Paris, le 1er décembre 2024
Monsieur le Premier ministre,
Le 7 juillet dernier, des femmes et des hommes ont fait front pour défendre l’essentiel et empêcher l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Ce fut le Front Républicain, avec une majorité absolue de députés et le Nouveau Front Populaire, avec le plus grand nombre de représentants dans cette Assemblée.
Ces députés, élus par l’élan démocratique du Front Républicain, n’étaient tenus que par une seule promesse, une seule fidélité, un seul engagement : ne rien concéder à l’extrême-droite.
Vous nous aviez annoncé, par ailleurs, une nouvelle méthode de gouvernement, revendiqué une culture, celle du compromis, et fait la promesse de la concertation. Vous nous aviez également indiqué, au moment de son dépôt, que votre projet de budget était « perfectible ». Le vote des Français n’a pas dessiné de majorité claire au sein de l’Assemblée nationale. Nous en avions nous-mêmes pris acte en août dernier dans un courrier signé par l’ensemble des présidents de groupe du Nouveau Front populaire de l’Assemblée nationale et des groupes de gauche du Sénat, en proposant à nos homologues des autres groupes des compromis texte par texte.
C’est dans cet état d’esprit, et dans la fidélité aux engagements pris devant nos électeurs, que nous avons, avec les groupes de gauche mais également en quelques occasions avec d’autres, amélioré votre projet de loi de financement de la Sécurité sociale, guidés par deux préoccupations majeures : exonérer d’effort les classes populaires et les classes moyennes d’une part et mettre à contribution les plus aisés, les très grandes entreprises et le monde de la finance d’autre part. Par ailleurs, vous n’ignorez pas notre souhait d’abroger la « réforme Borne » sur l’âge légal de départ à la retraite.
À aucun moment, vous n’avez donné suite à aucune des propositions de gauche ni à l’occasion du débat parlementaire, ni lors de notre récente entrevue à Matignon. Vous ne nous avez pas autorisés à aller au bout de l’examen du PLFSS à l’Assemblée nationale, ni même à discuter de la partie dépenses du budget de l’État. Nos propositions sont portées, en ce moment même, par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain à la haute assemblée.
Après avoir été contraint à négocier avec votre propre socle commun, qui avait aggravé le déficit proposé par votre budget, vous voici désormais engagé dans des discussions avec le Rassemblement national qui, loin de se borner aux questions budgétaires, cèdent aux plus viles obsessions de l’extrême droite : une nouvelle loi immigration, après la débâcle politique et morale de l’an dernier et une réforme de l’Aide médicale d’État. C’est inacceptable.
Monsieur le Premier ministre, il est manifestement devenu plus convenable de parler avec l’extrême droite qu’avec la gauche. Nous ne pouvons nous résoudre à cela et constater que rien de nos propositions n’a été sérieusement discuté avec nous.
Nous avions pourtant exprimé, dès le début de la CMP sur le PLFSS, nos propositions de compromis, dans l’intérêt des Françaises et des Français. Elles préservaient un niveau de dépenses de la Sécurité sociale pour un montant de 8,06 milliards d’euros (soit 1,2% du budget total de la Sécurité sociale) par rapport aux économies injustes que vous envisagez. Et elles prévoyaient aussi des recettes (pour un montant de 8,14 milliards d’euros par rapport au projet initial). Ces propositions, faites en responsabilité, n’aggravaient pas les déficits publics, et pourraient même le réduire dès lors que des recettes supplémentaires seraient dégagées.
Parmi ces propositions nous vous rappelons notamment :
- Le maintien de l’indexation de toutes les pensions de retraite ;
- L’augmentation du budget de l’hôpital public et de celui destiné aux personnes âgées en perte d’autonomie afin de préserver les moyens de fonctionnement des établissements de santé, des EHPAD et des services à domicile, qui font tous face à une crise systémique ;
- La suppression du déremboursement des consultations médicales et des médicaments ;
- Le maintien de l’article reformant les exonérations patronales ;
- La hausse du taux de la contribution solidarité autonomie (CSA) de 0,3 à 0,45 % (correspondant aux 7 heures de travail non rémunérées actuelles rapportées à la durée légale du travail) ;
- L'assujettissement aux cotisations sociales des compléments de salaire (participation, intéressement, dividendes) pour les 20 % des ménages les plus aisés ;
- L’abaissement du point de sortie du bandeau famille à 2,5 SMIC, contre 3,1 retenu par le Sénat et 3,3 retenu par la Commission mixte paritaire.
Bien qu’examiné plus tard à l’Assemblée nationale, nous croyons nécessaire de vous rappeler également le bloc de nos exigences s’agissant du projet de loi de finances pour 2025. Des propositions qui, là encore, permettraient un budget plus juste et plus équilibré sans peser sur le déficit public avec notamment :
- Le rétablissement de l’exit tax et de l’ISF et le relèvement du taux de la flat tax ;
- La confirmation de l’abandon de l’augmentation des prix de l'électricité voté au Sénat ;
- L’abandon de la suppression de 4 000 postes de professeurs à la rentrée 2025 ;
- L’abandon de tout projet de coupe sur l'Aide médicale d’Etat ;
- L’abandon définitif des projets d’augmentation du nombre de jours de carence et de journées de solidarité des travailleurs ;
- La suppression des économies considérables imposées aux collectivités territoriales et donc sur les services publics du quotidien (crèches, EHPAD, collèges, etc.) et sur la transition écologique (fonds vert notamment) ;
- L’instauration d’une taxation des dividendes excessifs et des superprofits ;
- L’augmentation et l’élargissement de la taxe sur les transactions financières spéculatives ;
- Le passage de la taxe « GAFAM » sur les grandes entreprises du numérique de 3 à 5% ;
- L’instauration d’une taxation à 2% sur le patrimoine des foyers dont le patrimoine net global est supérieur à 50 000 000 euros ;
- L’instauration d’une taxe sur les opérations spéculatives d’achat-revente d’électricité, sur le modèle de la taxe sur les transactions financières.
Monsieur le Premier ministre, nous pensons aux Francaises et aux Francais et à leur vie. C’est pourquoi, en l’état de vos projets, qui ne sont acceptables ni sur le plan de la justice sociale, ni sur le plan de l’efficacité économique et faute de voir nos propositions prises en considération, vous ne nous laisserez pas d’autres choix en engageant le 49.3 que de voter, en responsabilité, la censure de votre gouvernement.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier Ministre, en l’assurance de notre haute considération.
Olivier FAURE
Député de Seine-et-Marne
Premier secrétaire du Parti Socialiste
Boris VALLAUD
Député des Landes
Président du groupe Socialistes et apparentés de l’Assemblée nationale
Patrick KANNER
Sénateur du Nord
Président du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain du Sénat
M. Michel BARNIER
Premier ministre
Hôtel de Matignon
56 rue de Varenne 75007 Paris