Combats socialistes : Police, justice : retrouver le chemin de la confiance


Thème : Institutions et justice


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Débat

Les institutions régaliennes de notre pays souffrent toutes du même mal, générateur d’instabilité sociale : le manque de confiance populaire. 

Comme d’autres avant nous, comme beaucoup aujourd’hui, nous nous arrêtons trop souvent à ce constat. La présente réflexion se donne pour objectif de développer une pensée commune autour de plusieurs institutions (les collectivités territoriales, la justice et les forces de l’ordre), partant du principe que le mal est commun. Les conséquences, communes elles aussi, sont multiples :

  • Fragilisation du sentiment de communauté nationale ;
  • Dislocation de la cohésion sociale ; 
  • Repli individuel ou communautaire face à ce qui est perçu comme une inefficacité criante de l’État jusqu'à atteindre même une défiance de principe contre son action ; 
  • Recroquevillement des travailleurs de ces institutions autour de leur position personnelle plutôt qu’autour d’un projet commun de société. 

Nul besoin de démontrer ce manque de confiance, c’est d’abord une sensation que nous ressentons toutes et tous à chaque campagne sur le terrain. Cela se matérialise par la hausse exponentielle de l’abstention pour les élections de la quasi-totalité de nos institutions politiques. Concernant la police et la justice, le baromètre du CEVIPOF de février 2002 laisse à observer une situation bien terne : 

  • 68 % d’opinions positives pour la police nationale, ce qui représente une baisse de 11 points en 5 ans, après une hausse importante lors de la tragique période de multiplication des attaques terroristes.
  • Moins de 50 % d’opinions positives pour la justice.

Propositions

Plutôt que de multiplier les réflexions thématiques, nous faisons le choix, dans cette contribution, de regrouper ces trois entités distinctes (institutions politiques, justice et police) convaincu que le manque de confiance dont elles sont chacune victime est le résultat d’un même processus : une continue et progressive dépolitisation des débats afférents ainsi que des objectifs que nous leur donnons. Abordant déjà l'institution judiciaire au sein de la contribution générale de Combats socialistes, nous n'y reviendrons pas ici.


Nos institutions politiques

 Les collectivités locales conservent encore aujourd’hui un haut niveau de confiance (63 % de confiance pour le CM, 56 % pour le CD, 54 % pour le CR) selon le baromètre CEVIPOF publié en février 2022. Mais l’abstention très marquée lors des dernières élections locales semble indiquer que le rejet du politique entraîne jusqu’au rejet des représentants locaux des collectivités. 

Dans le même temps, la crise des gilets jaunes, puis la pandémie, et aujourd’hui la crise de l’inflation ont démontré le rôle prépondérant des acteurs de terrain que sont les élus locaux. En première ligne face à la colère des français, ils ont tenu pour accompagner l’Etat dans le déploiement local des solutions proposées, et ont bien souvent complété avec des dispositifs financés sur leurs fonds propres (distribution de masques, fonctionnement des centres de vaccinations,  maintien des services publics essentiels, mise en place d’aides contre la vie chère etc.).

Aujourd’hui, la situation financière des collectivités ne leur permet plus d’agir pleinement dans le cadre des compétences qui leur ont été confiées. À terme, le risque de défiance vis-à-vis des élus locaux, qui ne pourront plus agir au service de leurs concitoyens, est accru. Les différentes réformes de la fiscalité locale, suppression de la TH, de la CVAE annoncée, transferts complexes de taxes au titre des compensations (mais sans la possibilité de moduler les taux) ont également participé à la déconnexion entre collectivités locales et citoyens en retirant à ces premières ce qui est pourtant un fondement des démocraties libérales, la maîtrise de l'impôt.

La gauche, et singulièrement le Parti Socialiste, a toujours été à l’origine des grandes réformes de la décentralisation dans notre pays. Nous devons à nouveau être force de proposition pour l’avenir. Cela doit se faire sans tabou, en abordant tous les sujets, et avec le soutien d’intellectuels et des associations d’élu.e.s déjà constituées. 

Nous proposons de :

  • Redonner de la lisibilité et de la compréhension aux citoyens sur le rôle des différentes collectivités en fusionnant certaines d'entre-elles. En conservant un nombre d'élus constant, il s'agit de construire un système électoral où les citoyens seraient amenés à se prononcer lors de quatre scrutins : municipal, local, national et européen. 
  • Travailler à une grande réforme de la fiscalité locale pour recréer du lien entre les citoyens et leurs représentants locaux, et permettre aux collectivités locales d’exercer pleinement et efficacement leurs compétences.
  • Redéfinir le champ des compétences des collectivités locales à la lumière des difficultés rencontrées lors des crises récentes (gouvernance de l’ARS, différence de traitement entre les EHPAD en fonction des territoires).

Le Pacte de sûreté 

Avant de rentrer sur le champ de la sécurité, prenons un peu de hauteur pour aborder celle de la sûreté. Nous la définissons comme l'assurance et la confiance des citoyens envers les différentes institutions pour limiter au mieux les dangers physiques auxquels ils pourraient être confrontés. Cela recoupe la sécurité, mais également de nombreuses politiques telle que la sûreté alimentaire, la santé publique, la sécurité au travail, la sécurité juridique et la lutte contre les accidents du quotidien.  
Cette confiance des citoyens dans les protections collectives mises en place par la société nous apparaît comme le lien essentiel entre citoyens et institutions. Il est aujourd'hui effiloché, il nous appartient de le retisser.

  • Permettre à toutes et tous de vivre dans un environnement sûr, sain, digne et juste. 
  • Bloquer les prix des produits de première nécessité. Assurer des services publics et de santé de proximité.
  • Réaffirmer une dimension publique forte dans certains domaines économiques pour lesquels la suspicion des citoyens est importante. En matière de pharmaceutique, c'est par exemple reconstituer un grand laboratoire public national apte à fournir systématiquement des alternatives exemptes d'intérêts financiers privés.
  • Accroître les effectifs des administrations publiques en charge du contrôle des activités privées et donc la quantité de contrôle de ces dernières.
  • La nomination à la majorité qualifiée par un vote du Parlement des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel. L'accroissement de ses pouvoirs de contrôle et l'augmentation des sanctions encourues pour des manquements venant porter atteinte à la fiabilité des informations. 

Gardiens de la paix

Nous assistons depuis plusieurs années à un retour en force d'un manichéisme inepte du débat public autour des questions de sécurité. Ainsi, l'affirmation est désormais banale que les propositions de droite voire d'extrême-droite seraient les mieux à même de répondre aux enjeux de sécurité, la gauche étant au mieux incompétente, au pire complice.

Cette vision largement partagée, et portée par plusieurs syndicats au sein même de l'institution policière, est, a-t-on besoin de le rappeler, fondamentalement fausse et dangereuse. 

Notre conviction est que c’est le débat, la controverse, la transparence et la capacité à discuter de la politique sécuritaire qui permettront de reconstruire une relation de confiance entre la police et une partie de la population française qui s’en éloigne. Chaque mesure envisagée doit être jugée à l'aune d'un triptyque fondamental : l'efficacité prouvée sur la délinquance, l'impact sur les libertés de l'ensemble des citoyens et le coût budgétaire.

En matière de police et de gendarmerie nous déterminons trois enjeux prioritaires, auxquels nous essayons de répondre par des propositions fortes : 

  • Le manque de moyen est considérable. Pis, le débat se résume aux moyens humains alors que le ratio moyens humains / moyens matériels est le cœur du problème. Alors qu’il devrait être d’environ 80/20 il est de 90/10, ce qui concrètement veut dire que les policiers n’ont pas les moyens de travailler efficacement.
  • La politique du chiffre est à l’origine d’une course contre-productive des commissariats et préfectures, soumis à un objectif finalement dé-corrélé du niveau de sécurité dans lequel nous vivons. 
  • Des relations respectivement dégradées entre la police et la population. Le manque d’ancrage territorial des décisions stratégiques empêchent les forces de l’ordre et particulièrement la police, de participer d’un véritable projet de territoire, fait de spécificités, y compris dans la délinquance et la criminalité qui y sont abritées. 
  • Reconnaître et lutter contre le caractère systémique des violences et du racisme au sein de la police française, véritable 

Agir

Nous proposons de : 

  1. Renforcer la formation initiale et continue des policiers nationaux, notamment en augmentant considérablement l’importance des stages. Comme le font les magistrats de l’ENM, nous proposons que les apprentis policiers réalisent des stages dans les autres organisations de la chaîne sécuritaire : associations de prévention et de réinsertion, palais de justice, prison. 

  2. Donner davantage d’autonomie aux Directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) dans le choix des objectifs  territoriaux. Actuellement, les objectifs sont nationaux et l’ensemble des directions départementales s’y soumettent en devant répondre à une incroyable quantité de sous-évaluations. Nous souhaitons que les directions départementales, en fonction de leur territoire, soient plus autonomes, dans le souci de garantir la sûreté des Françaises et des Français, et d’abandonner une politique du chiffre absurde.  Au minimum, si une politique du chiffre devait subsister elle devrait concerner le taux de déferrement et non le taux d’arrestation. Par cette simple modification, nous donnerons le signal de privilégier les arrestations “de qualité” plutôt que la quantité. 

  3. Alors que les unités classiques de gendarmerie ne comptent que deux spécialités, celles-ci sont multiples dans la police nationale. Cela a pour effet une détérioration de l’image de certains policiers, notamment ceux de la BAC, dont les actions sont réduites à des interventions violentes sur la voie publique. 

En renforçant la formation continue (cf. proposition 1), nous proposons d’intégrer des modules de formations au dialogue citoyen, afin de progressivement diversifier les activités de l’ensemble des policiers en leur imposant à tous une présence préventive sur le terrain.

  1. Supprimer les primes favorisant la politique du chiffre totalement contre-productive.

  2. Refonder les missions de la police nationale et municipale. L'activité et l'organisation même de la police nationale interrogent sur sa capacité de production de sécurité. Ainsi les contrôles d'identité, activité massive et chronophage de la police nationale ne soulèvent des suspicions d’infractions que dans 0,3 % des contrôles. Mieux utiliser le temps des policiers constitue un axe de progression majeur dans nos politiques de sécurité.  De plus, les transferts de compétences de la police nationale à la police municipale posent des problèmes d'égalité territoriale puisqu' il existe des disparités entre les communes en fonction de leurs ressources. 

  3. L’accroissement des compétences policières répressives limite les activités des agents à un champ policier (verbalisations, contrôles) au détriment du rapport avec la population, ce qui influe sur la qualité des liens avec la population et l’ancrage territorial. Favoriser dès lors le modèle d'une police de présence, moins interventionniste, peu armée, qui privilégie la prévention, cultive une proximité avec la population et garantit la tranquillité publique et la désescalade des tensions.

  4. Mieux former les policiers pour qu’ils puissent pallier à toutes les éventualités et accueillir au mieux la parole des victimes (VSS, maltraitance infantile). Les former à des expériences diverses et de manière adaptée aux nouveaux enjeux et aux nouvelles problématiques sociales. Proposer une formation continue, notamment par des stages. Offrir une formation plus qualitative et plus longue aux policiers, adaptée à leurs environnements locaux. Envisager la formation des policiers comme on envisage celle des gendarmes.

  5. Tisser des liens avec la population, développer des partenariats locaux notamment par la mise en place de stages et de formations en ce sens 

  6. Abroger la loi de sécurité globale. Interdire les techniques d’immobilisation létale, la technique de la nasse, les armes mutilantes. Créer un nouveau pacte de déontologie policière permettant de refonder durablement le lien de confiance police-citoyens. En bref, la suppression des dispositifs qui créent une distance entre la police et la population, un sentiment de crainte de la police a contrario du sentiment de protection et de sécurité initialement recherché. 

Contributeurs :

Augustin Lechat-Blin, Arthur Job, Céline Henquinet, Sarah Metennani, Estelle Naud, Joachim Taïeb, Louis Estelle, Victor Lemonier


Signataires :

Sebastien Baranger (75 - Paris) ; Jonathan Baum (44 - Loire-Atlantique) ; Mathieu  Bogros (03 - Allier) ; Thomas Bonnefoy (69 - Rhône) ; Alexis  Bouchard  (35 - Ille-et-Vilaine) ; Soen Boulligny (14 - Calvados) ; Romain Boutholeau (44 - Loire-Atlantique) ; Dorine Bregman (75 - Paris) ; Hugo Canesson  (29 - Finistère) ; Rémi Carton (99 - Français de l'étranger) ; Gaël Chabert (92 - Hauts-de-Seine) ; Arnaud  Chaboud (26 - Drôme) ; Baptiste Chapuis (45 - Loiret) ; Beatrice Coste (29 - Finistère) ; Louisa  Debris  (87 - Haute-Vienne) ; Guillaume Delaire (59 - Nord) ; Valérie  Delestre  (75 - Paris) ; Aurore  Djerbir Lignière  (41 - loir-et-Cher) ; Victoria Domenech (75 - Paris) ; Moschovia  Dr. Kaskoura-Schulz  (99 - Français de l'étranger) ; Yasmine El Jaï (75 - Paris) ; Ilyes  El Othmani  (75 - Paris) ; Clément Foutrel (76 - Seine-Maritime) ; Philippe  Garbani  (99 - Français de l'étranger) ; Julien Gettliffe (82 - Tarn-et-Garonne) ; Gilles Gony (75 - Paris) ; Liliane Govart (59 - Nord) ; Franck Guillory (75 - Paris) ; Elias H'Limi (94 - Val-de-Marne) ; David Huberdeau (89 - Yonne) ; Arthur Job (59 - Nord) ; Louis L'Haridon (95 - Val-d'Oise) ; Chloé  Laurent  (33 - Gironde) ; Luc Lebon (75 - Paris) ; Rémy Lorblancher (75 - Paris) ; Ézékiel Lucas (59 - Nord) ; Antonin Mahé (22 - Côtes-d'Armor) ; Yannick  Matanda (74 - Haute-Savoie) ; Sarah  Metennani  (59 - Nord) ; Killian Montesquieu (75 - Paris) ; Quentin Pak (69 - Rhône) ; Quentin   (69 - Rhône) ; Léa Pawelski (76 - Seine-Maritime) ; Estelle Picard (79 - Deux-Sèvres) ; Adrien Pourrat (63 - Puy-de-Dôme) ; Emma  Rafowicz  (75 - Paris) ; Paul Rafroidi (95 - Val-d'Oise) ; Loïck Rauscher-Lauranceau (75 - Paris) ; Sébastien  Ricordel  (76 - Seine-Maritime) ; Eliott Roig (42 -Loire) ; Annabelle  Swal (59 - Nord) ; Anzil Tajammal (59 - Nord) ; Alexandra Tzatchev  (69 - Rhône) ; Abdelghani  Youmni (99 - Français de l'étranger) ; Pierre-Karl  Zahner  (59 - Nord)


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