En finir avec le (jeune) Boy’s club socialiste !


Thème : Féminisme


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Jour de Printemps 2022. Campagnes électorales. Dimanche matin. Jour de Marché.  J’observe des militants autour de moi, des hommes essentiellement. Ils ont l’air de savoir ce  qu’ils font, je saisis donc une poignée de tracts et rejoins à proximité d’un marchand de légumes là où des militants d’autres partis de gauche que le mien s’attèlent à la même tâche ingrate et pourtant vitale. Je cherche du regard mes camarades : nous sommes deux jeunes femmes, trois peut-être, militantes et non-élues, entourées de multiples jeunes hommes. Et je me mets à examiner ces militantes présentes appartenant à d’autres mouvements que celui du Parti socialiste (PS) - Europe Écologie les Verts, Parti Communiste  Français, La France Insoumise – déterminées comme moi à convaincre, mais nombreuses. Alors je me demande pourquoi il n’y a pas davantage de jeunes militantes au sein de ma formation politique et de son mouvement de jeunesse, alors même que les candidates que je défends ardemment depuis plusieurs mois sont des femmes dotées d’un projet résolument féministe et à l’écoute des jeunes voix qui s’élèvent. Et je ne suis pas la seule, esseulée, à me poser ces questions.  

Le constat dressé par Gisèle Halimi, militante féministe, avocate et députée (1981-1984) « La politique est chose trop sérieuse pour n’être laissée aux seuls hommes » reste d’actualité : les femmes n’y sont toujours ni en nombre égal, ni majoritaires. Malgré des progrès statutaires et organisationnels avérés, nous demeurons toujours si peu nombreuses, les grandes oubliées du champ politique : les jeunes femmes s’engagent moins en politique que leurs camarades du même âge. L’honnêteté nous oblige à admettre que les récentes affaires révélées au sein des formations politiques, bien après #BalanceTonPorc, et le #MeTooPolitique auxquels les partis de gauche ont amplifié l’écho des voix autrefois tues et interdites, n’ont pas nécessairement contribué à rassurer nos potentielles camarades désireuses de défendre nos projets. Face à notre faible capacité à attirer des jeunes socialistes partageant nos combats mais s’orientant vers d’autres organisations, sommes-nous réellement crédibles pour porter le combat féministe, porter la voix des femmes dans l’espace public, porter un socialisme féministe ? Les voix les plus visibles de nos projets sont celles portées par nos élues. Encore faut-il qu’il y ait des candidates, y compris de jeunes militantes, présentées en position d’éligibilité à chaque élection.  

En tant que jeunes militants, nous devons refuser tout acte participant à l’invisibilisation de nos camarades et de nos sœurs. Nos organisations de jeunesse ont le devoir d’exemplarité et de  devenir des safe places dans lesquelles les militantes se sentent en sécurité et s’engagent dans une aventure collective qui les respecte. Et pour cause, n’y a-t-il pas plus effrayant pour  une jeune femme que de se dire qu’elle intègre un mouvement, qui fut par le passé marqué par des affaires de violences sexuelles et sexistes et abus de pouvoir ? Les organisations de jeunesse, dont les Jeunes Socialistes (JS), doivent donc rompre avec l’inertie qui a longtemps été la leur, pour atteindre l’égalité femmes-hommes tant défendue. Il doit être mis résolument fin à cette vénéneuse « politique de mec » pratiquées dans nos formations politiques.  

Nous, militantes et militants, devons refuser l’invisibilisation de femmes et exiger la reconnaissance de leur - et notre propre - investissement 

En termes numériques, au sein de notre Parti et dans d’autres, les femmes élues sont sous représentées. Comment faire élire des femmes socialistes, quand nous n’avons pas assez de  femmes susceptibles d’incarner nos vécus, ni assez de militantes pour les porter avec conviction ? S’engager aujourd’hui dans une organisation de jeunesse, en tant que jeunes femmes, c’est certes prendre son courage à deux mains pour aller à la rencontre de nouveaux camarades et de combats difficiles à mener, mais c’est également prendre le risque d’un  désenchantement du monde militant. Bien que nous parlions tous le même langage, nous nous heurtons à celui du mansplaining, parfois assumé, souvent outrancier, dans des  réunions où nous sommes numériquement, et nous espérons involontairement, inférieures aux hommes. Bien que notre investissement soit égal à celui de nos camarades, nous faisons  encore le constat de paroles qui blessent et rabaissent, parfois prononcées par les mêmes qui nous forment et nous encadrent. Somme toute, les organisations de jeunesse  reproduisent les stigmates imposés par notre société : être une femme en politique nécessite deux fois plus d’investissement pour faire ses preuves et être reconnue légitime. Ni les jeunes militantes et ni les JS n’échappent encore totalement à ces fatalités.  

En tant que mouvement de jeunesse, supposé porter les combats féministes portés par les jeunes, il est de la responsabilité des JS de montrer aux jeunes femmes qu’elles ont tout autant à gagner que les hommes à s’engager en politique. 

Le courage, disait Jaurès, c’est de chercher la vérité et de la dire  

Le courage, c’est de dire que nous ne pouvons pas passer sous silence l’inaction de notre mouvement de jeunesse qui préfère encore les éléments de langage à celui des  actions. La parole politique doit nécessairement être reliée à des actions, expression concrète  d’un changement. Force est de constater que les JS n’ont fait que déployer des dispositifs de  communication restées lettres mortes auprès de nos consœurs. Malheureusement, on ne combat pas le patriarcat et les schémas qu’il engendre avec des visuels sur les réseaux sociaux. La lutte pour l’égalité femmes-hommes se fait par des combats concrets et des prises de parole courageuses, ce qui a globalement manqué ces dernières années.  

Le courage, c’est aussi de pouvoir dire sans craindre que la féminisation de notre mouvement n’est qu’apparente. Que celle-ci occulte, en réalité, une organisation qui ne s’est  pas départie de ses vieux démons. Une présidence féminine mais entourée par une garde rapprochée quasi-exclusivement masculine à la tête d’une organisation structurellement  patriarcale où toutes les fédérations principales sont gérées par les hommes.  

Des avancées et des espoirs concrets pour l’égalité et la parité, mais contrebalancées par l’inertie historique de nos structures politiques 

Partir du réel pour aller à l’idéal disait, toujours, Jaurès. C’est en partant des insuffisances et des maux qui sclérosent nos organisations que nous pourrons aller vers l’égalité réelle. Nous  devons collectivement prendre conscience que proclamer l’égalité sans une représentation féminine importante en notre sein discrédite complètement notre message politique.  

Le Parti Socialiste, et en particulier grâce à Lionel Jospin, a été le premier parti à ériger la parité en politique en tant que valeur morale et légale : contrainte pour les partis politique qu’il y ait autant de femmes que d’hommes candidats lors des scrutins de liste, pénalités financières pour les partis politiques ne présentant pas 50 % de femmes aux élections  législatives. Le combat avait bien commencé. La féminisation des exécutifs locaux, grandes métropoles et bourgs ruraux, ainsi que Parlement avait pris un élan. Pourtant, en juin 2022, le  recul des femmes au sein de notre groupe à l’Assemblée nationale apparaît pour nous comme un révélateur inquiétant du manque de considérations du sujet au PS et a fortiori au sein des JS. Sous prétexte d’une union historique, aucun n’a eu réellement le réflexe d’une parole  malgré l’injustice des dernières élections. Ce réveil était pourtant attendu, après une  séquence électorale ayant clairement remis en cause la légitimité des femmes à s’investir en politique alors même qu’elles sont décrites les plus aptes à porter des combats  féministes en politique du fait de leur « expertise d’expérience ».  

Des enquêtes ont mis en exergue que, au début des années 2000, les JS ont pourtant fait acte de féminisation - identités militantes et recrutements féminisés - avec à sa tête un bureau national comptant dix femmes pour sept hommes. Cet élan de féminisation important de notre mouvement a été interrompu brutalement, non sans conséquences sur ses orientations  politiques et son personnel. La crise du recrutement s’est inversée : là où on peinait à encourager les hommes à s’engager chez les JS, aujourd’hui nous avons perdu les femmes.  Cette expérience doit nous servir de boussole pour la féminisation dans nos mouvements.  

Attention toutefois à ce que les femmes ne soient pas uniquement désignées dans les crises démocratiques que nous vivons : nous, militantes, n’avons pas vocation à devenir des  ressources politiques pour des partis mis en difficulté. À la même échelle que les hommes, les femmes doivent être à l’origine des prises de décisions, les JS sont un biais de  formation non-négligeable et en cela il doit redonner la place aux femmes, à leurs idées et à leurs vécus.  

Par ailleurs, un travail de refondation doit être plus largement engagé dans les organisations politiques et leur mouvement de jeunesse : ces structures, qui apparaissent neutres  aujourd’hui, ont été créées par des hommes, avec leurs propres valeurs et rétributions identitaires projetées. Nos structures doivent durablement créer et porter une nouvelle matrice de valeurs. Elles doivent être également exemplaires en matière de lutte contre la division sexuée du travail politique dans nos organisations et ses déclinaisons.  

Pour une parité réelle dans nos mouvements de jeunesses et chez les Jeunes Socialistes 

Il importe que les femmes soient plus visibles dans toutes les sphères de la société, y compris en politique. Cette nécessaire visibilité ne peut s’épanouir dans l’organisation patriarcale de  notre parti et de son mouvement de jeunesse. L’avenir des JS doit se faire avec les femmes, il est plus que jamais nécessaire de passer d’une parité formelle à une parité réelle en commençant par une parité dans les cadres des instances jeunes avec un scrutin paritaire qui seraient imposés par les statuts. Nous prônons l’exemplarité comme une  incarnation concrète des principes que nous défendons.  

La parité réelle au sein des instances du PS est la nécessité, non pas uniquement de compter des militantes parmi ses rangs, mais de les impliquer dans des rôles décisionnaires en  facilitant leurs prises de leadership et en les encourageant à prendre la parole au sein des instances afin de lever les freins qui conduisent souvent à leur invisibilisation. Cette parité est primordiale, mais elle n’est qu’une étape nécessaire d’un changement plus structurel sur l’acculturation de nos formations partisanes à l’association des femmes et surtout à la  réalisation de leur plein engagement. Les JS doivent apporter un soutien total des personnes qui se battent pour la parité réelle dans les instances dirigeantes, et interpeller quand la  parité n’est pas respectée ou qu’elle est dévoyée par ceux qui la détournent à leurs fins.  

Des modèles et des incarnations conditionnent l’engagement militant, y compris dans un mouvement politique de jeunesse. Une féminisation accrue du PS aurait un impact positif dans  l’engagement des femmes au sein des JS. À notre échelle, il s’agirait de donner la parole à nos élues, qui se battent chaque jour pour légitimer leur place dans le monde politique.  

Il nous faut apprendre à parler à nos jeunesses. Nous devons nous adresser à toutes les jeunesses, ainsi qu'à toutes les femmes. Pourquoi ne s’adresser qu’aux jeunes à la sortie  des universités ? Que faisons-nous des jeunesses des milieux ruraux, ouvriers, hors études supérieures ? Là aussi des jeunes veulent s’engager, des femmes veulent s’investir, dans des  milieux où souvent on ne leur explique pas que cela est possible ou souhaitable.  

Les JS doivent être à l’avant-garde dans la vision de la parité et de l’importante place des femmes que nous voulons en politique, pour ainsi s’inscrire réellement, non  seulement dans la lutte contre les stéréotypes de genre et leur reproduction, mais plus généralement pour des transformations sociales positives, démocratiques et  égalitaires.


Premières signataires

FELDMAN Chanaël (75), EL AARAJE Lamia - Porte-parole du Parti Socialiste (75), SIRY-HOUARI Gabrielle - Porte-parole du Parti Socialiste (75)


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