Entre réarmement et décarbonation, investir dans nos transports en Europe et en France

Thème : Transports


Télécharger la contribution

 

Entre réarmement et décarbonation, investir dans nos transports en Europe et en France

Le rapport rendu en 2024 par l’ancien président du conseil italien et gouverneur de la Banque centrale européenne Mario Draghi sur la compétitivité et l’avenir de l’Union européenne a relevé de grandes lacunes dans le secteur des transports, d’abord liées à l’insuffisance des investissements dans les infrastructures. Un frein majeur pour la transition écologique et la relance économique de l’Union.

A ces deux enjeux, dont nous pensions qu’ils constitueraient le fil conducteur du mandat européen débuté en juin 2024, est venue s’ajouter l’impérieuse nécessité de préparer l’Europe à un conflit de grande envergure, dans lequel le secours américain n’est plus acquis.

Les recommandations du rapport Draghi s’appuyaient sur deux jambes : une « simplification » du droit, au service d’une lisibilité plus grande des règlementations européenne, nationales et locales; et des investissements à hauteur de 800 milliards d’euros par an dans les secteurs stratégiques - expression la signification, en temps de réarmement, vient de prendre un nouveau sens.

Parmi ces subsides, l’ancien banquier central recommandait d’allouer 150 milliards aux transports. Or, pour le moment, la Commission européenne a choisi - pétrie de son dogmatisme libéral - de présenter des mesures de simplification ressemblant à s’y méprendre à de la dérégulation détricotant des objectifs du Pacte vert. Un premier stade a été franchi lors de la séance plénière du Parlement européen du 3 avril, au cours de laquelle a été voté le fameux paquet « Omnibus ».

Or, si l’excès de régulation n’est pas sain pour l’environnement économique européen, la transition écologique ne se fera pas sur la seule base de la bonne volonté des acteurs économiques.

Défendre l’héritage du Pacte vert

Au cours du mandat européen 2019-2024, l’Union européenne a adopté le Pacte vert, par lequel elle s’engage à baisser de 55 % ses émissions carbones par rapport à 1990 d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050. Il s’agit de la manière dont l’UE s’est engagé sur la voie ouverte par l’Accord de Paris.

Or, les transports sont le seul grand secteur économique européen dont les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté depuis les années 1990 avec une hausse d’environ 30 % entre 1990 et 2022. S’il se décarbone de plus en plus, il le fait en réalité trois fois moins vite que les autres secteurs.

Il cause aujourd’hui 25 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’UE. Dans ces 25 %, le transport routier y représente plus de 70 %, la navigation 14 %, l’aviation civile 13 % et le ferroviaire moins de 1 %.

Or, depuis les élections de 2024, la droite au Parlement européen fait régulièrement cause commune avec l’extrême droite pour revenir sur les acquis du Pacte vert et les objectifs et règlementations qu’il fixe, au service de la lutte contre le changement climatique.

C’est donc le rôle des socialistes, en Europe et en France, de défendre une politique ambitieuse de décarbonation, contre l’union des droites.

Sur la route de la décarbonation

Dans le secteur de l’automobile, l’Union européenne a fixé des objectifs climatiques ambitieux pour réduire les émissions avec en particulier la fin de la vente des véhicules thermiques en 2035. Cela pose de grands défis à une industrie déjà exposée à une féroce concurrence mondiale.

Alors que la Chine a pris quinze ans d’avance dans la maîtrise des technologies relatives aux batteries électriques, l’interdiction, sans planification adaptée, de la vente des véhicules à moteur thermiques signifierait une dépendance totale aux importations de l’Empire du Milieu. Ses véhicules électriques sont en effet 25 % moins chers et d’une qualité équivalente à ses concurrents européens.

Trois problèmes interdépendants se posent donc : la survie de l’industrie - et donc de ses emplois - automobile européenne, l’accès de toutes les catégories sociales aux véhicules propres, et la conversion des travailleurs des industries abimées par la transition du moteur thermique vers l’électrique - on pense par exemple à la métallurgie.

Le Plan de soutien à l’automobile annoncé par la Commission européenne fin mars 2025 a eu l’avantage d’ouvrir des pistes bienvenues. On retiendra en premier lieu la création d’un leasing social européen, dont on espère qu’il sera inspiré du modèle français (pour lequel avait fait campagne avec la liste Réveiller l’Europe lors de la campagne des européennes 2024), coûteux mais au succès certain ; des obligations d’achat sur les flottes de véhicules d’entreprises, permettant l’émergence d’un marché de la seconde main de l’électrique ; et le soutien aux filières européennes de batteries.

Un projet industriel doit cependant voir le jour de fabrication de petites véhicules électriques accessibles aux plus modestes, à partir de 10.000 à 15.000 euros.

Quant aux travailleur·ses, rien n’est prévu pour elles·eux à ce stade. Charge aux Socialistes et Démocrates au Parlement européen de rappeler que la transition écologique ne peut réussir dans accompagnement social.

Une politique écologique qui n’inclut pas une approche sociale - accès aux mobilités propres et investissements pour les territoires et les travailleur·ses touchés par les mutations industrielles - est un carburant inépuisable pour l’extrême droite, qui fait campagne sur le rejet de politiques pourtant destinées à la lutte contre le changement climatique et la sauvegarde de la santé publique.

Enfin, le Plan automobile européen, tout comme le «Pacte pour l’industrie propre » présenté quelques semaines auparavant, a eu le mérite de lier la décarbonation à la préférence européenne en défendant une part minimum de contenu Made in Europe dans les pièces détachées et en ouvrant une timide voie vers la mobilisation d’aides directes d’État pour soutenir les entreprises nationales vertueuses.

Chemins de fers de tous pays...

Il est dommageable que ce changement de paradigme qui s’annonce arrive après le démantèlement de Fret SNCF au 1er janvier, exigé par la Commission européenne au prétexte qu’elle aurait reçu des aides directes de l’État français.

Le train est le transport le plus propre et le plus sécurisé, son développement, pour les marchandises et les voyageurs doit être une priorité à la fois pour la décarbonation et pour continuer de connecter le continent.

En particulier, le soutien au fret ferroviaire est encore la meilleure solution pour réduire la place du camion dans la part des transports de marchandises en Europe. Celui-ci est à la fois dangereux et polluant et les solutions pour le décarboner sont difficiles à mettre en place : l’électrique est mal adapté aux longues distances et les moteurs au biogaz sont pour le moment écartés de la liste des moteurs neutres en carbone.

Sur le plan de l’aménagement du territoire, le développement du rail, comme de tous les transports collectifs, est une nécessité absolue. Sans offres de transport adaptées, pas de baisse des usages de l’automobile, mais surtout, pas de développement social et économique.

Dans sa note « Comprendre la géographie du vote RN en 2024 », Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach rappelaient la corrélation entre l’isolement des citoyen.nes et leur propention à voter pour les candidats d’extrême droite aux élections. Le chemin de fer est donc bien un moyen de lutter contre la vague bleue marine.

Les jeunes Européen·nes ont commencé à écrire leur histoire commune dans les wagons de l’Interrail, depuis 1959. En développant des TGV reliant les capitales européennes, des réseaux express dans les métropoles qui peuvent en accueillir et en maintenant les lignes régionales, l’Europe renouera avec ce joli symbole, au service des mobilités propres et de la cohésion sociale.

Le salut militaire ?

De plus, la connexion du continent par des réseaux transeuropéens est devenu une nouvelle priorité, avec la prise de conscience qu’il fallait le préparer à un conflit de forte intensité.

En effet, la Commission européenne a annoncé un plan pour « Réarmer l’Europe » mobilisant 800 milliards d’euros. Or, comme l’a rappelé le commissaire aux Transports mercredi 2 février dans l’hémicycle européen, « l'infanterie gagne des batailles, mais la logistique gagne des guerres».

Lors de ce même débat sur les infrastructures de transports en Europe, a été rappelé l’épisode, en 2022, du parcours du combattant que des chars Leclerc ont vécu pour rejoindre leur base de l’OTAN en Roumanie, depuis la France. Ils ont mis quarante-cinq jours à faire le voyage. En cause : blocages administratifs, écartement des rails différents d’un pays à l’autre, ponts trop fragiles.

En quarante-cinq jours, la Russie pourrait envahir plusieurs pays frontaliers sans que l’UE ait pu déplacer le premier canon vers le front.

Dans ce contexte de nouvelle Guerre froide, adapter nos infrastructures de transports est une priorité absolue. La Commission européenne a certes annoncé 70 milliards d’investissement, mais n’a pas encore indiqué leur provenance. Pour être à niveau, il faudra 100 milliards d’euros sur six ans sont nécessaires.

Cela veut dire sanctuariser une fraction de l’effort de réarmement, une partie des fonds de cohésion et du Mécanisme européen d’interconnexion pour espérer une réponse à la hauteur.

Mais l’objectif de réarmement n’est pas antagoniste de la décarbonation et de la relance économique. Aussi est-il nécessaire de cartographier des axes de transports prioritaires et prévoir des infrastructures pouvant allier les usages civils et militaires.

En planifiant et en répartissant intelligemment les efforts, nous pourrions faire de l’impératif de réarmement européen une opportunité, pour doter l’Union d’un réseau de transport moderne et utile à tous les Européens.


Contributeur :

François Kalfon, député européen, membre du Bureau national

Jonathan Kienzlen, président du groupe SER au Conseil régional d'Il-de-France, 1er secrétaire fédéral du Val-de-Marne
Sacha Loizeau, assistant parlementaire, conseiller fédéral du Val-de-Marne
Chiara Pannunzio, assistante parlementaire, conseillère nationale des Jeunes socialistes


Télécharger la contribution

Veuillez vérifier votre e-mail pour activer votre compte.