Thème : Droits des enfants
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. » L’alinéa premier de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990, pose formellement le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.
La CIDE, texte contraignant, dispose qu’il revient aux États d’« assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être », de prendre « à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées », et de veiller à ce que « le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes. »
Où en sommes-nous en 2022 ?
Bien loin du compte. A ce jour, des dizaines de milliers d’enfants sont maltraités en France. Les violences physiques, psychologiques ou sexuelles, et les nouvelles formes d’exploitation et de maltraitance, avec l’accès de moins en moins surveillé à internet, sont une réalité quel que soit le milieu social. Les juges sont saisis, chaque année, en moyenne de 110 000 dossiers relatifs à de nouveaux mineurs en danger, dont 35 000 âgés de zéro à six ans. Un enfant meurt de maltraitance tous les quatre jours en France.
La pauvreté touche encore 3 millions d’enfants et 41% de ceux qui vivent dans une famille monoparentale. Plus de 30 000 enfants sont sans domicile fixe. Ces chiffres sont indignes de la septième puissance mondiale, indignes d’un pays qui se targue d’être le « pays des droits de l’homme ».
Chaque enfant a droit au respect dû à sa personne, à une éducation sans violence, à la garantie d’un cadre de vie décent et sécurisant, à des réponses appropriées à ses besoins fondamentaux. Jamais autant qu’aujourd’hui nous avons ressenti que les droits des enfants devaient être protégés et améliorés. La crise sanitaire a montré la grande fragilité de notre jeunesse et l’urgence de l’accompagner par des politiques publiques ambitieuses à la hauteur des enjeux. Investir dans l’enfance doit être une priorité à l’échelle nationale et territoriale.
Cette contribution thématique entend ouvrir la réflexion, au Parti socialiste, sur la question des droits des enfants.
Lutter contre les violences faites aux enfants
En 2018, plus de 52 000 enfants ont été victimes de violences physiques, mauvais traitements ou abandons. On estime qu’ils seraient trois fois plus nombreux à être exposés à des violences conjugales (83% des femmes ayant déjà appelé le 3919 ont des enfants). Dans 93% des cas, ces enfants sont témoins de violences et dans 21,5 % des cas, ils sont eux-mêmes maltraités. 1 enfant sur 10 dit avoir été victime d’inceste au moins une fois dans sa vie. A ces statistiques accablantes s’ajoute le chiffre insupportable de 100 infanticides par an.
Les enfants sont également confrontés à d’autres types de violences. On estime par exemple que plus de 8 000 d’entre eux seraient victimes d’exploitation sexuelle, le plus souvent des jeunes filles entre 13 et 16 ans.
Sur un autre sujet, le harcèlement à l’école toucherait près de 700 000 élèves entre le CE2 et le lycée, soit 9% des enfants et adolescents dans les établissements scolaires. L’impact des réseaux sociaux sur ces générations nous oblige à changer de paradigme pour les protéger.
En 2021 et 2022, les rapports de Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (CIIVISE) et celui de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) sont venus rappeler l’horreur et l’ampleur de la pédocriminalité, que ce soit dans la sphère familiale ou institutionnelle. La CIASE, ou « rapport Sauvé », fait état dans son rapport relatif aux violences sexuelles dans l’Église catholique en France entre 1950 et 2020, de 216 000 victimes recensées de crimes sexuels perpétrés par des clercs, 330 000 si l’on inclut les victimes de laïcs liés à l’Église. La CIIVISE, quant à elle, a affirmé, dans son premier avis, que près de 22 000 enfants sont chaque année victimes de violences sexuelles commises par leur père. Pourtant en 2020, seules 1700 personnes, quel que soit leur lien de parenté avec la victime, ont été poursuivies.
Je vais ainsi soumettre à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à créer une juridiction spécialisée dans le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. L’Espagne l’a déjà fait, avec des résultats probants.
Les défaillances des structures d’accueil des enfants de la protection de l’enfance
L’érosion du nombre de familles d’accueil, le manque de places d’accueil, la saturation quasi permanente des foyers d'accueil d'urgence, une politique de prévention insuffisante, l'allongement indécent des délais de mise en œuvre des mesures éducatives décidées par la justice aggravent le traumatisme des enfants placés.
A cela s’ajoute l’état catastrophique de la pédopsychiatrie aujourd’hui en France. On estime que 32% des enfants accueillis à la protection de l’enfance souffrent de troubles psychiques que la pédopsychiatrie sinistrée ne peut plus accueillir. Un rapport de la Défenseure des droits indiquait que la crise sanitaire avait provoqué un doublement des syndromes dépressifs chez les 15-24 ans, ainsi qu’une hausse vertigineuse des « troubles anxieux » et des « phobies sociales ». Selon le même rapport on dénombre 25 départements non couverts par la pédopsychiatrie ou dotés de service uniquement ambulatoires. Beaucoup de nos régions n’ont pas un seul professeur de pédopsychiatrie, et donc pas de possibilité de former des professionnels. Aujourd’hui on estime qu’au moins 800 postes de pédopsychiatrie supplémentaires sont indispensables au bon traitement des problèmes psychiques des enfants.
Il faut en sus considérer, comme énoncé par la Cour des comptes de 2020, qu’il y a de graves dysfonctionnements dans la politique de l’enfance et une gouvernance trop défaillante entre l’échelon national et départemental. Il y a nécessité d’une planification commune entre l’Etat et les départements.
Des récentes avancées qu’il convient de prolonger
Après une enquête choc de Zone Interdite un plan de lutte contre les violences faites aux enfants était lancé avec des avancées comme l’entretien prénatal du quatrième mois, le renforcement du 119, la création de huit unités d'accueil pédiatriques enfants en danger, ou encore le contrôle systématique des antécédents judiciaires des professionnels au contact des enfants. Le projet de loi relatif à la protection des mineurs, adopté en 2022, a lui aussi permis des avancées, même si les décrets d’application tardent à venir ! Il interdit par exemple d’ici 2024 le placement à l’hôtel des mineurs et jeunes majeurs confiés à l’ASE. Surtout, grâce à mon amendement, la loi entérine la fin des sorties sèches de l’ASE à la majorité, en garantissant un accompagnement pour les 18-21 ans. Dans une proposition de loi, déposée cet été, j’affirmais la nécessité de prolonger ce délai jusqu’à 25 ans pour ne pas laisser nos jeunes majeurs dans des situations d’isolement et de précarité absolues – un quart des personnes sans abri sont des anciens enfants de l’ASE.
Sur le volet de la lutte contre les violences sexuelles et incestueuses contre les enfants, le livre événement de Camille Kouchner a ouvert les yeux à nombre de nos concitoyens et des parlementaires. Ma proposition de loi, déposée en novembre, visant à lutter contre ces violences a pu être adoptée à l’unanimité en première lecture devant l’ampleur médiatique de la parole qui a pu se libérer. Un seuil de non-consentement automatique à 15 ans aux relations sexuelles avec un adulte a été créé, ou encore le seuil de non consentement dans les cas d’inceste a été porté à 18 ans.
La nouvelle législature s’est ouverte sur un nouveau combat pour les enfants qui n’avait pas encore trouvé sa voie, en demandant officiellement la création d’une délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale, une première. Un combat de 20 ans qui a enfin pu se réaliser et que nous devons porter désormais au Sénat.
Il nous faut une politique globale de l’enfance
Une politique d’enfance ne peut être que globale et prendre en compte aussi bien des considérations sanitaires que psychologiques, matérielles, juridiques, économiques ou culturelles. Elle répond à des problématiques du quotidien, mais elle s’inscrit plus largement dans une stratégie globale qui concerne l’ensemble des acteurs de la Nation, aujourd’hui et demain. Plusieurs leviers doivent être actionnés le plus rapidement possible pour assurer que les droits de nos enfants sont respectés partout sur le territoire.
Tout d’abord la protection de l’enfant passe par l’adoption d’un « code de l’enfance » qui doit unifier et clarifier les différentes dispositions éparpillées dans le droit interne et international, et par le rôle des acteurs locaux, comme de l’État, lequel doit être le garant d’une politique nationale de même ampleur sur l’ensemble du territoire. Je défendrai ces positions dans le cadre de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale.
Les enfants en protection de l’enfance, ou plus largement tous les enfants en situation de fragilité, devraient bénéficier d’un accès privilégié au droit commun. Bien souvent, les défaillances du droit commun (absence de prise en charge du handicap, de problèmes psychologiques, d’un décrochage scolaire ou de la grande pauvreté) aboutissent à une prise en charge de l’Aide Sociale à l’Enfance qui aurait pu, en réalité, être évitée. Dès lors il apparaît essentiel de faire de la santé mentale des enfants et des adolescents une grande priorité nationale et par extension s’attaquer à la santé scolaire sinistrée. Cette problématique est accrue par l’état compliqué dans lequel est la pédopsychiatrie depuis maintenant plusieurs années.
Chaque mineur en danger doit être systématiquement assisté par un avocat. Aux termes de l’article 1186 du code civil, lors d’une procédure d’assistance éducative, le mineur capable de discernement peut faire le choix d’un conseil ou demander au juge que le bâtonnier lui en désigne un d’office. Par ailleurs, il importe que le volet civil soit renforcé en moyens, tant au niveau de l’aide sociale à l’enfance (ASE), qu’au tribunal judiciaire. Les conditions de travail des juges des enfants, sans remettre en question leur double compétence au civil et au pénal, doivent être substantiellement améliorées.
La protection de l’enfant passe également par un meilleur accompagnement à la parentalité. La société tout entière - écoles, services publics, secteur associatif et secteur privé - doit mener des actions de prévention, de vigilance et de surveillance, avec l’objectif de ne laisser aucun enfant dans la souffrance. L’école doit être en lien permanent avec les spécialistes de l’enfance, et pourvue d’un référent, luttant contre le harcèlement scolaire et le mal-être. Par ailleurs, l’accès de tous les enfants de moins de trois ans à la crèche ou à la halte-garderie exige une politique ambitieuse concernant ce service public de l’accueil. Enfin, le numérique requiert un encadrement passant par une prise de conscience des acteurs du numérique, l’opportunité pour l’UE d’adopter une réglementation de protection de l’enfance en ligne ou encore une campagne de dissuasion de placer un enfant devant un écran avant trois ans.
Un autre sujet est évidement celui de l’amélioration de l’Aide Sociale à l’enfance. Les lieux d’accueil doivent s’adapter aux enfants, et non l’inverse. « J’ai le droit d’être un enfant ou un adolescent comme un autre », ainsi commence la « Charte des droits des enfants protégés ». Il est essentiel d’éviter toute pratique concourant à la stigmatisation des enfants qui ne peuvent vivre dans leur famille. Il faut éviter les « sorties sèches » du système de l’ASE à 18 ans ou à 21 ans. Ma proposition de loi visant à élargir le système de l’ASE jusqu’à 25 ans va dans ce sens. Sur les 150 000 enfants passant par l’ASE, plus de 60% d’entre eux quittent l’école sans diplôme. Près de 20% de ces bénéficiaires seront sans-abris fixe à un moment donné de leur vie. Ce constat s’explique par la rupture brutale de l’accompagnement à leur majorité. Ils sont ainsi laissés sans ressources, logement, ou aide professionnelle, alors que la moyenne d’âge de l’autonomie est à 23 ans et qu’il faut attendre 25 ans pour pouvoir bénéficier du RSA. Pour ce faire l’Etat doit prendre de véritables engagements financiers envers les départements, qui n’ont à ce jour pas les moyens pour assurer tout le suivi nécessaire.
Il y a urgence à mettre en œuvre une véritable politique publique de prévention allant au-delà des 1000 premiers jours de la vie, comme le préconisait la commission présidée par Boris Cyrulnik. Dès lors s’avère essentiel de déployer, dans l’intérêt des enfants, des actions le plus tôt possible pour tenter d’éviter les dérives à court ou long terme. La prévention doit être le pivot de toute politique publique en direction de l’enfance. Cela suppose de consacrer le temps et les moyens nécessaires, de réaffirmer le rôle central de la protection maternelle et infantile, ce qui aujourd’hui est loin d’être contenté. Il y a dès lors lieu d’envisager de revoir le contenu de la formation initiale des travailleurs. Il convient, pour pourvoir aux 30 000 postes vacants dans tout le secteur public, que dans le secteur associatif intervenant dans la protection de l’enfance, soit mise en place une formation rémunérée durant les trois années d’étude contre un contrat à servir de cinq ans après le diplôme. Il faut d’autre part relever les rémunérations des travailleurs sociaux au-delà de la prime Ségur de 183 euros avec aucun salaire inférieur à 2000 euros.
Je le répète souvent, je l’ai rappelé à plusieurs reprises dans l’hémicycle ou au sein du Parti Socialiste : « nous marchons sur les pas de notre enfance » : garantir les droits de l’enfant c’est sécuriser leur vie d’adulte, leur donner les moyens de se construire ; ce sont des citoyens de demain dont nous parlons ! Le pouvoir politique doit y prendre toute sa part. L’enfance doit être pensée dans sa transversalité, en concertation avec les associations spécialisées et les acteurs et actrices de terrain. Nous le devons à nos enfants !
Les signataires :
Isabelle SANTIAGO Députée du Val-de-Marne, vice-présidente de la Délégation aux droits des enfants à l’Assemblée Nationale et Milan SEN, Daniel ADOUE, Rodolphe AFCHAIN, Marie-José AMAH, Jean-Christophe BEJANNIN, Silvia CAMARA-TOMBINI, Rémi CARDON, Baptiste CHAPUIS, Luc CHARPENTIER, Isabelle DAHAN, Stéphane EXPOSITO, Violaine GILLET, Hélène GLORIA, Yildirim GULSEN, Céline HENQUINET, Louis L’HARIDON, Samira LAAL, Antonin MAHE, Claude MAHIEU, Nathalie MALMBERG, Matthieu MAYER, Olivier NICOLAS, Laurent NOTEBAERT, Nawel OUMER, Estelle PICARD, Claude ROMEO, Thibaud ROSIQUE, Line SOMBART, Joaquim TIMOTEO, Yannick TRIGANCE, Laurence VALLOIS ROUET, Marie VINGRIEF