Thème : Laïcité
DE LA LAÏCITÉ À L’ISLAMOPHOBIE : QUAND LA FRANCE INSTRUMENTALISE LE VOILE
« Le voile n’a rien à faire dans les compétitions sportives » a déclaré l’actuel Ministre de l’intérieur le 25 mars dernier, lors d’un meeting politique intitulé « Pour la République, la France contre l’Islamisme ».
Depuis plusieurs semaines, ce couvre-chef occupe les esprits et une part démesurée de l’actualité politique. En cause, une « proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport », dont le contenu vise à interdire « le port de signes religieux ostensibles [...] pour la participation aux compétitions sportives organisées par les fédérations sportives et les associations affiliées. » Déposée par le Sénateur Savin, avec pour second signataire Bruno Retailleau lui-même, cette proposition de loi a fait l’objet de vifs débats en séance, avant de voir son contenu adopté en première lecture.
En parallèle, les conclusions de la « Mission flash sur les dérives communautaristes et islamistes dans le sport », dont les rapporteurs ne sont que Julien Odoul (RN) et Caroline Yadan (RE), ont été présentées en chambre basse. Le document, qui tend à généraliser des exemples sans base scientifique ni chiffrée sérieuse, se cantonne à des phrases du type : « [l]es dérives communautaristes et islamistes sont [...] probablement bien supérieures aux estimations ».1
Droite extrême et extrême droite sont rejoints quelques jours plus tard par le Gouvernement lui-même. Outre la menace de démission de Gérald DARMANIN en cas de « mollesse » du Premier Ministre Bayrou sur le sujet, Aurore BERGÉ, Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, s’est illustrée lors d’une séance de questions au Gouvernement, le 18 mars dernier.2 « Il n’y a qu’une seule ligne au sein du Gouvernement [...]. Le soutien à la Proposition de loi [Savin]. Cette ligne est très claire. [A]ucun signe religieux ostentatoire ne doit pouvoir être porté pendant les compétitions sportives. » Et de se contredire une quinzaine de secondes plus tard en affirmant que « la ligne politique est de ne jamais transiger sur les principes Républicains [et] d’assumer un principe de laïcité, qui est un principe de liberté, pas de séparation. »
En France, cette laïcité est protégée par la loi de 1905. Elle consacre la neutralité de l’Etat vis-à vis des religions, neutralité qui s’impose aux agents de l’Etat. En revanche, les usagers du service public – notamment du sport – jouissent quant à eux d’une liberté de conscience.
Ces éléments sont désormais protégés par la Constitution à plusieurs titres :
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- Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, il est indiqué que « [n]ul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».
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- Les premiers mots du 1er article de la Constitution de la Ve République elle-même disposent que « [l]a France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
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- A l’échelle européenne, l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose enfin que « [t]oute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».
Dès lors, en imposant une stricte neutralité aux sportives et sportifs, c’est une vision radicalement différente de la laïcité « à la française » qui est défendue ; défendue par ceux qui prétendent la protéger, qui l’invoquent à tout-va et renvoient constamment à la loi de 1905.
Pourquoi? Le port du voile dans le champ sportif serait non seulement un vecteur de communautarisme et favoriserait le développement de l’islamisme radical, mais représenterait également un moyen d’entrisme religieux. Qu’en dit le terrain ? Qu’en dit la science ?
LE PORT DU VOILE EN COMPÉTITION : VECTEUR DE RADICALISATION ET D’ENTRISME ISLAMIQUE ?
Sur le terrain, les retours d’expérience ne font pas état d’un phénomène rampant, qui tendrait à se généraliser. Cela ne doit pas faire oublier certaines situations problématiques, à traiter au cas par cas. Par exemple :
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- Un arbitre ne saurait porter, dans l’exercice de ses fonctions, un turban religieux. Le principe de laïcité suppose le respect du principe de neutralité pour toute personne, quel que soit son statut, exerçant une mission de service public. C’est le cas de l’arbitre.
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- Une équipe ne saurait procéder, dans le vestiaire, à un rituel collectif de prière d’avant-match. Le contrat d’engagement républicain ne le permet pas.
Du côté des travaux sociologiques, le constat est unanime : si certaines femmes portent le voile, qui plus est dans un milieu propice à la radicalisation, le fait qu’elles viennent pratiquer un sport et qu’elle puisse dans ce sport porter leur voile est au contraire vecteur d’intégration et d’émancipation.
En Norvège, des chercheurs ont montré comment la pratique sportive peut servir de « pont » entre différentes communautés. Pour des femmes issues de minorités (dont certaines musulmanes portant le voile), le fait de pouvoir pratiquer un sport dans un cadre inclusif favorise la confiance en soi et le sentiment d’appartenance à la société d’accueil3.
À partir d’entretiens menés au Royaume-Uni, des chercheurs ont également montré que l’autorisation (ou non) de porter le voile durant l’activité sportive est centrale dans l’acceptation, par les familles, de la participation de ces femmes. Lorsqu’elles peuvent pratiquer le sport en accord avec leurs convictions religieuses, elles y trouvent un espace d’émancipation, de sociabilité et parfois de leadership.4
En d’autres termes, interdire le port du voile dans le sport (aujourd’hui en compétition, demain aux entraînements, etc.) est contre-productif et va totalement à l’encontre des objectifs que se fixent les promoteurs de ces mesures discriminatoires.
L’Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur (IHEMI), rattaché au Secrétariat général dudit ministère, a lui-même reconnu que « [l]es données collectées échouent à montrer un phénomène structurel ni même significatif de radicalisation ou de communautarisme dans le sport [...]. Les associations sportives sont très faiblement touchées, et moins que d’autres types de structures, par le communautarisme ». Il reconnaît par ailleurs que « [l]es radicalisés sont significativement moins sportifs [...] que la population générale » !
Le constat scientifique, les retours de terrain et les chiffres officiels du Gouvernement convergent donc pour affirmer que le voile n’est pas un vecteur d’entrisme religieux dans le sport.
VOILE DANS LE SPORT ET ENTRISME RELIGIEUX : LES RAISONS DU PORTAGE POLITIQUE D’UNE MESURE SCIENTIFIQUEMENT INFONDÉE
Questionné sur l’extension de l’interdiction du port du voile, Jordan BARDELLA répond que lorsque « vous interrogez les français, une majorité est favorable à une extension de la loi de 2004 ».5
En effet, 73 % des Français se disent favorables à l’interdiction du voile lors des compétitions sportives.6 Pourtant, la plupart des «radicalisés » identifiés par l’enquête de l’IHEMI ne pratiquaient pas ou peu de sport.7 Le même rapport conclut que les données collectées ne permettent pas de soutenir un rôle spécifique de la pratique sportive en soi ou de l’association sportive dans la radicalisation. La vingtaine de cas dans lesquels le sport est ciblé concerne de petits groupes formés en dehors des clubs.
Illustration parfaite: en politique, il faut parfois avoir le courage d'aller contre une opinion majoritaire. « En matière de science, l’autorité de milliers d’opinions n’a pas plus de valeur que le raisonnement humble d’un seul individu. »8. Ce n’est donc pas l’opinion majoritaire qui compte, mais bien la preuve et la démonstration rationnelle. Socialistes, battons-nous pour la faire entendre et gagner cette bataille culturelle ! Ces propositions haineuses ont tous les attraits d’un cheval de Troie visant le retour de lois racistes dans la République.
L’INTERDICTION DU PORT DU VOILE DANS LES COMPÉTITIONS SPORTIVE : UN CHEVAL DE TROIE À DÉFAIRE
La « proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport », en apparence focalisée sur la pratique du sport en compétition, pourrait servir de véritable « cheval de Troie » pour intégrer dans la loi française des éléments discriminatoires. En invoquant des principes liés à la neutralité ou à la sécurité dans le domaine sportif pour justifier l’interdiction du port de signes religieux tels que le voile, ce texte tente de créer un précédent dans la loi. Un premier jalon raciste qui permettrait ensuite de s’étendre à d’autres sphères de la société (école, université, espace public), légitimant peu à peu une interdiction générale.
C’est la fenêtre d’Overton. Dans les années 1990, le juriste et lobbyiste américain Joseph P. Overton utilise cette expression pour désigner l’éventail d’idées jugées acceptables par la population : la fenêtre. A l’extérieur, se trouvent les idées perçues comme radicales et donc rejetées par la majorité.
L’une des méthodes visant à faire bouger cette fenêtre (et donc à rendre une idée acceptable ou inacceptable) consiste à exposer régulièrement l’opinion publique à des idées autrefois considérées comme extrêmes, en les rendant plus visibles dans les médias et les réseaux sociaux. Cette exposition répétée peut graduellement normaliser ces idées et les rendre moins choquantes. Elles intègrent progressivement le cadre de la fenêtre. C’est aujourd’hui le cas avec l’interdiction du voile.
« Vive le sport, et donc à bas le voile bien sûr ». Ces mots sont ceux de l’actuel Ministre de l’Intérieur, celui-là même qui doit garantir la liberté religieuse des citoyens français. « À bas le voile ». Etrange ressemblance sémantique au tristement marquant «À bas les juifs » d’Edouard Drumont, antidreyfusard auteur du pamphlet « la France Juive », « candidat antijuif » aux élections législatives d’Alger, figure de l’antisémitisme français.
L’extrême droite dispose désormais d’un boulevard lui permettant de poser les jalons d’une interdiction totale du voile dans l’espace public. C’est en tout cas ce qu’a affirmé Jordan Bardella sur RMC Sport, mercredi 19 mars 2025 : l’interdiction du voile dans la rue, « c’est un objectif à terme », assure-t-il.9 Et après ?
CONCLUSION
Cette contribution vise à une prise conscience de l’importance de combattre cette loi et ces discours de haine discriminants, misogynes et racistes qui marquent, indéniablement, le retour de comportements dignes du régime de Vichy. « Il ne faut pas politiser le sport » proposait Emmanuel Macron en novembre 2022. C’est tout le contraire : une bataille idéologique essentielle s’y joue aujourd’hui. Socialistes, battons-nous ! Rebâtissons une digue républicaine où la science est écoutée, où les juges sont respectés, où les droits sont garantis.
Une contribution à un Congrès socialiste sans citer Jaurès, Blum ou Mitterrand ne saurait exister. Voici donc une intervention trop peu connue de François Mitterrand, prononcée à la mi-temps de la finale de la coupe de France de football, Parc des Princes, samedi 13 juin 1981 :
« Le sport, c'est à mes yeux un projet éducatif. Je souhaite que l'éducation physique et sportive devienne une dimension essentielle de notre éducation. On ne peut pas prendre de risques avec l'équilibre physiologique de nos enfants, nos adolescents, en leur ménageant si peu d'heures d'activité physique chaque semaine quand on les laisse souvent plus de 30 heures assis dans leurs classes.
Le sport, c'est aussi un projet culturel. Nous avons à lutter contre les hiérarchies et les tabous. Notre culture est un tout et je m'émerveille personnellement des capacités d'expression et de création de tant de sportives et de sportifs qui savent nous séduire par la beauté de leurs gestes. »
Le sport doit fédérer, rassembler, à l’image des épopées de nos équipes nationales, olympiques et paralympiques. Donnons-lui les moyens de son action : offrons 1 % du budget de la nation au sport afin de financer gymnases, piscines et stades, ces cathédrales silencieuses qui s’écaillent sous le poids des années. Investissons dans l’avenir, menons enfin la bataille idéologique du service d’intérêt public du sport. Et surtout, laissons les femmes venir comme elles le souhaitent à l'entraînement, aux matchs, vêtues du tissu de leur choix.
1 Mission flash sur les dérives communautaristes et islamistes dans le sport, 5 mars 2025, page 14.
2 Voir https://videos.assemblee-nationale.fr/video.16421519_67d9c37bc1cde.questions-au-gouvernement---mardi-1 8-mars-2025-18-mars-2025
3 Walseth, K. & Fasting, K. (2004). « Sport as a means of integrating minority women », Sport in Society, 7(1), 109-129
4 Kay, T. (2006). « Daughters of Islam: Family influences on Muslim women’s sport », International Review for the Sociology of Sport, 41(3-4), 357-373
5 Voir https://rmc.bfmtv.com/actualites/politique/interdiction-du-voile-dans-la-rue-c-est-un-objectif-a-terme-assure-j ordan-bardella_AV-202503190323.html
6 Sondage CSA pour CNEWS, Europe 1 et le JDD, mars 2025.
7 Rapport IHEMI, « Terrains de radicalisation ou de prévention ? Exploration des radicalisations dans le sport associatif », mars 2022, pages 5-7.
8 Citation attribuée à Galilée
9 Voir https://rmc.bfmtv.com/actualites/politique/interdiction-du-voile-dans-la-rue-c-est-un-objectif-a-terme-assure-j ordan-bardella_AV-202503190323.html
Contributeur.ices :
Simon BLIN Animateur Fédéral JS 41, Ninuwé DESCAMPS Secrétaire Nationale Veille contre l'Extrême Droite, Patrick KANNER Sénateur du Nord, Fatiha KELOUA-HACHI députée de Seine-Saint-Denis, Marc GRICOURT Maire de Blois, Laurence HARRIBEY Sénatrice de Gironde, Christophe PIERCY Conseiller communal délégué de Saint-Denis, Baraka AHAMADA Conseillère municipale déléguée Pierrefitte-sur-Seine, Mehdi CHALAH Conseiller municipal de Roubaix, Zaïnaba SAÏD ANZUM Adjointe La Courneuve
Pauvre Jaurès de voir la capitulation des caciques du ps devant les injonctions identitaires
J’ai honte d’avoir travaillé et voté pour ce parti devenu un proxy de l’extrême droite islamique