Combats socialistes : Pour une sobriété solidaire


Thème : Socialisme et écologie


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Débat

Des députés socialistes ont signé une tribune proposant une nouvelle approche répondant aux crises écologiques et énergétiques tout en combattant les inégalités, “la sobriété solidaire”. Nous sommes convaincus qu’elle peut être l’un des concepts centraux d’un socialisme du XXIe siècle, soucieux des limites naturelles de la planète et rompant avec une logique purement productiviste et extractiviste. 

Au cours du XIXe puis du XXe siècle, la plupart des courants politiques ont promu le productivisme, en faisant de la production leur objectif principal. Les socialistes ont largement participé de cette dynamique en promettant que cette abondance serait partagée et permettrait de rééquilibrer les rapports entre travail et capital. Si nous voulons construire un socialisme du XXIe siècle prenant en compte les limites planétaires et donc, compatible avec la pensée écologiste, nous devons remettre en cause cette logique.  La transition écologique requiert de s’interroger sur nos modes de production, de consommation et de vie : habiter, s’alimenter, travailler, se déplacer, se divertir. De quelle manière vivons-nous ? Comment occupons-nous l’espace ? Toutes ces questions simples doivent être repensées pour apporter des réponses “compatibles avec la poursuite d’une vie authentiquement humaine sur Terre” pour paraphraser le philosophe allemand Hans Jonas qui, en 1977 dans son ouvrage Le Principe responsabilité, renvoyait dos-à-dos socialisme et capitalisme dans leur incapacité à répondre aux défis environnementaux.

La réponse que les socialistes doivent apporter est celle de la sobriété. Sobre en consommations d’espaces, sobre en ressources naturelles, sobre en carbone, c’est à l’aune de la sobriété que le développement humain doit être repensé. Les solutions sont nombreuses, souvent développées par les élus socialistes dans leurs collectivités : densifier l’habitat, développer l’économie circulaire, réduire la place de la voiture lorsque c’est possible. Nous n’avons pas à arrêter de produire, d’innover ou même de nous développer. Cependant, nous devons le faire d’une manière respectueuse des limites de notre planète.

Cependant, les gouvernements successifs qui ont essayé d'initier des changements, comme pour réduire le recours aux énergies fossiles, se sont heurtés à de fortes protestations, telles  que les Bonnets rouges ou les Gilets jaunes qui trouvent une partie importante de leurs racines dans un sentiment d'inégalité économique et de dépréciation sociale. Comment faire accepter à des populations de moins utiliser leurs voitures lorsqu’elles en sont dépendantes ? La problématique de l’acceptabilité sociale de cette sobriété est centrale. Nous traversons aujourd'hui une crise énergétique qui impacte d'abord celles et ceux qui n'ont  pas la capacité financière de continuer à recourir à une énergie de plus en plus rare et donc de plus en plus coûteuse. Parce qu'il n'a pas été concrètement anticipé, il nous faut répondre en urgence à cette nécessité de transformation de notre société au risque de la voir imploser sous le poids des inégalités. Les excès et gaspillages des plus aisés dans leur utilisation de l'énergie achèvent de creuser un fossé entre les citoyens. C'est pour répondre à ces deux enjeux que nous proposons de porter la sobriété solidaire au cœur de notre politique de transition écologique.

Proposition

La sobriété solidaire n'est pas égalitaire. L'enjeu est celui de l'équité.

La sobriété requiert un effort de toutes et de tous, évidemment. Néanmoins, les modes de vie des personnes les plus aisées sont bien plus consommateurs de ressources naturelles et émetteurs de carbone. Si nous voulons rendre cette sobriété acceptable, il faut qu’elle soit équitable et les changements de comportements viennent d’abord de ceux qui en ont les moyens.

Face aux changements, que nous les décidions ou que nous les subissions, chacun n’a en effet pas les mêmes moyens d’agir. On ne peut pas demander à quelqu’un qui vit à la campagne, dont le logement se situe loin de son travail, de ne plus utiliser sa voiture s’il n’y a pas d’offre de transport collectif efficace. Et l’achat d’un véhicule électrique reste pour beaucoup hors de portée, les aides à l’achat d’un véhicule propre étant encore trop faibles. L’effort à fournir sera plus donc plus important pour ceux qui en auront la possibilité matérielle et financière.Cette démarche doit être menée en limitant le modèle du tout voiture.

La sobriété doit solliciter au maximum les acteurs économiques et les ressources humaines locaux. Il nous faut permettre l'accès, à l'ensemble de nos concitoyens, aux options d'amélioration d'efficience énergétique, à commencer par l'isolation des bâtiments  qui constituent un gisement d’économies énergétique avec près de 45% de l’énergie consommée en France. Nous financerons un tel effort par une politique fiscale redistributive mais aussi par des dispositifs innovants, comme celui qu’Anne Hidalgo a porté durant l’élection présidentielle de 2022, avec des travaux entièrement financés par l’État, le remboursement étant effectué au moment de la revente ou de la succession.

Nous ne pouvons également nous limiter à des incitations qui ne seraient pas suivies d'effets par les plus aisés. Les mécanismes de marché ne sont pas suffisants pour prendre en compte tous les enjeux de la transition écologique. Par exemple, le mécanisme de compensations carbone mis en œuvre au niveau européen a certes favorisé la reforestation mais aussi une reforestation avec des essences à croissance rapide, au détriment de la biodiversité. La construction d’un nouveau modèle doit passer par un large débat collectif en vue de déterminer ce qui doit relever de l'obligation, de l'interdiction ou de l’incitation. Nous ne devons pas nous interdire de taxer, pas plus que nous ne devons défendre par principe les mécanismes hors marché si ceux-ci s’avèrent plus efficaces pour changer les pratiques. “Le socialisme - écrit Karl Polanyi - est la tendance inhérente d’une civilisation industrielle à transcender le marché autorégulateur en le subordonnant consciemment à la délibération démocratique”, nous devons en revenir aux sources du socialisme en soumettant le marché à la délibération démocratique 

Agir

Si nous pensons que le marché seul ne peut être la solution à nos problèmes, il nous faut donc planifier en partant de nos besoins : comment habiter ? Occuper l’espace ? S’alimenter ? Se déplacer ? Produire de l’énergie ? Faire renaître le lien social ? Financer la transition ? Répondre à ces questions nous permettra de “faire atterrir” la sobriété solidaire. Les initiatives locales foisonnent, des solutions existent, d’autres sont encore à inventer. Il nous faut désormais les mettre en œuvre. 

Habiter

Près du quart de l’empreinte carbone des Français provient de leur logement, notamment pour le chauffage et désormais, de manière récurrente, la climatisation l’été. Travailler pour l’isolation des logements est sans conteste la problématique majeure de la consommation d’énergie de l’habitat. Elle doit être la priorité de toute politique crédible 

  • Pour faciliter l’accès aux rénovations, créer un guichet unique à destination de tous : citoyens, associations, entreprises ;
  • Initier un dispositif massif d'incitations fiscales, tel que le dispositif Pinel pour les nouveaux logements, pour accélérer fortement la rénovation, notamment thermique, du bâti en France ;
  • Remplacer massivement les chauffages à fuel par des modes de chauffage plus respectueux de l’environnement, à l’instar des pompes à chaleur ou de la géothermie.

Occuper l’espace

  • Préserver ou revégétaliser les espaces publics, naturels et agricoles.  Protéger la biodiversité en stoppant le recours aux produits phytosanitaires dans les espaces publics des villes et villages.
  • Repenser l’urbanisme et la manière dont nous occupons l’espace, par exemple en favorisant l’habitat et le travail en centre-ville, y compris dans les territoires ruraux, pour éviter l’artificialisation des sols et réduire la place de la voiture. 

S’alimenter

Chaque année, l’empreinte carbone d’un Français s’élève à 10 tonnes. Sur ce total, près de 1,5 sont dues à son alimentation. Si elle est peu évoquée, l’empreinte écologique de l’alimentation mérite de faire l’objet d’une attention particulière. L’agriculture intensive favorise l’épuisement des sols et la déforestation, par exemple avec les cultures de soja en Amazonie. 

  • Offrir un débouché aux éleveurs et coopératives locaux et bio dans les services de restauration publique par des contrats directs et proposant une rémunération juste ; 
  • Soutenir les pratiques agroécologiques permettant de limiter les intrants ; 
  • Proposer une éducation alimentaire à l’école pour sensibiliser les enfants à l’impact environnemental de l’alimentation ;
  • Avoir une politique territoriale d’indépendance alimentaire pour réduire la distance entre lieux de production et de consommation ; 
  • Promouvoir la baisse de la consommation de produits carnés dont l’impact sur les écosystèmes est majeur ; 
  • Limiter le gaspillage des déchets, notamment dans la restauration collective ; 
  • Systématiser la distribution des périssables dans les supermarchés et les restaurants ;
  • Valoriser les déchets, notamment au travers de la méthanisation ;
  • Mettre les Réseaux de lutte contre le Gaspillage Alimentaire (RÉGAL) au cœur des politiques de lutte anti-gaspillage pour s’adapter au mieux aux spécificités locales.

Se déplacer

Les transports constituent un poste de consommation d’énergie majeur, plus de 30 % de nos consommations. Sans arrêter de bouger - car nous savons à quel point c’est un vecteur de lien social et d’enrichissement - nous devons imaginer de nouvelles manières de le faire, en étant plus sobres. Nous pouvons : 

  • Aménager le territoire pour favoriser de nouveaux modes de vie, en soutenant les lignes de train du quotidien ou en améliorant certaines en lignes LGV pour favoriser l’interconnexion ; 
  • Interdire les déplacements en avion - y compris les jets privés - lorsqu’une alternative de moins de 4 heures en train existe ; 
  • Promouvoir les mobilités douces en aménageant les espaces urbains et ruraux : développer les infrastructures, permettre aux personnes de se déplacer en sécurité, interdire les voitures en centre-ville (sauf taxi, voitures de livraison, services de secours), apprendre le vélo à l’école ;
  • Développer le covoiturage ;
  • Interdire la vente des voitures individuelles d’un certain tonnage. Inciter les constructeurs automobiles à concevoir et produire des véhicules qui placent l’efficience énergétique et la sécurité au centre de leurs impératifs ;
  • Connecter finement les réseaux de transport entre eux. En assurer la quasi-gratuité ;
  • Refuser la construction de nouvelles routes ;
  • Mettre en place un plan pour augmenter le fret dans le cadre de discussions avec nos voisins européens. 

Produire de l’énergie

La production énergétique doit être repensée. Au-delà des questions sur le recours à l’énergie nucléaire, le recours au renouvelable doit être accru. Outre la production énergétique, deux éléments de consommation sont essentiels pour la transition énergétique : l'efficience des dépenses énergétiques - réduire la consommation de chaque appareil que nous utilisons -  ainsi que la sobriété,  de la consommation, se limiter le plus possible aux appareils qui sont à ce qui est nécessaires.

Nous pouvons : 

  • Favoriser l’installation de panneaux photovoltaïques à usage individuel ou collectif dans les logements et les bâtiments ; 
  • Apporter des aides spécifiques aux appareils les plus vertueux en termes d’efficacité énergétique ;
  • Soutenir les coopératives d’énergie citoyennes 

Faire renaître le lien social

Au-delà des difficultés économiques qu’elles sont venues cruellement souligner, les mobilisations des Gilets jaunes ont aussi souligné la destruction du lien social. Les ronds-points sont devenus des lieux de rencontre pour les manifestants. La fin des solidarités ouvrières associée à la fermeture de grands bassins industriels, le chômage qui en a découlé ou encore l’affaiblissement du tissu associatif ont mis à mal ce lien social. La sobriété solidaire peut aussi apporter des réponses sur ce volet : 

  • D’une part, par l’emploi : 
    • Connaître les ressources humaines des territoires afin d’installer des filières qui permettent l’insertion des personnes : Territoire Zéro-chômeur-LD, etc. ;
    • Aider au développement de nouvelles filières favorables à la transition écologique : réparation des appareils du quotidien, métiers de l’économie circulaire, etc. ;
    • Anticiper les départs à la retraite pour faciliter l'implantation de nouveaux travailleurs notamment dans le monde agricole
  • D’autre part, par l’activité économique de proximité : 
    • Créer des régies locales de prêts de biens, d’outils et de machines ;
    • Concentrer les commerces, services publics près des clients et usagers. 

Financer la sobriété solidaire

Pour poursuivre le développement des énergies renouvelables, réaménager le territoire ou encore rénover les bâtiments, les besoins d’investissement sont immenses. Les libéraux nous opposent souvent la nécessité de réduire les dépenses pour assurer la soutenabilité des finances publiques. Ce faisant, nous devrions compter sur les investissements privés. Pourtant, une solution existe : augmenter les recettes en mettant à profit ceux qui le peuvent, plutôt que de les réduire sans cesse et donc créer des déficits. Nous soutenons pleinement les propositions du groupe socialistes et apparentés à l’assemblée nationale, à savoir : 

  • Mettre en place sur les super-profits des énergéticiens ;
  • Créer un ISF Climat et biodiversité ;
  • Mettre en place une fiscalité progressive sur les entreprises en fonction de leurs performances énergétiques.

Afin de trouver des recettes indépendamment de l’impôt, nous proposons également d’évaluer les dispositifs fiscaux (niches fiscales, crédits d’impôt)  à la lumière de leurs résultats dans la transition écologique et de modifier - voire de supprimer - celles qui n’y participent pas.


Contributeurs : Clément Foutrel, Laurent Notebaert, Louisa Debris, Charline Meyer, Antonin, Mahe, Hugo Longeas, Louis l’Haridon, Elias H’limi, Flavien Cartier, Augustin Lechat-Blin

Signataires : Sebastien Baranger (75 - Paris) ; Jonathan Baum (44 - Loire-Atlantique) ; Mathieu  Bogros (03 - Allier) ; Thomas Bonnefoy (69 - Rhône) ; Alexis  Bouchard  (35 - Ille-et-Vilaine) ; Soen Boulligny (14 - Calvados) ; Romain Boutholeau (44 - Loire-Atlantique) ; Dorine Bregman (75 - Paris) ; Hugo Canesson  (29 - Finistère) ; Rémi Carton (99 - Français de l'étranger) ; Arnaud  Chaboud (26 - Drôme) ; Baptiste Chapuis (45 - Loiret) ; Beatrice Coste (29 - Finistère) ; Louisa  Debris  (87 - Haute-Vienne) ; Guillaume Delaire (59 - Nord) ; Valérie  Delestre  (75 - Paris) ; Aurore  Djerbir Lignière  (41 - loir-et-Cher) ; Moschovia  Dr. Kaskoura-Schulz  (99 - Français de l'étranger) ; Ilyes  El Othmani  (75 - Paris) ; Clément Foutrel (76 - Seine-Maritime) ; Julien Gettliffe (82 - Tarn-et-Garonne) ; Gilles Gony (75 - Paris) ; Liliane Govart (59 - Nord) ; Franck Guillory (75 - Paris) ; Elias H'Limi (94 - Val-de-Marne) ; David Huberdeau (89 - Yonne) ; Arthur Job (59 - Nord) ; Chloé  Laurent  (33 - Gironde) ; Luc Lebon (75 - Paris) ; Augustin Lechat-Blin (44 - Loire-Atlantique) ; Ézékiel Lucas (59 - Nord) ; Antonin Mahé (22 - Côtes-d'Armor) ; Yannick  Matanda (74 - Haute-Savoie) ; Killian Montesquieu (75 - Paris) ; Quentin Pak (69 - Rhône) ; Quentin   (69 - Rhône) ; Léa Pawelski (76 - Seine-Maritime) ; Adrien Pourrat (63 - Puy-de-Dôme) ; Emma  Rafowicz  (75 - Paris) ; Paul Rafroidi (95 - Val-d'Oise) ; Loïck Rauscher-Lauranceau (75 - Paris) ; Eliott Roig (42 -Loire) ; Clarisse Roy (60 - Oise) ; Jérémie Taché (75 - Paris) ; Anzil Tajammal (59 - Nord) ; Abdelghani  Youmni (99 - Français de l'étranger) ; Pierre-Karl  Zahner  (59 - Nord) ;


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