Thème : Protection de l'enfance
La présente contribution apporte au texte déposé par Sarha KERRICH et Ninuwe DESCAMPS une réflexion sur les causes profondes et lointaines de l'abstention et du vote d'extrême-droite dans les couches populaires, sans fuir l'analyse de la perception de l'action gouvernementale de la gauche par nos électeurs.
Un sujet majeur pour toute la gauche. Très préoccupant, du fait notamment de la popularité de ce courant dans les entreprises, parmi les salariés, et les retraités de milieu populaire.
Il ne s’agit pas que de progression électorale.
Les effectifs du RN et de Reconquête ont progressé et ne sont pas loin des 100 000. La curiosité n’a pas poussé nos dirigeants à préciser ces données peu encourageantes il est vrai.
Le RN a présenté partout en zone rurale des candidats aux cantonales, certes peu aguerris, mais tout à fait représentatifs de l’électorat populaire de ces formations. la gauche peut encore le faire ?
Les faiblesses de ce courant politique, ses contradictions, sa proximité avec le fascisme historique, voire le nazisme, ne découragent pas un électorat désormais fidèle. Il a aussi dans ses rangs de redoutables élus nationaux jadis proches de Dupont-Aignan, voire de Chevènement.
Il commence à cueillir des électeurs parmi les fonctionnaires, y compris les cadres, les enseignants.
Comme souvent, et jadis, au moment de la décolonisation, la gauche a tendance à glisser la poussière sous le tapis. C’est que le déni et la cécité sont plus confortables que la remise en question des politiques passées, des impasses, de mauvais choix. Mais le bilan n’en sera que plus sévère. La difficulté à admettre les problèmes générés par l’intégration de populations issues de cultures non-européennes n’a pas aidé bien entendu. Les « réseaux sociaux » amplifient le phénomène, aidés par un anonymat qui majore l’émotion, limite le débat rationnel.
Craignons le jugement des historiens. Et des citoyens. Et même des citoyennes, car les électrices sont aujourd’hui tentées par ce vote.
Certes le contexte économique, avec les délocalisations dues à la « mondialisation heureuse », et le chômage, la précarisation du salariat, les difficultés du logement social, l’insécurité due aux trafics, y ont fortement contribué, suscitant un ressentiment habilement exploité. Alors que le souvenir du fascisme s’estompe, et que l’inculture historique progresse dans l’enseignement.
En réalité, l’extrême-droite ne tire sa force que d’une certaine faiblesse de la gauche, et de sa relation avec les couches populaires.
La gauche, qui a vocation à représenter les intérêts des couches populaires, ne les mobilise plus suffisamment et l’abstention progresse. C’est le premier signal d’alerte.
https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/vie-politique-et-associative/participationvote-2/
Le PCF lui-même n’y parvient plus. Certes la disparition du « modèle » soviétique y a contribué, mais le ralliement d’une partie de ses dirigeants au néo-libéralisme, à la suite d’Yves Montand et de Robert Hue aussi. Ainsi, le changement de statut de France Télécom par la « Gauche plurielle » a-t-il entraîné la quasi-disparition du puissant réseau PC-CGT de cette entreprise. La privatisation partielle en 1999 d’Air France, créée en 1933 par Pierre Cot et un gouvernement de centre-gauche, y ajoute une brique, sous la tutelle d’un ministre communiste. Sans militants dans les entreprises, puis dans les HLM, la gauche n’a plus de relais d’opinion.
Cet épisode participe il est vrai d’une politique gouvernementale, qui a vu « Jospin privatiser plus que Juppé ».
https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/10/04/20002-20181004ARTFIG00285-quel-gouvernement-a-le-plus-privatise-depuis-30-ans.php
Et qui voit encore à Vilvoorde Jospin proclamer que « L’État ne peut pas tout ». Un quasi-mensonge, puisque qu’avec le concours des actionnaires salariés, l’Etat est majoritaire au CA de la Régie Renault (RNUR) :
https://www.lesechos.fr/1997/06/la-confirmation-de-la-fermeture-de-renault-vilvoorde-declenche-deception-et-amertume-816502
Un avis réitéré lors de licenciements massifs chez Michelin : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-economie/20140430.RUE3596/l-etat-ne-peut-pas-tout-quinze-ans-de-malediction-jospin.html
Ces mauvaises nouvelles devaient être sans surprise sanctionnées en 2002 à la grande surprise pourtant des socialistes. On l’aimait bien Jospin…. Et il avait « un bon bilan » selon les médias !
A ce stade, il nous faut remonter dans le temps.
La gauche politique organisée naît en premier lieu avec le Parti radical, bientôt radical-socialiste. C’est que le socialisme, qui a mis du temps à émerger depuis le début du XIXème, gagne en audience, difficilement. Mais quels sont ses liens avec les ouvriers et les paysans modestes, qui constituent encore 80 % de la population ? Ce sont d’abord des instituteurs, des receveurs des postes, des receveurs des contributions indirectes (l’IRPP n’existe pas encore). Des « intellos » donc. Pas étonnant dans un pays qui a produit tant d’écrivains, de philosophes, d’économistes, depuis le XIVème siècle. Un pays instruit d’ailleurs, notamment grâce aux efforts des congrégations catholiques, et des paroisses protestantes.
Un pays où le travail intellectuel bénéficie d’un grand prestige. Mais un pays où les métiers, le travail manuel, ne sont pas considérés à leur juste valeur, contrairement aux pays germaniques, et la Scandinavie, par exemple. Les paysans ne sont pas organisés, sauf à la marge dans certaines régions. Les ouvriers, lorsqu’ils sont syndiqués, et rejoignent la CGT (il y a beaucoup de syndicats « autonomes »), ils n’y rencontrent guère de militants socialistes. En effet, ils n’ont que peu de confiance dans cette gauche « intellectuelle » et une République bourgeoise, qui leur a interdit en 1791 de se « coaliser » (loi Le Chapelier). Abolie en 1864 par Napoléon III, tandis que son oncle avait imposé un « livret de circulation » aux ouvriers ! Alors que la République a produit à Paris le bain de sang de juin 1848, puis de la Commune en 1871.
Le syndicalisme n’est autorisé tardivement qu’en 1884, un siècle après la loi Le Chapelier, et la CGT fondée en 1895. C’était donc bien la lutte des classes !
Mais la SFIO demeure essentiellement, un parti de fonctionnaires, de salariés de grandes entreprises, comme les chemins de fer. Si dans l’intervalle 1920/1990 le PCF a beaucoup organisé les ouvriers, on a vu plus haut que cette implantation a fortement régressé. L’évaporation du modèle soviétique tant vanté y a contribué aussi.
Le passé est donc un peu un passif, pour cette population, qui a oublié 1936, 1968 et 1981.
Qu’en est-il des perspectives actuelles ?
Le syndicalisme constitue un vivier de diffusion de ses idées et de recrutement pour la gauche.
Victime depuis ses débuts de la répression patronale ou étatique, autorisé dans la fonction publique seulement depuis 1920, il atteint un pic de forces après la Libération, avec un taux de syndicalisation de 50 % dans le secteur privé. La scission de la CGT en 1947, encouragée par la CIA et la SFIO n’améliore pas ce score, tandis que la CFTC créée en 1920 s’implante dans l’industrie des régions périphériques notamment. Le morcellement syndical se poursuit avec de multiples scissions, à la CFTC en 1964, puis à la CFDT, à la FEN et dans la FASP (Police nationale) dans la décennie 1990. La création de l’UNSA, censée rassembler des syndicats « autonomes » autour des restes de la FEN, pour les aider à rejoindre la CFDT ne constitue pas un succès fulgurant.
L’échec du rapprochement CGT-CFDT tenté par Eugène Descamps et Georges Séguy après 1968, puis des tentatives des décennies ultérieures, n’apporte pas au syndicalisme la résistance au déclin qui le voit aujourd’hui recruter moins de 10 % des salariés comme des fonctionnaires, avec quelques poches de forte syndicalisation. La désindustrialisation, la précarisation du salariat, le chômage, n’incitent pas à s’engager ni à prendre des risques. D’ailleurs, quel syndicat choisir ?
Car le syndicalisme se replie aussi sur des pratiques sectaires dans certains secteurs, et la préservation d’appareils de moins en moins performants, qui se partagent un vivier de militants compétents forcément restreint. Pourtant en dépit des apparences, des passerelles existent.
Construit autour d’analyses de la société, et de projets politiques, voire religieux, le syndicalisme d’aujourd’hui voit ses clivages s’estomper fortement. Entre la CGC créée après 1945 pour les ingénieurs cadres et techniciens en rupture avec l’idéologie de la CGT, comme avec le confessionnalisme CFTC, quelles sont aujourd’hui les divergences réelles ? La « mondialisation heureuse » a vu une désindustrialisation et une précarisation de ces personnels jadis « privilégiés ».
La CGT-FO de 1947 ne combat plus un stalinisme qui a officiellement disparu. La CFTC ne se distingue guère au quotidien de la CFDT, ni même de la CGT. Une CGT qui n’a jamais véritablement refusé les négociations d’entreprises malgré un discours virulent et parfois désespéré.
Dans les entreprises, les syndicalistes qui doivent défendre leur boutique lors des élections professionnelles, se réunissent face à une forte pression patronale. Qu’est-ce qui les empêche de se rassembler au sein d’une même confédération ? La préservation de carrières modestes joue un rôle, la force des habitudes, l’inertie propre à toutes les institutions, la fidélité à des drapeaux... Est-il possible de rompre avec ce déclin, et la gauche politique peut-elle y aider ? La faiblesse des effectifs en décroissance, la participation affaiblie aux élections professionnelles, la disparition des élections à la SS, L’audience croissante du discours du RN et même de Zemmour parmi les adhérents, voire les risques de prises de contrôle, devraient encourager les dirigeants à s’interroger. Mais il faudrait probablement une aide, une démarches extérieure, pour impulser une réflexion qui cette fois débouche sur des résultats.
Dans le monde associatif, un grand nombre de structures réunies autour des gauches, comme la Fédération des oeuvres laïques, la Fédération Léo Lagrange, le scoutisme laïque, les auberges de jeunesse, ont fortement régressé, pour des raisons diverses, victime d’un affaiblissement militant, mais aussi de la concurrence d’activités de loisirs accessibles au plus grand nombre, et de l’individualisation portée par notre société de consommation. Ce sont des éléments importants de la présence de la gauche dans les couches populaires notamment. Où en est la réflexion de la gauche ?
Quant à la gauche politique, est-elle capable de relever le défi lancé par l’extrême-droite ?
https://www.sudouest.fr/politique/marine-le-pen/sondage-presidentielle-2027-avec-36-a-38-des-voix-marine-le-pen-toujours-loin-devant-au-premier-tour-22484953.php
Une gauche divisée ne dépasse guère 25 %, tandis que Le Pen frôle les 40 % (sondage mars 2025).
Souvenons-nous qu’en 2012, on entendait souvent la réflexion suivante : « Cette fois on va donner aux socialos une dernière chance en votant pour Hollande contre Sarko. » De fait, le candidat a bénéficié d’un fort vote populaires, et même de voix provenant d’une droite « sociale », comme du MODEM. De fait, le PS et ses alliés se sont vu propulsés à la tête de presque toutes les régions, de la majorité des départements, du Sénat ! Un exploit jamais encore réalisé. De ces victoires, qu’en a fait la gauche, et notamment le PS ?
La responsabilité de l’équipe présidentielle, des choix du président dans un cadre où ses pouvoirs sont importants, est claire. Si les couches populaires n’ont pas été ignorées, la désindustrialisation combattue par Montebourg n’a pas été limitée bien au contraire, après son départ.
Le PS n’a jamais d’ailleurs su ou voulu faire une place aux nombreux responsables syndicaux de toutes obédiences qui l’on rejoint. Les places de parlementaires sont chères ! Ils étaient pourtant un gagne de crédibilité d’un projet socialiste.
l’affaiblissement du droit du travail porté par M. Valls, et la loi « El Khomri » a dressé contre le gouvernement un monde syndical unanime. Si le bureau national du PS y a été hostile, son premier secrétaire n’a pas joué son rôle de porte-voix de la majorité du Parti, et a laissé faire.
Dans le contexte de fin du gouvernement Hollande, l’affaiblissement de la présence et de la réponse des services publics notamment en zone rurale ne s’est pas trop interrompue.
Interrogeons-nous sur le rôle du PC et des Verts dans cette aventure. Qu’ont-ils fait pour infléchir une évolution prévisible, sous la houlette de M. Macron, conseiller du président, puis ministre ?
Délaissant le terrain social au profit de « conquêtes sociétales », comme l’y invitait D. Strauss-Kahn dans son livre « La flamme et la cendre » publié en 2002, et repris par le cercle de réflexion Terra-Nova, la gauche, essentiellement les Verts et le PS, ont délaissé ces ouvriers que certains voient peut-être incultes et racistes, voués à l’abstention, au profit des droits de « minorités » notamment sexuelles.
Évidemment cette distanciation a trouvé chez d’habiles démagogues un intérêt compréhensible et un motif de confort électoral, renforcé par un discours féministe « agressif » mal perçu alors qu’il avait vocation à s’imposer comme une évidence. Ajoutons à ce tableau le divorce entre la fin du mois et la fin du monde peu perçu par des écologistes soucieux de verdir le pays, mais semble-t-il moins concernés par les difficultés économiques engendrées par cette politique, à court terme.
La gauche saura-t-elle retrouver le chemin du social, et une crédibilité, sans pour autant abandonner ces minorités qui méritent notre tolérance, mais qui doivent peut-être moins s’agiter pour exiger une adaptation de la société à leurs problèmes ? Le féminisme le plus militant saura-t-il se faire accepter comme une évidence ?
La foi dans une Union européenne fédérale a aussi pu être perçue par certains comme une acceptation d’une UE hostile au progrès social, favorable aux délocalisations, à la concurrence entre les salariés d’Europe orientale, et leurs camarades de l’Ouest. Idem pour les services publics qui doivent accepter la concurrence. Dans ce contexte, la nation peut apparaître, à tort ou à raison comme un cadre protecteur. L’Europe sociale promise a du retard, depuis 1979...
La gauche a en réalité un avenir, car elle porte les exigences de fraternité et de partage issues d’une société fortement influencée par son héritage humaniste, notamment chrétien. Si elle sait le comprendre, et se rassembler sans exclusive, elle trouvera autour d’un véritable programme de gauche, un écho positif même parmi les électeurs du MODEM et d’un segment d’une droite soucieuse de social, autour des évidences exposées dans la devise républicaine.
Contributeurs : Christian VÉLY, bureau de la CNE, Charles CALA, bureau de la CNE, Michel DESCORMES, CF 26