Commission nationale entreprises - Désindustrialisation : Le diagnostic - La mondialisation, les années 2010


Thème : Désindustrialisation : Diagnostic années 2010


Une première contribution est intitulée « DESINDUSTRIALISATION : LE DIAGNOSTIC – PREMIÈRES ÉTAPES DES ANNÉES 70 AUX ANNÉES 2000 ».

Une deuxième contribution intitulée « DESINDUSTRIALISATION : LE DIAGNOSTIC – A PARTIR DES ANNÉES 2000 » décrit la poursuite du phénomène.

La présente contribution poursuit le diagnostic de la désindustrialisation en analysant les conséquences de la mondialisation et les événements à partir des années 2010.

Enfin une quatrième contribution « REINDUSTRIALISER LA FRANCE : NOS PROPOSITIONS » propose des solutions.

 

IRRUPTION DE LA CHINE SUR LES MARCHES EUROPÉENS ET MONDIAUX

L’entrée de la Chine dans l’OMC ne tarde pas à avoir un impact sur les entreprises industrielles au tout début des années 2000. On estime à 270 000 le nombre d’emplois supprimés en France, dont 100 000 emplois dans l’industrie.
La Chine a multiplié sa valeur ajoutée par 10 en vingt ans, sans qu’elle apparaisse comme une rivale systémique de l’Europe, dans un premier temps. L’Allemagne spécialisée dans le haut de gamme (machines-outils entre autres) et soucieuse de conserver sa propriété intellectuelle n’en a pas souffert. Les occidentaux ont investi 2000 milliards de $ en Chine en 20 ans, occupant une bonne place du marché chinois, mais réciproquement la Chine a très rapidement monté et contrôlé tous les maillons de la chaine de la valeur, rendant impossible l’exportation vers la Chine de produits de haute et moyenne qualité des PME européennes. En France seuls les produits des grands groupes de luxe et quelques grandes entreprises (Schneider, Essilor, Airbus, SEB, ou ST Microelectronics...) ont pu rester sur le marché chinois.

En revanche les firmes chinoises expertes en reverse engineering ont rapidement produit des copies des matériels français, à des prix imbattables, avant de voler de leurs propres ailes. Des transferts de technologie trop précoces ont malheureusement conduit à cette situation préjudiciable.

 

CONSÉQUENCES DES ACCORDS DE LIBRE ÉCHANGE

Sans préparation préalable sérieuse des écosystèmes industriels les politiques de libre échange poussées par l’UE et les États européens ont conduit au désastre actuel. Premières victimes, les firmes productrices de fibres et dérivés textiles, avec les accords de 1974 et 1981. Des vallées entières ont été dévastées, qui constituaient l’empire Boussac, malgré sa gestion de fidélisation des emplois, très paternaliste. Les machines ont été vendues en Chine et ....entretenues sur place par les meilleurs techniciens français !

Puis l’accord du GATT sur les technologies de l’information (ITA) du milieu des années 90 a précipité la chute brutale de dizaines de fabricants de produits électroniques en supprimant tout droit de douanes (14% à l’époque).
Les productions de décodeurs (SAGEM), l’assemblage de matériel japonais (SONY), ont quitté le sol national.

Le Commissaire européen britannique a raboté les positions françaises en quelques mois.
Dans le secteur de la production de sucre, les 27 sucriers français et leurs sous-traitants qui faisaient travailler nombre de PME et vivaient très bien avec un prix élevé du sucre, aligné sur celui des petits producteurs grecs, dans un contexte européen protecteur (les cours de lobbying à Bruxelles les montraient en exemple) ont été ramenés à une petite dizaine après les accords de libre-échange et, maintenant, la France importe du sucre du Brésil et les survivants sont à la peine.

Ces décisions dramatiques pour les territoires n’ont été ni préparées, ni accompagnées par les autorités européennes. Nous payons maintenant ces imprudences, pour ne pas dire ces incuries, par un chômage de longue durée et des territoires agonisant.

 

QUELQUES EXEMPLES : PECHINEY ET ALCATEL

PECHINEY : un fleuron de l’industrie française, redynamisé par le programme de nationalisation des années 80, a connu une chute vertigineuse alors qu’il était un champion mondial qui était passé de la transformation de la bauxite en aluminium, à des produits à haute valeur ajoutée comme des ailes d’avion. En 2000 la Commission bloque la fusion avec le suisse Algroup et le canadien ALCAN (pour éviter de fausser la concurrence en Europe, alors qu’elle se situe au niveau mondial et est très active avec l’américain ALCOA, entre autres).

En 2004 la concurrence de Pechiney s’est brutalement renforcée, utilisant les brevets Péchiney vendus aux Russes, aux Sud-Africains et au Brésilien CVRD. En dix ans ils égalent la production de Pechiney, qui va procéder à la malheureuse acquisition d’American Can, mal gérée, ce qui va affaiblir encore davantage Pechiney, qui va être obligé de revendre American Can et ne pourra investir dans les pays émergents en raison de sa faiblesse conjoncturelle.

Pechiney n’a donc bénéficié d’aucun dispositif public de consolidation ni de croissance, alors qu’ALCOA était soutenu fortement par le gouvernement américain. Péchiney a été finalement vendu pour 5,6 Mlds à l’époque, une misère, alors que le Russe RUSAL était capitalisé à 30 Mlds $ et que BHP achetait RIO TINTO pour 120Mlds $.

Finalement Pechiney a réinvesti en Pologne et en Europe de l’Est, alors que le cœur français de l’entreprise s’affaiblissait, et que sa gestion stratégique part au Canada : quel crève-cœur !

ALCATEL : Les pouvoirs publics écartant toute idée de politique industrielle ne sont pas intervenus lorsque fut formulé le concept d’entreprise sans usine (Fabless).
Les écosystèmes des PME sous-traitantes se retrouvent orphelines dans leur bassin d’activité et d’emploi d’origine.

De plus le champion français des télécommunications a pâti jusqu’à la carricature de tous les éléments de l’ultralibéralisme et de la concurrence chinoise. Au cours d’une réunion un représentant du DTI britannique déclare qu’il est le ministre des consommateurs et non de l’industrie. On a aussi pu entendre un ministre conservateur se réjouir de la présence d’un grand industriel chinois dans sa circonscription. La concurrence effrénée entre les opérateurs européens a entraîné une pression maximale sur tous les coûts, en particulier sur les coûts des équipements : Alcatel n’y a pas résisté, dans le même temps les grands équipementiers chinois pouvaient proposer aux opérateurs européens des prix compétitifs car ils sont soutenus par l’état chinois.

Sous-capitalisation, impréparation à la mondialisation, transfert de propriété intellectuelle, sous-estimation des dangers de la concurrence mondialisée , management retardataire, dispersion des actifs....les ingrédients de la déroute industrielle sont là.

 

ANNÉES 2010

Elles s’ouvrent avec la crise des subprimes et de l’existence d’un chômage chronique qui ne peut être adouci en France par des mesures de chômage technique comme en Allemagne, les finances publiques étant trop faibles. Un déplafonnement du CIR et un aménagement de la Taxe Professionnelle (Loi TEPA), n’ont qu’un faible impact sur le financement R&D avec un ratio R&D/PIB qui passe de 2 à 2,2 %, alors qu’aux USA et en Allemagne il atteint 2,8 (2009) et 3,1 en 2021. Ce léger accroissement évite cependant la délocalisant des centres de recherche privés, menace souvent proférée à cette époque.

Les usines continuent à tomber, les suppressions d’emplois restent massives : 300 centres industriels ferment par an, les territoires se vident, avec une accélération forte de 2009 à 2015.
Pour la première fois, l’automobile est touchée ; PSA a augmenté ses effectifs industriels en France de 1997 à 2006, tout en investissant en Tchéquie, Slovaquie et Pologne, suivant en cela les Allemands, mais sur le segment de gamme des voitures, disponible (bas de gamme).

Les sous-traitants (Fauricia, PlasticOmnium, Valeo, ..) ont suivi, en montant des plateformes dans ces pays, poussés par les services Achats de PSA et pour son compte.
Les constructeurs assemblent des sous-ensembles de plus en plus complexes et intégrés, diminuant le plan de charge des petits sous-traitants devenus inutiles. Les PME n’ont plus de relation directe avec les constructeurs, elles sont en relation non plus avec les grands groupes mais avec les équipementiers de rang 1.

Rappelons qu’en 1997 PSA n’avait aucune usine hors d’Europe, seulement un atelier en Chine.
Les PMEs devaient simultanément ouvrir des unités hors d’Europe et accepter des réductions tarifaires drastiques, ce qui a amené une réduction des emplois en France, mais aussi des investissements dans l’innovation et les machines françaises. L’ouverture de Tanger avec 10 ans d’exonération fiscale a aussi attiré des investissements automobiles sur place. En conséquence les meilleurs techniciens et ingénieurs sont partis dans ces usines de l’Est et du Maroc, puis au Mexique et en Chine, délaissant les usines françaises, alors qu’en Allemagne les ETI automobiles ont été soutenues, robotisées, pour compenser les salaires plus élevés qu’hors Europe. Aujourd’hui toutes les ETI françaises sont équipées de machines-outils allemandes.

Par ailleurs l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) constitue pour nous un repère en termes de gestion démocratique et d’utilité collective ou sociale du projet, lequel n’est pas lucratif. 200 000 entreprises relèvent de ce secteur, qui génère 10% du PIB et qui compte 2,3 millions de salariés. Ces emplois ne sont pas délocalisables. Les entreprises de l'ESS innovent, expérimentent et portent des solutions concrètes dans les territoires, aux côtés des acteurs économiques « classiques » et des pouvoirs publics.

A la fin des années 2000 (2008-2009), la crise de l’industrie automobile déclenche un tournant idéologique vers une politique de l’offre, en faveur des PMEs avec la création par l’Etat de prêts et de fonds propres destinés à la modernisation des équipementiers, outils toujours en action aujourd’hui. Martine Aubry, Michel Sapin, Guillaume Bachelay, sont à l’origine de cette mue, qui va s’étendre à l’ensemble de la sphère productive.

Un réseau bancaire public, celui de la BPI, va se déployer en coordination avec les Régions. Ce dispositif fait partie du programme de campagne de F. Hollande.

La droite (Nicolas Sarkozy) crée le FSI (Fonds de Solidarité d’Investissement), et identifie les ETI dans la loi LME.
Mais le sujet de la désindustrialisation reste tabou, en l’absence de consensus sur les causes.

François Hollande a amorcé un mouvement de reconnaissance des entrepreneurs, malgré les polémiques à la fois sur le droit du travail, comme frein entrepreneurial, sur les allègements de charges de 93, 96 et 2014 « sans contreparties » apportées par le patronat, bien que le CICE ait été en partie financé par une hausse de l’ISF et de l’IR sur les plus aisés.


Signataires :

Yves Beguin, Rémi Thomas, Anne Le Moal, Jean-Marie Mariani, Elisabeth Humbert-Dorfmüller, Patrick Ducome, Rémi Aufrère-Privel, Christian Vely, Arnaud Delcourte, Alain Ternot, Patrick Ardoin, Marcel Villeneuve, Pierre Sztulman, Charles Cala, Brahim Messaouden, Olivier Sabin,

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