Liste des signataires à retrouver en fin de contribution
Le régime institutionnel dans lequel nous vivons est devenu instable s’il n’est pas à bout de souffle. La crise démocratique, devenue une crise de défiance vis-à-vis du monde politique soupçonné de tourner à vide, uniquement pour lui-même, a pris des proportions inquiétantes. Le risque est bien entendu qu’une configuration politique aussi mauvaise ne serve de tremplin à l’avènement d’un régime autoritaire. Après tout, un tiers des Français partage l’opinion selon laquelle il faudrait avoir à la tête du pays un homme fort qui n'a pas à se préoccuper du parlement ni des élections...
Dans ce paysage quelque peu sinistré, seule surnage l’élection présidentielle pour laquelle l’enthousiasme citoyen ne faiblit pas ou peu. Reste que la polarisation sur une seule échéance – et un seul individu - est devenue mortifère.
Elle l’est en premier lieu pour les partis politiques. La plupart des partis de gouvernement, dont le nôtre, de sont transformés en écurie présidentielle. Si l’objectif d’une organisation partisane est bien entendu la conquête et l’exercice du pouvoir, la personnalisation accrue du pouvoir présidentiel amène à une dissociation des partis en leur sein en sous-fraction qui soutienne chacune la ou le candidat(e) dont les partisans pensent qu’il est susceptible de faire gagner son camp. Si le débat et la confrontation d’idées demeurent essentiels, les plateformes de propositions s’individualisent au détriment d’une vision programmatique partisane unifiée. Les primaires ont accentué ces pratiques jusqu’à l’absurde en exacerbant les divisions dans chaque camp jusqu’à provoquer une désagrégation des logiques militantes. Par ailleurs, le rôle de l’élection présidentielle est si important qu’il éclipse littéralement toutes les autres élections et, au premier chef, les législatives qui sont devenues de simples élections de confirmation. Pire, la présidentielle polarise artificiellement tous les enjeux de pouvoir, engendre une dramaturgie étouffante, génère un niveau d’attente inatteignable à la hauteur des promesses de campagne et mène inéluctablement à des déceptions qui génèrent un nouveau cycle de défiance. L’emballement démocratique est tel qu’il provoque une succession d’alternance continue depuis 20 ans, la dernière en date ayant quant à elle marqué une explosion de notre système politique dont le PS a été l’une des premières victimes.
Dans ce contexte troublé, il est nécessaire de reprendre à bras-le-corps la question d’une amélioration de notre régime politique et prendre au sérieux celle de sa nécessaire démocratisation. La question n’est pas celle d’un numéro de constitution. Elle est celle d’une transformation du régime en le « dé-présidentialisant » et en attribuant un nouveau rôle aux citoyens.
I) Dé-présidentialiser notre régime et le reparlementariser
1.1 État des lieux
La Constitution a déplacé le centre décisionnel de l’État du Parlement vers l’exécutif. Par ailleurs, suite au référendum de 1962, l’élection au suffrage universel du président de la République a fait glisser la France dans la catégorie des régimes semi-présidentiels comme 60 autres pays dans le monde. Dans ces régimes le gouvernement a besoin d’être soutenu et/ou accepté par le Parlement (comme en régime parlementaire) et, également, par le président. Le système français se singularise par la place spécifique qui revient à la fonction présidentielle, le renforcement constant de son rôle et la tendance à la personnalisation du pouvoir, singulièrement renforcée par la pratique de l’actuel président. Par ailleurs, le passage au quinquennat et l’organisation des élections législatives à l’issue des élections présidentielles rendent désormais presque improbable la situation de cohabitation et renforcent la notion de « majorité présidentielle ». Ces évolutions ont remis en cause la capacité du Parlement à contrôler l’exécutif et à limiter, du coup, la capture du jeu démocratique par des intérêts particuliers, à plus forte raison lorsqu’ils disposent d’une force de frappe financière conséquente.
Partant, le Parlement français appartient à la catégorie des parlements faibles, que ce soit au regard de son influence sur la production législative ou de sa capacité à contrôler le gouvernement. Le constat est implacable : l’abaissement du Parlement est inscrit dans le code génétique de la Constitution de la Ve République. La réforme constitutionnelle de 2008 n’a pas fondamentalement transformé le cours des choses. Si elle a pu modifier certaines pratiques, elle n’a pas réussi à renforcer la place du Parlement dans la structure institutionnelle française alors qu’il s’agissait de son objectif premier.
1.2 Propositions
1) Rénover notre calendrier électoral. Les élections législatives ne doivent plus dépendre de l’élection présidentielle. Soit les deux scrutins pourront se tenir concomitamment, soit, au contraire, ils seront désynchronisés.
2) Obliger le gouvernement à passer par un engagement de sa responsabilité et une déclaration de politique générale devant le Parlement, en l’espèce l’Assemblée nationale. Cette mesure permettra de consacrer la double légitimité du Premier ministre. Elle tiendra à la fois de sa nomination par le Président de la République, mais également de la majorité issue des élections législatives.
3) Limiter drastiquement les procédures de parlementarisme rationalisé au travers de réformes emblématiques :
-
Supprimer l'usage du 49.3, sauf pour les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale ;
-
Limiter de façon draconienne les ordonnances. L’article 38 de la Constitution permet au Gouvernement de prendre des mesures qui relèvent normalement de la compétence du Parlement, son champ est illimité. Il faut revenir à l’esprit initial des ordonnances c’est-à-dire en limiter le champ aux seuls sujets techniques (procédures de codification et detransposition) ;
-
Supprimer le vote bloqué. L’article 44 al. 3 contraint les parlementaires à voter sur un texte pour lequel seuls les amendements validés par le Gouvernement sont acceptés. Ce mécanisme permet de faire échec au droit d’amendement des députés et sénateurs puisque le Gouvernement choisit les amendements qu’il souhaite retenir. C’est la négation du droit d’amendement.
4) Redonner au Parlement sa pleine compétence en matière budgétaire. Il est nécessaire de supprimer l’article 40 de la constitution. Les parlementaires n’ont ni l’initiative des prélèvements publics ni celle de la dépense publique. Parlementaires et gouvernement doivent pouvoir débattre devant les Français des choix budgétaires du pays, à armes égales, ce qui impose la suppression de l’article 40.
5) Rééquilibrer les pouvoirs au profit du Premier ministre en inscrivant explicitement qu’il ou elle détermine la politique de la Nation.
6) Imposer au gouvernement des exigences nouvelles :
-
Soumettre la composition du gouvernement à l’exigence de parité ;
-
Rendre la fonction de membre du gouvernement incompatible avec l'exercice de tout mandat exécutif local ;
-
Assurer des nominations plus démocratiques notamment par la nécessité d’une approbation à la majorité des 3/5 des membres des commissions compétentes des deux assemblées.
-
Garantir l’éthique à tous les niveaux de la vie politique en étendant au Président, au Premier ministre et aux membres du gouvernement les dispositions de transparence, y compris financières, applicables aux parlementaires.
II) Donner un nouveau souffle démocratique
2.1 État des lieux
Dans une enquête menée auprès de 11 000 personnes en France en juillet 2020, seuls 24 % des Français étaient satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans notre pays. Les jugements portés sur les responsables politiques sont encore plus sévères. L’image globale des hommes et femmes politiques reste très fortement négative : on leur reproche de ne pas se préoccuper des citoyens ou encore d’être corrompus.
-
Cette absence de confiance se traduit de deux façons :
d’une part, dans l’augmentation de l’abstention : celle-ci devient structurelle mais elle est également un moyen d’expression. À quoi bon en effet participer à un système qui ne répond pas aux attentes concrètes du quotidien ou ne change pas celui-ci, voire ne respecte pas les choix faits par les citoyens (comme pour le référendum de 2005) ? Les dernières élections municipales, quand bien même elles ont eu lieu dans un contexte extra-ordinaire, n’ont fait que confirmer l’érosion de la participation des citoyens Français aux différents scrutins marquant une nouvelle étape de l’éloignement vis-à-vis de la politique. Elles ont aussi révélé un contraste de participation, qui passe normalement inaperçu lorsque les élections ont lieu le même jour, entre les villes et métropoles, dans lesquelles l’abstention est plus élevée, et le reste du pays. Cet indicateur est inquiétant parce que les institutions politiques locales sont celles dans lesquelles les Français ont encore le plus confiance. Plus fondamentalement, ce sont les citoyens les plus fragiles et les plus précaires qui se distancient toujours plus d’un monde politique qui leur semble de plus en plus lointain, sinon étranger. - d’autre part, cette distance se traduit par des mobilisations alternatives à la marge du système politique ou refusant de jouer le jeu de celui-ci comme l’a illustré le mouvement des gilets jaune. À tel point que certains n’hésitent pas à parler d’archipélisation de notre vie politique et, plus largement, de notre pays.
Face à cette menace du délitement démocratique, il faut remettre les citoyens au cœur du jeu et de notre projet politique.
2.2 Propositions
1) Garantir les conditions du fonctionnement démocratique. Renouveler la dynamique démocratique, c’est également faire en sorte que les principes sur lesquels elles reposent soient défendus :
-
L’exemple du fonctionnement actuel de certaines démocraties (États-Unis, Hongrie...) montrent combien l’existence d’une presse libre est indispensable. Il faut ainsi inscrire au niveau constitutionnel la liberté de la presse, son pluralisme, l’indépendance des médias et la protection des sources.
-
Il en va de même en ce qui concerne la capacité pour chacun de s’informer par le biais d’Internet. Un accès libre, égal et universel aux réseaux numériques et la formation des citoyens à leur utilisation doivent aussi être inscrits dans la Constitution.
-
Il faut par ailleurs mieux protéger les citoyens et leur donner de nouveaux droits en renforçant les pouvoirs du Défenseur des droits au bénéfice de ces mêmes citoyens.
-
Il est également nécessaire de consacrer la protection des lanceurs d’alerte en l’inscrivant dans le texte constitutionnel.
-
Les enjeux de la société numérique du point de vue de la démocratie et des libertés sont déterminants. Le PS doit se positionner et déterminer comment et si la puissance publique doit réguler ce secteur et ses principaux acteurs. Cela renvoie à une pluralité de sujets : l’archivage mémoriel, la question des algorithmes, de la protection des données, de l’identité numérique, au bien commun. La perspective est d’aboutir à une charte numérique du politique en prenant le leadership sur un sujet qui concerne notamment les générations les plus jeunes.
2) Garantir une meilleure représentation du vote des citoyens en transformant le mode de scrutin des élections législatives. Si notre mode de scrutin majoritaire est censé garantir l’émergence d’une majorité parlementaire, il produit surtout un niveau de disproportionnalité entre voix et sièges qui est presque inégalé. La perspective est de s’inspirer des solutions qui existent dans les autres démocraties occidentales pour mettre en place un mode de scrutin qui respecte la parité, assure une liberté de choix accrue parmi les candidats au sein et entre les partis, un lien de proximité entre élus et électeurs ainsi qu’une proportionnalité de la répartition des sièges. Dans un premier temps, un simulateur démocratique sur internet pourrait être mis en place pour montrer en temps réel les différences de représentation politique, démocratique et sociale en fonction du mode de scrutin, pour montrer à nos concitoyens qu’une meilleure représentativité des opinions et des individus est possible.
3) Construire une citoyenneté plus inclusive en reconnaissant, enfin, le droit de vote des étrangers aux élections locales.
4) Nationalement : faire de la constitution un texte citoyen et collaboratif. L’intégration citoyenne dans la prise de décision politique est un enjeu de la démocratie du XXIe siècle et une priorité pour les socialistes. En complément de la démocratie représentative, il faut tenir compte de l’aspiration citoyenne à s’engager plus directement dans la vie publique entre les échéances électorales. Notre texte constitutionnel ne prévoit aucun dispositif permettant d’associer les citoyens à l’élaboration de la loi.
Il sera ainsi nécessaire d’introduire un droit d’amendement citoyen et de proposition de loi citoyenne dont les conditions d’inscription à l’ordre du jour de chaque assemblée et les modalités d’examen seront définies par la loi ;
5) Redéfinir les conditions de consultation directe des citoyens. En proposant :
-
une redéfinition du référendum d’initiative partagée. Le cas du RIP-ADP montre bien combien cet outil est trop limitatif et doit être complété dans son déroulement procédural ;
-
une nouvelle rédaction de l’article 11 de la Constitution. Ainsi, l’initiative du référendum serait confiée au Premier ministre, au nom du gouvernement, et non plus au Président de la République afin de mettre un terme à la logique plébiscitaire.
-
un nouveau référendum d’initiative citoyenne, en s’appuyant notamment sur des travaux qui existent en la matière afin de se démarquer de l’aspect contre-productif que peut comporter une participation directe non-encadrée.
6) Repenser le financement de la vie politique : il est aujourd’hui injuste et favorise les classes sociales les plus aisés qui peuvent ainsi faire valoir leur préférence dans le jeu démocratique, notamment au travers du système de dons.
7) Localement : donner un nouveau souffle participatif à notre système local. La décentralisation doit être marquée par un approfondissement de la démocratie locale. Cette dernière n’est efficace que si elle est inclusive, qu’elle favorise la participation et que, dans le même temps, elle vise à renforcer la responsabilité les citoyens. Cet approfondissement passe par :
-
un renforcement de la parité au sein des exécutifs du bloc communal et plus largement de l’ensemble des exécutifs ;
-
un accroissement des droits des élus, et notamment ceux des élus de l’opposition ;
-
une séparation stricte des fonctions « exécutives » et « législatives » locales ;
-
la mise en place jurys citoyens et non décisionnaire pour contribuer à l’acceptabilité des projets locaux ;
-
la possibilité d’élire l’exécutif intercommunal au suffrage universel de liste tout en maintenant l’élection fléchée des conseillers communautaires, lors d’un scrutin distinct intervenant après l’élection municipale, pour favoriser la redevabilité politique comme la transparence des EPCI et mettre en œuvre une parité en leur sein.
8) Assurer une meilleure représentation politique. La politique ne peut plus être réservée à quelques- uns et exclure tous les autres, notamment les femmes et les jeunes. La possibilité de s’impliquer en politique, la démocratisation des postes électifs constituent également un enjeu majeur. Il faut ainsi :
-
Mettre en œuvre un véritable statut de l’élu qui permette à chacun quel que soit sa condition, son emploi et son statut de pouvoir exercer des responsabilités politiques. La perspective est également que l’expérience élective puisse ultérieurement être valorisée dans le parcours professionnel individuel (qu’il s’agisse d’une possibilité de diplôme et/ou d’une validation des acquis de l’expérience). ;
-
Donner la possibilité à certains élus locaux d’exercer leur fonction de manière exclusive à plein temps ou à temps partiel, en fonction de la taille de la collectivité, en devenant agent civique territorial ;
-
Limiter le cumul dans le temps à trois mandats exécutifs dans la même fonction (à part dans les communes de moins de 1 000 habitants), cette règle constituant un levier majeur pour accélérer le renouvellement de la classe politique et la féminisation des assemblées. Elle doit bien évidemment être également appliquée aux parlementaires.
Signataires :
Éric KERROUCHE, Secrétaire national Démocratie citoyenne et Institutions Sénateur des Landes
Corinne NARASSIGUIN, Secrétaire nationale à la Coordination et aux Moyens du Parti
Maxime SAUVAGE, Secrétaire national République des territoires 1er adjoint du 20ième arrondissement de Paris
Hélène CONWAY-MOURET, Secrétaire nationale Défense Sénatrice des Français de l’étranger
Yannick TRIGANCE, Secrétaire national Éducation et Enseignement supérieur Conseiller régional d’Ile de France
Olivier JACQUIN, Secrétaire national Mobilités et Transports Sénateur de Meurthe-et-Moselle
Patrick KANNER, Président du groupe socialiste écologiste républicain Sénateur du Nord
Claire RABES, Secrétaire nationale Services Publics
Isabelle THIS SAINT JEAN, Secrétaire nationale Études et prospective
Rémy FERAUD, Sénateur de Paris
Jérôme DURAIN, Sénateur de la Saône-et-Loire
Hervé GILLE, Sénateur de la Gironde
Monique LUBIN, Sénatrice des Landes
Boris VALLAUD, Député des Landes
Gilbert-Luc DEVINAZ, Sénateur du Rhône
Christine PIRES-BEAUNE, Députée du Puy-de-Dôme
Arthur DELAPORTE, Membre du Bureau National