Thème : JEUNESSE
« Si la jeunesse n'a pas toujours raison, la société qui la méconnait et qui la frappe a toujours tort »
François Mitterrand, Président de la République
Sous le poids des crises successives, le fragile lien social se trouve mis à rude épreuve. Dans cette période d’incertitudes et de tensions, nous, socialistes, avons une ambition : répondre aux attentes d’une jeunesse en quête de sens, de repères et, surtout, d’actions concrètes.
Les jeunes ne manquent ni d’utopie, ni de volonté. Ils manquent d’opportunités, de moyens et de confiance en leur avenir. Dans un monde en perpétuel mouvement, où leur place semble parfois incertaine, ils ont pourtant des idéaux à défendre, des causes à porter, des révoltes à exprimer. Alors, une question s’impose : comment permettre à celles et ceux qui veulent s’engager de le faire pleinement ? Comment transformer leur énergie en moteur de progrès social et démocratique, plutôt que de les laisser à l’écart, désillusionnés et frustrés ?
La France souffre d'un étrange paradoxe. Jamais les jeunes ne se sont autant mobilisés pour des causes essentielles à leurs yeux : féminisme, lutte antiraciste, défense du climat, extension des droits... Leur engagement dans ces luttes reflète une politisation croissante et une volonté de transformation du monde. Pourtant, élection après élection, leur abstention ne cesse de s'aggraver. Lors du premier tour des élections législatives de 2022, seuls 30% des 18-24 ans se sont rendus aux urnes. Pour les élections européennes, de 2024, ce chiffre tombe à 27%. Comment expliquer ce paradoxe ? Dans Politiquement Jeune, la politologue Anne Muxel analyse ce décalage par le fait que les jeunes se méfient des responsables politiques, tout en restant profondément attachés à la chose publique. Ils s’engagent autrement, dans la rue, via les réseaux sociaux, à travers des pétitions ou des mobilisations citoyennes. C’est une crise de confiance, bien plus qu’une crise d’intérêt.
Notre responsabilité est claire : répondre à cette soif d’engagement en leur donnant les moyens d’agir, de peser sur les décisions publiques, de ne pas être cantonnés à la contestation. Le Parti socialiste doit leur tendre la main et leur offrir de véritables leviers d’action démocratique.
Les freins à l’engagement
L’engagement des jeunes est aujourd’hui une force vive de notre démocratie, mais il reste marqué par de profondes inégalités. Si 77 % des 15-25 ans déclarent s’engager sous une forme ou une autre, tous n’ont pas les mêmes opportunités d’action[1]. Plusieurs freins structurels entravent leur capacité à participer pleinement à la vie publique : le milieu social, l’autonomie financière, la mobilité, et la reconnaissance institutionnelle de l’engagement.
Premièrement, l’origine sociale demeure le facteur déterminant de l’accès à l’engagement. Les jeunes issus de familles modestes sont souvent contraints de privilégier des emplois précaires pour subvenir à leurs besoins, ce qui limite leur temps disponible pour s’impliquer dans des associations, des mouvements militants ou la vie démocratique. L’absence de soutien familial, notamment pour les jeunes en rupture ou issus de l’Aide sociale à l’enfance, aggrave encore cette situation. Près de la moitié des sans-abris de 18 à 25 ans sont d’anciens enfants placés, un chiffre qui illustre également l’échec des politiques d’accompagnement vers l’autonomie.
Deuxièmement, l’inégalité d’accès aux dispositifs publics accentue ce phénomène. Si la France consacre plus de 53 milliards d’euros par an aux 15-25 ans, ces aides sont souvent dispersées et méconnues. Près de 30 % des jeunes en situation de précarité ne sollicitent pas les aides auxquelles ils ont droit, par manque d’information ou en raison de démarches trop complexes. Cette invisibilité institutionnelle éloigne de nombreux jeunes des dispositifs qui pourraient soutenir leur engagement.
Troisièmement, l’autonomie financière reste un privilège pour une minorité. En France, 10 % des jeunes de 15 à 24 ans sont sans emploi, sans étude et sans formation. En 2021, 4,1 millions de jeunes de moins de 30 ans ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté[2]. La précarité est particulièrement marquée chez les étudiants et les jeunes travailleurs, qui naviguent entre petits boulots, stages sous-payés et difficultés à se loger. En effet, le coût du logement est un obstacle central : 52 % des jeunes de 18 à 24 ans vivent encore chez leurs parents faute de moyens suffisants. Or, cette dépendance financière réduit leur capacité à s’engager librement, notamment en dehors des grands centres urbains où se concentrent les initiatives associatives et citoyennes.
Quatrièmement, sans la mobilité, les jeunes ne peuvent s’engager. Selon le rapport de la Cour des comptes, 38 % des jeunes ruraux de 15 à 29 ans ont déjà renoncé à un entretien d’embauche faute de moyens de transport. Cette contrainte se répercute également sur leur participation associative et politique : sans solution de transport accessible, les jeunes des territoires périphériques sont exclus des lieux de débat, de formation et d’action collective.
Enfin, le manque de reconnaissance des expériences d’engagement constitue un frein majeur. Les compétences acquises à travers l’engagement associatif, le bénévolat ou le militantisme sont rarement prises en compte par les universités ou les employeurs. En l’absence de reconnaissance formelle, cet engagement est perçu comme secondaire, voire comme un obstacle à l’insertion professionnelle. Pour remédier à cela, plusieurs mesures doivent être mises en place :
- La création d’un « passeport engagement », document officiel attestant des compétences acquises à travers l’engagement citoyen et reconnu par les employeurs.
- Un accès facilité aux formations et aux concours publics pour les jeunes engagés, afin de valoriser leur parcours au même titre que les expériences professionnelles classiques.
L’engagement doit être librement choisi
Deux modèles d'engagement des jeunes s'affrontent aujourd'hui. D'un côté, un engagement libre, choisi et formateur, porté par le Service Civique. De l'autre, une solution inefficace et coûteuse, incarnée par le Service National Universel (SNU).
Confidentiel lors de sa création en 2010, le Service Civique est devenu, à l’heure de son 15ème anniversaire, un outil puissant d'émancipation, d'insertion et d'engagement. Grâce à la loi Égalité et Citoyenneté de 2017, il a pris une nouvelle dimension, mobilisant plus de 850 000 jeunes depuis sa création. Un succès qui repose sur trois principes essentiels : la liberté d’engagement, la reconnaissance des compétences acquises et la diversité des missions d’intérêt général (solidarité, environnement, éducation, culture, etc). Plus qu’une expérience, le service civique est un tremplin. Il permet à des milliers de jeunes de trouver leur voie, d’acquérir des compétences et souvent de faire le premier pas vers l’emploi. Malheureusement, cette dynamique s'essouffle en raison d'un manque d'information, d'une confusion avec le SNU et d'un engagement inégal des institutions publiques. Il est urgent de lui donner un nouvel élan en renforçant son accessibilité et sa reconnaissance. Car une République qui croit en sa jeunesse doit lui donner les moyens d’agir. C’est ce que le groupe socialiste au Sénat a proposé : un acte III du service civique avec plusieurs mesures clés.
- Mieux valoriser l'expérience acquise dans les parcours académiques et professionnels.
- Encourager les institutions publiques à accueillir des volontaires pour en faire un véritable creuset citoyen.
- Élargir son accès
- Mieux promouvoir le service civique par des conditions plus attrayantes via une révision des modalités de calcul de l’indemnité de l’État et l’octroi aux jeunes d’une allocation de fin d’engagement pour soutenir la prise en charge du permis de conduire ou un projet professionnel ou de formation.
À l'inverse, le SNU est un gouffre financier et un projet inapplicable continuant d’accaparer des moyens disproportionnés : 128 millions d’euros pour seulement 66 000 jeunes. Ce dispositif, au coût moyen de 2 900 euros par participant, n’atteint ni ses objectifs de mixité sociale ni d’impact collectif comme le souligne la Cour des comptes[3]. Le gouvernement doit tirer les leçons de cet échec.
Un minimum jeunesse : Garantir l’autonomie des jeunes, c’est leur garantir la possibilité de s’engager pleinement
Trop de jeunes sont aujourd’hui condamnés à la précarité : entre petits boulots mal payés et absence de filet de sécurité, beaucoup peinent à se projeter dans l’avenir. Singulière entrée dans la vie adulte que celle qui commence par accueillir dans la majorité pénale, avant même la majorité civique. Celle qui ne reconnaît une majorité sociale qu’à 25 ans, abandonnant jusque‑là les jeunes à la solidarité familiale, source d’inégalités considérables, plutôt qu’aux bons soins de la solidarité nationale. C’est pour toutes ces raisons que le Parti socialiste porte l’idée de la création d’un minimum jeunesse. Un revenu d’engagement qui garantirait à chaque jeune de 18 à 25 ans un socle financier pour construire son avenir sans subir la pauvreté. Inspiré du RSA mais pensé pour la jeunesse, ce revenu serait versé automatiquement et sans contrepartie de ressources, permettant ainsi à chaque jeune de se consacrer pleinement à ses études, à un engagement citoyen ou à une première expérience professionnelle. Il ne s’agit pas d’assistance, mais de reconnaissance. Reconnaître que la jeunesse est une richesse pour la nation, et non une charge. Qu’elle mérite autre chose que des aides éparses et des dispositifs conditionnés. Donner aux jeunes les moyens de leur autonomie, c’est leur ouvrir le champ des possibles. Sans oublier qu’investir dans la jeunesse revient à investir dans l’avenir.
Le vote à 16 ans : un levier pour une démocratie plus vivante
La majorité a été abaissée à 18 ans il y a 51 ans. Depuis, les jeunes d’aujourd’hui s’engagent plus tôt, via, le plus souvent, des formes non conventionnelles de participation et d'expression politique, à l'instar des manifestations ou des pétitions. À 16 ans, on peut déjà passer son BAFA, créer une junior association, entrer dans la vie active, être émancipé. Pourquoi leur refuserait-on le droit de vote ? Plusieurs pays européens ont déjà franchi le pas : l’Autriche, l’Allemagne (dans certaines élections), la Belgique, l’Écosse. Et les résultats sont clairs : plus on vote jeune, plus on prend l’habitude de voter. Cette mesure permettrait d’ancrer durablement une culture démocratique et d’impliquer davantage la jeunesse dans la vie de la cité. Cet abaissement de l’âge inciterait à formuler des politiques de la jeunesse solides et substantielles. Permettre à la jeunesse de compter dans les urnes, évite de les cantonner aux contestations et à la rue et oblige à entendre l’ensemble de la jeunesse. Notons que la question de la participation des jeunes à la vie politique n’est pas une question récente. Dès 1985, le Conseil de l’Europe avait dans un rapport constaté la nécessité de non seulement préparer, mais également insérer les jeunes dans la vie civique.
Toutefois élargir le droit de vote ne suffit pas. Encore faut-il leur donner les clés de la compréhension du système démocratique. C’est pourquoi, il est urgent de renforcer l’éducation civique, d’enseigner le fonctionnement des institutions, les grands courants de pensée, les mécanismes du débat public. La politique ne doit pas être un univers lointain, réservé aux initiés. Elle doit être une langue que chaque jeune maîtrise, dès le plus jeune âge.
Ainsi nos actions prioritaires en direction de la jeunesse pourraient être :
- Répondre à la quête de sens et d’engagement des jeunes: Mettre en place des mesures concrètes pour permettre à la jeunesse de s’engager pleinement dans la vie publique et de défendre les causes qui lui sont chères.
- Renforcer l'accès à l’engagement démocratique : Créer de véritables leviers d'action démocratique pour les jeunes, en leur offrant des opportunités réelles de participer à la prise de décision politique et publique, au-delà de la simple contestation.
- Réduire les inégalités d’accès à l’engagement: Assurer une meilleure égalité d'accès à l'engagement pour tous les jeunes, en luttant contre les barrières sociales, financières, géographiques et institutionnelles. Cela passe par une meilleure visibilité des dispositifs de soutien et leur simplification.
- Valoriser l'engagement des jeunes: Mettre en place des dispositifs pour reconnaître les compétences acquises par les jeunes dans le cadre de leur engagement citoyen.
- Renforcer le service civique: Renforcer le service civique en tant que tremplin pour l’insertion professionnelle et l'engagement librement choisi (simplification des démarches d’accès, élargissement des missions et des organismes accueillant, et amélioration des conditions d'indemnisation).
- Mettre en place un minimum jeunesse: Créer un revenu d'engagement pour les jeunes de 18 à 25 ans afin de leur garantir un socle financier pour se consacrer à leurs études, à un engagement citoyen ou à une première expérience professionnelle, sans être soumis à la précarité.
- Abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans: Permettre aux jeunes de s'impliquer davantage dans la vie politique en abaissant l’âge de la majorité électorale à 16 ans, afin d'ancrer une culture démocratique plus tôt et de les encourager à participer activement à la vie civique.
- Renforcer l'éducation civique: Mettre l’accent sur l’éducation civique dès le plus jeune âge pour que chaque jeune maîtrise les mécanismes du débat public et du système démocratique, et ainsi devienne un citoyen engagé et éclairé.
Le Parti Socialiste doit être à l’avant-garde d’une politique ambitieuse pour l’engagement de la jeunesse. Alors que la jeunesse a soif d'action et de transformation, offrons-lui les moyens d'y parvenir, sans contrainte ni faux-semblant. Les jeunes y sont prêts, faisons leur confiance.
[1] Rapport de la Cour des comptes « Les politiques publiques en faveur des jeunes »
[2] INJEP, Les chiffres clés de la jeunesse 2024
[3] Rapport de la Cour des comptes « Le service national universel, un premier bilan cinq années après son lancement »
Contributeurs
Patrick Kanner, sénateur du Nord
Colombe Brossel -Sénatrice de Paris,
Marie-Pierre Monier - Sénatrice de la Drôme,
Karine Daniel - Sénatrice de la Loire-Atlantique,
Adel Ziane - sénateur de Seine-Saint-Denis,
Yan Chantrel - sénateur des français établis hors de France,
Sylvie Robert - sénatrice d’Ille-et-Vilaine,
David Ros - Sénateur de l’Essonne,
Jean-Jacques Lozach - Sénateur de la Creuse