une question économique
Scandale ORPEA et maltraitance dans les EHPAD, dérives des crèches privées, étudiants bernés par les fausses promesses de l’enseignement privé, suppressions d’emplois massives dans des entreprises qui réalisent des bénéfices et pratiquent sans vergogne le rachat d’actions pour faire monter les cours de bourse, sous-investissement, dissimulation des activités polluantes, obsolescence programmée des produits, dangerosité des matières premières utilisées et cancérogènes ... La liste serait trop longue pour décrire des pratiques dictées par une rentabilité à courte vue qui dégrade à la fois les conditions de vie et de travail salariés, l’environnement et le service rendu aux usagers ou aux clients.
L’expérience de chacune et chacun d’entre nous est quotidienne de ces dysfonctionnements récurrents qui entament la confiance et les liens sociaux. Les réponses à ces questions sont abordées le plus souvent sous un angle éthique, psychologique, sanitaire en oubliant la dimension profondément politique des enjeux ainsi posés.
Nous avons, nous socialistes, vocation à transformer l’expérience quotidienne de nos concitoyennes et concitoyens en conscience politique. Il nous faut pour cela proposer une vision du monde, non pas surplombante et théorique mais appuyée sur ce que vivent, ressentent, subissent nos concitoyens.
Pour cela nous devons d’abord mettre en visibilité ce que vivent les gens au travail et placer cette question au cœur de notre projet.
Le travail ce n’est pas seulement un salaire et un emploi. Et s’il faut bien sûr se battre impérativement sur ces deux sujets, il faut réhabiliter l’idée que le travail est une identité, un rapport à soi, au monde qui nourrit les liens sociaux, notamment au regard du sentiment d’utilité que l’on apporte aux autres et des valeurs que l’on porte : professionnalisme, sentiment de bien faire son travail, contribution au bien commun et à l’œuvre commune.
La crise sociale profonde que nous vivons est une crise de sens parce que nous ne prenons plus soin du travail et que sa matérialité concrète dans l’affrontement aux aléas, aux évènements, à l’imprévu s’est effacée devant la dictature des chiffres et des reportings sur tableau Excel. Le sentiment d’être méprisé.e, invisibilisé.e, disqualifié.e en permanence est profondément ressenti et nourrit une révolte sourde qui n’a pas trouvé son débouché politique à gauche. Quand on n’est plus un travailleur à l’identité fière, porté par des valeurs de métier et reconnu par ses pairs alors on se rattache aux seules identités proposées par les populistes, « Français d’abord ».
I. Comprendre la crise du travail
Le triomphe du capitalisme actionnarial
Le monde du travail subit de plein fouet la prise de pouvoir du capitalisme actionnarial depuis plusieurs années. Dans la plupart des entreprises, y compris les PME, via les phénomènes de sous-traitance en cascade, l’atteinte des objectifs financiers s’est ainsi progressivement imposée comme la finalité principale de l’activité managériale, réduisant drastiquement la prise en compte d’autres considérations. Tous les jours, l’essentiel des restructurations se comprend à l’aune du pouvoir exclusif de la finance qui juge obsolète toutes les activités productives qui ne dégagent pas en moyenne 10 à 15 % de rentabilité par an. Pour atteindre cet objectif, le travail est toujours un coût à réduire, le droit un obstacle à la liberté du capital, les syndicats, des acteurs collectifs qu’il convient de marginaliser.
Ainsi l’un des effets de la financiarisation sur les stratégies d’entreprises est d’inverser la relation entre l’investissement productif et la finance et de garantir aux actionnaires un niveau de rendement stable, en dépit des difficultés économiques dans la sphère réelle. Les salariés paient le prix fort de cette prise de pouvoir sans limite du capital : chômage, précarité, conditions de travail dégradées, burn-out, explosion des maladies professionnelles.
La dégradation des conditions de travail
Ainsi selon une étude récente de la DARES, 37 % des salariés de tous secteurs professionnels, cadres et non cadres, et 41% des femmes, ne se sentent pas capables aujourd'hui de tenir jusqu'à la retraite, l'intensité du travail, le manque d'autonomie et l'absence de participation aux décisions étant les principales causes identifiées qui rendent leur travail insoutenable.
30% de la population active arrive à 62 ans sans être en emploi. L’économiste Michaël Zemmour a montré comment le recul de l'âge de la retraite de 60 à 62 ans à partir de 2010 a entraîné une augmentation de la durée d'inactivité avant la retraite c'est-à-dire par le basculement ou le maintien prolongé dans la précarité ou dans les régimes d’invalidité.
Plus de 700 personnes meurent officiellement par an d’un accident du travail dans le secteur privé et l’on dénombre près de 800 000 accidents du travail, dont 650 000 avec arrêt de travail. On constate une croissance exponentielle des affections psychiques, évaluées à 108 000 par an par la Sécurité sociale, dont moins de 10% sont reconnues (surtout en accidents du travail), car la sous-déclaration demeure un fait social massif. Le burn-out est un fléau qui est encore mal identifié, et très peu pris en charge.
Le monde du travail va mal et les comparaisons européennes ne sont pas à l’avantage de la France. Plus qu’ailleurs les conditions de travail sont dégradées et l’intensification du travail a augmenté. Plus spécifique encore, le management à la française, y compris dans la fonction publique d’Etat et territoriale reste trop vertical et autoritaire. Les changements sont peu anticipés et les transformations d’organisation se déroulent sans véritable concertation, ni négociation, ce qui accroît la défiance.
II. Vouloir la démocratie au travail
Les socialistes espagnols après les pays nordiques nous montrent la voie et veulent faire pièce à l’oligarchie technologique et aux corporations des hypers riches en démocratisant l’entreprise. Inspirons-nous de leurs réflexions au sein du PSE et construisons enfin une Europe sociale sur la défense et la promotion du monde du travail. Les Allemands ont ouvert aussi une vaste réflexion sur le futur du travail qui peut guider nos réflexions.
Pourquoi démocratiser l’entreprise ?
Rappelons d’abord, que les actionnaires ne sont propriétaires que des capitaux, non de l’entreprise, encore moins des salariés. Ceux-ci, par leur travail, y produisent de la valeur, rien ne permet de les écarter de l’exercice du pouvoir et de la prise de décisions qui les concernent directement. Précisons ensuite que Travailler, au sens des ergonomes et des sociologues du travail, n’est jamais obéir strictement à la prescription, c’est s’ajuster ensemble face à la variabilité des situations de travail que l’organisation prescrite ne peut jamais totalement prévoir. Soulignons enfin que les salariés disposent des compétences techniques et de l’expérience du travail, sont au contact avec les usagers ou les clients et ont une connaissance intime des exigences de la production que le pilotage par les chiffres ne prend jamais en compte.
Comment démocratiser l’entreprise ?
Créé en 1946, le comité d’entreprise avait vocation à être le conseil des salariés. Mais présidé par le dirigeant, il a vu son périmètre d’action longtemps limité à la gestion des œuvres sociales. Les lois Auroux de 1982 ont élargi la fonction du CE aux questions économiques, d’investissements et de licenciements collectifs. Mais l’avis donné par le CE reste purement consultatif et dans les faits le CE n’a jamais pu équilibrer le pouvoir du conseil d’administration. Depuis le début des années 90, le législateur a encouragé la présence dans les conseils d’administration d’administrateurs indépendants. Mais cette présence a renforcé les effets pervers d’une trop forte consanguinité des élites françaises.
La présence des administrateurs salariés permettra d’éviter pour partie ces effets pervers en privilégiant le rôle que joue le travail réel dans la création de valeur et la compétitivité de l’entreprise.
La présence d’administrateurs salariés permet en effet de résister à la pression trop fortedecertainsactionnaires,uniquementpréoccupésderentabilitéàcourtterme. (Proposition 1). Dans les arbitrages complexes entre emploi, investissement, versement de dividendes, cessions d’actifs, croissance externe, la présence d’administrateurs salariés oblige toujours à examiner plusieurs scénarios, en tenant compte de l’intérêt de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Le capital sera toujours indispensable pour financer les projets et les investissements. Mais à côté du capital, le travail devra dans les décisions stratégiques trouver sa juste place. C’est le rôle que joueront demain les administrateurs salariés au service d’une entreprise plus ouverte sur son environnement et ses parties prenantes.
III. Agir. Prendre soin du travail. Quelques actions prioritaires
Non seulement la pénibilité physique des tâches n’a pas disparu, mais de nouvelles pathologies sont apparues, comme les troubles musculo-squelettiques (TMS), les troubles liés aux risques psychosociaux (RPS), le développement du burn-out.
Ce dernier phénomène, appelé aussi épuisement professionnel, touche de plus en plus de salariés. Aujourd’hui, un salarié sur quatre du secteur privé déclare avoir eu un problème psychologique grave au travail. Selon le cabinet Technologia, 3,2 millions d’actifs seraient en situation de risque élevé d’épuisement nerveux. Une mesure de justice consisterait à reconnaitre le burn-out comme maladie professionnelle, ce pourquoi s’est toujours ardemment battu notre camarade Michel DEBOUT, récemment disparu (Proposition 2).
De manière préventive, il convient toutefois de s’interroger sur l’évolution des modes d’organisation du travail. Dans le secteur privé et public les changements sont généralement conduits sans association et participation des salariés.
Nous avons d’urgence besoin de dispositifs opérationnels concrets comme ceux expérimentés il y a quelques années à Renault-Flins qui serviront de point d’appui et de leviers pour le redressement productif. Il faut pour cela, sous des formes renouvelées, mettre en place des lieux d’expression qui ne se contentent pas de décrire les dysfonctionnements mais proposent des pistes d’action sous formes de contrat collectif pour l’efficacité de la production et des processus d’innovation. Il faut transformer le droit d’expression en dialogue professionnel comme le recommande l’IGAS. Des études d’impact sérieuses et en amont des transformations doivent être conduites en lien avec les partenaires sociaux, notamment sur l’introduction de l’intelligence artificielle (Proposition 3).
Il faudra aussi face à l’explosion des accidents du travail refonder un comité de santé et sécurité au travail disposant de moyens réels pour instruire également les questions environnementales (Proposition 4).
Les nouvelles pratique de travail - travail nomade, télétravail, travail hybride - offrent à la fois des opportunités et des risques pour les salariés et les entreprises. Il faut trouver partout de nouveaux équilibres entre aspiration à l’autonomie des plus jeunes notamment et besoin d’inscription dans un collectif porteur d’identité et vecteur de transmission de compétences. Il faut plus que par le passé faire coexister plusieurs générations au travail qui n’ont pas toujours les mêmes besoins et les mêmes aspirations. Il paraît nécessaire d’inscrire comme matière obligatoire la négociation sur le télétravail et la préservation des collectifs (Proposition 5).
Les réformes des retraites jouent classiquement sur les paramètres habituels : durée des cotisations, âge légal de départ, montant des pensions. Aucune réforme des retraites ne sera acceptée par le monde du travail, tant que nous n’aurons pas pris parallèlement, à bras le corps, la question du travail des seniors et des conditions du travail. Trop de seniors en effet liquident leurs pensions aujourd’hui alors qu’ils sont déjà en inactivité, du fait du chômage ou de restrictions d’aptitude ou encore d’invalidité, liés à des questions de santé. Ils subissent de fait une double peine qui rend inaudible le discours sur les efforts à fournir en termes de durée de cotisation. Beaucoup voudraient travailler plus, simplement elles et ils ne le peuvent pas. Un million de salariés se voit notifier chaque année en France des avis de médecins du travail comportant des restrictions d’aptitude ou des demandes d’aménagement de poste. Parmi eux, de nombreux salariés sont licenciés car déclarés inaptes à tout poste de travail dans l’entreprise. La Finlande et les pays nordiques nous ont montré la voie à travers les politiques tripartites de « vieillissement actif » (Proposition 6).
Il faut s’inspirer de ce modèle et s’appuyer sur les atouts de la France : un Centre de recherche sur les âges et les populations au travail (CREAPT), qui dispose malheureusement de moyens dérisoires, et le réseau de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) qui peuvent concevoir et diffuser largement des solutions pratiques au service des entreprises et notamment des PME (Proposition 7)
Conclusion
Le redressement productif ne se fera pas contre les salariés et le monde du travail. Il nécessite à la fois esprit de justice, mobilisation des énergies, confiance, dynamique de transformation sociale. C’est dans cette perspective que nous devrons proposer aux forces de progrès et aux syndicats, à partir des idées défendues dans cette contribution, des États Généraux du Travail et de l’Innovation Sociale qui renoueront avec l’espoir d’un travail enfin porteur d’émancipation.
Auteur de la contribution thématique :
• Thierry Rochefort – membre du BF 69 – secrétaire de section de Brignais – Sociologue du travail – ancien cadre de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact)
Premiers et premières signataires :
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Sylvie Guillaume - Ancienne Députée Européenne
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Pierrick Courbon - Député de la Loire
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Fabrice Matteucci - Premier Fédéral 69, élu à Caluire
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Johan Cesa - Premier fédéral de la Loire, Conseiller régional
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Cedric Van Styvendael - Maire de Villeurbanne, Vice-Président de la Métropole de
Lyon
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Joëlle Séchaud Élue à la Métropole de Lyon et à Oullins
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Yann Crombecque- Conseiller régional, adjoint à Villeurbanne
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Laura Gandolfi - Adjointe à Villeurbanne
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Regis Juanico - Conseiller départemental 42, Ancien Député
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Kader El Bouni - Secrétaire de section Lyon 9e
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Quentin Picard - Secrétaire section Villefranche
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Marc Cachard - secrétaire de section Rillieux
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Brigitte Lannic - Secrétaire de section Lyon 6éme
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Philippe Jusot - Secrétaire de Section de Saint Foy
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Jean-Paul Vezant - Secrétaire section de Moins
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Enzo Cabantous (MJS)
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Rubens Froment ( MJS)