Endettement et déficits publics : gagnons cette bataille idéologique


Thème : Dette publique


Endettement et déficits publics : Gagnons cette nouvelle bataille idéologique


Le constat : Le désendettement arrive en troisième position des priorités citées pour le prochain quinquennat, juste derrière le pouvoir d'achat et les retraites, selon le tableau de bord de la transformation de la France que vient de réaliser l'Ifop. Six Français sur dix (61 %) estiment qu'il faut « changer profondément » la transformation de la France, selon un sondage réalisé mi-mars, un bond de 13 points en deux ans. Cela signifie que si le parti socialiste veut être entendu, il faut des analyses et des propositions claires. Les Français ne souhaitent pas poursuivre ce qui a été entrepris depuis 2017, ne veulent pas non plus d’aménagement, mais une nouvelle ère et de nouvelles propositions plus radicales. Une majorité des Français considère que la situation politique actuelle ne permet pas de conduire la transformation du pays. La société se durcit et se polarise.
Dans les priorités des Français, un enjeu monte en flèche. Celui de la réduction de la dette, en hausse de 8 points par rapport au baromètre de janvier 2022. La réduction de la dette arrive au même rang des priorités que les questions du contrôle des flux migratoires et de la sécurité.


L’état actuel de nos finances publiques En atteignant 3 305 Md€, l’endettement public s’élève à 113 % du PIB en 2024, selon l’Insee, niveau record hors période de crise. Pour rappel, elle s’élevait à 100 Md€ en 1981, puis à 1 000 Md€ en 2003. La hausse de la dette est continue depuis 1974 et à cette date, elle ne représentait que 14,5% du PIB. La hausse de 2024 s’explique par une progression du déficit public à 5,8% du PIB contre 4,4% dans les prévisions du gouvernement. Ainsi en 2024, l’Etat au sens large a dépensé 169,6 Md€ de plus que le total des recettes. Le dérapage de 60 Md€ s’explique par une progression des recettes de 3,1% et les dépenses ont augmenté de 3,9%. Sur 2025, le gouvernement table sur un déficit de 5,4% et un retour à 3% en 2029, sachant qu’en 2025, la croissance attendue du PIB serait de 0,9%, chiffre qui sera certainement inférieur en raison d’après l’Insee, des contraintes budgétaires, du ralentissement du commerce extérieur et de la hausse du chômage. Dans le budget 2025, il est prévu que la dette publique monte à 115,5% du PIB et elle devrait franchir la barre des 120% en 2028, selon l’agence de notation Fitch, et continuer son ascension au moins jusqu’en 2029-2030, d’après la plupart des prévisionnistes. La Cour des comptes est à peu près sur les mêmes tendances. La question de la hausse des dépenses militaires (on passerait de 2 à 5% du PIB) se pose aujourd’hui, (sauf si on exclut ces dépenses du calcul de l’endettement et du déficit), de même que la nécessité d’investir massivement dans la transition énergétique. Tout dépendra aussi de l’évolution des taux d’intérêt. Compris entre 0 et 1% dans les années 2010, ces taux oscillent aujourd’hui autour de 3,5% contre 2,8% il y a un an, avant les risques politiques liés à la dissolution. La charge de la dette devrait ainsi se situer à 55 Md€ en 2025, selon le budget voté en février et selon la Cour des comptes, ce coût pourrait être de 112 Md€ en 2029.


Notre analyse : L’actuel premier Ministre a créé un lien entre la dette et la morale : « Je ne dis pas que la dette soit toujours immorale, J’affirme qu’aucune politique de ressaisissement et de refondation ne pourra être conduite si elle ne tient pas compte de notre surendettement ». Le discours de François Bayrou le rapproche de la culture allemande puisque dans cette langue, la dette se dit « schulde », le même terme que pour « la faute » ou « culpabilité ». Les premières théories autour de l’endettement public s’attachent effectivement à son caractère moral ou non. Ils sont le fait d’auteurs qui raisonnent sur le caractère licite ou non de l’usure et de la légitimité des emprunts contractés par les Etats. Ce courant de pensée est moins favorable au recours à l’endettement public. On ne doit pas mobiliser l’épargne pour un financement improductif de l’Etat (Montesquieu).


Il existe ainsi un paradoxe. Dans le secteur privé, l’endettement est une vertu et un facteur d’optimisation. Il fait partie de la stratégie du manager qui cherche à améliorer la rentabilité des actifs en utilisant l’écart entre la rentabilité escomptée du projet et le coût du financement. A contrario, l’endettement serait à bannir dans le secteur public pour un problème d’abord moral, dont on a un peu de mal à en saisir la signification.


Revenons sur les chiffres, on oublie que l’ensemble des actifs de l’Etat en 2023 est de 4 493 Md€. En sommant l’ensemble des actifs et en enlevant les passifs financiers, le solde du patrimoine de l’Etat en 2023 est donc positif de 787 Md€. Ce solde est en amélioration puisqu’il était de 190 Md€ en 2017. Sommes-nous vraiment ruinés ? Plutôt que de s’inscrire dans un cadre moraliste, nous souhaitons ici rappeler quelques faits. Constamment mentionner que nous léguons la dette à nos enfants, voire à nos petits-enfants est factuellement faux puisque notre dette a une durée moyenne d’un peu plus de 8 années pour la dette négociable de l’Etat. En 2025, nous allons devoir faire face à de nouveaux enjeux internationaux qui nécessitent une plus grande justice sociale afin de lutter contre la montée des extrêmes et il faudra aussi une politique industrielle à l’échelle européenne beaucoup plus efficace. Dans ce contexte, la peur de la dette est déraisonnable. Cette question renvoie à la perte idéologique de la gauche, soucieuse de préserver un Etat providence, et à la victoire du libéralisme, dont un des objectifs est le démantèlement de l’Etat social et la privatisation de tâches autrefois dévolues à l’Etat, en particulier l’éducation.


L’explosion après 2007 de la dette publique s’explique par la crise de la finance privée, puis par la crise sanitaire et l’inflation. D’un point de vue politique, la dette résulte aussi d’une entente entre les classes dirigeantes et l’Etat. La tendance à la baisse de la fiscalité des entreprises et des particuliers à hauts revenus depuis 2000, de même que la mise en œuvre de nouvelles techniques de défiscalisation est le résultat de cette négociation. C’est ce qui explique pourquoi nous avons à la fois une baisse de la fiscalité et en même temps un creusement des inégalités dont la défiscalisation est une des pierres angulaires. L’idée des libéraux est claire : diminuer les recettes fiscales pour ensuite baisser les dépenses publiques de l’Etat et privatiser des services, modèle que Margareth Thatcher a repris à son compte mais qui n’a pas pu être mis en place dans sa totalité. La France n’est pas restée à l’écart de ces stratégies puisque depuis le milieu des années 2010, beaucoup de mesures ont été prises pour faire baisser les recettes de l’Etat. La dernière bataille sur les retraites en est un exemple.


Le paradoxe français tient à ce qu’en dépit de ces baisses ciblées de la fiscalité, le niveau global du taux de prélèvement obligatoire n’a pas baissé. C’est sa structure qui a été modifiée et surtout la répartition de l’effort fiscal entre les groupes sociaux. Concrètement, depuis 2012, les prélèvements obligatoires sur les ménages ont fortement augmenté alors que ceux sur les entreprises ont baissé par le biais du CICE, puis par la baisse des impôts sur les bénéfices. Et la question est là. A quoi les entreprises ont-elles utilisé cette marge supplémentaire ? La réponse est contestable : les actions et fonds d’investissements détenus par les entreprises à l’actif de leurs bilans sont passés d’après l’Insee de 5200 Md€ en 2017 à 9 000 Md€ en 2023, soit +3800 Md€. Est-ce vraiment cohérent par rapport aux enjeux actuels ?

Nos propositions :
Est remise en question l’idée selon laquelle les seules réductions des dépenses peuvent résoudre les problèmes de l’endettement. Il ne s’agit pas de nier que des améliorations doivent être faites dans l’organisation et dans le financement des services publics, mais cela ne doit pas être un objectif prioritaire.

Nos propositions trouvent ici un supplément de recettes de l’ordre de 65 Md€, soit 2,2% du PIB. Concernant la fiscalité des entreprises, elle n’a cessé de diminuer, ce qui a conduit à un accroissement des marges des entreprises et de leur trésorerie. Il est proposé des pistes pour améliorer les recettes fiscales, notamment en augmentant les impôts sur les dividendes et les rachats d’actions, en instaurant un nouvel impôt sur le free cash-flow d’exploitation des entreprises, et en réformant la fiscalité des ménages en rendant les impôts plus progressifs. Un impôt sur le patrimoine ou des modifications importantes de l’impôt sur le revenu pour augmenter les recettes fiscales et réduire les inégalités sont également suggérés afin de revenir à une équité sociale. L’étude des revenus et des patrimoines, le désir exprimé d’une plus grande justice sociale et fiscale conduisent à regarder aussi du côté des recettes publiques.

Sur la question des recettes des cotisations sociales, cela a été un des débats posés lors de la loi sur les retraites, comme rappelé précédemment. Sans toucher à la compétitivité des entreprises, une hausse de la contribution de l’employeur, en appliquant un taux de 1% supplémentaire, est souhaitable. Cela devrait rapporter une recette de l’ordre de 13,5 Md€. Pour soutenir les investissements, il faut envisager une fiscalité supplémentaire sur les dividendes et sur les rachats d’actions propres. Ces deux éléments contribuent à l’amélioration du retour sur investissement des actionnaires, mais ne participent pas à la croissance de l’entreprise. Une taxation de 5% sur les rachats d’actions donnerait un surplus financier de près de 1,5 Md€. Ce montant est modéré mais il est symbolique d’une volonté à favoriser une stratégie industrielle. Le deuxième axe consiste à lever un nouvel impôt, mais sur une autre base imposable. Un impôt à hauteur de 10% sera calculé sur la base d’un free cash-flow d’exploitation (résultat économique après investissement). Cela donne sur cette base un produit de 9 Md€.

Le différentiel de revenus et du patrimoine est donc élevé et une politique fiscale doit être plus progressive et redistributive. On peut ainsi imaginer un impôt spécial, celui d’imposer sur le capital à hauteur de 1% chaque année, la frange des ménages qui appartient au dernier décile, soit 5,3 millions de ménages. En moyenne, le patrimoine étant en net de 633,2 k€, pour ce dernier décile, cela permettrait d’augmenter les recettes de 33,6 Md€, soit 1,2 % du PIB et c’est plus de deux fois plus que ce qui est obtenu au travers de la réforme des retraites. On pourrait également réfléchir à une hausse graduelle du taux puisque le dernier décile dispose de plus de 2 M€ de patrimoine.

Enfin, nous proposons de relever la dernière tranche à hauteur de 55 % et l’avant-dernière à 48 %, cela apporterait un supplément de recettes de l’ordre de 7 Md€.

En conclusion, une nouvelle histoire de la dette doit s’écrire en allant au-delà des données purement comptables. En s’inscrivant dans une nouvelle pensée économique et en instaurant de réelles méthodes de négociations entre responsables publics et les corps intermédiaires. Il faut arriver à un consensus et offrir aussi des dynamiques de croissance économique pour résoudre un de nos problèmes principaux en France et en Europe, celui du chômage et de l’urgence climatique. La situation des taux d’intérêt réels encore modérée donne l’opportunité de construire une politique industrielle avec un lourd programme d’investissement financé par de la dette puisque certaines marges de manœuvre auront été retrouvées par le biais de la hausse de certaines recettes.

L’analyse de la dette doit aussi être appréhendée de façon plus large, le sujet étant plus complexe qu’il n’y parait. Cela pose la question de la règle des politiques budgétaires de l’Union européenne, qui veulent imposer à ses États membres une dette publique maximale de 60 % du PIB et un déficit à seulement 3% ! Cela a peu de sens et surtout nous manquons d’instrument pour déterminer quel est le niveau acceptable de la dette publique. Jean Tirole, prix Nobel d’économie, répond à cette question en ces termes : « Si les économistes s’accordent sur les caractéristiques qui déterminent si une dette est soutenable et sur le fait qu’un surendettement est dangereux pour le pays, il est difficile d’identifier de façon précise le niveau maximal d’endettement et il est nécessaire de raisonner au cas par cas ». La notion de bonne ou mauvaise dette et du niveau acceptable renvoie donc souvent à des notions plus qualitatives que quantitatives.


Contributeur : Jean-Noël VIEILLE, analyste financier et économiste, secrétaire de section Paris 9 Jacques Bravo. 


 

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