- Vendredi 21 mars
Dylan Boutiflat, Secrétaire national aux relations internationales
Anna Pic, députée et membre de la commission de la défense nationale et des forces armées
Pierre Pribetich, député et membre de la commission des affaires étrangères
Le samedi 15 mars 2025, à l’appel des étudiants de tout le pays, montés à pied de leurs universités vers Belgrade pour rencontrer sur leur route la population du pays, et lui expliquer les raisons de leur mobilisation, ce sont plusieurs centaines de milliers de Serbes qui ont défilé dans les rues de la capitale : leur demande portait sur le respect de la constitution et des textes de loi et la mise en œuvre effective des outils existants pour lutter enfin contre une corruption d’état qui tue, comme l’a montré le drame de la gare de Novi Sad le 1er novembre 2024.
La réponse du pouvoir, incarné par le président Vucic, a été simple : d’abord l’utilisation d’un canon à son pour littéralement casser la manifestation et envoyer plusieurs dizaines de manifestants aux urgences des hôpitaux belgradois puis, ensuite, lors d’un point de presse suivant la manifestation, un déni total de la réalité et des motivations de ce mouvement social.
Ainsi, selon cette « personne qui occupe la fonction présidentielle » comme le nomment désormais les étudiants, cette manifestation n’est pas représentative de « l’opinion majoritaire » ; il s’agit d’« une révolution de couleur » produit d’ingérences extérieures ; et, bien sûr, la justice mène sereinement ses investigations concernant le drame de Novi Sad alors que les contrats attribuant les marchés sont considérés comme des secrets d’état. Et s’il le faut, le pouvoir en place convoquera, comme il en a l’habitude, des élections anticipées…
Aujourd’hui, force est de constater que Vucic et ses soutiens ne disposent plus de l’assise populaire qui les maintenaient au pouvoir par l’achat de voix, la coercition et un certain fatalisme nourri par le sentiment d’absence d’une alternative politique crédible : il est donc urgent de ne pas avaliser le piège tendu de la tenue d’élections anticipées, élections qui ne prendraient pas en compte pour leur organisation et leur tenue les préconisations de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, soutenues par le Parlement européen.
Aujourd’hui, l’urgence est de donner suite, à notre niveau, aux revendications portées par un mouvement social inédit, qui se nourrit de l’énergie de sa jeunesse.
Il est enfin temps de rappeler que l’intégration de la Serbie à l’Union européenne n’est pas qu’économique, mais aussi politique et diplomatique.
Ainsi, il est urgent que les services du procureur du Parquet européen puissent enquêter sans entrave sur l’utilisation des subventions européennes versées pour le projet de réhabilitation de la gare de Novi Sad. Comme il est urgent d’enquêter sur les moyens utilisés par les forces de l’ordre samedi soir pour tenter de disperser les manifestants -les premières analyses tendent à prouver l’emploi de moyens de coercition interdits par la loi-.
Surtout, il s’agit de reprendre sur le fond le processus d’adhésion de ce pays, notamment dans son acceptation des critères de Copenhague. Alors que le pays régresse dans la plupart des classements mondiaux portant sur l’état des droits fondamentaux, comment ce constat ne ressort-il pas dans les discussions que Bruxelles mène avec Belgrade ?
Nous sommes enfin à un moment où la Serbie doit choisir parmi ses alliances internationales : l’Union européenne ne peut se trouver aux côtés des régimes russe, américain ou chinois pour légitimer par le haut un pouvoir qui a décroché de sa population.
Depuis ces dernières années, avec le projet contesté de mise en exploitation d’une mine de lithium dans la vallée du Jadar, puis les fusillades meurtrières de mai 2023, les fraudes électorales massives de décembre 2023 et le drame de Novi Sad le 1er novembre 2024, la société civile s’est organisée pour résister et enfin mener le combat contre un pouvoir désormais aux abois. Il appartient maintenant aux partis des oppositions démocratiques -nous pensons à nos partis frères le Parti démocratique (DS) et le Parti de la Justice et la liberté (SSP)- de discuter avec elle les éléments de la feuille de route qui contraindra le pouvoir en place à respecter la constitution et la loi.
Le pouvoir ne l’avait pas prévu : les plénums étudiants sont en passe de devenir des plénums populaires qui vont travailler aux formes à donner à ce retour à l’état de droit… A lui désormais de ne pas sombrer dans la fuite en avant en privilégiant désormais un rapport de force passant par la violence et les arrestations d’opposants.
Pour rappel, en Macédoine du Nord en 2016, s’était installé un gouvernement où toutes les forces politiques étaient représentées et les fonctions régaliennes partagées. Ce gouvernement avait notamment eu pour fonction de donner les suites judiciaires aux différentes affaires de corruption qui avaient surgi dans l’opinion publique en 2015 de préparer de façon non discutable les élections législatives de 2016.
Il existe donc des possibilités pour trouver des issues à la crise politique que traverse la Serbie. L’Union européenne doit y trouver toute sa place en rappelant, enfin, que son projet n’est pas qu’économique, mais d’abord politique, par la promotion de l’état de droit et l’affirmation d’une identité européenne partagée pour faire face aux défis qui se présentent à ses frontières.
Cette absence aux côtés des manifestants se ressent par l’absence de son drapeau. Il est enfin temps de rattraper le retard et d’affirmer enfin la prééminence de cette plateforme de valeurs pour laquelle tant de Serbes sont aujourd’hui dans la rue. C’est le message que la présidente de la Commission européenne devra passer à la « personne qui occupe la fonction présidentielle » en Serbie lors de leur prochaine rencontre le 24 mars prochain.
La mobilisation a payé. L'opposition va devoir se mobiliser pour dépasser les fraudes probables du scrutin. L’opposition unie ne participera pas à ce scrutin si les recommandations formulées par le CRTA ne sont pas mises en œuvre.