Commission nationale entreprises - Désindustrialisation : Diagnostic des années 1970, 2000


Thème : Désindustrialisation


La désindustrialisation de notre pays est un épisode dramatique de notre histoire, qui doit être mieux cerné si nous voulons agir pour retrouver dans un proche avenir une France réindustrialisée, capable de retrouver sa souveraineté perdue dans certains domaines industriels stratégiques et d’être en mesure d’équilibrer ses échanges avec ses partenaires européens et mondiaux.

Cette première contribution décrit une première phase de la désindustrialisation des années 70 aux années 2000.

Une deuxième contribution intitulée « DESINDUSTRIALISATION : LE DIAGNOSTIC – A PARTIR DES ANNEES 2000 » décrit la poursuite du phénomène.

Une troisième contribution est intitulée : « DESINDUSTRIALISATION : LE DIAGNOSTIC – LA MONDIALISATION, LES ANNEES 2010 »

Enfin une quatrième contribution « REINDUSTRIALISER LA FRANCE : NOS PROPOSITIONS » propose des solutions.

 

PREMIÈRE ANALYSE

La désindustrialisation s’amorce dans les années 1970, après les trente « glorieuses », période d’une expansion économique considérable. Puis la désindustrialisation s’accélère dans les années 2000 : entre 1995 et 2015 la France a perdu la moitié de ses usines et un tiers de l’emploi industriel.

Des petites villes, des vallées industrielles sont rayées de la carte. Des filières se sont désagrégées, comme si toute la société se détournait de l’industrie. Des savoirs faire uniques (par ex : la soudure de cuves inox de grande dimension, la chaudronnerie industrielle), se sont évanouis et commencent à manquer cruellement. Cette situation est beaucoup plus grave que dans les grands pays européens voisins, comme l’Allemagne ou l’Italie, à un moindre degré, qui ont su conserver une industrie manufacturière significative, en tout cas suffisante pour équilibrer leur commerce au niveau européen voire mondial, l’Allemagne bénéficiant même d’un excèdent commercial très important, source d’inquiétude pour les pays du Sud de l’Europe.

Depuis 1980 la France a perdu 2,2 millions d’emplois industriels, rejoignant dans cette dérive le Royaume Uni, pour devenir, in fine, les deux pays les plus désindustrialisés du G7. Il reste 150 000 PME (moins de 250 salariés) environ, qui constituent le dernier carré de ces entreprises qui ont été particulièrement meurtries par la mondialisation. Elles constituent un tiers des salariés du privé en France. Nos PME investissent moins que les grandes entreprises : 17% de la VA contre 28%. Elles sont résilientes sur le court terme, ne prenant pas beaucoup de risques, mais se développent insuffisamment, n’osant pas se lancer dans les programmes de recherche et développement ou sur les marchés internationaux, ce qui est une véritable faiblesse.

En ce qui concerne les ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) elles sont dans une situation intermédiaire entre les grandes entreprises et les petites. Elles sont environ 1550 en France, soit dix fois moins qu’en Allemagne, où elles investissent beaucoup plus qu’en France (26 % VA), sans délocaliser leurs emplois.

Bien souvent nos PME poursuivent un objectif patrimonial dans leur développement, en acceptant de céder aux grandes entreprises leurs activités lorsque le leur niveau de valorisation atteint 30 à 50 millions € : c’est une caractéristique du capitalisme français qui diffère fortement du capitalisme allemand, et explique notre décrochage en matière du poids des PME et des ETI dans notre modèle industriel par rapport à nos collèges d’outre Rhin.

Et la fiscalité des PME les pénalise cette fois-ci par rapport aux grandes entreprises : ainsi d'après les résultats communiqués par les économistes le taux moyen d’imposition des grandes entreprises serait de 17,8% contre 23,7% pour les petites et moyennes entreprises (PME)

Or l’industrie est l’outil de construction de la souveraineté, capable d’alimenter le commerce intérieur et extérieur, en entretenant le creuset de construction de la compétitivité, tout en assurant un niveau de salaire en général supérieur à la médiane nationale. Elle réalise la majeure partie de la R&D privée, et assure le plan de charge de nombreuses entreprises de services, qui viennent compléter les chaines de valeur permettant d’obtenir des produits finis. Elle procure des emplois manuels et intellectuels dans l’ensemble des territoires.

Et quand un domaine industriel disparaît, les formations liées aux métiers de ce domaine (depuis l’ouvrier qualifié dont on n’a plus l’emploi jusqu’au chercheur qui s’expatrie pour valoriser ses connaissances) disparaissent également.

L'excédent commercial de l'Allemagne s’est établi pour l'année 2021, à +173 milliards d'euros, quand celui de l'Hexagone chutait au niveau record de -84,78 milliards d'euros et se dégradait encore ces derniers mois avec une moyenne de 15,5 Mlds sur les trois derniers mois.

Le statut de nation la plus désindustrialisée des grandes nations européennes n’est pas tenable dans la durée, toute notre société doit s’emparer de cette réalité dérangeante afin de retrouver à terme une France plus moderne et compétitive présente dans le concert des grands pays qui compte dans le monde.

 

LES PRINCIPAUX JALONS PRINCIPAUX DE LA DÉSINDUSTRIALISATION

Dans les années 70 : le premier choc pétrolier (1973) a provoqué un traumatisme avec la chute de nombreuses PME et l’hémorragie consécutive des emplois. Le déficit de la sécurité sociale se creuse, avec le rétrécissement de la masse salariale.

Les cotisations patronales augmentent, avec la levée des plafonnements, provoquant une augmentation continue du coût du travail.et une inflation forte dans un contexte de consensus généralisé...tout le monde suit !

Dans les années 80 : les conquêtes sociales : cinquième semaine de congés payés, 35 heures, l’augmentation forte des charges patronales chargent les entreprises, et les PME subissent ce choc de compétitivité face à leurs homologues Allemandes, Italiennes, et Hollandaises moins mises à contribution.

L’économie devient progressivement européenne, mais pas encore mondiale.
La dévaluation est l’outil privilégié pour rétablir -provisoirement- la compétitivité, en compensant les augmentations de salaires et la hausse des charges, et donc des coûts de production. Les pays du Nord de l’Europe montent en « gamme » à partir de leur production, sans délocaliser, prenant de l’avance avant l’ouverture du commerce mondial programmée en 1990 à la signature de la charte de Paris.

En 1983 notre pays opère un basculement politique en optant pour la désinflation compétitive et en décidant de rester au sein du SME : la dévaluation est maintenant proscrite. La libéralisation des économies américaine et britannique installe en Europe un capitalisme agressif : les cabinets conseils anglo-saxons s’installent sur le continent, Ils vont travailler au profit des grandes entreprises mais pas des PME qui vont être « lâchées » dans cette course de vitesse, sans pouvoir s’inscrire dans ce mouvement ultra-libéral, fonctionnant déjà dans les pays anglo-saxons expérimentés.
Les filières industrielles vont être soumises à de fortes tensions à la fois économiques et culturelles.

Les grands groupes, eux, se transforment à grande vitesse, sans que les PME sous- traitantes puissent suivre, et bénéficier d’interventions en leur faveur de la part des pouvoirs publics et des banques. C’est un saut dans l’inconnu, un pari pris sur les bienfaits du darwinisme, qui va effectivement créer vingt millions d’emplois (en Europe), mais aucun en France ! Facteur aggravant les directives européennes sont transposées sur tous les secteurs industriels, et souvent sur transposées par des surenchères parlementaires, attisées par l’émergence de l’écologie radicale, et des administrations en quête d’existence, ce qui crée une charge bureaucratique qui pénalise plus les PME et les agriculteurs.

Dans les années 90 : Les incohérences apparaissent : Tout sauf la politique industrielle, qui est bannie de l’exercice du pouvoir politique. La France résisterait apparemment à la vague libérale, mais avec une appréhension face aux conséquences de la vague libérale, génératrice d’inégalités à venir. Ni la spécificité des PME ni les filières, ni l’écosystème industriel ne sont prises en compte par la législation. Les 20 sociétés de développement Régional (SDR) financent de moins en moins les PME, le montant des prêts passant par exemple de huit à quatre milliards F de 1992 à 1993.

Ce qui compte c’est la Sécurité Sociale d’un côté et les grands groupes de l’autre (JL Beffat). Pas de pacte social en vue, alors que les Allemands reformulent le leur. Le chômage atteint un niveau record, obligeant à un début de réorientation : les premiers allègements de charges apparaissent au niveau du SMIC, passant de 30% à 25% (les charges sur le SMIC sont aujourd’hui à 1,6%), la dérégulation mondiale est en vue dans un monde de compétition et l’émergence chinoise commence à être perçue. Amérique, Japon, Corée deviennent des menaces directes, avec de grands groupes prédateurs : IBM, General Electric, Sony, Boeing, Microsoft, mais les PME chinoises ne sont pas encore perçues comme telles, sauf dans le secteur du textile.

La grande déroute va se produire vers l’an 2000. On pense à se protéger par le protectionnisme. Les accords Clinton-Hu vont être conclus en 2000 et en 2001 la Chine rentre à l’OMC, ce qui donne accès à la Chine à un véritable autoroute pour accéder au marché mondial.

Les pays de l’Europe de l’Est se transforment en plateformes ultra-compétitives, mais le risque de désindustrialisation n’est toujours pas perçu à ce stade. Il faudra attendre 2003 pour que Renaud Dutreil réduise les droits de succession des entrepreneurs ce qui évitera la disparition du capitalisme familial français. Christian Pierret restera 5 ans en place comme ministre de l’Industrie sous Lionnel Jospin, témoignant de la stabilité de la politique industrielle du gouvernement de L. Jospin.

Dans cette période les grands groupes ont de facto délégation de l’État pour gérer leurs filières et donc les PME, l’aéronautique (et l’Espace) étant cependant bien gérées sous cet aspect. La politique des grands projets est favorisée, dont certains aboutissent à de vrais succès (Airbus et TGV) Les syndicats sont peu présents dans les PME, uniquement pour obtenir la généralisation des droits sociaux, mais pas impliqués sur les sujets industriels, les DRH, ni la réglementation ne leur en donnant pas l’accès.

Il n’y a pas « d’armée » économique française organisée, pilotée par l’exécutif et rassemblant tout l’écosystème industriel, employeurs, ouvriers, filières et syndicats embarqués sur le même vaisseau partis pour le grand large de la mondialisation.

 

LES DÉRIVES APPARAISSENT

Les partenaires sociaux sont tombés d’accord pour financer l’assurance vieillesse avec la C3S¹ impôt sur le chiffre d’affaires, puis l’ISF a été déplafonné par A. Juppé, conduisant à des transferts de dividendes importants pour payer les impôts des membres de la famille concernée par la succession. Les cotisations retraite et chômage ont augmenté de 4,3 points et plus. L’augmentation régulière du SMIC pèse sur les PME.

La décentralisation a donné aux communes la capacité de percevoir la taxe professionnelle, qui va augmenter. Les Régions n’ont pas les moyens d’intervention dont elles disposent aujourd’hui en liaison avec la BPI, pour traiter les questions industrielles.

En 1994 la Banque de France acquiert son indépendance. Elle alignera les taux d’intérêt sur ceux de l’Allemagne, asphyxiant les entrepreneurs les plus fragiles.

 

RENONCEMENT À LA POLITIQUE INDUSTRIELLE

Dès 1986 les libéraux au pouvoir cherchent à sortir de la gestion colbertiste en privatisant les entreprises publiques, et en supprimant les subventions, au motif qu’elles permettraient de survivre sans évoluer. Louis Gallois, attaché aux grands programmes, Directeur Général de L’Industrie démissionne.

Le cadre de négociation du traité de Maastricht (signé en 1992) a révélé une Europe globalement libérale. Les Allemands prêts à des avancées majeures sur les questions de société (justice, police, immigration,) pour bâtir l’Union Politique, se sont catégoriquement opposés à toute politique industrielle. Le colbertisme français les révulse, eux les promoteurs de l’économie sociale de marché, attaché au Mittelstand (ETI stables, souvent dominées par une famille).

Édith Cresson à Matignon les inquiète. A leur décharge il faut bien reconnaitre l’échec du plan calcul et de celui des machines-outils. La valse des ministres de l’industrie ne permettait pas d’assurer une continuité de la politique menée, pourtant indispensable à la préparation de l’avenir.

Mais le succès du programme Ariane, celui du développement de ST Microelectronics, ainsi que l’essor du programme nucléaire amenaient des arguments forts en faveur de la position française.

Au niveau de l’Europe, les Anglais, ultralibéraux bloquaient toute proposition d’aide étatique, sauf au profit de la Treuhand (privatisation de l’économie de l’ex-Allemagne de l’Est).

À Bruxelles les DG Compétitivité et Concurrence occupaient le haut du pavé, empêchant toute préparation européenne coordonnée du secteur manufacturier, à la mondialisation.

Les interventions de la BEI en Italie avaient conduit à des résultats médiocres. En revanche les exemples du MITI japonais et les plans coréens, taiwanais et chinois étaient déjà très démonstratifs de l’efficacité de l’intervention de l’Etat.
Le Libéralisme devient la doxa européenne : Allemands, Danois, Néerlandais, Anglais ont refusé la création d’un MITI européen.

La France a réussi péniblement à imposer la création de la BIRD pour faciliter la reconstruction et le développement des PECO (Pays de l’Europe Centrale et Orientale), mais rien pour les pays créateurs de l’Europe.

Un lent travail de sape va miner le tissu industriel français : Pas de montée en gamme de l’industrie, pas de pratique généralisée de l’anglais, devenant la langue incontournable pour les échanges commerciaux, ignorance du Lean Management (censé améliorer le fonctionnement de l’entreprise) très pratiqué en Asie. L’échec du plan Machines-outils va entrainer le décrochage de l’automatisation en France.

Les chambres de Commerce ont connu elles aussi un déclin qui a privé les PME de leur assistance.

Les chefs d’entreprise, vieillissant, n’ont pas vu venir cette révolution, trop occupés par la gestion du quotidien, sans prendre en considération l’arrivée de la concurrence internationale. Quelques exceptions cependant, avec des patrons visionnaires : SEB, Essilor, Fives...) qui deviendront des grands groupes.

La presse reste indifférente.
On se prépare à l’arrivée de l’Euro, considéré comme un succès français.


¹ La C3s ou Contribution Sociale de Solidarité des Sociétés est un impôt annuel payable par les sociétés qui réalisent un chiffre d’affaires hors taxe supérieur à 760 000 euros, au taux de 0,16 %.


Signataires :

Yves Beguin, Rémi Thomas, Anne Le Moal, Jean-Marie Mariani, Elisabeth Humbert-Dorfmüller, Patrick Ducome, Rémi Aufrère-Privel, Christian Vely, Arnaud Delcourte, Alain Ternot, Patrick Ardoin, Marcel Villeneuve, Pierre Sztulman, Charles Cala, Brahim Messaouden, Olivier Sabin,

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