Combats socialistes : L'urgence d'une nouvelle politique économique et industrielle


Thème : Économie et travail


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Débat

La dégradation de la situation économique française est une évidence.

Le déficit public de la France atteindrait 5,5% du PIB en 2022 après 6,5 % en 2021, selon une étude de l’OFCE, le gouvernement tablant sur un déficit de 5%. Le déficit se réduira lentement pour s’établir à 3,7 % en 2027 en raison de la diminution du soutien budgétaire à l’économie, (fin des mesures d’urgence sanitaire et réduction de celles liées à la crise énergétique).

La dette publique serait stable, passant de 112 % du PIB en 2022 à 113 % en 2024 avant de baisser légèrement vers 112 % en 2027. Cette dette pourrait néanmoins augmenter par d’autres prises en compte, en particulier le coût de la facture énergétique et d’autres dépenses non encore intégrées.

Le taux de chômage remonterait à 8 % en 2023 et 2024 avant de refluer à 7,5 % en 2027 alors que le gouvernement prévoit un taux de chômage à 5 %. Au deuxième trimestre 2022, ce taux était de 7,4 % et devrait rester stable pour l’année 2022 avant de repartir à la hausse.

En termes de croissance économique, le consensus des prévisions s’établit à +2,5 % en 2022 et de seulement 1 % en 2023, voire de 0,6 % pour l’OCDE. Le taux d’inflation devrait augmenter à 5,3 % en 2022 et à partir de 2023, on s’attend à une baisse de l'inflation pour s’élever à 4,1 % en 2023 et converger vers 2 % à partir de 2024.

Un des bilans de la politique économique d’un gouvernement se lit dans la performance de son commerce extérieur. Sur ce plan, celui d’Emmanuel Macron est catastrophique. Le déficit commercial en biens de la France a atteint un niveau inédit de 101 Md€ sur les 7 premiers mois de 2022 dont 69,2 Md€ pour la facture énergétique, soit 69% du total. Après une année 2021 marquée par un déficit commercial des biens de 84,7 Md€, l’année 2022 s’aggrave.

Les raisons de la faiblesse de l’économie française

En 1960, l’industrie française représentait 30 % du PIB et en 2021 seulement 16,8 %, (avec le BTP). Par comparaison, le poids industriel de l’Allemagne se situe encore en 2021 à 26,6 % du PIB (source Banque Mondiale). Cette désindustrialisation explique les difficultés actuelles : chômage élevé, faiblesse du pouvoir d’achat et financiarisation non contrôlée de l’économie.

Poids de l’industrie dans le PIB, source Banque Mondiale

Dès les années 80, le coût plus élevé des matières premières à partir du choc pétrolier de 1975 réduit la rentabilité des actifs investis dans l’industrie et la montée du libre-échange expose les industries occidentales à la concurrence naissante des « nouveaux dragons ». Du fait de cette faiblesse de rentabilité industrielle, surtout dans l’industrie lourde, les investissements vont s’orienter vers les services et les industries lourdes à forte intensité en capital seront délocalisées, (textile, sidérurgie, automobile etc.).

L’absence de politique industrielle, certaines rigidités administratives et un système fiscal plus contraignant qu’ailleurs ont constitué des freins à la poursuite de l’industrialisation française dès lors que des opportunités plus attrayantes en termes de rentabilité du capital émergeaient à l’étranger. De même, à la différence de l’Allemagne qui a mis en place un système de cogestion des entreprises avec les syndicats, la France est marquée par un plus fort degré de conflictualité.

La performance industrielle française s’est aussi dégradée avec un manque d’investissement dans l’innovation qui n’a pas permis une montée en gamme.

Cette désindustrialisation se traduit par la baisse de notre positionnement dans le classement des PIB par habitant. La France se situe en 2020 à la 23ième position avec 45 028 $ contre une 17ième place en 2007 et une 12ième place en 1980 avec un PIB par habitant de 13069 $. La France se situe juste derrière le Royaume-Uni et devant les Emirats arables. En 1980, elle était à la huitième place des pays européens contre la quatorzième en 2020. (source FMI).

L’Etat providence au secours du déclin économique et d’une forme de paupérisation

La désindustrialisation conduit à la hausse des dépenses publiques

L’Etat providence a dû compenser les effets négatifs induits par cette désindustrialisation : suppressions d’emploi, précarisation de pans entiers de territoire, affaiblissement des services public, diminution du financement de la protection sociale et baisse de la compétitivité internationale.

Moins d’industrie signifie moins d’emplois qualifiés et non qualifiés, moins de recettes fiscales et sociales qui seront compensées directement par l’Etat au travers de la mise en place de mécanismes de solidarité, (RSA, aide aux logements, CMU, minimum vieillesse,…) et par une hausse des prélèvements obligatoires et notamment des cotisations sociales à la charge des salariés et des entreprises. Cela va contribuer au creusement des déficits budgétaires et publics. L’évolution des dépenses publiques va passer de 54,2 % du PIB en 1995 à 59,2 % en 2021, après 61,4 % en 2020 alors que beaucoup d’autres pays européens vont voir ce poids diminuer, l’Allemagne passant de 54,3 % à 51,5 % et la Suède de 63,5 % à 50,2 %, baisse la plus spectaculaire.

En France ce sont les dépenses relatives aux prestations sociales qui représentent le montant le plus important, 45,5 % du total, soit 672 Md€, contre environ 36 % pour l’Allemagne. Cela conduit au poids élevé de la dette publique qui s’élève en 2021 à 112,5 % du PIB contre seulement 69,3 % pour l’Allemagne, confirmant le lien entre poids des dettes publiques et faible niveau d’industrialisation. A la différence des politiques néo-libérales et de celle de Macron, il ne s’agit pas ici de critiquer ces montants mais de considérer que l’augmentation est liée à cette désindustrialisation d’où la nécessité de s’attaquer à ce déclin.

Net recul du pouvoir d’achat, de la création de richesse et creusement des inégalités

La France connaît des fragilités économiques qui nécessitent des ajustements structurels conséquents. Depuis quelques mois, les contestations portent sur le pouvoir d’achat, surtout après la hausse de l’inflation de 2022, l’inégalité fiscale et le sentiment d’aggravation de l’injustice sociale et l’arrêt de l’ascenseur social.

En raison de gains de productivité faibles, du coût du logement et d’autres charges courantes en progression, de la hausse des biens alimentaires qui augmentent fin 2022 de plus de 10 %, le pouvoir d’achat des ménages va reculer en 2022. En raison du déflateur de la consommation des ménages qui continue d'accélérer (+1,9 % après +1,4 %), le pouvoir d’achat des ménages se replie de nouveau sur le T2 2022 (-1,1 % après -1,6 %) et ce malgré une légère augmentation des rémunérations, trop faibles, et de l’emploi qui se maintient. Les dépenses de consommation des ménages en valeur augmentent en effet de 2,2 % sur le trimestre, nettement plus que leur revenu disponible brut (+0,8 %). Le taux d’épargne des ménages diminue aussi fortement : il s’établit à 15,5 %, après 16,7 % au premier trimestre 2022.

La structure des emplois est aussi déformée avec une baisse des emplois industriels et une progression des salariés dans les services peu qualifiés, à faibles salaires et productivité, d’où une paupérisation et un sentiment de déclassification de la classe moyenne.

L'Observatoire des inégalités définit la richesse par un niveau de vie qui équivaut à deux fois le niveau de vie médian. C'est-à-dire 3 673 € par mois après impôts pour une personne seule ou 5 500 € pour un couple. Il considère que 4,5 millions de Français sont riches, soit 7,1 % de la population. L'Observatoire des inégalités s'intéresse aussi à une autre forme de richesse : le patrimoine, qui se caractérise par des possessions de biens immobiliers ou financiers (comptes en banque, actions...). Ainsi, 4,6 millions de ménages, soit 16 % des foyers, sont considérés comme "fortunés" et disposent de plus du triple du patrimoine médian (soit plus de 490 000€). Ces grandes fortunes sont de plus en plus nombreuses. Entre 2018 et 2020, le nombre de ménages redevables de l'impôt sur la fortune immobilière a augmenté de 8 %. L'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qu'il avait remplacé, avait lui aussi touché de plus en plus de ménages, passant de 213 000 foyers en 1999 à 566 000 en 2008. Entre 1999 et 2019, les 10 % les plus riches ont vu leur niveau de vie annuel moyen augmenter de 9 100 €. Quant aux 500 plus grandes fortunes professionnelles, elles ont vu leur valeur multipliée par quatre en dix ans.

Les réformes fiscales engagées ces cinq dernières années n'ont produit aucun bénéfice pour les 5% les plus pauvres. Au contraire, plus les revenus sont élevés, plus les politiques menées entre 2017 et 2022 les ont augmentés. C'est que la transformation de l'impôt sur la fortune en un impôt sur la fortune immobilière, ou la réduction de l'imposition des revenus financiers n'ont bénéficié qu'aux très très riches. Les mesures de protection sociale (hausse de la prime d'activité, du minimum vieillesse et de l'allocation adulte handicapé) ont été compensées par des baisses dans d'autres domaines (pensions de retraite, allocations logement, etc.).

Proposer

Améliorer le financement de cette réindustrialisation

En termes de financement, nous disposons déjà d’un outil efficace avec la création de la BPI (Oseo, FSI, CDC Entreprises, …) mais il est nécessaire pour répondre aux nouveaux défis, de gagner en force de frappe financière en lançant un fonds souverain français abondé par une partie de l’épargne des français dont la prise de risques supplémentaires serait rémunérée par une défiscalisation à l’image des FCPI. Il nous semble nécessaire, par le biais d’incitations fiscales conséquentes de réorienter une partie de l’épargne sur les entreprises.

Un dispositif de rétablissement de l’ISF et d’une augmentation d’une tranche supplémentaire de taxation sur les revenus avec pour contrepartie une défiscalisation d’une partie des sommes effectivement réinvesties au sein des entreprises pourrait être mise en œuvre.

Un des défis industriels actuels est la transition écologique avec la remise à plat de ces incidences fiscales. La création d’une fiscalité écologique doit être une priorité. Elle doit s’inscrire dans une réflexion globale sur la fiscalité, et le produit de cette fiscalité devra être affecté aux investissements liés à la transition écologique mais elle doit faire l’objet d’une compensation pour les ménages modestes et les classes moyennes.

Enfin, le citoyen français doit aussi être réconcilié avec l’entreprise, nous proposons ainsi de dépasser le système gaulliste de la participation des salariés aux bénéfices par la création d’un véritable actionnariat salarié au travers d’une politique novatrice d’attributions gratuites d’actions (baisse du taux du forfait social et de la contribution sociale à la charge de l’entreprise lors des attributions gratuites, absence de fiscalité sur les gains de cessions après une détention de 8 ans, défiscalisation en cas de succession ou de donation etc.).

Même si une grande partie de ces dispositions relève du cadre local, cette nouvelle politique industrielle et fiscale doit avoir un cadre européen. Plusieurs défis devront être relevés : la politique commerciale européenne doit être repensée avec une remise à plat du dumping social et environnemental, la politique de la concurrence est aussi à redéfinir. À cet égard, les projets importants d’intérêt économique européen communs (PIIEC) constituent un levier efficace et opérant, car compatible avec les traités, dont la gauche européenne peut se saisir. 

Agir

En conclusion, transformer notre système de production doit aussi améliorer l’urbanisation et l’aménagement du territoire, la redistribution des richesses et l’accès équitable aux services essentiels comme le transport, l’énergie et le logement. Le devoir du « politique » est d’identifier les grands chantiers technologiques et scientifiques qui serviront de base à cette nouvelle mobilisation.

Le plan du gouvernement français proposé n’est pas à la hauteur des attentes. Nous proposons un nouveau plan d’investissement financé par un lancement d’un grand emprunt national. Ce plan devra servir des investissements ciblés dans la santé (hôpital public), dans les transports, principalement le ferroviaire, un plan de réhabilitation énergétique des logements (bâtiments publics et habitat social) et dans l’éducation (résolution de la fracture sociale liée à l’accès au numérique).

Propositions clefs :

  • Affirmer le rôle de l'État en tant que stratège industriel, incitateur du développement industriel, équilibrage régional et aides au financement.
  • Définir avec les territoires des champs de compétitivité à l’échelle européenne, des priorités industrielles sur des secteurs où nous sommes compétitifs.
  • Modulation de l’impôt sur les sociétés en taxant davantage les bénéfices distribués et les rachats d’actions. Hausse de la taxation des transactions boursières et en particulier les activités de trading à haute fréquence.
  • Simplification de l’impôt et rééquilibrage entre les contributions effectives acquittées par les grands groupes et les PME.
  • Lutte contre le dumping fiscal et social au niveau européen.
  • Drainer l’épargne des ménages vers le financement des PME (réflexions sur un redéploiement de l’assurance vie).
  • Doublement du plafond du PEA même pour les anciens contrats de 150 000 à 300 000 €).
  • Baisse du taux d’imposition sur les unités de compte et hausse de l’imposition pour les contrats garantis (fonds euros).
  • Lancement d’un fonds souverain afin de soutenir les investissements de la transition énergétique. 

Contributeurs : Augustin Lechat-Blin, Jean-Noël Vieille, Théo Iberrakene, Alexandra Jardin, Alizée Ostrowski

Signataires : Sebastien Baranger (75 - Paris) ; Jonathan Baum (44 - Loire-Atlantique) ; Mathieu  Bogros (03 - Allier) ; Thomas Bonnefoy (69 - Rhône) ; Alexis  Bouchard  (35 - Ille-et-Vilaine) ; Soen Boulligny (14 - Calvados) ; Romain Boutholeau (44 - Loire-Atlantique) ; Dorine Bregman (75 - Paris) ; Hugo Canesson  (29 - Finistère) ; Rémi Carton (99 - Français de l'étranger) ; Arnaud  Chaboud (26 - Drôme) ; Baptiste Chapuis (45 - Loiret) ; Beatrice Coste (29 - Finistère) ; Louisa  Debris  (87 - Haute-Vienne) ; Guillaume Delaire (59 - Nord) ; Valérie  Delestre  (75 - Paris) ; Aurore  Djerbir Lignière  (41 - loir-et-Cher) ; Moschovia  Dr. Kaskoura-Schulz  (99 - Français de l'étranger) ; Ilyes  El Othmani  (75 - Paris) ; Clément Foutrel (76 - Seine-Maritime) ; Julien Gettliffe (82 - Tarn-et-Garonne) ; Gilles Gony (75 - Paris) ; Liliane Govart (59 - Nord) ; Franck Guillory (75 - Paris) ; Elias H'Limi (94 - Val-de-Marne) ; David Huberdeau (89 - Yonne) ; Arthur Job (59 - Nord) ; Chloé  Laurent  (33 - Gironde) ; Luc Lebon (75 - Paris) ; Augustin Lechat-Blin (44 - Loire-Atlantique) ; Ézékiel Lucas (59 - Nord) ; Antonin Mahé (22 - Côtes-d'Armor) ; Yannick  Matanda (74 - Haute-Savoie) ; Killian Montesquieu (75 - Paris) ; Quentin Pak (69 - Rhône) ; Quentin   (69 - Rhône) ; Léa Pawelski (76 - Seine-Maritime) ; Adrien Pourrat (63 - Puy-de-Dôme) ; Emma  Rafowicz  (75 - Paris) ; Paul Rafroidi (95 - Val-d'Oise) ; Loïck Rauscher-Lauranceau (75 - Paris) ; Eliott Roig (42 -Loire) ; Clarisse Roy (60 - Oise) ; Jérémie Taché (75 - Paris) ; Anzil Tajammal (59 - Nord) ; Abdelghani  Youmni (99 - Français de l'étranger) ; Pierre-Karl  Zahner  (59 - Nord) ;


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