Défense européenne


Thème : Défense conventionnelle et dissuasion


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Défense conventionnelle européenne et dissuasion nucléaire

Les industries militaires et tous leurs sous-traitants sont concernés au premier chef dans ces domaines mais il y va d’abord de l'existence et de la prospérité de notre démocratie républicaine.

Les secteurs nucléaire, aéronautique et aérospatial sont présents au sein de la CNE. Ses experts souhaitent éclairer la réflexion de nos camarades élus ou responsables politiques sur ces sujets dont ils peuvent ne pas avoir la possibilité d’en appréhender tous les aspects Défense. Le CEA notamment, acteur principal dans la production et le maintient « en état »de la dissuasion nucléaire française, sera fortement impliqué dans la stratégie de Défense de l'UE.

 

Pas plus que les américains nous n’utiliserions aujourd’hui le nucléaire pour stopper une invasion conventionnelle des Pays Baltes, non plus que de l’Allemagne !

Nous n’utiliserions pas non plus le nucléaire pour une attaque ne comportant que l’utilisation d’armes nucléaires tactiques par l’adversaire (de 1 à 10kt) car nous ne disposons plus d’arme nucléaire de ce type.

Faut-il en produire à nouveau ?

Dans sa conception de la dissuasion nucléaire, le général de Gaulle n’excluait pas le recours à des armes nucléaires tactiques, de portée (<150 km pour les .Plutons) et de puissance limitée (de l’ordre de 15 kt). Ces armes (Plutons puis Hadès) ont été déployées au sein de régiments constitués de véhicules lanceurs jusqu’en 1997. Elles ont été supprimées car la théorie française de la dissuasion repose désormais sur l’impossibilité d’une guerre nucléaire !

L’idée qui prédomina alors était qu’un ennemi serait d’avantage dissuadé par une menace de riposte apocalyptique d’une dissuasion nucléaire stratégique que par du nucléaire tactique. Cette théorie du pire a effectivement été suffisante pour empêcher jusqu’à aujourd’hui un affrontement nucléaire entre Pays dotés.

 

Cependant, la guerre en Ukraine nous alerte sur le fait qu’un Pays doté puisse abuser d’une force conventionnelle puissante pour asservir des Pays non dotés, sous la protection de sa propre dissuasion nucléaire stratégique. Si, comme cela est le cas à propos de la guerre impérialiste de la Russie contre l’Ukraine, les forces conventionnelles d’un Pays agressé et de ses alliés ne sont pas suffisantes pour stopper un envahisseur, plus rien ne peut s’opposer à lui car le concept de la dissuasion du tout ou rien peut jouer à l’inverse de ce qui est son rôle :il dissuade tout Pays doté, allié de l’agressé, d’intervenir et donc de se mettre en danger !

Même en mettant les choses au mieux, c’est-à-dire que l’agresseur soit contrarié dans ses projets par une force conventionnelle suffisante (par exemple une force européenne de Défense conventionnelle venu au secours de l’Ukraine), il est hautement probable que l’agresseur ait recours à du nucléaire tactique pour reprendre l’avantage. Nous savons aujourd’hui que Poutine voulait le faire lorsqu’il s’est trouvé en difficulté à Kherson ! La dissuasion nucléaire stratégique française n’aurait sûrement pas été utilisée pour riposter à du nucléaire tactique ! Pas plus que par les américains dont il est clair aujourd’hui qu’ils n’utiliseraient aucun moyens susceptibles de les exposer sur leur propre territoire.

 

Face au danger que représente aujourd’hui la Russie et au repli américain, il est légitime de s’interroger urgemment sur l’opportunité de reconstruire une force nucléaire tactique, voir de la renforcer par rapport au concept encore en vigueur jusqu’en 1997. Nous en reviendrions ainsi au concept gaullien de riposte graduée.

Cette force défensive, utilisée sur le champ de bataille ou immédiatement sur ses arrières, en cas de dépassement d’un certain stade d’extrême danger pour nos intérêts vitaux (par exemple l’envahissement de l’Allemagne), outre qu’elle stopperait l’agresseur, constituerait un « ultime avertissement » qui viendrait renforcer la crédibilité de notre dissuasion nucléaire stratégique en insinuant plus encore le doute sur nos réticences à l’utiliser.

La décision d’emploi restant française, dans le cadre d’un accord européen à mettre au point.

La rétablir dans le cadre d’une dissuasion renforcée, pourrait amener à produire (en s’appuyant sur notre expérience passée) une arme pré-stratégique d’une puissance de l’ordre de celle produite à Hiroshima (15 kt) .

Elle nous mettrait probablement sur un pied d’égalité avec ceux qui les possèdent (la Russie de par sa conception de l’utilisation du nucléaire) ou qui seraient en train de les mettre au point. Un accord international devrait être conclu à ce sujet. En reconstruire ne doit pas traduire un changement radical de doctrine revenant à accepter une nucléarisation d’un conflit. Cela ne doit pas donner un feu vert pour une première utilisation insuffisamment justifiée!

 

En outre, l’arsenal de protection pourrait être complété par la production d’une arme neutronique (arme tactique à rayonnement renforcé avec effets létaux sans dommages mécaniques importants) pour arrêter les armées de l’agresseur sur le territoire envahi (ceci implique que les populations directement menacées soient évacuées devant la progression de l’envahisseur). La réversibilité des conséquences engendrées vis-à-vis des populations civiles et de leurs équipements peut légitimer l’utilisation d’une telle arme.

Les armes nucléaires tactiques françaises devront être exclues de toute utilisation offensive. Leur vocation strictement défensive, affichera l’engagement de la France de ne pas être première utilisatrice de ces armes. Elles peuvent permettre d’éviter l’ultime catastrophe de l’utilisation du nucléaire stratégique qui relève plus de la vengeance que de la raison ! L’annonce par la France de leurs rétablissements serait, à elle seule, un pas de plus vers la crédibilité de la dissuasion française !

 

Un pré positionnement d’armes nucléaires françaises dans des Pays de l’UE ne changerait rien à la dissuasion ! Nos armes actuelles sont toutes stratégiques (de 100 à 300 kt) et absolument pas adaptées à une intervention sur le champ de bataille. Si nous devions en revenir à une riposte graduée avec du nucléaire neutronique et/ou tactique, le fait de ne les utiliser qu’à des fins défensives pour défendre nos intérêts vitaux rend superfétatoire leur stationnement hors du territoire national.

C’est pourtant une situation qui ne semble pas interroger les USA puisque leurs armes nucléaires disposées dans les Pays de l’OTAN sont stratégiques (de l’ordre de 300 kT). A moins que cela ne signifie que les USA n’aient aucune intention de les utiliser, à tout le moins dans des conditions qui les exposeraient à une riposte sur leur territoire!

La meilleure réponse à une menace impérialiste de la Russie serait de constituer une force européenne conventionnelle supérieure à la sienne qui suffise à la dissuader d’agresser un Pays de l’UE. Si malgré tout une armée russe envahissait un Pays de l’UE et utilisait du nucléaire tactique, notamment pour se dégager d’une situation d’échec afin de reprendre son agression, alors nous pourrions menacer de légitimer une réponse nucléaire pré-stratégique (ultime avertissement) sur ses arrières afin de faire cesser l’agression. Cela permet de se dispenser de plus de précisions sur une éventuelle couverture nucléaire Française.

La répartition des charges financières des forces conventionnelles et nucléaires de dissuasion devrait tenir compte du coût (production, maintenance et maintien d’un haut niveau technologique) de la dissuasion nucléaire pour le RU et la France.

 

Quelle armée européenne ?

Pragmatisme d’abord ! Urgence ensuite.

Il est plus facile de concevoir une armée confédérale que fédérale (compte tenu du nombre de Pays avec leurs langues et leurs cultures). Une organisation, type OTAN, ramenée à une dimension européenne (excluant les membres de l’UE « proxis » du Kremlin) peut être une solution. Cela n‘empêcherait pas des accords de défense avec d’autres Pays, notamment de l’ex OTAN.

Une telle armée est présentement inconcevable sur une idée fédérale. L’OTAN a fort bien fonctionné sur une forme confédérale. La future alliance au sein de l’UE doit se renforcer de l’acceptation des peuples au sein d’Etats forts avec un ressenti identitaire important (conditions à la conjugaison efficaces de forces nationales) ; le système confédéral est le mieux approprié pour répondre à cet objectif.

Une attention particulière devra être portée à une forte intégration des champions industriels de l’UE de niveau mondial (type Airbus) afin d’arriver à rationaliser l’effort d’armement, pour atteindre le niveau des armées américaines ou équivalentes. Trop de segmentation nuirait à l’efficacité opérationnelle. La préférence européenne doit être la règle.

Certains moyens, aériens, maritimes, espace et cybers pourraient être mutualisés.

Ceci implique de s’affranchir des réseaux américains de communication, tout en prévoyant des échanges d’information au cas où nous resterions alliés.

Un programme commun devra être développé. Pour les armées de terre, chaque Pays devrait fournir des régiments et divisions au prorata de ses moyens avec un commandement suprême unique basé sur le modèle OTAN.


Contributeurs : Marcel VILLENEUVE (secteur nucléaire, ancien directeur au CEA), Yves BEGUIN (secteur spatial, ancien directeur de la Fédération Astronautique Internationale), Christian VELY, Patrick ARDOIN, Jean-Marie MARIANI, Rémi THOMAS, Anne LE MOAL, Patrick DUCOME, Michèle PETAUTON

Contribution déposée par des membres du bureau de la Commission nationale entreprises


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