- Jeudi 22 juin 2023
Yannick Trigance, secrétaire national à l'École, au Collège et au Lycée
A l’issue des concours de recrutements des professeurs des écoles, le constat est sans appel : 1 264 postes de professeurs des écoles n’ont pas trouvé preneurs avec 6 837 postes pourvus sur les 8 174 offerts aux concours.
Le moins que l’on puisse dire c’est que le fameux « choc d’attractivité » tant souhaité par le ministre n’a pas eu lieu, loin s’en faut.
Si cette situation perdure depuis plusieurs années, elle ne cesse de s’aggraver et place l’École publique en urgence absolue faute d’une politique volontariste mais surtout du fait d’une orientation libérale imposée à marche forcée par le Président de la République et ses ministres de l’Éducation nationale successifs.
En effet, le « New Public Management », promu et déployé depuis 2017 comme l’étendard de la politique éducative, exacerbe la compétition entre les élèves, entre les équipes éducatives et entre les établissements, renvoyant ainsi l’image d’un service public de l’enseignement livré au consumérisme et à la marchandisation.
Le fameux « Pacte », maquillé en « revalorisation », illustre dramatiquement l’absence de considération et de reconnaissance du travail des enseignants condamnés à « travailler plus pour gagner plus » quand dans le même temps leur salaire est inférieur de 20% à celui des enseignants du 1er degré des pays de l’OCDE et que la promesse présidentielle d’une augmentation de 10% pour tous les enseignants et sans mission supplémentaire a été reniée une fois l’élection passée.
Mais au-delà de la question salariale, nous assistons bel et bien à une véritable perte de sens du métier et de la place des enseignants au cœur de notre société. Quelle vision de l’École pour aujourd’hui et pour demain ? Quel sens donner à la « réussite scolaire » quand, par exemple, la réforme du lycée professionnel consiste d’abord et avant tout à diminuer les enseignements fondamentaux pour amener les jeunes à pourvoir le plus tôt possible des emplois dont le patronat a besoin mais sans les préparer à évoluer dans un monde du travail en pleine mutation ? Comment redonner à nos enseignants la légitimité, la dignité et la reconnaissance nécessaires au cœur de notre société ? Comment les aider à construire leurs carrières (mobilité, VAE,...) ? Comment améliorer leurs conditions de travail ? Comment leur permettre de faire réussir tous les élèves partout sur le territoire de la République ? Quels outils mettre en place pour leur permettre de lutter au mieux contre la difficulté scolaire qui dans certains quartiers infuse de la maternelle jusqu’au collège ?
Les réponses existent, elles sont connues, seule aujourd’hui fait défaut la volonté politique.
Réduire les effectifs des classes en profitant de la baisse de la démographie scolaire pour améliorer le taux d’encadrement, établir une gestion humaine des ressources et un plan prévisionnel de recrutements sur 10 ans, reconstituer les réseaux d’aide spécialisée aujourd’hui exsangues, permettre à la médecine scolaire de mener un travail de prévention des écoles maternelles, conseiller et accompagner les familles en difficultés, rétablir une véritable formation initiale mais également continue –condition indispensable pour permettre aux équipes tout au long de leur carrière d’adapter leur pédagogie et leurs connaissances au service des élèves- pour les enseignants, permettre l’accueil des élèves en situation de handicap dans des conditions d’encadrement adaptées, agir de manière volontariste pour une mixité sociale et scolaire effective, diversifier les options et les parcours dans le second degré, passer d’une orientation subie à une orientation choisie...
Autant de mesures qui, parmi d’autres, permettraient d’en finir avec les « job dating » en guise de recrutements, avec l’augmentation exponentielle des contractuels et qui redonneraient non seulement une attractivité à ce métier aujourd’hui abîmé mais surtout qui permettraient aux enseignants de se sentir à nouveau reconnus pour ce qu’ils sont : la pierre angulaire de notre École de la République, clé de voûte de l’émancipation, de la coopération et de la fraternité.