Antisémitisme à gauche: reconnaître, comprendre, combattre

Thème : Lutte contre l'antisémitisme et le racisme


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ANTISÉMITISME À GAUCHE : RECONNAÎTRE, COMPRENDRE, COMBATTRE

La résurgence de l'antisémitisme dans la société française est un fait. En 2024, la France a connu 1576 actes antisémites (contre 476 en 2022). Cette explosion de la haine du Juif doit nous interroger dans notre rapport à l'autre, notre capacité à faire société, notre conception même de la République.

L’antisémitisme traverse toutes les composantes de notre société et reste très prégnant dans les rangs de l’extrême droite, mais il est particulièrement troublant lorsqu'il émerge au sein de la gauche qui s'est historiquement construite depuis l'affaire Dreyfus, contre les préjugés, les haines, pour l'universalisme et l'émancipation. Le 7 octobre 2023 marque indéniablement une rupture dans l'expression d'un antisémitisme qui n'ose plus toujours dire son nom, et qui se drape de plus en plus dans les habits d'un antisionisme radical.

Alors qu’une frange significative des Français de confession juive disent aujourd’hui ne plus pouvoir faire confiance à la gauche, pour rester fidèle à sa tradition et à sa vocation[2], le PS doit se réapproprier le combat de la lutte contre l’antisémitisme et se positionner avec clarté et fermeté en refusant toute concession aux logiques communautaristes, en portant haut et fort les valeurs d'universalisme et d'émancipation.

Ce texte entend contribuer au nécessaire sursaut de cette gauche face à la banalisation d'un discours de haine, qui compromet nos valeurs fondamentales et menace le pacte républicain. Car comment prétendre incarner le progrès, l'émancipation et la fraternité si nous tolérons au sein de la gauche unie des expressions de rejet visant une partie de nos concitoyens ?

I. Le constat : l'antisémitisme, un phénomène protéiforme qui n'épargne pas la gauche

A. L'antisémitisme en France : une réalité qui précède et dépasse le 7 octobre

L'antisémitisme en France se caractérise par sa dimension protéiforme, mais une vision du monde conspirationniste est commune à toutes ses manifestations : antisémitisme historique d'extrême droite rêvant de suprématie biologique, antisémitisme banalisé reprenant de vieux stéréotypes, et antisémitisme influencé par l'islamisme radical. Les assassinats d'Ilan Halimi, de Mireille Knoll, et les attaques terroristes de Toulouse et de l'HyperCacher ont dévoilé jusqu'où l'embrigadement pouvait conduire.

Depuis le 7 octobre, l'explosion des actes antisémites et leur caractère protéiforme est frappant : injures, caricatures, agressions physiques, assignations identitaires... Pire, certains groupes politiques tels que le NPA et la LFI importent le conflit du Proche Orient en tenant un discours hostile qui cible désormais les Français juifs au nom d'une cause palestinienne instrumentalisée.

Beaucoup de Français de confession juive expriment aujourd'hui leur inquiétude face à ce qu'ils ressentent comme une atmosphère nauséabonde, où chacun se sent menacé dans son avenir en France.

B. L'antisémitisme à gauche : un impensé qui doit être confronté

L'hostilité aux Juifs est l'un des démons historiques de la droite nationaliste française, mais la passion antijuive fut loin d'être historiquement absente des rangs de la gauche (A. Blanqui, P-J. Proudhon, J. Guesde...). Pourtant depuis l'affaire Dreyfus, la gauche s'était départie de ses clichés antisémites et construite au nom de l’humanisme sur le rejet de l'antisémitisme de l’extrême-droite.

L'antisémitisme à gauche prend diverses formes :

  • -  la vulgate anticapitaliste simpliste ( le "socialisme des imbéciles")

  • -  larésurgenced’uncertainracialismequisouscouvertd'intersectionnalitéou d’indigénisme en vient à alimenter la concurrence victimaire avec les Juifs, considérés comme “privilégiés”

- la tolérance coupable à l'égard de l’antijudaïsme islamiste au nom de la non critique des victimes du racisme

- l'obsession antisioniste qui, selon V. Jankélévitch, donne "la permission d'être démocratiquement antisémite"

Le 7 octobre a constitué un révélateur saisissant de ces dérives. Dès le 10 octobre 2023, certains responsables politiques de La France Insoumise refusaient de qualifier le Hamas de mouvement terroriste. Le 17 octobre, la députée LFI D. Obono allait jusqu'à affirmer que le Hamas était "un mouvement de résistance". Une partie de la gauche radicale a manifesté une "empathie sélective"[3], justifiant ou minimisant la violence à l'encontre des civils israéliens en la présentant comme une forme de "résistance" ; ceux-là même restant silencieux face aux pires dictatures ou aux guerres ukrainienne, soudanaise, syrienne... et muets face au déferlement de l’antisémitisme en France.

Depuis la campagne des européennes, nous avons assisté à une instrumentalisation politique du conflit, avec la mise en avant de figures comme Rima Hassan et la multiplication de propos inacceptables : relativisation de l'antisémitisme en France, accusations de double allégeance, exclusion symbolique d'Israël de l'humanité. Récemment, LFI publiait des affiches indignes reprenant tous les codes antisémites pour appeler à la mobilisation contre le racisme, l’antisémitisme et l’extrême droite. C’est l’achèvement d’une stratégie portée de longue date par les déclarations de J-L Mélenchon, probablement destinées à mobiliser de concert l’antijudaïsme islamiste et le vieil antijudaïsme chrétien: dénonciation des “communautés aggressives” (lire, la communauté juive), références au peuple déïcide, assimilation du racisme d’Eric Zemmour à un “scénario culturel” issu du judaïsme et assimilation de magnats de la presse “milliardaires” qui critiquent son antisémitisme aux nazis qui “ vous couperaient les cheveux pour en faire des édredons”. Ces glissements vers un discours de haine antisémite appellent une réponse socialisteet républicaine intransigeante sur nos valeurs.

II. Notre position idéologique : pour une gauche universaliste, contre toutes les haines A. Réaffirmer l'universalisme républicain contre les assignations identitaires

Face à la montée d'un discours communautariste et identitaire qui essentialise les identités et assigne chacun à son origine réelle ou supposée, le PS réaffirme son attachement indéfectible à l'universalisme républicain. Notre tradition politique s'est construite sur le refus des particularismes et sur la conviction que l'émancipation passe par le dépassement des assignations identitaires.

Nous refusons catégoriquement l'idée selon laquelle les citoyens Juifs seraient comptables des actions du gouvernement israélien. Cette logique perverse, qui transfère la responsabilité des décisions d'un État à l'ensemble des personnes partageant une même religion ou une même origine, constitue le terreau de l'antisémitisme contemporain.

Nous refusons également l’idée installée par Dieudonné qu’il y aurait un “deux poids deux mesures” en faveur des Juifs et l’insinuation pernicieuse d’Houria Bouteldja selon laquelle il y aurait un “philosémitisme d’Etat”. Nous refusons tous les discours qui à leur suite parlent d’un “privilège juif”, car toutes ces prises de positions n’ont qu’un seul but : faire sortir la lutte contre l’antisémitisme de l’agenda antiraciste et en finir avec l’universalisme.

. Distinguer la critique légitime de la politique israélienne et l'antisémitisme

On doit pouvoir dénoncer la haine du Juif sans amalgame, sans systématiquement la remettre en perspective avec le conflit israélo-palestinien.

Aussi, le PS doit distinguer clairement la critique légitime - et tout à fait nécessaire - de la politique du gouvernement d’extrême droite de B. Netanyahou, de l'antisémitisme ou de l'antisionisme radical qui nie le droit à l'existence de l'État d'Israël. Le sionisme n’est pas un fascisme!

 Établir une ligne de démarcation claire face à l'antisémitisme

Les appels à l’Intifada, l'apologie du Hamas comme instrument décolonial, l'assignation identitaire du "juif" ou du "musulman" sont contraires à notre universalisme et à notre humanisme. La logique clientéliste de la recherche d’un prétendu vote “musulman” ou “populaire” est une insulte pour ces citoyens. Et les amalgames tuent.

À Toulouse et à l’HyperCacher, les assassins justifiaient déjà leurs crimes au nom de la “Palestine”, en juin dernier, une jeune fille de 12 ans a été violée à Courbevoie pour “venger la Palestine” et le 23 mars 2025, le rabbin d’Orléans a été attaqué parce que Juif sous ce même prétexte. Nous affirmons notre horreur face à ces actes antisémites qui sèment violences et mort.

Face à la diffusion massive de l’antisémitisme, nous refusons toute complaisance à gauche, parce que c’est notre histoire. Nous ne voulons plus du dieudonniste Médine aux journées d’été de nos alliés écologistes, pas davantage qu’à la fête de l’Huma. Nous ne voulons plus de dirigeants syndicalistes qui s’en prennent aux Rothschild comme les plumitifs antisémites du 19e siècle. Nous ne pouvons pas participer à la manifestation pour la journée internationale des droits des femmes sans réagir à l’éviction de groupes féministes composés de Juifs, sans leur proposer de les accueillir dans notre cortège ou de les rejoindre.

Nous réaffirmons que l’alliance ne peut être possible avec des partis qui ne condamnent pas les viols, actes de tortures, rapts, sévices, et assassinats commis par le Hamas et ses affidés. L'humanisme, le rejet du meurtre de masse et de la violence sont notre ligne de démarcation avec ceux qui sont incapables de ce geste humaniste et solidaire, voire glorifient le Hamas comme "résistants".

Face au déferlement de propos insupportables de J-L Mélenchon et de nombre de responsables insoumis, il est temps de réaffirmer qu’aucune alliance n’est aujourd’hui possible avec LFI.

L’absence de ligne de démarcation claire divise la Nation. Nous devons reconstruire les digues contre la haine antisémite.

Pour une approche équilibrée du conflit israélo-palestinien

Historiquement, le PS a toujours défendu une position fondée sur le droit international du conflit israélo-palestinien : nous reconnaissons le droit d'Israël à exister dans des frontières sûres et reconnues, et nous soutenons le droit des Palestiniens à disposer d'un État viable et souverain. L’autodétermination c’est pour tous ! Tout au long de son histoire, le PS a soutenu les voix de la paix, par la négociation, entre les parties, sur la base du droit international.

Nous rejetons aujourd'hui fermement toute assimilation d'Israël et du sionisme au nazisme, démarche qui ne vise rien d’autre qu’à retourner le stigmate de l’histoire pour délégitimer son existence et, in fine, appeler à la destruction de l’Etat d’Israël.

Pour la même raison, nous devons rejeter l'utilisation des termes historiquement connotés et juridiquement définis : “génocide" "apartheid" "nettoyage ethnique" qui ne sauraient s’appliquer à la situation actuelle. La plus ferme condamnation des exactions, crimes de guerre et plus généralement d’une politique illégale d’occupation des territoires palestiniens, est possible et nécessaire sans utiliser les termes inappropriés et outranciers qui servent un autre objectif politique que celui que le PS a toujours soutenu : la négociation pour une paix juste et durable, sur la base des résolutions de l’ONU, et l’établissement de deux États souverains pour deux peuples vivant en sécurité. C’est la seule orientation possible, susceptible d'aboutir à la paix entre israéliens et palestiniens, en refusant l’instrumentalisation du conflit qui n’a d’autre conséquence que d’alimenter l’antisémitisme.

Ces derniers mois, sous l’émotion du 7 octobre et de la guerre à Gaza, le PS n’a pas suffisamment été clair, ne s’est pas suffisamment appuyé sur sa propre histoire, n’a pas suffisamment soutenu les voix de la paix en Israël et en Palestine. Nous devons être une force qui reconnait l’antisémitisme sous toutes ses formes, cherche à comprendre la situation au Proche-Orient, et combat les porteurs de haine.

Tous les futurs TO, élu.e.s, et militant.e.s sont invités à se saisir des propositions suivantes pour défendre une société humaniste et fraternelle.

Le PS doit agir concrètement contre la montée de l'antisémitisme à gauche et au sein de la société

A. Nos propositions pour le PS
Clarifier notre discours et nos messages

  • Refuser toute "corbynisation" et réaffirmer avec clarté notre engagement sans faille contre l'antisémitisme

  • Acter qu’aucun candidat (du PS comme de nos futures alliances), ne puisse être investi si il a tenu des propos/ eu des comportements ambigüs concernant l’antisémitisme.

  • Rejeter l'utilisation de termes inappropriée concernant Israël

  • Élaborer nos positions sur ces sujets complexes de manière concertée et réfléchie

    Agir en interne et au niveau international

  • Organiser des Assises de lutte contre l'antisémitisme à gauche pour clarifier et ne rien laisser sous le tapis

  • Adopter la définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'IHRA comme l’a fait la Ville de Paris

  • Créer une cellule antisémitisme chargée d'identifier les éventuels cas internes au parti et d'apporter soutien aux victimes

  • Organiser des formations des adhérents sur l'antisémitisme et sur le conflit du Proche- Orient

  • Organiser des voyages pédagogiques pour les adhérents sur les lieux de mémoire, ainsi qu’au Proche Orient

  • Reprendre le dialogue avec les interlocuteurs de la société civile, des syndicats et des partis de gauche des deux bords

  • Préparer une plateforme pour la paix au sein de l'Internationale Socialiste B. Des 1ères propositions à mettre en oeuvre au plan national
    Pour l'École et l'Enseignement supérieur

  • Enseigner l'histoire de la création de l'État d'Israël pour expliciter sa légitimité

  • Créer dès le collège un module pédagogique spécifique sur l'imaginaire de

    l'antisémitisme

  • Garantir que chaque élève de 3ème puisse se rendre sur un lieu de mémoire

  • Mettre en place des espaces de dialogues apaisés au sein des Universités et créer des

    référents administratifs pour écouter les étudiants victimes de haine

    Pour le cadre législatif et juridique

  • Renforcer la Loi Gayssot en intégrant l'antisionisme radical dans les propos susceptibles d'être condamnés

  • Créer un Pôle spécialisé en instruction et en jugement des délits de haine relatifs au racisme, à la discrimination, à l'antisémitisme

  • Faciliter le dépôt de plainte en ligne des victimes d'antisémitisme

  • Ouvrir systématiquement une enquête pénale après le signalement de faits antisémites

    Pour lutter contre la haine en ligne

  • Imposer aux grandes plateformes un délai de 24 heures pour retirer les contenus manifestement antisémites

  • Créer une procédure auprès de l'ARCOM pour sanctionner les médias diffusant des propos antisémites

  • Créer une autorité européenne de régulation des contenus illicites sur Internet

 

[2] Être le parti de tous les citoyens, quelles que soient leur origine, leur religion ou leur identité,unis dans un même projet de société juste, fraternelle et émancipatrice

[3] Expression d’E. Illouz


Contributeur.ices :

Éléonore SLAMA, Adjointe à la Maire du 12e, Secrétaire Fédérale, Paris ; Camille VIZIOZ-BRAMI, Conseillère du 9e arrondissement, Secrétaire Fédérale, Paris ; Mahor CHICHE, Conseiller de Paris, suppléant au CN, Paris, Daniel SZEFTEL, militant, Paris.

Et les personnes suivantes: ASSEH Bassem, premier adjoint à la Maire de Nantes, ASSOULINE David, Ancien Sénateur, membre du BN, Secrétaire Général de Refondations, BLOCHE Patrick, Premier adjoint à la Maire de Paris, Député honoraire, Fédération de Paris, CHENUIL-HAZAN Raphaël, militant, Val de Marne, DELGA Carole, Présidente de la Région Occitanie 31, FADAT Cécile, Adjointe au Maire de Condat-Sur-Vienne, Haute-Vienne, FERAUD Rémi, Sénateur, Paris,

FITA Claire, Députée européenne, Fédération du Tarn, GELLY-PERBELLINI Michel, Secrétaire fédéral, Paris, GOBERT Julie, Conseillère départementale, 77, Emmanuel GRÉGOIRE, Député, Paris, GUEDJ Jérôme, Député de l’Essonne, Secrétaire national à la laïcité, HERRATI Nadine, militante, KOMITES Pénélope, Adjointe à la Maire de Paris, militante, Paris, LASNIER Philippe, militant, Paris, LEGROS Esteban, militant, Yvelines, MANCHEL Bettina, militante, Paris, MASSIN Mireille, militante, Paris, MISSÉ Albert, militant, FFE, MOUNIER Pierre-Alexandre, Conseiller municipal (78), membre du CN, fédération Yvelines, PARIS Pierrick, Adjoint à la Maire du 12e arrondissement de Paris, militant, Paris, ROSSIGNOL Laurence, Sénatrice du Val de Marne, SOUBELET Cécile, Secrétaire de section Issy les Moulineaux (92), WEIL Ariel, Maire de Paris Centre, Paris, YAVCHITZ Élisa, militante, Paris


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