Thème : Agriculture
À l’exception d’une poignée d’industriels de l’agroalimentaire ayant réussi à maximiser les gains par des effets d’échelle et, souvent, une prise en compte a minima des contraintes environnementales et sanitaires, notre agriculture se meurt. Sous perfusion des subventions européennes et soumise à une concurrence en provenance de pays où le coût de la main d’œuvre et les normes socio‐écologiques sont nettement inférieurs, elle est de moins en moins rentable, régie par l’obsession de compétitivité, et ce système met en danger à moyen terme notre souveraineté, et même notre sécurité, alimentaires.
Nous devons aider les agriculteurs à sortir de cette logique infernale qui entraîne une uniformisation des cultures, un accaparement des terres agricoles par quelques‐uns au détriment de la paysannerie qui a fait l’histoire de la France, une dégradation rapide des conditions de travail et des rémunérations ainsi que des dérives délétères sur les plans écologique, sanitaire et humain. Ce modèle appauvrit les sols, pollue les cours d’eau et les nappes phréatiques, détruit la biodiversité dont sa survie dépend pourtant, et est entièrement tributaire, pour son fonctionnement de la graine jusqu’à l’assiette, des importations d’hydrocarbures.
« L’agriculture industrielle est une agriculture "minière". Elle exploite la terre sans régénérer la matière organique et les éléments minéraux qui la rendent fertile, tout comme l’industrie minière extrait les minéraux du sol sans les renouveler. Nous n’en mesurons probablement pas encore toutes les conséquences ». Marc Dufumier
SOUTENIR LE DÉVELOPPEMENT D’UN MODÈLE AGRONOMIQUE DURABLE
Mettre en place d’une politique de souveraineté alimentaire : la France et l’Europe doivent garantir l’alimentation des populations et l’existence des producteurs agricoles, et doivent reconnaître que ces droits élémentaires passent avant les exigences de l’OMC. Cela inclut l’interdiction du dumping sur les matières premières agricoles en provenance d’autres pays.
Favoriser, par un ensemble de mesures (subventions, sensibilisation, formation…), le développement des principes suivants, allant dans le sens de l’agroécologie :
- Associations en polycultures et rotations de cultures : céréales, légumineuses, engrais verts, arbres fruitiers, bois d’œuvre...
- Diversification génétique (plutôt que de cultiver des clones hybrides)
- Agriculture sans labour utilisant le faux semis et des méthodes de gestion préventive des adventices
- Engrais verts en cultures intercalaires
- Semis direct sous couvert végétal (ne jamais laisser le sol nu)
- Optimisation de l’utilisation de l’eau
- Replantation d’arbres, de haies et de mares
- Diversification des cultures, notamment en réintroduisant des variétés anciennes
- Réduction drastique des intrants
- Développement d’une économie circulaire (par ex. : valorisation d’engrais naturels issus d’élevages
• Organisation de synergies locales entre producteurs, consommateurs et distributeurs
- Évaluation comparative des impacts positifs et négatifs de différents systèmes agricoles grâce à la mise en place de nouveaux indicateurs permettant de faire un diagnostic complet : ne plus seulement regarder le rendement des surfaces mais intégrer aussi la mesure de la richesse microbiologique des sols et les conséquences sur la biodiversité générale, la qualité nutritionnelle et sanitaire des aliments issus des pratiques agricoles, les pollutions engendrées, la création d’emplois, la résilience des territoires…
Intégrer l’enseignement des pratiques d’une « Agriculture écologique durable » dans toutes les écoles agricoles, intégrant des notions avancées de biologie des sols.
Revaloriser les métiers de la terre et lancer une campagne de communication pour redonner envie aux jeunes de se lancer dans les filières agricoles.
RESTRUCTURER LES FILIÈRES DE QUALITÉ (BIO ET AUTRES SIGNES OFFICIELS D’IDENTIFICATION DE LA QUALITÉ ET DE L’ORIGINE)
Créer un Plan Ambition Agroécologie sur le modèle du Plan Ambition Bio 2022.
Aider l’émergence de labels ou marques de territoire, en soutenant les démarches collectives de qualité pour l’alimentation humaine.
Réaliser des systèmes innovants de production à forts niveaux de valeur ajoutée grâce à un faible appel aux produits d’origine extérieure.
S’appuyer sur les fermes « Déphy » et les « Fermes d’Avenir » en tant que fermes de référence, incluant des itinéraires techniques, pour partager les expériences, démontrer la faisabilité et la rentabilité de certaines méthodes, apprendre aussi des échecs et permettre aux meilleurs projets de se multiplier.
FAIRE ÉVOLUER LES RÈGLES ET DÉPASSER LES VERROUILLAGES DU SYSTÈME AGROALIMENTAIRE FRANÇAIS
Augmenter la part des aides de la PAC conditionnées à des mesures agro‐environnementales: 1,6 milliard de subventions européennes à réorienter chaque année vers des pratiques agricoles saines et durables.
Mettre en place un fonds de garantie et une assurance de revenu pour la restructuration de la dette des agriculteurs passant à l’agroécologie.
Aujourd’hui, les exploitations françaises sont endettées de 750 000 € en moyenne
Une exploitation en agriculture conventionnelle requiert de lourds investissements (machines, engrais…). Il est nécessaire de les aider à restructurer cette dette pour qu’elles puissent changer de pratiques : alléger la dette des exploitants s’engageant à adopter des pratiques agricoles durables, et leur offrir un appui technique pour les accompagner dans ces changements.
Lancer un Programme d’Accompagnement à la Reconversion Écologique (PARÉ) pour les exploitants agricoles existants :
- Primes de conversion à l’agroécologie sur 5 ans, sur au moins 33 % de la surface agricole utile (SAU)
- Aide à la création de pépinières d’activités sur chaque « pays », sur le modèle de ce que propose le Champ des possibles en Île‐de‐France ou le CIAP 44 en Loire Atlantique
• Permettre aux créateurs d’activités agri‐rurales de tester leurs projets, et faciliter ainsi leur installation sur nos territoires grâce à des fermes relais
Interdire la vente à perte en fixant par produit un prix plancher servant de référence lors des négociations entre les organisations de producteurs et les acteurs en aval des filières, pour que les agriculteurs puissent être assurés non seulement de vendre systématiquement au‐dessus du prix de revient, mais également d’une rémunération décente.
Subventionner la restauration collective s’approvisionnant en produits biologiques, locaux et issus du commerce équitable.
Mettre en place et financer, via des contrats de Région‐Pays, des systèmes alimentaires territoriaux (SALT) pour chaque territoire. Ce schéma de planification vise à dynamiser le rapprochement entre producteurs et consommateurs, et permet une bonne adéquation entre la demande et l’offre locales.
Rendre les SALT opposables aux collectivités et aux autres documents de planification : schéma de cohérence territoriale (SCoT), plan local d’urbanisme (PLU), plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), schéma régional des structures…
Subventionner les coopératives agricoles dans les territoires, qui sont les meilleurs outils citoyens pour assurer, à l’avenir, la sécurité alimentaire des populations.
Assurer la libre circulation des semences paysannes bio et non hybrides indépendamment du catalogue officiel, promouvoir les semences non hybrides, assurer le bon respect du droit des individus à pratiquer l’autoproduction de semences.
Modifier les codes des marchés publics pour permettre aux collectivités publiques de lancer des appels d’offres de produits locaux et donner ainsi la possibilité aux paysans de fournir la restauration hors domicile locale.
Engager les collectivités territoriales vers le développement des circuits courts en organisant avec les agriculteurs des plateformes pour répondre à la demande de la restauration collective.
Mettre en place un système permettant aux agriculteurs une vraie indépendance financière
Créer des labels de hautes qualités pour proposer une valorisation d’une partie des produits agricoles français à l’image du modèle viticole :
- En partant d’un cahier des charges crédibles et valables en faisant de ces produits français de qualité justifiant un prix plus élevés
- En mettant en place une vraie politique publique de promotion de ces produits
- En s’appuyant sur l’image gastronomique de la France
- En intégrant les industriels dans ce projet car la transformation apporte beaucoup de valeur ajoutée sur un produit brut (en évitant par exemple les écueils de la filière miel d’où l’importance d’un cahier valable)
- On peut malgré créer une forte valorisation sur des produits bruts (avec l’effet Veblen) en faisant de ces produits français une référence dans les restaurants hauts de gamme du monde entier à l’image du bœuf japonais de Kobe
CONSACRER LE TRIPLE RÔLE DES AGRICULTEURS
Reconnaître le triple rôle des agriculteurs, production alimentaire, préservation et restauration de la nature et des paysages, protection de la santé publique, et les rétribuer en ce sens :
• Contrats pour prestation de services environnementaux d’intérêt général : les agriculteurs qui améliorent l’environnement sur leurs exploitations sont rémunérés pour leurs services (protection des pollinisateurs, préservation de la qualité de l’eau potable, prévention des inondations, amélioration du cadre de vie par l’implantation d’arbres et de chemins fleuris, lutte contre les coulées de boues, protection des oiseaux par l’installation d’abris...) par les acteurs concernés (agence de l’eau pour l’eau potable, agence de la biodiversité pour les oiseaux, communes touristiques pour le paysage, associations d’habitants et de randonneurs pour les chemins…).
Une telle rétribution implique un niveau de reconnaissance absent de l’approche actuelle qui ne fait référence qu’à des aides, avec la connotation négative qui y est associée.
- Subventions à la conversion vers une agriculture saine (démarche de haute qualité sanitaire) allouées par l’État et par des organismes tels les Agences régionales de santé
- Ouverture de postes de conseillers pour l’accompagnement des agriculteurs
- Financement d’outils de transformation des produits au niveau des coopératives, ou des groupements d’agriculteurs pour qu’ils développent les filières de produits sains
LUTTER CONTRE L’ACCAPAREMENT DES TERRES PAR QUELQUES GRANDS PRODUCTEURS ET AIDER LES PETITES EXPLOITATIONS
Introduire des mécanismes correcteurs au régime d’aides à l’hectare (qui incite à une course à l’hectare sans pour autant être créatif d’activité et d’emplois) :
- Plafonnement et dégressivité des aides à partir d’un certain nombre d’hectares Exemple : majoration des aides pour les 50 premiers hectares; de 100 à 150 ha baisse progressive des aides; au‐delà de 150 ha, plus aucune aide
- Plafonnement ou majoration modulés en fonction de la main d’œuvre (nombre d’unités de travail humain)
- Plafonnement ou majoration modulés en fonction de la biodiversité à l’hectare (richesse des sols mesurée par analyses spécifiques type Hérody)
- Plafonnement ou majoration modulés en fonction de la performance énergétique et climatique
Encourager la multiplication des exploitations agricoles de taille plus modestes et l’élaboration de feuilles de route locales pour organiser des réseaux de complémentarité entre producteurs.
Débloquer des aides à l’acquisition foncière et à l’installation.
Lutter contre la menace de financiarisation et d’accaparement du foncier par les banques, les multinationales, les fonds d’investissements...
- Promouvoir les formes collectives de propriété comme les groupements fonciers agricoles, organiser et encourager la gestion du foncier locatif.
- Favoriser l’achat de terres par des sociétés foncières citoyennes dans l’objectif de faciliter l’installation des jeunes agriculteurs sur des projets innovants.
Faciliter l’accès au foncier (aide à l’installation), notamment en direction des petites et moyennes parcelles cultivables, pour les petits producteurs, nouveaux maraîchers, néo‐ruraux, permaculteurs... via une redéfinition des statuts de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) :
- Mettre en œuvre un fonds de garantie pour faciliter les emprunts
- Simplifier le parcours à l’installation
• Revoir la DJA (dotation jeunes agriculteurs) et privilégier l’attribution d’une dotation de carrière plus conséquente pour permettre notamment l’accession au métier de candidats non issus du milieu agricole
- Attribuer un complément à la DJA à condition de développer un projet en agroécologie
- Reconnaître les cotisants solidaires producteurs en leur ouvrant l’accès au statut de paysan par une déclaration d’heures de travail et la suppression de la règle de la demie SMI (surface minimum d’installation)
- Soutien au lancement d’une activité économique dans les cinq premières années d’exploitation
- Encourager les interconnexions profitables entre ruraux historiques et néo‐ruraux
- Donner à la Safer la capacité de préempter et d’appliquer si nécessaire des réajustements de prix
- Assurer la transparence de l’information et de la publicité foncières
- Inclure dans les statuts le développement de l’agroécologie et son rôle dans la protection de la biodiversité (habitats, trames, séquence Éviter ‐ Réduire ‐ Compenser)
Alléger la fiscalité (cotisations sociales) et simplifier les procédures administratives pour les petites exploitations afin qu’elles puissent recruter plus facilement. Les premiers emplois sont la clef de la réussite d’une petite exploitation, l’agroécologie étant consommatrice de d’avantage de main d’œuvre que le conventionnel.
Maintien du niveau de prestations sociales (santé, retraite…) malgré la baisse de cotisations.
Pendant les cinq premières années, pour les petites exploitations, rendre les employés (maraîchers...) éligibles « emploi d’avenir ».
Au lieu de coûter 26 k€ cotisations sociales comprises, ils ne coûtent plus que 7 k€, ce qui permet le démarrage d’une petite exploitation bio et rend la transition réaliste.
Contributeur : Mathieu GITTON membre du bureau national des adhésions