Déconstruire des représentations pour lutter contre la reproduction des inégalités : constats et propositions de formation continue


Thème : Formation continue des enseignants


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Le système scolaire actuel, malgré l’engagement, les valeurs et le professionnalisme des enseignants, est une immense machine au service de la reproduction des inégalités sociales, économiques et culturelles. C’est vrai depuis le début de l’école républicaine malgré les politiques d’uniformisation des parcours scolaires (la réforme Berthouin en 1959 et la réforme du collège pour tous en 1973 notamment), qui montrent que les déclarations d’intentions, passent-elles par la loi, ne construisent pas l’égalité réelle.

Revenons sur quelques points qui, de génération en génération, servent la reproduction. Concept approuvé par la recherche sur les inégalités sociales mais également sur les inégalités liées au genre, ou au parcours de vie. Comment accueillir et faire réussir tous les élèves dans l’école publique ?

  • L’enfance pauvre, les filles / les garçons, la diversité des familles. Qu’est-ce qu’un·e élève éloigné·e de l’école ? Comment prendre en compte les enfants réels sans les stigmatiser ?

Les enfants arrivent à l’école avec leur histoire et celle-ci les place parfois loin, très loin de la culture et de la norme scolaire. L’école, malgré ses intentions affichées, n’offre pas un espace d’accueil suffisamment souple au regard de l’hétérogénéité des publics. La co-éducation pourrait être une réponse à l’incompréhension qui marque la scolarité des élèves et de leurs familles : comment comprendre les attendus, les codes et les implicites d’un système qui semble taillé pour la réussite des élèves dont les familles sont déjà bien informées ? On ne peut pas laisser les familles seules face aux implicites de l’école, d’autant que les familles favorisées, elles, maîtrisent très bien les codes, les stratégies et « rentabilisent » l’école publique. Il faut donner des moyens humains supplémentaires à chaque école comme « un enseignant supplémentaire dans chaque école », dispositif mis en place à la rentrée 2013, et n’envoyer de grands débutants en REP ou REP+ que sur leur adhésion à ce projet.

  • La classe, un espace de rencontre de toutes les dominations : sociales, culturelles, de genre. Comment se construisent les inégalités dans la relation d’apprentissage et dans la classe ?

Les gestes professionnels des enseignants, malgré leur engagement et leur conviction, participent des relations de domination construites dans la société. Ainsi la distribution de la parole, la valeur des commentaires, l’organisation pédagogique, l’invisibilisation de certains élèves, contribuent à hiérarchiser les élèves et à organiser des parcours différenciés en lien avec l’origine sociale et/ou le genre. Les élèves peuvent être parfois plusieurs fois dominés : socialement, par le genre, voire par le handicap. Ainsi l’orientation, le choix d’entrer par défaut en lycée professionnel ne valorise ni les lycées professionnels ni les élèves qui y arrivent. Au mieux, ce choix alimente un bassin d’emploi selon la logique du gouvernement actuel. Les élèves issus de milieux populaires et les filles vivent sous la menace du stéréotype tout au long de la scolarité. La menace du stéréotype est la perception qu’ont les individus d’eux-mêmes en situation d’apprentissage ou d’évaluation. Ils ont intégré les stéréotypes liés à la classe sociale ou au genre et répondent ainsi à ce qu’on attend d’eux.

Exemple : moindre réussite des filles quand le test est annoncé en mathématiques alors qu’il est massivement réussi quand il est annoncé en dessin.

  • Coopération vs compétition. Quels choix pédagogiques égalitaires ?

L’École organise la mise en concurrence des élèves par certaines pratiques pédagogiques, par l’évaluation, par les filières sélectives, par les jeux de carte scolaire. À cela vient s’ajouter la concurrence du privé qui renforce l’idée de la nécessaire formation d’une élite. De nos jours l’Ecole organise une sécession d’une partie des siens : les pauvres, les migrants, les filles, les personnes handicapées n’ont pas toute leur place dans le système actuel. Cette compétition n’est pas hors-sol. Elle est une valeur promue par notre société : produire des classements (tellement simple avec les notes), mettre les enfants en compétition, organiser des hiérarchies. Une forte représentation stipule que plus les individus seront en compétition plus ils seront performants. Alors que la compétition organise les peurs et les concurrence, implique l’exclusion et finit par favoriser les élèves dont les familles sont proches du système scolaire. Au contraire, la coopération, la fraternité vont entraîner les élèves à travailler ensemble, à se comprendre, à s’entraider et à acquérir un haut niveau de compétences (contrairement aux idées reçues stipulant que la coopération ou l’adaptation à tous les publics ferait baisser le niveau).

Cette approche est malgré tout présente dans les formations des enseignants depuis notamment le quinquennat Hollande mais il n’y a plus de vrai réforme ou avancées sur le sujet depuis (ex : l’utilisation des compétences qui devaient être étendue au lycée après 2017 et qui a été abandonnée)

  • Le mérite, une fausse bonne idée. Accord ou dissonance avec le projet républicain ?

L’école, sous prétexte de stimuler les élèves met en place un système basé sur la valeur de l’effort individuel. C’est faire porter une lourde responsabilité à l’élève et à sa famille alors que bien d’autres facteurs entrent en jeu. L’idée de mérite est construite sur la réussite individuelle ; celle-ci est étroitement liée à une idée de soumission, loin de l’idée d’une école au service de la construction et de l’émancipation. On peut néanmoins imaginer que le mérite, à condition que son utilisation ne soit pas faite de manière simplificatrice, puisse soutenir les élèves dans leur effort et laisser entrevoir la mobilité sociale.

Le mérite républicain est donc parfois trompeur. Il suppose que l’institution et le droit à la scolarité obligatoire étant déjà là, la réussite s’impose, il n’y a plus qu’à faire « pousser » les enfants de la République. C’est oublier qu’apprendre se fait dans un contexte social qui maintient actuellement la hiérarchie sociale et les inégalités.

  • Le travail d’équipe dans l’école. Comment construire une culture professionnelle pour combattre plutôt que gérer les inégalités ?

Le travail d’équipe est essentiel à la prise en charge de la démarche d’apprentissage. Sans temps ni espace pour travailler à la complexité des dispositifs (faire réfléchir les élèves tout en les accompagnant), les enseignants ne peuvent pas suffisamment prendre en charge la diversité des élèves. Un bon enseignant est celui qui a un haut niveau de compétences théoriques (disciplinaires et sur la pratique) et un haut niveau de connaissances pratiques (analyse de pratiques, ajustement, évaluation, remédiation). Un bon enseignant ’est également un expert de la relation. Relation à l’apprentissage et relations aux familles. Une formation initiale et continue de grande qualité est la condition d’une expertise professionnelle, d’un questionnement qui enrichit et permet d’évoluer et d’agir en fonction de toutes les situations rencontrées ; c’est-à-dire de n’écarter aucune famille, aucun élève. On pourrait imaginer, qu’à un moment de sa carrière un enseignant, aille dans un autre environnement professionnel et bénéficie d’un temps de formation continue long.

Le travail d’équipe a besoin d’être soutenu, reconnu et valorisé par la chaîne hiérarchique. Un bon travail d’équipe nécessite une forte présence adulte. Il faudrait peut-être repenser le schéma « un enseignant / une classe ». Il faut concevoir une école avec non seulement un enseignant par classe, mais également un enseignant supplémentaire par cycle, des personnels administratifs, des personnels spécialisés, des personnels de la sphère médico-sociale, des AESH pour tous les élèves qui en ont besoin.

  • Le rapport au savoir. Comment penser la difficulté scolaire ?

Les équipes enseignantes ont besoin de relais. C’est la mission des Rased et du médico-social ; or, tous ces dispositifs sont loin, très loin d’être d’assurer leur mission de santé publique et de réussite de tous. On sait bien que la meilleure aide est celle donnée dans la classe, pourtant parfois elle n’est pas suffisante.

Les équipes ont besoin de se former pour prendre conscience que la difficulté vient notamment d’une attente excessive d’acquisition et de mobilisation « efficace » des savoirs enseignés et non pas de la « faiblesse » des élèves

 

Conclusion

L’École de la République devrait avoir comme mission première de n’écarter personne et d’être animée par la conviction que tous les élèves peuvent accéder à une formation de qualité et à des savoirs trop souvent réservés aux familles favorisées.

L’École républicaine doit définir une politique volontariste pour s’emparer des inégalités scolaires : formation, moyens humains, scolarité longue, programmes allégés au profit des compétences du socle.

Enfin, l’École doit être obligatoire le plus longtemps possible afin d’offrir à chacun et chacune le temps de se construire intellectuellement, sans doute avec des formes adaptées pour prendre en compte les besoins singuliers.

La formation est la clef de voûte de l’enseignement et le garant d’un service public de qualité pour toutes et pour tous. Les enseignants doivent bénéficier d’une formation initiale et d’une formation continue de qualité : les contenus d’enseignement, la grande diversité des publics, le travail en équipe mais aussi la compréhension des situations d’échec, tous ces sujets doivent faire l’objet de réflexions et de formations.

L’accès aux recherches en éducation doit être une évidence tout comme l’institutionnalisation d’espaces de parole pour prendre du recul sur les situations délicates, les analyser et les transformer en expérience structurante. Les enseignants devraient pouvoir faire appel à des formateurs et éventuellement pouvoir s’engager dans la recherche. La formation continue est d’une extrême pauvreté aussi bien en nombre d’heures (18h annuelles dans le premier degré) que dans les contenus proposés. Ce n’est pas nouveau. Mais ce qui l’est, c’est le recentrage quasi exclusif sur les fondamentaux (mathématiques et français) depuis 2017.

On ne peut pourtant ignorer les besoins de formation en EMC (Éducation Morale et Civique), en histoire ou en géographie, pour ne mentionner qu’eux. Les enseignants doivent pouvoir se rencontrer, échanger sur leurs pratiques, les questionner, construire de nouvelles compétences.

L’École publique ne peut être laissée dans l’état d’abandon où elle est actuellement. Elle est le passage de tous les jeunes (nous parlons du premier degré). Le pays se doit de donner à celle-ci les moyens d’être une école exigeante, accueillante pour tous les publics, qui lutte véritablement contre les rapports de domination et contre la reproduction des inégalités. Il est essentiel de reconnaître que malgré tous ces dysfonctionnements l’engagement des enseignants fait fonctionner l’École.

Nous avons besoin d’une École qui s’engage pour une véritable démocratisation de l’accès au savoir, démocratisation qui ne peut se réduire à une massification quantitative.

Transformer l’École pour lutter contre les inégalités scolaires qui se transforment en inégalités sociales et faire réussir tous les élèves exige des savoirs professionnels, didactiques et pédagogiques de haut niveau. C’est pourquoi la formation continue des enseignants doit être repensée.

 

Mesures pouvant servir de base à un projet programmatique

  • Mettre en place une formation continue de qualité, avec un nombre d’heures conséquent, qui permettent aux enseignants et aux équipes de maintenir leur niveau de connaissance didactique et pédagogique, de se retrouver, d’échanger sur leurs pratiques, d’avoir le temps de réfléchir, d’intégrer éventuellement la recherche, d’avoir un regard critique sur leurs gestes professionnels et de les faire progresser.

  • Proposer des thèmes de formation qui correspondent aux besoins du terrain : diversité des publics, prise en compte des difficultés scolaires, accompagnement des élèves les plus en difficulté, accompagnement des familles.

Outre la formation continue, voici des propositions qui pourrait faciliter la prise en charge de la difficulté scolaire :

  • Prévoir un enseignant supplémentaire dans chaque école. Il aurait un temps de travail organisé au service des apprentissages soit en co-intervention dans une classe soit sur des interventions ciblées auprès de petits groupes d’élèves.

  • Envoyer seulement les grands débutants volontaires en REP ou REP+

  • Reconnaître la mission des AESH comme un métier, revaloriser leur salaire, en embaucher autant que nécessaire (en fonction des reconnaissances MDPH)

  • Revoir la politique des RASED (Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté) dont de

    nombreuses écoles sont dépourvues.


Signataires :

Véronique Stéphan, section du 15e arrondissement de Paris (75)

Anne Soleilhavoup


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