Thème : Économie
Les 25-27 novembre 2022 se tiendra à Madrid le XXVème Congrès de l'Internationale Socialiste, dans un le contexte d’une économie mondiale qui génère des inégalités, des guerres, des famines, des pandémies, des reculs démocratiques et des droits humains, en particulier des droits des femmes, et une dérégulation économique et climatique. L’urgence de construire un autre monde devient de plus en plus pressante. Alors que les mouvements altermondialistes s’essoufflent, la nouvelle direction de l’internationale socialiste est attendue pour porter des alternatives au système économique mondial néolibéral et néocolonial.
Comment se fait-il que depuis la pandémie, le monde compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures, alors que 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté Comment se fait-il que des multinationales puissent poursuivre des gouvernements pour avoir changé leur législation, devant des cours d’arbitrage privé, et que ces pays soient condamnés à payer des dommages et intérêts à ces entreprises avec l’argent du contribuable? Pourquoi, avec plus d'un milliard d'habitants, les africains sont considérés comme étant la population la plus pauvre du monde alors que l'Afrique reste le continent le plus riche au monde en termes de ressources naturelles? Comment le Niger peut-il être le 3e pays au monde exportateur d’uranium et en même temps l’un des plus pauvres ? Comment le Franc CFA peut-il encore être dans les pays d'Afrique de l'Ouest et centrale la monnaie à parité fixe avec l’euro dont la valeur est garantie par le trésor français (la banque de France conservant les réserves d’or des pays membres)? Quand on connaît les niveaux de croissances démographique et économique de ces pays, comment est-il possible que la production de richesse nationale soit encore captée par des intérêts étrangers, notamment des multinationales françaises dans la construction (Bouygues, Lafarge, Vinci...), la gestion d’infrastructures (les télécom gérés par Orange, les ports par Bolloré), la grande distribution (Auchan, Carrefour), l’exploitation des ressources (Orano au Niger, Total au Gabon…) et la finance (BNP Paribas, SG…)?
Souvent réduit à une doctrine raciste contraire aux droits humains, le colonialisme est en réalité un système qui préconise l'établissement et le développement de pays dépendants considérés comme sources de richesse et de puissance pour la nation colonisatrice. Les compagnies coloniales, comme La Compagnie des Indes, qui hier organisaient l’exploitation des ressources - humaines (esclavage, etc.) et naturelles (minerais, pétrole, etc.) pour le compte de puissances colonisatrices, ont laissé place aujourd’hui à des multinationales qui échappent en partie au contrôle direct de ces pays mais perpétuent la tradition de prédation des ressources. Le clan des plus puissants s’est élargi à des puissances émergentes - en témoignent l’entrée du renminbi chinois dans le panier du Droit de tirage spécial (réserve internationale complémentaire dans le cadre du système de parités fixes de Bretton Woods) en 2016 et de la chine comme membre ad hoc du Club de Paris.
La dépendance des pays dits “en développement” est désormais organisée et maintenue par un système économique mondialisé - notamment autour des dynamiques Nord-Sud de la dette, mais également des règles humiliantes des traités d’investissement et de systèmes de prix de matières premières trop bas, à la merci de marchés volatiles, qui ont un effet mortifère sur les revenus des Etats et des populations fragiles des pays du Sud.
Parfois héritées d’accords de décolonisation, les dettes des pays du Sud les étouffent. Loin des discours démocrates sur la réappropriation de leur avenir, elles les privent de leur souveraineté en matière économique, le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (BM) -et à travers eux les pays créanciers, leur imposant, à travers la conditionnalité, des politiques d’austérité qui les enferment dans le cercle vicieux de la dette et de la pauvreté. S’y ajoute le poids du remboursement de la dette et de ses coûts - commissions traditionnelles, des frais de service commissions “additionnelles”, opaques et punitives, prélevées sur les pays dont l'encours de la dette auprès du FMI est déjà élevé, et dénoncées par Kevin P. Gallagher et Joseph Stiglitz
. Ces politiques d’austérité (réduction des coûts et donc des services publics pour réduire les dépenses de l’Etat) et cette mondialisation imposée, qui impose des importations coûteuses et des exportations à bas prix, leur empêche tout développement humain, alors même que l’accès à l’eau, à la santé, à l’éducation, à l’alimentation y sont un défi quotidien. Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), le réchauffement climatique, la pandémie et la guerre en Ukraine ont fait prendre 40% aux cours des produits de base en 2 ans. Rien que l’année dernière le blé, l’huile de palme et le blé ont pris 19% en Afrique.
Au-delà de la pauvreté qu’elles génèrent, ces politiques économiques d’austérité sont inefficaces à réduire la dette, comme le démontre l’impossibilité des pays sous perfusion du FMI à sortir de la dépendance vis-à-vis du Fonds. Depuis plusieurs années, les risques pour la viabilité de leur dette augmentent tandis que la nature de la dette des pays en développement devient de plus en plus complexe et les créanciers traditionnels sont rejoints par de nouveaux prêteurs - puissances émergentes et créanciers privés .
De nouvelles politiques de réduction de la dette doivent être envisagées. Le Portugal a réduit son déficit à 2,1% en 2016, bénéficie d'une des meilleures croissances de la zone euro, a vu son chômage baisser, en rompant avec des politiques d’austérité que préconisait la commission européenne (baisse des dépenses publiques, réformes structurelles du travail visant à assouplir les droits des salariés, baisse des protections sociales) qui avaient eu pour conséquence une augmentation sans précédent du chômage”. Au contraire, la politique anti-austéritaire à choisi la relance par la demande : le salaire minimum a été augmenté, comme les retraites et allocations familiales, le renforcement du droit du travail, les baisses d'impôts pour les salariés les plus modestes, l’arrêt des privatisations de services et d'infrastructures publics, et un programme de lutte contre la précarité. Un autre modèle économique, qui permette d’améliorer les conditions de vie et de faire baisser la pauvreté, tout en améliorant la situation économique et en réduisant durablement les déficits, existe. Ce que nous dit le modèle portugais, c’est qu’un autre modèle économique est possible.
Au-delà du changement de paradigme, se pose la question de la gouvernance. Qui décide au Fonds Monétaires International? Les Etats actionnaires - mais la structure de gouvernance ne reflète pas les équilibres financiers ou économiques mondiaux. Ils reflètent encore ceux des puissances coloniales : dans le board du FMI, qui décide des politiques d’austérités néolibérales imposées aux pays du Sud, un directeur représente 23 pays africains, un autre représente la France, un 3ème la Grande Bretagne, etc. Lorsque les pays les plus durement touchés par la Covid et les moins en capacité à y répondre, en termes d’infrastructures de santé, se sont trouvés au bord du défaut de paiement, c’est au niveau du G20, le club des 20 pays les plus riches de la planète, et du Club de Paris, le club des pays créanciers, que les discussions de sont tenues - l’issue prévisible n’était pas favorables aux pays débiteurs qui, tandis que les morts se comptaient par milliers, n'obtiennent souvent que des suspensions de paiements de dettes dont les intérêts courent toujours. Quant à l’aide au développement, c’est au G7, le club des 7 pays les plus riches, et à l’OCDE, qu’elle est le plus souvent discutée - la plupart du temps, sans impliquer les pays et populations bénéficiaires.
Les structures de coopération autour du règlement des crises de dettes demeurent donc intergouvernementales (Club de Paris, FMI, G20). Elles sont inefficaces, car elles sont incapables de réguler les créanciers privés. Elles sont néocoloniales, dès lors que les décisions prises par les grandes puissances économiques sont imposées aux pays créditeurs (pays du Sud).
Antonio Gutierrez est bien seul, lorsqu’il appelle de ses vœux une réforme de l’architecture mondiale à travers une nouvelle structure véritablement multilatérale (1 voix = 1 Etat) plus égalitaire et plus démocratique, qui rassemble tous les États créanciers et créditeurs, mais également tous les États en capacité de réguler les créanciers privés. Ce nouveau cadre multilatéral onusien permettrait la mise en place d’un cadre de règlement des crises de la dette et des politiques de régulation fermes, volontaristes, durables et concertées entre le Nord et le Sud.
Si ce système mondial néocolonial relève d’un statut quo défendu par les grandes puissances économiques, ce sont des intérêts financiers privés qui en sortent grands gagnants.
De la spéculation sur les marchés de matières premières à la captation des actifs des Etats bradés dans le cadre des campagnes de privatisation qui accompagnent les politiques d’austérité imposées par les créditeurs, de la captation de l’aide au développement dont une part de plus en plus importante est désormais octroyée sous forme de prêts, d’investissements ou de garanties d’investissements irriguant des profits privés, voire de remboursement de dette déguisée en Aide pour le développement (APD), la captation des ressources mondiales au profit d’une élite économique mondiale échappe à la redistribution face à l’évasion fiscale et nourrit les inégalités mondiales. Des militants de la transparence financière ont porté en justice le scandale des biens mal acquis là où les intérêts politiques se mêlent aux intérêts économiques d’une petite élite (notamment par les présidents congolais Sassou et gabonais Bongo). Dans le sillage des lanceurs d’alerte des années 1990/2000, des journalistes d’investigation ont révélé des fraudes fiscales massives à l’échelle mondiale (Panama, Pandora papers, LuxLeaks, etc.).
À l’image des asymétries de pouvoir du commerce international, les gouvernements français apparaissent tantôt laxiste avec les multinationales, comme avec Lafarge (qui plaide coupable d’avoir financé Daesh en Syrie), tantôt rigide avec les OSC/ONG (dont 40 organisations ont déposé des recours au Conseil d’Etat contre le criblage des bénéficiaires de l’APD), face au terrorisme, qui prospère sur la désespérance et les traffics d’êtres humains, de drogues et d’armes. La réponse sécuritaire va de pair avec l’affirmation démocratique, la capacité économique, les souverainetés monétaires, sanitaires et alimentaires, la propriété foncière et, par conséquent, le développement. Alors quel bilan tirer des OPEX (donc de la présence militaire française) et dans le même temps des coopérations du G5 Sahel ? Après 9 années d’opérations militaires, lors desquelles 58 soldats français ont perdu la vie, les dernières troupes de la mission Barkhane ont quitté le Mali le 15 août. Un mois plus tard, on dénombrait déjà deux fois plus de victimes civiles de l'insécurité au Sahel en neuf mois qu'au cours de toute l'année 2021, soit 3600 morts.
Si cette mondialisation fait froid dans le dos, la “démondialisation” prônée par certains n’apporte aucune réponse. Lors de la crise de 2007, le décalage criant entre le niveau de régulation financière (au niveau national) et le niveau auquel les banques et multinationales opèrent (mondial), expliquait largement l’incapacité des gouvernements à réguler et leur faiblesse face aux acteurs privés internationaux. La construction d’une architecture financière européenne dont l’ambition de départ à été malheureusement entachée par des Etats européens manquant d’ambition, est née de ce constat. Des Etats faibles et des multinationales fortes: c’est également le dessein d’un libéralisme débridé qui sert des intérêts privés au détriment de la survie d’une partie de l’humanité, qui se trouve essentiellement dans les “Pays du Sud”. La capacité des dirigeants des puissances impérialistes du Nord et des citoyens qui les élisent à tolérer les famines et les ravages d’un changement climatique (qui frappe inégalement la population mondiale) dans le sud, la capacité des “démocraties” à tolérer les persécutions et les violations des droits humains dans des pays qui répondent à des intérêts économiques de leurs multinationales, trahissent la persévérance de dynamiques de domination économique et raciale, à l’intersection du racisme et du libéralisme économique.
Pour nous, socialistes et internationalistes, il est temps de répondre à cette souffrance mondiale par une vision progressiste humaniste, féministe, anti-raciste et solidaire: celle du dépassement des intérêts privés et nationaux, à travers une décolonisation de l’économie mondiale. Elle implique de revenir à un choix fondamental : la marchandisation des biens communs ou le partage des ressources mondiales pour rendre un avenir commun possible. Quels sont les biens communs de l’humanité, que nous voulons voir sortir de ce système mondialisé de captation des ressources? Olivier de Schutter, rapporteur spécial de lʼONU, rappelait récemment que 50 millions de personnes menacées de famine, plus de 820 millions victimes de malnutrition avant de conclure: « Lʼidée que la nourriture est une marchandise comme une autre a fait son temps ». Il en va de même de l’accès à l’eau, de l’environnement, de la biodiversité, des droits humains, de l’accès à la nourriture, à la santé, au logement, à l’éducation. Mais cela ne se fera pas sans avoir le courage et l’ambition de décoloniser l’économie mondiale pour préserver et partager les richesses mondiales.
Signataires :
Cécilia Gondard (FFE), Dylan Boutiflat (45), Jean-Philippe Berteau (FFE), Frédéric Orain (41), Omri Schwartz (92), Lou Bachelier-Degras (75), Alexis Lefranc (92), Sylvain Thialon (78), Dieynaba Diop (78), Béatrice Bellay (972), Kadiatou Coulibaly (75), Cédric Givaudan (FFE), Maxime CLAM (38), Philippe Garbani (FFE), Theo Chino (FFE/SDA), Sam Arsac (FFE)