Combats socialistes : Reprendre la main - État stratège, collectivités territoriales, citoyens, et communs : l’alliance écologique


Thème : Socialisme et écologie


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Débat

“Nous ne pouvons pas”, “c’est impossible”, “il faut s’adapter”, “la situation nous l’impose” : toutes ces expressions sont devenues courantes dans le monde politique actuel. Car c’est en effet la grande prouesse du néolibéralisme que de nous avoir fait croire qu’une seule voie était possible. Face à la dynamique inébranlable de la mondialisation, le pouvoir  politique serait réduit à peau de chagrin, devenant un outil d’adaptation plutôt que de transformation. La question écologique ne déroge pas à cette règle : pour les libéraux, notre salut collectif passerait par le marché, par une hypothétique “croissance verte” censée nous éviter la catastrophe. Mais en réalité, nous le voyons bien, les catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, la misère de beaucoup et l'opulence de quelques-uns ont la même cause : l’incapacité de ce modèle à dépasser les intérêts des plus aisés au profit de  l’intérêt général. Il nous faut donc reprendre la main. Cette reprise en main passe avant tout par la réaffirmation de la centralité de la puissance publique, garante de l’intérêt général, dans la lutte contre le dérèglement climatique.  Mais pas seulement. C’est aussi une reprise en main collective : socialistes, nous devons i entendre la demande de nos citoyens d’être associés à ces politiques transformatrices. Car le changement doit être mené à tous les niveaux, sur tous les fronts ; c’est une transformation des modes de vie autant que des modes de production, des manières de voir autant que des manières de faire. Pour mener ce combat, nous devons donc bâtir une alliance écologique, allant de l'État aux citoyens, en passant par les collectivités locales et les communs. 


Proposition


I. Orienter la transition écologique : partir des besoins, refonder l’Etat stratège

Redéfinir les frontières du marché : pour un gouvernement par les besoins

La doctrine libérale qui n’a cessé de gagner du terrain pourrait être résumée en ces termes : le marché par principe, la puissance publique par défaut. Seul ce que le marché ne peut gérer - soit parce que les coûts d’investissement sont trop élevés, soit parce que la demande est trop faible - doit être laissé à la puissance publique. Ainsi, trop souvent, le partage entre le marché et l’Etat, entre le privé et le public, est guidé, non par des impératifs stratégiques, écologiques ou sociaux, mais par la capacité du marché à dégager (ou non) du profit. 

Certains secteurs doivent donc être préservés de la logique marchande. Les difficultés provoquées par l’introduction du marché dans des secteurs stratégiques sont réelles. Avec la crise énergétique que nous traversons, nous pourrions parler de la situation d’EDF, entreprise obligée de vendre à perte sa production énergétique à ses concurrents via le mécanisme de l’ARENH - Accès régulé à l’électricité nucléaire historique - puis de le racheter à des prix de marché bien plus élevés. C’est aussi le cas de la SNCF dont les lignes ont été ouvertes à la concurrence. En réalité, les concurrents développeront leur offre seulement sur les plus grandes lignes, rentables, alors même qu’elles assuraient un certain équilibre avec les lignes du quotidien, bien moins rentables. L’idéologie libérale, assumée au niveau européen, acceptée par la France, est à l’origine de dégâts immenses.

Notre ambition est claire : nous devons renverser la perspective. Ce n’est pas au marché de tracer ses propres frontières mais à nous, collectivement, de fixer les limites du marché. Pour ce faire, un raisonnement simple mais très puissant doit nous servir de boussole : partir des besoins. Quels sont nos besoins essentiels ? Voilà la question, et elle a deux conséquences majeures  : 

  • D’un côté, elle sanctuarise les besoins essentiels à toutes et tous (l’eau, l’alimentation, l’énergie etc.), sans se préoccuper s’ils répondent ou non aux exigences marchandes. C’est donc une question d’écologie solidaire.
  • De l'autre, elle remet en cause la fabrication permanente par le marché de nouveaux besoins non-essentiels et souvent écologiquement insoutenables. C’est donc une question de sobriété écologique.

Les besoins vitaux de la nation, en termes notamment d’eau, de production énergétique ou de transports ne peuvent être laissés au marché. La délibération démocratique, au Parlement et en lien avec les partenaires sociaux, permettra de définir de nouveaux domaines à préserver de la logique prédatrice du libéralisme et d’organiser leur planification. 

La nécessité du retour d’un État stratège

La planification écologique nécessite un État à la fois fort et ouvert. Fort, car la planification suppose une administration renforcée en nombre et formée à de nouveaux enjeux techniques. Mener une politique écologique, c’est donc d’abord mener une politique ambitieuse en matière de recrutement et de formation des fonctionnaires. Ouvert, car la planification ne se fera que dans la concertation.

Aujourd’hui, les trois quarts de l’énergie finale utilisée est d’origine fossile. Afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, celle-ci doit être remplacée par des sources décarbonées, en majorité électriques.

Aussi, il est nécessaire d’investir massivement dans les énergies renouvelables qui peuvent être installées rapidement mais qui présentent l’inconvénient d’être intermittentes alors que le stockage de l’électricité à grande échelle est une technologie que nous maîtrisons encore peu. Il faut donc également investir dans le nucléaire pour faire face à l’arrêt de nombreuses centrales d’ici une vingtaine d’années (fin de vie programmée après prolongation).

Pour autant, remplacer les sources d’énergies fossiles par des sources décarbonées n’a de sens que si la consommation globale est revue à la baisse. Pour ce faire, il faut utiliser les deux leviers que sont la sobriété et l’efficacité énergétique. Par exemple, la France doit renforcer sa politique de rénovation thermique des bâtiments ou encore investir fortement pour accroître la part du ferroviaire dans les transports, de personnes et de marchandises

La complexité de la question énergétique, le temps nécessaire à la construction des infrastructures qui lui sont associées, démontre bien la nécessité de planifier dans le temps long, au-delà même des alternances politiques. Pourtant, la planification écologique n’est pas seulement énergétique, elle doit aussi toucher aux questions de biodiversité - parent pauvre des politiques climatiques et environnementales, de pollutions des eaux et des sols, d’agriculture, d’urbanisme, d’aménagement du territoire. La planification écologique est une manière d’envisager la politique de manière globale.

lle doit aussi embrasser la protection de la biodiversité, parent pauvre des politiques environnementales. Car, au-delà des nécessaires réglementations en matière de lutte contre les pollutions, c’est bien l’organisation de l’espace qu’il faut totalement repenser si nous voulons cohabiter avec les autres êtres vivants. Concrètement, cela suppose de cartographier les usages humains et non humains de l’espace pour, ensuite, les concilier quand cela est possible et en interdire certains lorsque cela s’impose. Cette planification spatiale est écologique mais aussi sociale : elle doit permettre, par exemple, de protéger les petites exploitations agricoles face au phénomène croissant d’accaparement des terres.

La planification écologique nationale doit également s’inscrire dans un cadre européen et international. De nombreuses initiatives environnementales et climatiques sont lancées au niveau européen, à l’instar du Green New Deal. L’élaboration de plans à l’échelle nationale doit permettre d’adapter ces priorités européennes mais également, de respecter les engagements internationaux de la France. En outre, pour une mise en œuvre pragmatique, la planification doit aussi se décliner à l’échelle locale, selon un principe simple : à l’État et au Gouvernement la stratégie de long terme, aux collectivités territoriales - avec le soutien de l’État - la mise en œuvre à l’échelle appropriée. 


II. La démocratie, cœur de légitimité de l'action publique, incontournable à l'application de la transition écologique

La tradition centralisatrice française est une chance autant qu’un péril pour la transition écologique. Une chance parce qu’elle nous dote d’un Etat capable d’orienter notre destin commun. Un péril, parce qu’elle risque de nous enfermer dans une vision verticale de la transition écologique. Pour paraphraser Bruno Latour, tout l’enjeu est donc de “faire atterrir” la transition écologique. Pour ce faire, nous devons agir en-deçà de l’Etat, notamment en renforçant le pouvoir de nos collectivités territoriales et en agissant pour le développement des communs.

Renforcer les collectivités territoriales

L’une des forces du Parti socialiste est sans conteste son réseau d’élus locaux. Engagés au quotidien au plus proche du terrain et de leurs concitoyens, leur engagement est indispensable pour faire advenir, plus qu’une transition, un nouveau modèle de société écologique et social. Il serait bien fastidieux d’énumérer tous les changements qui doivent se dérouler à l’échelle locale : développement des énergies renouvelables, réduction des consommations énergétiques, nouvel urbanisme favorisant la proximité et réduisant la place de l’énergie au profit des modes de transport doux. Une chose est sûre : tout en devant être organisé par l’État stratège que nous avons décrit, les changements que requiert notre époque ne pourront se faire qu’en impliquant l’échelle locale. 

Les problématiques auxquelles font face les élus locaux sont souvent évoquées. Comment faire toujours plus, répondre aux attentes aussi légitimes que immenses de nos concitoyens alors que l’État réduit toujours plus leurs moyens ? Les baisses d’imposition promises par l’actuelle minorité macronienne ont été d’autant plus simples qu’elles ont souvent visé les impôts qui alimentent le budget des collectivités. Alors que sans cesse nos concitoyens exigent plus de proximité de la part de l’action publique et que l’échelle locale apparaît essentielle, comment comprendre ce phénomène ?

En France, la menace d’une rupture d’égalité entre les territoires est souvent brandie pour s’opposer à plus de décentralisation. Paradoxalement, ne court-on pas le risque de voir l’égalité républicaine menacée lorsque des solutions à des problèmes différents sont appliquées indifféremment sur tout le territoire national ? Au contraire, nous, socialistes, devons défendre qu’un État stratège, chargé d’établir des objectifs nationaux, doit être en mesure de soutenir les collectivités dans la déclinaison locale de ces objectifs. Problématique partagée, les solutions se retrouvent sans conteste à l’échelle de nos territoires. Pourquoi ne pas, demain, fixer des objectifs nationaux de développement des énergies renouvelables et laisser les territoires, au travers de concertation entre élus et citoyens, libres de trouver les moyens pour les réaliser ? Dans le même mouvement, la capacité des collectivités locales à maîtriser leur budget et à décider de lever l'impôt constitue un fondement démocratique préalable à l'efficience de leurs actions. L’État peut également soutenir ces initiatives locales en mettant à disposition des outils d’ingénierie, notamment à destination des petites collectivités, singulièrement des petites communes, et en soutenant financièrement les projets jugés stratégiques à l’échelle nationale. 

Si les élus locaux, de tous bords, engagés pour la réussite de leurs territoires souhaitent travailler, les socialistes doivent pouvoir leur répondre. Répondre à la demande de plus de proximité tout en assurant l’égalité républicaine, c’est une nouvelle manière de faire nation que les socialistes peuvent inventer.

Favoriser les initiatives citoyennes et les communs

Les gouvernements successifs ont fait l'erreur de s'arrêter à la seule question de l'acceptation ou non par nos concitoyens des projets d'aménagements du territoire ou de transition écologique. Or quelque soit la trajectoire choisie pour notre transition écologique, elle ne pourra être comprise et acceptée que si la population en est partie prenante.

Cette ouverture doit s’incarner par de nouveaux dispositifs démocratiques permettant d’inclure les citoyens dans la prise de décision politique, au-delà du simple moment électoral. A cet égard, la Convention citoyenne pour le climat aurait pû être, si le Président Macron avait tenu ces promesses, un formidable outil démocratique pour orienter la transition écologique. 

Déterminer la planification nationale pour la transition énergétique, nous proposons de convoquer les partenaires sociaux et les associations de la société civile pour établir conjointement et nationalement notre feuille de route. L'État stratège ne peut se limiter à l'État technocratique.

Nos territoires, urbains et ruraux, regorgent d’initiatives citoyennes qui agissent en faveur de la transition, souvent en synergie avec les collectivités locales. Des projets éoliens citoyens aux jardins partagés en passant par les supermarchés collaboratifs, ces actions qui “changent la vie” se multiplient en France. Le mouvement en faveur des communs, ces ressources collectivement gouvernées (comme l’eau) et donnant lieu à une distribution de droits et de devoirs entre les participants à la gestion, témoigne aussi de cette volonté des citoyens de reprendre la main sur leur milieu et leur destin. 

Cette dynamique nous bouscule, nous, socialistes, pour qui la promesse d’un monde meilleur est souvent passée par le renforcement de la puissance publique face aux dérives du capitalisme. Nous devons changer de paradigme et ne plus voir ces initiatives comme des projets concurrents mais comme complémentaires de l’action publique. Au niveau national, cela suppose d’adopter un cadre législatif et réglementaire plus lisible et plus simple. A l’échelle locale, il s’agit de soutenir matériellement ou financièrement ces projets, de les impulser parfois, comme le font déjà de nombreuses collectivités pionnières en la matière.

Ainsi, à un monde socio-économique en deux dimensions - le public et le privé - la transition écologique nous impose de substituer un monde en trois dimensions, où le public et les communs s'associeront, sans se confondre, pour nous protéger des dérives du privé et faire advenir un monde social-écologique.


Agir

Pour une planification écologique effective : 

- Recruter et former des fonctionnaires 

- Travailler avec les partenaires sociaux et la société civile

Développer l’approche par les besoins et préserver les besoins essentiels des logiques marchandes

Favoriser le développement des communs, à la fois via la réglementation nationale et le soutien politique local

Développer une planification spatiale pour coordonner les usages humains et non humains des territoires

Confier aux collectivités territoriales le déploiement des énergies renouvelables, dans le respect des objectifs fixés nationalement

Elaborer un grand plan de sobriété et d’efficacité énergétique

Investir massivement dans les énergies décarbonées

Permettre aux collectivités locales de lever l’impôt pour financer la transition

 

Contributeurs : Clément Foutrel, Laurent Notebaert, Louisa Debris, Charline Meyer, Antonin, Mahe, Hugo Longeas, Louis l’Haridon, Elias H’limi, Flavien Cartier, Augustin Lechat-Blin

Signataires : Sebastien Baranger (75 - Paris) ; Jonathan Baum (44 - Loire-Atlantique) ; Mathieu  Bogros (03 - Allier) ; Thomas Bonnefoy (69 - Rhône) ; Alexis  Bouchard  (35 - Ille-et-Vilaine) ; Soen Boulligny (14 - Calvados) ; Romain Boutholeau (44 - Loire-Atlantique) ; Dorine Bregman (75 - Paris) ; Hugo Canesson  (29 - Finistère) ; Rémi Carton (99 - Français de l'étranger) ; Arnaud  Chaboud (26 - Drôme) ; Baptiste Chapuis (45 - Loiret) ; Beatrice Coste (29 - Finistère) ; Louisa  Debris  (87 - Haute-Vienne) ; Guillaume Delaire (59 - Nord) ; Valérie  Delestre  (75 - Paris) ; Aurore  Djerbir Lignière  (41 - loir-et-Cher) ; Victoria Domenech (75 - Paris) ; Moschovia  Dr. Kaskoura-Schulz  (99 - Français de l'étranger) ; Yasmine El Jaï (75 - Paris) ; Ilyes  El Othmani  (75 - Paris) ; Clément Foutrel (76 - Seine-Maritime) ; Julien Gettliffe (82 - Tarn-et-Garonne) ; Gilles Gony (75 - Paris) ; Liliane Govart (59 - Nord) ; Franck Guillory (75 - Paris) ; Elias H'Limi (94 - Val-de-Marne) ; David Huberdeau (89 - Yonne) ; Arthur Job (59 - Nord) ; Chloé  Laurent  (33 - Gironde) ; Luc Lebon (75 - Paris) ; Augustin Lechat-Blin (44 - Loire-Atlantique) ; Rémy Lorblancher (75 - Paris) ; Ézékiel Lucas (59 - Nord) ; Antonin Mahé (22 - Côtes-d'Armor) ; Sarah  Metennani  (59 - Nord) ; Killian Montesquieu (75 - Paris) ; Quentin Pak (69 - Rhône) ; Quentin   (69 - Rhône) ; Estelle Picard (79 - Deux-Sèvres) ; Adrien Pourrat (63 - Puy-de-Dôme) ; Emma  Rafowicz  (75 - Paris) ; Paul Rafroidi (95 - Val-d'Oise) ; Loïck Rauscher-Lauranceau (75 - Paris) ; Sébastien  Ricordel  (76 - Seine-Maritime) ; Eliott Roig (42 -Loire) ; Vincent Roué (99 - Français de l'étranger)


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