Thème : Ruralités
Chemins de campagne : renouer avec les ruralités
7 juillet 2024. Le NFP envoie 193 députés à l'Assemblée nationale. La marée brune est endiguée. Pour cette fois.
Mais ce soulagement ne saurait masquer une autre réalité. En effet, sur les 185 circonscriptions à majorité rurale, la Gauche en a remporté seulement 31, dont 17 reviennent aux Socialistes. 84% des députés du NFP sont concentrés sur moins de 10% du territoire national. Avec 62 circonscriptions, l'extrême-droite fait 2 fois mieux que toute la Gauche réunie en milieu rural.
Parce que le NFP a réalisé un score que nul ne lui prédisait, nous n'avons pas vu notre effacement du monde rural. Mais la Gauche est pourtant rayée des campagnes, ou presque.
Bien sûr, les territoires ruraux n'ont jamais constitué le terreau le plus favorable pour la Gauche, mais elle y a remporté des victoires déterminantes. En 1981, en 1997 et plus récemment en 2012, puisqu'elle n'y détenait alors pas moins de 103 circonscriptions. Les Socialistes ne retrouveront pas le chemin des responsabilités nationales s'ils ne renouent pas avec ces espaces qui font la France, qui sont la France.
Les ruralités, ce sont 88% des communes de France et 33% de la population nationale. Ce sont surtout des identités, des espaces vécus, des économies locales riches de sens, des conservatismes parfois, des solidarités souvent.
Ce monde rural n'est plus nécessairement un monde agricole et abandonner cette image d'Épinal est essentiel pour comprendre le défi qui nous attend. La ruralité a sociologiquement changé et ces mutations s'accélèrent.
La Gauche, fidèle à son Histoire, à sa vocation émancipatrice et universaliste, ne peut tourner le dos à des espaces qui définissent la France et qui en ont forgé l'identité. Elle se renierait en réservant ses faveurs à des terrains qui lui seraient plus favorables, concluant de fait que « tout le reste, on laisse tomber ».
Le Parti Socialiste doit regarder les territoires ruraux pour ceux qu'ils sont devenus, des espaces marqués par des inégalités qui devraient nous sauter aux yeux, pour ne pas dire à la conscience.
Cette contribution appelle les Socialistes à renouer avec la diversité de nos territoires, à retrouver le chemin de ces pays oubliés, à questionner le rapport que nous entretenons avec la France rurale et à esquisser une trajectoire de reconquête de ces territoires, prélude à une reconquête du pays.
Les ruralités, territoires sinistrés de la Gauche
Des territoires indispensables à la victoire
Un à un, des fiefs sont tombés. Ceux de Guy Mollet et Jack Lang dans le Pas de Calais, d'Arnaud Montebourg en Saône et Loire ou de François Mitterrand dans la Nièvre. Partout ou presque, les Socialistes se sont effacés, jusque dans le Tarn de Jaurès dont la première circonscription est passée aux mains du RN.
De nombreuses circonscriptions rurales qui ont longtemps fait l'objet d'alternances Gauche/Droite, avaient déjà été emportées par la vague macroniste de 2017. Par un effet de « trou noir », le macronisme a absorbé en son centre les électorats « modérés », anémiant au passage le Parti Socialiste et repoussant à son orbite les électorats plus radicaux.
Le macronisme a pavé la voie aux populismes. En étant sa matrice originelle, le Parti Socialiste a accéléré sa coupure avec le monde rural pour qui le Président des riches n'a jamais été l'un des siens. Si notre Parti se donne pour ambition de gouverner le pays, il n’y parviendra pas sans les ruralités dont l’avenir conditionne, à bien des égards, celui de la France.
L’extrême-droite, grand remplacement ?
Alors que le Parti Socialiste s'effaçait peu à peu lors des échéances nationales il a conservé un ancrage local fort dans les élections intermédiaires. Plus précieux encore, il jouit d'une confiance solide dont témoignent les 30 Sénateurs socialistes élus dans des départements ruraux.
C’est grâce à cette confiance que la gauche n’a perdu qu’un seul département lors des élections de 2021 et si la lecture des résultats des élections municipales de 2020 est rendue difficile par les caractéristiques de ce scrutin, le Parti Socialiste n’y a perdu aucune commune majeure.
Ces succès masquent cependant quelques nuances. En effet, c'est dans un contexte de faible participation que la Gauche sociale-démocrate a su conserver son ancrage local, paraissant ainsi avoir rompu avec les masses. Il faut rajouter à ce fort niveau d'abstention, un personnel politique vieillissant.
À moins d'un an des prochaines échéances municipales, jamais nous n'avons autant manqué de jeune personnel politique pour partir au combat. L'ancrage local des Socialistes ne garantit plus leur avenir dans les territoires ruraux. La droite républicaine, en fort recul, perd massivement ses positions au profit du RN et participe parfois elle-même à lever les dernières barrières face à l’extrême-droite.
Face à ce constat, le Parti Socialiste doit comprendre les causes qui ont conduit ses propres électeurs à lui tourner le dos dans les territoires ruraux et prendre la mesure du combat culturel qu’il lui faut mener.
Les ruralités, territoires de combat culturel
Plus qu'un « abandon » des zones rurales par l'Etat, ce qui doit retenir notre attention, c'est le fossé culturel qui se creuse entre les résidents des grands pôles urbains et ceux des campagnes.
Dans les territoires ruraux, si le retrait des services publics est vécu avec douleur, le discours de « l'abandon » relève pour sa part d'une antienne facile. Ce qui prédomine, c'est l'incompréhension profonde entre les conditions de vie réelles des habitants et l'image qu'en renvoient les métropoles.
La campagne n'est ni un monde merveilleux, ni une poche de résistance, ni un îlot de conservatisme. Elle est un peu tout ça, elle est la France et non pas un bout de France. Mais une France qui souffre de cette reconnaissance biaisée et du fossé qui la sépare d'autres espaces mieux considérés.
Au fil du temps, les deux mondes se sont perdus de vue. Ils ne se connaissent plus, ils se contemplent de loin comme s'ils n'étaient plus liés l’un à l'autre par un destin commun.
Un discours en quête de sens
En quelques décennies la gauche est devenu le camp de ceux qui veulent faire le bonheur des campagnes bien malgré elles à grand coup d’injonctions en tout genre : interdiction de brûler, critique de la voiture, diminution des licence IV, ZAN, tergiversations sur les 80km/h,… Autant de restrictions qui ont créé un récit négatif de la gauche et jamais de propositions positives.
Pire, pour masquer une certaine impuissance sur les questions socio-économiques, la gauche a fait le choix du terrain sociétal pour mener bataille. Autant de combats qui nous tiennent à cœur et qui pénètrent aussi les territoires ruraux mais qui pèsent peu face aux préoccupations quotidiennes.
Reste l’écologie que nous avons trop souvent déléguée à nos partenaires au risque de nous voir associer à des discours radicaux, animalistes ou zadistes qui nous ont éloigné des considérations populaires.
Le PS doit retrouver une parole crédible sur ces sujets concrets.
L’agriculture, notre avenir
Le monde agricole occupe une place centrale dans le débat public et les Français entretiennent avec lui une relation ambiguë. Le paysan est à la fois ce laborieux qui remplit notre assiette et cet insouciant qui pollue nos nappes phréatiques.
Ainsi, les paysans sont parfois tenus pour complices des malheurs qui affectent la planète alors qu’ils subissent de plein fouet les effets du dérèglement climatique, qui affectent tout particulièrement le monde agricole. Rien n'est plus injuste que de s'entendre dire que l'on serait coupable de dérèglements alors même qu'on figure au rang de première victime.
Alors que la puissance publique ne parvient pas à desserrer l'étau qui étouffe des paysans devenus des exploités agricoles, le Parti Socialiste doit placer le travail paysan au cœur de la santé des Hommes et de leurs espaces.
Il existe un chemin entre le productivisme de la Droite et la décroissance d’une certaine écologie politique, c’est celui de la lutte contre les inégalités dans le monde paysan.
À rebours de l’idée fallacieuse d’« écologie punitive » imposée par nos adversaires pour exacerber le ressentiment rural, il nous faut porter le message de la protection des paysans. Il passe par la régulation du marché, la lutte contre les inégalités, la résistance à l'accaparement des terres et la préservation leur vocation nourricière. À nous de concevoir la transition écologique comme l’occasion d’un grand rééquilibrage du monde agricole.
« Enracinés » contre « mondialisés »
Marine Le Pen a fait de l’opposition entre « le peuple enraciné » et « les élites mondialisées » son principal thème de campagne. D’un côté, des Français supposément fidèles à une culture et à des traditions séculaires, et de l’autre, une tribu d’ennemis diplômés, issus des grands centres urbains multiculturels et ouverts à la mondialisation.
Si nous rejetons cet antagonisme virulent, nous reconnaissons que la mondialisation a ses gagnants et ses perdants et que ses défauts ont alimenté eux-mêmes ce discours. Dès lors, l’extrême-droite voit dans l’affrontement entre une France « des ronds-points » enracinée et une France des élites mondialisées, une formidable opportunité politique.
Ainsi, le vote RN en ruralité devient progressivement un vote d’adhésion fondé sur le sentiment d'être enfin compris et défendu. Le profil de Jordan Bardella s’inscrit dans ce récit : jeune mais sans les défauts de Macron, non diplômé et populiste, il se présente comme plus proche du peuple que des élites.
Le drame de la disparition des espaces communs
Le recul de la Gauche rurale tient aussi à d’autres raisons sociales plus profondes : aussi bien la disparition des lieux communs propices au débat et à la cohésion sociale ; la fermeture des bistrots ouvriers, cinémas, postes et même clubs sportifs ; mais aussi l'urbanisme périphérique qui a vidé les centres-bourgs.
Ces lieux de valorisation du lien social et culturel sont remplacés par une valorisation libérale : créer son entreprise, réussir financièrement, être propriétaire, constituent les nouveaux symboles du succès individuel.
En outre, la Gauche doit regarder en face les conséquences du rejet des élites et la contestation violente de toutes les formes d’autorité jusque dans les campagnes qui ne sont plus épargnées par les agressions visant les enseignants, les élus, les pompiers et les forces de sécurité. Ainsi, sécurité et autorité doivent être réintégrées pleinement dans notre discours.
Les ruralités, territoires de conquête politique
Lutter pour la République sociale pour tous et partout
Dans les ruralités, l'idéal républicain recule.
Les métropoles, grandes gagnantes de la mondialisation, concentrent richesses, emplois et services, et le déploiement de la fibre optique n’a pas inversé l’exode rural.
Les jeunes ruraux sont exclus de l’enseignement supérieur : seulement 34% choisissent la licence, contre 40% en ville, et seulement 6% aspirent aux grandes écoles contre 10% en ville. Pour eux, les études entrainent souvent un départ définitif.
Les femmes subissent aussi ces fractures : manque de crèches, chômage élevé, dépistage du cancer du sein très inférieur aux objectifs européens. 900 000 femmes en milieu rural vivent par ailleurs à plus de 30 minutes d’une maternité, contribuant à un taux de mortalité infantile particulièrement inquiétant.
La France a transposé la théorie du ruissellement aux territoires : les grandes agglomérations devaient irriguer par capillarité les régions environnantes mais la réalité fut contraire, une concentration urbaine accrue au détriment de villes moyennes dévitalisées.
A ce titre, l’agrandissement des régions et la création des métropoles ont joué un rôle dans les fractures territoriales que nous devons regarder avec lucidité.
La France doit renouer avec une vraie politique de cohésion territoriale et de planification pour éviter la progression des déserts médicaux, agricoles et culturels. Pour ce faire, la Gauche doit renouer avec sa dynamique décentralisatrice, redonner du poids à la démocratie locale et développer la différenciation.
Les ruralités, territoires de solidarités
Si les ruralités sont l’objet de toutes les caricatures et que beaucoup en font le terreau privilégié des conservatismes de tout poil, elles demeurent le théâtre de solidarités qui les grandissent.
Solidarités territoriales d’abord : les exemples ne manquent pas de mobilisations collectives lorsqu’un événement climatique frappe un territoire. Les communes et leurs habitants n’attendent pas les consignes de l’État pour organiser spontanément le soutien et le relogement.
Solidarités humaines ensuite : les 15 000 morts de la grande canicule de 2003 sont quasiment tous décédés en ville. Les solidarités ont fonctionné à plein dans les milieux ruraux qui n’ont jamais vu une personne âgée mourir seule de déshydratation chez elle.
Solidarités historiques enfin : loin de l’image de réaction qui peut leur être associée, de nombreux territoires ruraux ont conservé leur tradition humaniste qui se prolonge dans l’accueil réservé à des familles de réfugiés ou d’étrangers en situation irrégulière. Cet attachement à une histoire commune n’a pas disparu.
Changer les mots pour changer la vie
Le Parti Socialiste doit livrer ce combat culturel en retrouvant un discours populaire, accessible et mobilisateur.
Il doit embrasser toutes les problématiques du quotidien : des routes mal entretenues au ZAN qui paralyse les campagnes pendant que les métropoles dévorent des terres agricoles. Il doit montrer autant d'intérêt pour la protection de nos aînés maltraités que pour le bien-être animal.
Nous, Socialistes, disposons déjà de leviers concrets : nous gouvernons nombre de collectivités et nous conservons des liens forts avec nos partenaires de la gauche rurale, le monde syndical et associatif.
À l’approche des municipales de 2026, incarnons une Gauche du réel, capable de reconquérir ces territoires en renouant avec leurs préoccupations concrètes.
Nous mènerons ce combat, non pas pour nous, mais pour les classes laborieuses qui n'ont rien à attendre d'une droite soumise aux forces de l’argent, ni d'une extrême-droite qui ne propose que la guerre de tous contre tous.
L’expression post soixante-huitarde « vivre et travailler au pays » retrouve un sens, notamment auprès de jeunes pour qui la qualité de vie prime désormais sur la carrière ou le salaire. C’est à nous, Socialistes, qu’il revient de rendre possible cet espoir d’une existence qui renoue avec un monde voulu et non pas subi.
Et pour détourner l’adage, gageons que « là où il y a une volonté populaire, il y a un chemin de campagne ». Le Parti Socialiste retrouvera la France s’il l’embrasse dans toutes ses dimensions, s’il choisit les preuves d’amour plutôt que les mots et s’il engage courageusement ses troupes militantes sur tous les chemins de campagne qui s’ouvrent à lui.
Contributeurs :
Hervé Saulignac, député de l'Ardèche
Laurent Ughetto, Premier Secrétaire Fédéral de l'Ardèche, conseiller départemental
Laure Botella, Secrétaire Nationale en charge de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux politiques d’égalité
Souhila Boudali-Khedim, conseillère régionale AURA
Simon Plenet, Maire d'Annonay, Président d'Annonay Rhône Agglo
Bernadette Roche, conseillère départementale de l'Ardèche
Armand Badia, conseiller départemental de l'Ardèche
Noa Besacier-Sahyt, secrétaire de section de Tournon-sur-Rhône
Alain Bornes
Théo Durand-Tortorella
Robert Hilaire
Yvonne Sauzon
François-Régis Croze
Riwan Yahmi
Jean-Pierre Mounier
Chanta Hamm
Hélène Laréal
Valentin Petit