Camarades, ne désertons pas les sujets de défense !


Thème : Défense


 

« La vérité est que la nation se désintéresse de ces problèmes et qu’elle permet ainsi aux professionnels de s’en désintéresser ou de les trancher arbitrairement, dans le sens des intérêts de caste les plus égoïstes, ou des préjugés les plus étroits, ou des routines les plus paresseuses. » Jaurès, Une armée nouvelle.

Le budget de la défense est aujourd’hui le 2ème poste de dépenses de l’État. Dans une époque marquée par la compétition entre puissances mais également une tension sur les finances publiques, notre défense est plus que jamais un enjeu démocratique et donc politique.

Dans le cadre du Congrès du Parti socialiste, qui prépare notre parti à être en ordre de marche pour l’élection présidentielle, le régalien et tout particulièrement la Défense, doit être particulièrement travaillé. Il en va de notre crédibilité à entrer en responsabilité sur le plan national et ce, sur la durée.

A l’image du drapeau, de la Marseillaise, l’ensemble des sujets régaliens ne doivent pas être l’apanage des partis de droite. Il est donc urgent de définir une doctrine politique sur la Défense, qui doit avoir pour socle le lien armées-nation et la prise en compte démocratique des enjeux de défense.

Cette contribution vise à définir les bases programmatiques d’une politique de défense française mais également européenne qui n’est pas un programme militaire mais une vision politique en faveur de la souveraineté, du développement et de la cohésion nationale.


1. Notre défense est un élément central de la souveraineté pourtant elle semble éloignée des préoccupations directes des français

La France consacre 2% de son PIB aux dépenses militaires, soit 45,9 milliards d’euros tel que prévu et voté par le Parlement dans la Loi de Programmation militaire. Si demain les États-Unis se désengagent de l’Otan cette part pourrait passer à 5%.

La Défense, si elle est la politique de souveraineté de la France par excellence, est également un moteur économique et de développement intérieur. La France est le 3ème exportateur mondial de matériel de défense et les 2000 entreprises de la BITD (Base industrielle et technologique de défense) réalisent 30 milliards d’euros de chiffre d'affaires et génèrent 200 000 emplois directs et indirects. Que dire également de la politique d’aménagement du territoire liée aux forces armées, à l’implantation d’un régiment ou des contrats de redynamisation des sites de défense. Enfin, les avancées technologiques militaires irriguent le monde civil dans une stratégie de développement spin off / spin in.

L’action militaire de la France, si elle représente une part significative du budget et des effectifs militaires et civils avec le choix d’une armée de métier est pourtant relativement déconnectée du débat public. Si 88% des Français déclarent avoir une bonne opinion des militaires, les crises internationales et la menace terroriste ne comptent que pour 17% et 16% de leurs préoccupations (contre 50% et 41% pour le pouvoir d’achat ou l’avenir du système social). Le lien armées-nation s’il existe par des dispositifs en place comme la journée défense et citoyenneté ou d’autres actions telles que les classes de défense n’est pas à la hauteur des enjeux du moment. Il s’agit de développer la bonne connaissance des armées, le sens de l’engagement (militaire ou civil) et l’apprentissage de la résilience face aux crises pour l’ensemble d’une génération.


2. Le nouveau contexte stratégique impose une prise en compte démocratique et citoyenne des enjeux de défense

La Guerre en Ukraine nous a rappelé ce qui était murmuré à chaque commémoration, la paix n’est pas immuable et la guerre peut revenir sur le sol européen, à nos frontières. De nouveaux enjeux stratégiques et de nouvelles zones de conflictualité se font jour : la militarisation de l’espace, la sécurité des flux maritimes au sein d’un territoire dont la ZEE est importante, la maîtrise des ressources naturelles, la guerre informationnelle et les cyber menaces, la redéfinition des liens avec les pays d’Afrique, le retour du conflit au Proche-Orient…

Face à cela, les pays européens ont d’abord avancé en ordre dispersé et l’élection de Donald Trump a mis à jour des incohérences stratégiques. C’est notamment le cas au Danemark qui avait délégué sa défense aux États-Unis et doit aujourd’hui défendre sa souveraineté au Groenland. Les dépenses militaires vont donc inexorablement augmenter dans l’ensemble des pays européens face à une hausse de la conflictualité et des incertitudes et ce pour la préservation de leur souveraineté.

« Le défaut de sympathie réciproque chez le politique et chez le soldat n’est pas essentiellement fâcheux. Une sorte d’équilibre des tendances est nécessaire dans l’État et l’on doit secrètement
approuver que les hommes qui le conduisent et ceux qui en manient la force éprouvent les uns pour les autres quelque éloignement. » De Gaulle, Le fil de l’épée.

Ce que l’on peut déplorer dans ce contexte c’est la faiblesse des débats sur les questions internationales et de défense, qui se trouve réservés à un groupe de spécialistes alors même qu’il est crucial tant d’un point de vue de souveraineté, que budgétaire ou de développement économique. Certains en font une opposition manichéenne où il faudrait choisir entre la défense ou l’école, la défense ou l’hôpital, mais quelle école quand c’est la question même de la souveraineté qui est en jeu ? D’autres censés défendre la souveraineté font l’apologie des régimes populistes, ceux-là même qui nous menacent. Nulle part un discours éminemment politique et pour autant sérieux et crédible sur la défense.

« Cedant arma togae, concedat laurea linguea ! » Ciceron (Que le glaive cède à la toge, les lauriers à l’éloquence !)

Il est donc urgent d’adopter une culture partagée de la défense au sein de notre parti mais surtout dans la société pour porter ces sujets dans le débat public. La question n’est pas uniquement un sujet de spécialistes, elle est éminemment politique. Elle pourrait être également un des leviers pour faire société autour de valeurs partagées de démocratie et de progrès dans un contexte marqué par l’individualisme exacerbé.


3. Un socle idéologique pour une politique de défense de gauche : une réappropriation démocratique des enjeux de sécurité

72 % des Français redoutent un conflit sur le sol européen dans les années à venir. Ce chiffre traduit une bascule : l’idée d’une paix durable en Europe n’est plus une évidence. Dans ce contexte, une question majeure s’impose : quelle armée pour la France, et quel lien entre notre armée de métier et la Nation ?

Ce lien, nous devons le renforcer. La défense ne peut rester l’affaire de quelques-uns. Elle doit redevenir un engagement collectif, fondé sur la cohésion, la résilience, et la conscience de notre souveraineté.
Cette contribution fixe, pour le format imparti d’une contribution thématique, quelques lignes d’action qui pourront être développées dans de prochains débats nationaux de notre parti.

Proposition 1 : replacer le rôle des armées dans la politique de sécurité nationale et développer la réserve

Une charte de responsabilité républicaine applicable aux élus en matière de défense. Afin d’éviter toute dérive populiste ou idéologique dans la conception de la politique de défense, et garantir l’indépendance des armées face aux tentations partisanes, un encadrement renforcé des interventions politiques sur les questions militaires doit être mis en place.

Concrètement, cela peut prendre la forme d’une charte de responsabilité républicaine applicable aux élus en matière de défense, en lien avec le Parlement et les autorités militaires. Cette charte pourrait permettre de :
→ définir des lignes claires sur l’usage des forces armées dans le débat public : chacun à sa juste place ;
→ rappeler le devoir de réserve sur les sujets opérationnels ;
→ protéger le commandement militaire contre toute pression partisane.
Défendre les carrières militaires, soutenir la féminisation des armées et promouvoir le modèle de réserve opérationnelle. L’engagement militaire doit s’inscrire dans un projet républicain partagé. Défendre les carrières militaires et soutenir la féminisation des armées, tant du point de vue de la solde, de l’accompagnement des familles ou des conditions de vie doivent faire partie des propositions que nous défendons. Pas d’armée sans soldat en stock mais aussi en flux : si le recrutement est un enjeu, la fidélisation des militaires l’est tout autant.
La réserve est également un enjeu, qu’elle soit civile ou militaire, au-delà des besoins immédiats elle signifie un réel engagement des Français dans la défense de la Nation et donc pour le bien collectif. Un réserviste demain pourra intervenir sur Sentinelle mais également en cas de crise climatique, sur un événement majeur. L’engagement sous toutes ses formes, que nous vivons au quotidien en tant que militants, doit être valorisé, encouragé.

Revoir l’engagement des armées dans le dispositif Sentinelle en cas de montée en charge des opérations extérieures. Les armées ont pour mission d’assurer l’intégrité du territoire national face aux agressions, y compris intérieures, conformément à l’article L1111-1 du Code de la défense. En parallèle, la sécurité publique, incluant le maintien de l’ordre et la protection des personnes et des biens, relève des forces de sécurité intérieure, telles que définies à l’article L111-1 du Code de la sécurité intérieure. L’engagement des forces armées sur le territoire national est strictement encadré : en vertu de l’article L1321-1 du Code de la défense, elles n’interviennent qu’en appui ou, en dernier recours, à la demande de l’autorité civile.
Dans ce cadre, une révision de l’engagement des armées dans le dispositif Sentinelle est nécessaire, notamment en cas de montée en charge des opérations extérieures, afin de garantir la cohérence de l’emploi des forces et le respect des missions de chacun. Pour ce faire, il faut anticiper une montée en charge de la réserve et des forces de sécurité intérieures.

Proposition 2 : consolider la contribution des armées au développement économique et technologique civils au service d’un progrès partagé et dans le cadre d’une stratégie nationale consolidée.

Consolider la contribution des armées au développement économique et territorial. Le développement de l’industrie de défense au sein des territoires constitue un levier majeur de souveraineté et de réindustrialisation. Dans le cadre d’une planification économique coordonnée avec les filières civiles, l’implantation d’entreprises de défense pourra être encouragée dans les zones franches et les territoires en reconversion industrielle. La création de “bassins industriels de souveraineté” autour des pôles militaires existants — bases, arsenaux, centres de maintenance — permettra de structurer un écosystème local pérenne, innovant et stratégiquement utile à la Nation dans le cadre d’un chaînage vertueux.

Encourager les synergies entre technologies civiles et militaires : actuellement, le programme 191 finance des actions de recherche duale, dont les applications bénéficient aux sphères civiles et militaires. Il concerne notamment les satellites de communication, les transports, la logistique et la surveillance. Or son budget et son rayonnement est minime. Une meilleure valorisation de ce programme serait l’un des axes du rapprochement entre civil et militaire dans une logique de progrès partagé.

Promouvoir le 'made in Europe' dans le secteur de la défense. Ce label permettrait, dans le cadre du Pacte vert européen, de renforcer notre autonomie stratégique tout en inscrivant l’effort industriel en soutien des filières technologiques sobres, résilientes et compétitives.

Proposition 3 : développer une culture de sécurité comme pilier d’une citoyenneté active.

« L’éducation militaire de la nation n’est pas faite. Elle est à peine ébauchée ; l’essentiel y manque encore, le souci direct, passionné et constant de la nation elle-même pour sa propre sécurité. ». Jaurès, Une armée nouvelle.

La connaissance des enjeux de défense est un levier de compréhension du monde et donc d’engagement démocratique. Le renforcement du lien entre les armées et la société civile en est un préalable et doit passer par le développement de points de contact visibles sur tout le territoire. Ces points de contacts sont à la fois les formations, les rendez-vous communs mais aussi les projets partagés.

Améliorer la connaissance des armées chez les citoyens : aujourd’hui le point de rencontre incontournable entre les armées et la nation, depuis la suspension du service militaire est la journée défense et citoyenneté (JDC). L’ensemble des autres dispositifs de lien armées-jeunesse n’est pas étendu à l’ensemble d’une classe d’âge. Si la JDC a été rénovée, elle ne doit être qu’un préalable à une connaissance accrue des enjeux de défense par une génération. Elle pourrait ainsi être couplée avec différentes formations indispensables à la résilience de la nation notamment la PSC1 ou encore la formation aux gestions de crise sur une durée plus étendue.

Renforcer le dispositif du service civique, la réserve citoyenne ou opérationnelle. Il s’agit de développer les dispositifs d’engagement et du commun. Pour ce faire, il s’agit de favoriser l’articulation entre l’engagement et la poursuite de la vie civile : prévoir un temps dédié lors des études au service civique, augmenter le nombre de jours de réserve possible en emploi (loi égalité et citoyenneté), valoriser l’engagement dans la société à travers les cérémonies républicaines.

Développer les formations communes entre cadres civils et militaires. Plusieurs dispositifs existent déjà, d’ailleurs l’INSP propose depuis deux ans un stage militaire aux élèves administrateurs et accueille des officiers dans ses rangs pour un an de scolarité, l’IHEDN propose des sessions nationales ou régionales. Néanmoins, la porosité entre les professionnels civils et militaires reste faible, surtout dans certains secteurs. C’est pourquoi, une meilleure valorisation des sujets de défense en formation et en entreprise doit être favorisée. Cela passe notamment par le renforcement des effectifs de réserve et leur mise en avant au sein des entreprises.
Développer la présence du Parti socialiste sur les sujets et les enjeux de défense. Le parti socialiste, s’il est présent sur les enjeux économiques, sociaux et sociétaux, est en revanche discret dans les débats sur la Défense. Dans un contexte géostratégique marqué par une hausse de la conflictualité, les enjeux de défense sont pourtant prégnants et il n’y a pas qu’une seule voix pour les défendre. Notre parti doit travailler sur ces propositions et être présent dans le débat public sur ces enjeux. Cela passe notamment par favoriser les travaux de recherche, par le biais notamment de la Fondation Jean Jaurès ou même d’un think tank dédié aux enjeux
de défense. Il s’agit aussi de proposer par l’intermédiaire de la FNESR des formations des élus. Enfin, notre parti doit être présent dans les conférences, ou même à l'École de Guerre pour présenter sa vision de la défense nationale. Nous ne pouvons déserter ces enjeux !

Proposition 4 : revisiter la place des institutions parlementaires dans les décisions d’engagement

Sortir d’une lecture restreinte du « domaine réservé » du président de la République (articles 15 et 21). Le Président de la République est le chef des armées, conformément à l’article 15 de la Constitution, et détient la responsabilité de l’engagement des forces et de la dissuasion. Pour autant, l’article 21 confie au Premier ministre la conduite de la politique de défense. Ce rôle doit être pleinement affirmé, y compris dans des domaines jusqu’ici exercés de fait par l’Élysée, afin de garantir l’équilibre institutionnel et la cohérence stratégique du gouvernement.
Redonner au Parlement un rôle structurant. Dans la droite ligne de la proposition précédente, le Parlement, aujourd’hui limité à un rôle de contrôle et de blanc-seing doit pouvoir prendre pleinement sa place dans les enjeux de défense.
→ Pour le contrôle des opérations extérieures (article 35), dans la durée et le suivi. Aujourd’hui les parlementaires ne se prononcent qu’une seule fois sur l’engagement de troupes françaises et 4 mois après le début des opérations. Le rôle du Parlement est donc uniquement de donner un blanc-seing au Président. Il s’agit d’institutionnaliser un suivi parlementaire continu des engagements militaires. Cela passe notamment par l’intégration des parlementaires dans des décisions stratégiques en créant un groupe inter commissions permanent chargé de l’évaluation des opérations extérieures et de leur impact global et en revenant sur le culte du secret. En effet, l’article 413-9 du Code pénal ne comporte pas de mention d’exception et s’applique donc à tous, notamment aux parlementaires et aux juges.
→ Pour le contrôle des décisions du CDSN (conseil de défense de sécurité nationale) via une intégration de parlementaires en son sein à un niveau qu’il s’agit de définir.
→ Pour la gouvernance des grands programmes d’armement : associer les commissions de la défense aux revues de programmes semestrielles et non uniquement aux rapports finaux, donner un droit d’alerte au Parlement.

Proposition 5 : sortir d’une vision idéalisée d’une armée européenne et opérer des rapprochements stratégiques et industriels vers une souveraineté européenne concertée et durable.

Se prémunir de l’instrumentalisation sécuritaire en Europe via les politiques sociales et migratoires : protéger l’accueil des réfugiés et le droit d’asile. La sécurité européenne ne peut se construire au détriment des droits fondamentaux. Face aux dérives documentées, notamment par le Défenseur des droits (2022) et la CEDH (Hirsi Jamaa c/ Italie), la France doit défendre un cadre européen garantissant le respect du droit d’asile et des principes humanitaires. Cela implique un encadrement plus strict des pratiques aux frontières et une meilleure articulation entre politiques migratoires et dispositifs de sécurité intérieure.

Développer un programme d’armement européen. A l’image d’Airbus qui avait permis le développement de coopérations entre la France et l’Allemagne, développer des programmes d’armement européens permettant un saut technologique et l’interopérabilité des matériels. Ces programmes à l’image de la CECA d’antan pourront être un préalable à un rapprochement stratégique.

Cette contribution pourrait se conclure par les mots de Dietrich Bonhoeffer : « Le test ultime d’une société morale est le genre de monde qu’elle laisse à ses enfants. ».

Camarades, nous n’avons plus à démontrer qu’en tant que militants de gauche nous privilégions l’égalité à la liberté économique, mais qu’en est-il de notre société si notre liberté même était remise en jeu ? Prenons en main les questions de défense, formons-nous et militons pour que la société se saisisse également de ces enjeux !


Contributeur :

Première Signataire : ANTROPOLI Emma

Signataires : 

Laurent BARON, Maire du Pré Saint-Gervais (93) ;
Kerian CHÂTELET, militant section du Pré Saint-Gervais (93) ;
Stéphane COMMUN, Adjoint au Maire et premier secrétaire du Pré Saint-Gervais (93) ;
Alexandre GOUTAGNY, secrétaire de section de Villemomble (93) ;
Jonathan KIENZLEN, Conseiller régional Ile-de-France, Premier fédéral du Val-de-Marne (94) ;
Erwann LAPERDRIX, militant section de Paris 14 (75) ;
Prince MABOUSSOU, Conseiller municipal de Saint Jean de Ruelle (45) ;
Corinne, NARASSIGUIN, Sénatrice de Seine-Saint-Denis (93) ;
Anna PIC, Députée de la Manche (50) ;
Patrick PUGES, trésorier de la section de Paris 15 (75) ;
Sarah TAILLEBOIS, Adjointe au Maire et secrétaire de section de Vitry (94) ;
Isabelle SANTIAGO, Députée du Val-de-Marne (94) ;
Thomas VIGOT, secrétaire de section d’Aubervilliers (93).


 

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