Thème : Comment abattre le RN à la racine
En finir avec la polarisation sociale et politique : combattre vraiment l’extrême droite
Il faut parfois savoir nommer les fractures pour espérer les guérir. La France n’est pas seulement divisée : elle est brisée, lentement mais sûrement, par des clivages que nous avons laissé s’installer. La polarisation politique qui mine nos institutions, nos débats et nos choix électoraux est l’écho d’une polarisation plus profonde, plus ancienne, plus dangereuse encore : celle qui sépare deux France, deux récits, deux expériences sociales de l’existence.
La montée de l’extrême droite ne vient pas de nulle part. Elle est la conséquence d’un lent abandon : celui d’une partie du peuple par une partie de ses élites. Et si nous voulons véritablement combattre l’extrême droite, il faut cesser de la combattre comme un phénomène moral ou conjoncturel. Il faut la combattre comme une conséquence. La conséquence d’un système qui exclut, d’un modèle économique qui fracture, d’un ordre scolaire et territorial qui trie les existences.
Le diplôme est devenu une frontière. Il ne libère plus : il sélectionne. Il ne protège plus tous : il classe. Dans le vote, dans l’accès à la parole publique, dans l’espérance de vie même, cette ligne de partage est devenue une ligne de rupture. En 2022, 73 % des électeurs sans diplôme ou titulaires d’un CAP/BEP ont voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, contre seulement 27 % parmi les diplômés du supérieur. Ce n’est pas un détail : c’est un basculement de la sociologie électorale du pays.
Et ce basculement est nourri par un autre : celui de la mondialisation libérale, qui a transformé la France en un archipel. Les grandes métropoles prospèrent pendant que les villes moyennes, les zones rurales, les bassins industriels vivent la fermeture des usines, la désertification médicale, la réduction des services publics, la relégation numérique et culturelle. Là où la République promettait l’égalité des places, elle offre désormais des inégalités de destins. Et quand l’État s’efface, d’autres discours s’installent. Plus simples, plus brutaux, plus faux aussi — mais disponibles, visibles, audibles.
La gauche a trop souvent oublié cette France populaire qu’elle prétendait incarner. Elle s’est laissé enfermer dans une identité gestionnaire, technocratique, urbaine et diplômée. Elle a regardé de loin des vies qu’elle ne comprenait plus. Elle a laissé croire que le progrès viendrait d’en haut, que le marché pouvait se réguler lui-même, que la méritocratie suffisait à corriger les injustices. Mais il n’y a pas de mérite possible quand les dés sont pipés dès le départ. Et il n’y a pas de République possible sans une attention radicale à la dignité de chacun.
Combattre l’extrême droite, ce n’est donc pas seulement défendre les valeurs républicaines à la tribune. C’est leur redonner chair dans la vie quotidienne. C’est reconstruire les conditions sociales de l’adhésion démocratique. C’est refaire société à hauteur d’homme.
Cela passe d’abord par la revalorisation de tous les savoirs. Il est temps d’en finir avec une hiérarchie scolaire qui humilie les filières professionnelles, dévalorise les métiers manuels, et alimente une sélection sociale précoce. Nous proposons la création de baccalauréats professionnels d’excellence, articulés avec l’apprentissage, les territoires et l’économie réelle. Nous voulons que les lycées professionnels deviennent des lieux de réussite, pas de relégation.
Cela passe aussi par une politique de relocalisation économique et de souveraineté productive. Nous devons recréer de l’activité là où elle a disparu, dans les anciens bassins industriels, dans les villes petites et moyennes. Un fonds national de transition écologique territorialisé permettra de financer la réindustrialisation verte et de soutenir les filières locales. Il faut une politique publique assumée pour orienter l’économie : pas contre le marché, mais au service de l’intérêt général.
Cela passe par une réforme ambitieuse de l’État social. Nous défendons la mise en place d’un revenu d’autonomie pour les 18-25 ans, conditionné à un engagement dans la formation ou le service civique. Nous voulons des maisons de santé dans chaque canton, des internats de la République pour casser la reproduction sociale, un accès aux transports et aux services publics garanti, y compris dans les zones rurales et périurbaines. L’égalité des droits passe par la présence réelle de l’État.
Cela passe, enfin, par une démocratie plus proche, plus vivante. Il faut redonner du pouvoir aux maires, aux citoyens organisés, aux associations. Soutenir les tiers-lieux, les maisons du peuple, les centres culturels et sportifs qui recréent du lien. Encourager la participation, la discussion, la coopération. Une démocratie sans contact avec le peuple est une démocratie morte. Une gauche sans lien avec les classes populaires est une gauche condamnée.
Le combat contre l’extrême droite est un combat pour la République. Mais il ne pourra être gagné que si la République devient à nouveau une promesse crédible pour celles et ceux qui n’en voient plus les preuves. Ce combat exige de la clarté, du courage, et surtout une refondation du projet socialiste. Le socialisme ne peut être un conservatisme des élites : il doit redevenir une espérance des peuples.
Alors oui, nous voulons en finir avec la polarisation. Mais pour cela, il faut la comprendre. Il faut l’affronter. Et surtout, il faut lui opposer un projet de société cohérent, incarné, populaire. Pas une synthèse molle, mais une alternative claire. Pas un simple refus de l’extrême droite, mais une reconquête de la démocratie.
Nous n’avons pas le droit de céder à la résignation. Le monde n’a pas besoin d’un commentaire de sa propre décomposition. Il a besoin d’un engagement. Il a besoin d’une gauche qui croit encore en la dignité, en l’égalité, en la fraternité. Une gauche qui regarde les oubliés dans les yeux et leur dit : « Ce pays est le vôtre. »
C’est cette gauche que nous voulons reconstruire. Ensemble.