Démocratiser la réussite : une urgence pour notre école


Thème : Éducation


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Le rôle de l’école dans la lutte contre les inégalités scolaires prend souvent la forme d’un questionnement : l’école peut-elle contribuer à limiter l’aggravation des inégalités entre les élèves pour mieux garantir la démocratisation de la réussite ?

Si cette question est régulièrement posée, c’est avant tout à partir d’un diagnostic aujourd’hui admis par tous : de la maternelle à l’université, l’école est pensée par et pour les catégories sociales les plus favorisées.

L’école ne creuse certes pas les inégalités mais la France est encore l’un des pays de l’OCDE dans lequel l’origine sociale pèse le plus dans les destins scolaires.

C’est ainsi qu’en 2015, à l’issue de la scolarité du premier degré, à l’entrée en sixième, un enfant d’ouvrier sur dix et 9 % d’enfants d’employés souffraient d’un retard dans leur parcours scolaire contre seulement 3 % d’enfants de cadres.

Et cet écart s’amplifie tout au long du collège : les enfants d’ouvriers et d’employés constituent 56% des élèves de sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), filières qui accueillent des élèves en grandes difficultés scolaires, quand dans le même temps seuls 2% des enfants de cadres y sont scolarisés.

Cet état de fait se confirme au niveau du baccalauréat: seuls 36 % d’enfants d’ouvriers et 52 % d’employés obtiennent un baccalauréat général quand 80 % des enfants de cadres le réussissent. Concernant le baccalauréat professionnel qui ouvre vers des études plus courtes et des emplois moins gratifiants socialement et financièrement, ce sont 42% d’enfants d’ouvriers contre 9 % d’enfants de cadres qui l’obtiennent.

On le voit : ce sont majoritairement les enfants des classes sociales favorisées qui accèdent aux études supérieures quand ceux des classes moyennes et modestes en sont largement écartés, diminuant ainsi leurs chances d’accès aux postes à responsabilités et aux salaires qui en découlent.

Si l’école ne peut, à l’évidence, être tenue pour responsable de cette situation, il n’en demeure pas moins qu’elle ne permet pas aux élèves des classes modestes de compenser les faiblesses de l’environnement social et familial dont on connaît l’impact majeur sur la réussite scolaire.

C’est pourquoi nous devons examiner comment l’École peut être sa propre ressource afin de garantir une démocratisation de la réussite scolaire aujourd’hui réservée de fait à quelques-un·e·s.

Trois leviers parmi de nombreuses autres apparaissent comme essentiels et doivent faire l’objet de propositions : la question de l’orientation avec notamment un enjeu majeur sur la question du lycée professionnel, la formation des enseignants et enfin la question de la mixité sociale et scolaire.


Une orientation choisie et non subie, un lycée professionnel à réhabiliter

Malgré les réformes, l’aide à l’orientation reste insuffisante, peu efficace, pénalisante pour les élèves issus de milieu modeste et trop souvent vécue négativement par les jeunes et leurs familles.

Le processus d’orientation doit s’inscrire dans un parcours de formation tout au long de la vie, un parcours éducatif et professionnel choisi, construit et accompagné quel que soit le milieu social d’où l’on vient.

Dans le même esprit, la revalorisation du lycée et du baccalauréat professionnel constitue également une urgence absolue pour redonner confiance aux élèves et aux enseignants, par exemple en rapprochant les filières générales, technologiques et professionnelles et en travaillant avec les régions et les entreprises pour une meilleure complémentarité permettant de garantir à tous les élèves des débouchés conformes à leur formation.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 93 % des jeunes issus de milieux défavorisés sont orientés en lycée professionnel, 72 % des élèves de lycée professionnel sont enfants d’employés, d’ouvriers, d’inactifs ou de chômeurs et 60 % d’entre eux ont au moins un an de retard.

La revalorisation de l’enseignement professionnel passe notamment par la scolarisation dans un même lycée de tous les élèves, en revalorisant les disciplines générales et en introduisant la philosophie dans le cursus de l’enseignement professionnel.

Les nouvelles dispositions annoncées dans le cadre de la réforme des lycées-enseignement général, technologique et professionnel ne vont malheureusement pas dans le sens d’une réduction des inégalités : à ce jour les 54 heures d’aide à l’orientation relèvent plutôt de l’affichage puisque non financées dans le cadre de la Dotation Horaire Globale des établissements.

En diminuant les volumes horaires des enseignements fondamentaux en 2019 pour les lycéens professionnels - rabaissés de 34h à 30h30 hebdomadaires - le gouvernement précédent avait déjà marqué son renoncement à considérer les lycéens de lycée professionnel sur un même pied d’égalité que ceux des lycées généraux et technologiques.

Par ailleurs la décision qui consiste à décider localement des volumes horaires disciplinaires liés aux enseignements généraux remet profondément en question le caractère national du diplôme qui dorénavant dépendra de l’établissement ainsi que du territoire.

Enfin, la nécessité d’une orientation plus précoce générée par la réforme du lycée et le transfert aux régions de l’information sur les métiers vont accentuer l’angoisse des parents qui, fort logiquement, se tourneront vers le secteur marchand ou associatif des coachs privés, aggravant ainsi les inégalités.

Le second levier sur lequel nous avons à porter notre attention et notre réflexion concerne la formation des enseignants.


La formation des enseignants

Convenons que recruter des «enseignants» au seul moyen d’un entretien, d’un « job dating » de 30 minutes puis de deux jours de «formation» interroge et en dit long sur l’affaiblissement de la fonction et de la place des enseignants au cœur de notre société, sans parler de la question des salaires quand on sait que les enseignants français sont parmi les moins bien payés des pays de l’OCDE et qu’un enseignant qui gagnait 2,3 smic en 1982 gagne aujourd’hui l’équivalent de 1, 2 smic avec un recrutement à Bac +5…

Mais au-delà de la question salariale, tant qu’on ne comprendra pas qu’enseigner, plus qu’une vocation, est un métier qui nécessite des professionnels de très haut niveau, nous ne parviendrons pas à faire de l’École un levier dans la lutte contre les inégalités.

Il faut à la fois dispenser une formation théorique des plus pointues et développer les mises en situation pratique des étudiants qui se destinent à l’enseignement. La mise en place d’une formation spécifique par alternance est indispensable avec un travail tout particulier sur les spécialisations disciplinaires et pluridisciplinaires et sur les expériences de pratiques pédagogiques et didactiques.

Il y a urgence à professionnaliser le métier enseignant dans le cadre d’un master permettant de travailler sur les contenus, mais également sur tout ce qui est indispensable aux enseignants pour, aux différents niveaux du système éducatif, permettre de placer tous les élèves dans les meilleures conditions d’apprentissage possibles.

Enfin, la formation initiale ne peut à elle seule suffire : la formation continue s’impose comme une condition indispensable afin de permettre aux enseignants tout au long de leur carrière d’adapter leur pédagogie et leurs connaissances pour mieux répondre aux besoins des élèves, exigence majeure pour garantir le droit à la réussite de tous et ainsi réduire les inégalités évoquées précédemment.

N’oublions jamais, comme le soulignent régulièrement les études de l’OCDE ,que les systèmes éducatifs performants sont ceux dont les enseignants ont bénéficié de longs stages pratiques de formation initiale et qui, par la suite, ont pu bénéficier d’une formation continue importante basée sur les besoins des équipes pédagogiques. Dans ces systèmes, l'évaluation des enseignants est par ailleurs directement liée à la formation continue.

Enfin, 3 ème levier, la question de la mixité sociale et scolaire, sujet au cœur de l’actualité éducative.


Quelle mixité sociale et scolaire pour quelle société ?

La recherche de « l’entre soi » entraîne de plus en plus un regroupement des classes sociales et les familles, conscientes de l’importance de la réussite scolaire, essaient d’offrir à leurs enfants le meilleur environnement possible, soit en déménageant, soit en choisissant le privé, soit enfin en essayant d’obtenir une dérogation à la ségrégation.

La DEPP a publié en juillet dernier une note d'information concernant l'évolution de la mixité sociale des collèges, souvent mise en corrélation avec les inégalités scolaires. Au niveau national, les écarts entre collège privés et publics s'accentuent.

En moyenne, les collèges publics accueillent plus 2,3 fois plus d’élèves issus de milieu défavorisés que les collèges privés sous contrat (42,6 % contre 18,3 %), les collèges privés sous contrat accueillant deux fois plus d’élèves issus de milieu très favorisés que les collèges publics (40,1 % contre 19,5 %).

Notons que seuls 10 % des collèges du privé sous contrat accueillent des élèves issus de milieu défavorisé au même niveau moyen que dans le secteur public.La ségrégation est forte entre les collèges. Elle reste très marquée et elle s’accentue dans la plupart des territoires entre secteur public et privé.

Mais n’oublions pas pour autant qu’elle est aussi présente au sein du secteur public. Les moyens supplémentaires alloués aux établissements classés en REP ou REP+ sont utiles pour essayer de pallier ces difficultés mais ils ne sont qu’une partie des actions à mener pour réduire les inégalités.

Ils ne pourront en effet jamais remplacer une meilleure mixité sociale qui ne relève pas uniquement de la politique de l’éducation nationale. Des expérimentations ont d’ailleurs lieu en ce sens – notamment à Paris et à Toulouse-en modifiant la sectorisation et en la couplant à des transports adaptés, en rééquilibrant les taux de boursiers, en ouvrant des sections attractives dans les collèges défavorisés.

Sans une réforme de la politique de la ville concernant le logement et les transports, les tentatives louables de réformer les cartes scolaires pour plus de mixité auront des effets nécessairement limités. En effet, dans les collèges les plus défavorisés du public, les stratégies d’évitement des milieux les plus favorisés persisteront.

Les collectivités territoriales doivent s’inscrire dans une politique volontariste de mixité sociale et scolaire. Un bon usage de la sectorisation scolaire, une réflexion accrue sur l’implantation des formations, en lien avec une politique de transport adapté au territoire et gratuite, la valorisation des projets d’écoles et d’établissements sont des pistes à suivre pour privilégier la mixité scolaire et sociale.

Le rôle d’impulsion et de régulation de l’État est essentiel pour corriger les déséquilibres entre territoires. Des dispositions légales sont nécessaires pour réguler l’implantation et l’organisation des établissements d’enseignement privé. En effet, la situation actuelle les conduit à ne pas participer à l’effort de mixité scolaire et introduit une concurrence inacceptable avec les écoles et les établissements publics.

La question de l’abrogation de l’article 1 de la Loi Carles qui contraint les municipalités à financer les frais de scolarité d’enfants résidant dans la commune, mais scolarisés dans des établissements privés extérieurs à la commune ne peut être éludée : tant que l’État participera à leur financement, le respect de cet effort de mixité devrait être la règle pour l’enseignement privé.

Revoir les secteurs scolaires pour aller vers plus de mixité sociale, s’engager résolument vers une égale qualité des établissements, mettre fin au saupoudrage des moyens pour les concentrer massivement sur les établissements en très grande difficulté, engager une véritable politique de gestion des ressources humaines - stabilité des équipes, conditions de travail, revalorisation…- : autant de pistes potentielles pour aborder cette problématique qui mine notre société.

Cette question de la mixité sociale est révélatrice du type de société que nous, socialistes, voulons mettre en œuvre : en affirmant notre volonté politique de mettre un terme à cette situation qui conduit des générations d’élèves à grandir dans le même pays, à aller dans une même institution, sans jamais se rencontrer véritablement, nous réaffirmons notre conviction profonde d’une indispensable altérité comme source d’enrichissement et de progrès pour toute notre jeunesse.


Pour nous socialistes, l’accès aux savoirs, à l’information et à la formation est un enjeu majeur pour affirmer la puissance de le France dans la nouvelle géopolitique de la connaissance.

Il est aussi un gage d’émancipation pour toutes celles et tous ceux qui sont dépourvues du capital social et culturel nécessaire et sans lequel le destin de chacun serait irrémédiablement fixé dès la naissance.

C’est à l’école de la République que tout commence. Là où se forge et s’acquiert l’esprit critique, la maîtrise des savoirs fondamentaux, la socialisation et l’apprentissage de la citoyenneté.

L’école de la République est ainsi le socle sur lequel repose notre pacte républicain, cette école que les socialistes ont toujours porté comme une exigence pour chaque élève et comme une des conditions essentielles pour assurer notre cohésion sociale.

La promotion de l’excellence pour quelques-uns au détriment de l’objectif de démocratisation de la réussite ne peut constituer l’alpha et l’oméga d’une politique éducative.

Réaffirmons avec force que pour que certains réussissent, il n’est pas nécessaire que d’autres échouent.

Et faisons nôtre les propos de Condorcet dans son rapport sur l’Instruction publique présenté à l’Assemblée nationale législative les 20 et 21 avril 1792 :

 

« Le travail d’émancipation n’est pas achevé tant que l’inégalité devant le savoir et la culture met le peuple à la merci des démagogues et des ambitieux comme à celle des groupes de pression qui entendent le dominer ».

C’est un immense défi à relever : nous, Socialistes, pouvons y contribuer.


Signataires :

Yannick Trigance, secrétaire national à l'École, l'Éducation et l'Accès aux savoirs

ANFRAY Stéphanie (33), CONDOLF-FEREC Muriel (35), DECROCK Jérôme (56), HILION Arnaud (82), LE MOAL Anne (93), LE GOUX Philippe, ROQUES Jean-Pierre (75), ROS David (91), SAID BAKAR Chariffou (93), THOMASSIN Silvine (93)


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