Thème : Économie et travail
Débat
Différentes recherches académiques et professionnelles ont assez largement expliqué les différentes problématiques économiques qui entourent les rachats d’actions. Le principe :Les entreprises utilisent leurs liquidités pour racheter des actions plutôt que pour investir dans leurs activités courantes. Souvent, cette génération supplémentaire de cash disponible a été permise par des politiques de réduction de coût, et en particulier au niveau des frais de personnel. On confirmera ce diagnostic en analysant l’évolution des postes frais de personnel et les dépenses d’investissements matériels et immatériels, ce que l’on appelle les « capex ». L’autre critique réside dans son principe et l’effet sur les cours de bourse. Techniquement, ces actions sont rachetées puis annulées, ce qui diminue le nombre total des actions des sociétés. Considérant que la valeur de l’entreprise n’est pas modifiée, le cours de bourse s’ajuste automatiquement à la hausse. Dès lors, il s’agit bien d’une distribution supplémentaire, mais déguisée, de valeur aux actionnaires. Les rachats d'actions sont donc une alternative, ou un complément, aux dividendes pour la redistribution des profits de l'entreprise à ses actionnaires.
Ce mouvement prend de l’ampleur en Europe et en particulier en France
La situation française
Notre analyse porte sur la situation des entreprises du CAC 40. D' après nos calculs, sur l’année 2021, le montant global des rachats d’actions s’élèverait à 26,2 Md€. Sur l’exercice 2022, les montants annoncés d’après nos informations seraient de 18 Md€. Notons que l’information sur ce point n’est pas toujours accessible, on connaît les montants autorisés par les assemblées générales mais pas toujours les montants réalisés. Difficile par exemple de trouver cette information chez Axa.
Dans ce total, 12 sociétés ont racheté 90% de l’ensemble des rachats de 2021. Parmi les plus gros contributeurs se trouvent l'opération exceptionnelle de L'Oréal (10,1Md€), qui a racheté une partie de la participation de Nestlé, puis ArcelorMittal et TotalEnergies.
Entre 2015 et 2020, le montant pour les rachats d'actions représentait entre 15 % et 25 % de la somme des dividendes versés, selon le décompte tenu par la lettre financière spécialisée Vernimmen, uniquement sur les entreprises du CAC 40. D’après nos calculs en 2021, les rachats d’actions ont représenté 49 % des dividendes versés, soit 26,2 Md€ sur 53,5 Md€, montant total des dividendes versés au titre des résultats de 2021. En 2022, la distribution de dividendes attendue est de 63,1 Md€. En 2021, le taux de distribution de dividendes par rapport aux résultats s’élève à 32 %, puisque le résultat cumulé des entreprises du CAC40 a atteint 167 Md€ en 2021.
En ajoutant les rachats d’action, la ponction des actionnaires sur le résultat global s’élève alors à 48%, puisqu’au total la somme rachat d’actions et dividendes s’élève à 79,7 Md€. Si on cherche un autre élément de comparaison, cela représente aussi 29% de la masse salariale des entreprises du CAC 40 qui s’élève à 273,5 Md€. Dans le tableau ci-dessus, L’Oréal et Total versent plus à leurs actionnaires qu’ils ne versent de frais de personnel.
Par ailleurs et c’est sur ce point qu’il faut être encore plus critique, ces sommes versées aux actionnaires sont supérieures au montant des investissements réalisés par les entreprises qui en 2021 ne s’élèvent qu’à 73 Md€ au total. A un moment où notre pays manque d’investissements notamment pour aller dans le sens de la transition énergétique et pour retrouver une véritable politique industrielle, créatrice de croissance et d’emplois, cette répartition de la richesse créée n’est pas cohérente et dangereuse en terme de souveraineté économique.
Agir
C’est la raison pour laquelle le Parti socialiste s’engage à réguler ces rachats d’actions et à rendre cette stratégie exceptionnelle. Notre proposition est simple, afin de dissuader ces opérations, nous proposons de taxer les opérations de rachat d’actions à hauteur de 2 % des montants rachetés. Par ailleurs nous souhaitons aussi l’interdiction de ces opérations dans le secteur financier, banques et assurances. En effet, ces opérations ont pour effet de réduire les fonds propres des établissements bancaires donc de faire baisser leurs ratios de solvabilité. Cette baisse est alors utilisée souvent comme une justification pour refuser du financement alors que c’est précisément leur objectif social. Ce renforcement des fonds propres permet aussi de rendre moins fragile le système bancaire lors des crises financières.
À titre d’exemple, le président Joe Biden a promulgué cet été la loi sur la réduction de l'inflation aux États-Unis. Elle prévoit une taxe d'accise de 1 % sur les rachats d'actions. Aux Etats-Unis, ce mécanisme est de plus en plus utilisé. Les entreprises du S&P 500, l’indice qui englobe environ 80 % du marché boursier américain, ont versé des dividendes de 511 Md$ et ont racheté 882 Md$ d'actions en 2021.
Contributeurs : Augustin Lechat-Blin, Jean-Noël Vieille, Théo Iberrakene, Alexandra Jardin, Alizée Ostrowski