Face au dérèglement climatique et à l’insécurité alimentaire, l’urgence de nouvelles régulations de l’économie agricole

Parti Socialiste – Commission nationale agricultures et ruralités


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L'urgence à agir pour une agriculture économe et autonome

Les prévisions les plus pessimistes annoncent maintenant une hausse des températures moyennes de + 3,8°C en France à la fin du siècle. Le changement climatique constitue la principale menace sanitaire et sociale. L'agriculture et l’alimentation sont en première ligne de la bataille contre le changement climatique : à la fois victimes des accidents climatiques, émettrices de plus de 20 % des émissions de Gaz à effet de serre (GES), l’agriculture et l’alimentation sont aussi au coeur des solutions.

La crise sanitaire du Covid a révélé les effets des désordres écologiques de par le monde mais aussi les inégalités dans la résistance à la pandémie où les victimes les plus exposées furent celles atteintes de maladies chroniques (diabète, obésité, etc.). Surtout, elle a réinterrogé la fragilité de ce que la plupart d’entre nous considérait comme acquis : la sécurité des approvisionnements alimentaires. Amplifiées par la guerre en Ukraine, la flambée actuelle des prix agricoles et, son corolaire, l’inflation alimentaire, montrent à l’évidence que la transition écologique doit se faire dans un cadre protégé des convulsions spéculatives afin d’assurer dans le même temps la sécurité alimentaire.

Les multiples alternatives pour produire mieux et manger mieux qui fourmillent avec l'agriculture biologique, l'agroforesterie, l’agriculture urbaine, la permaculture, les circuits courts, etc., pour exemplaires qu’elles soient, ne sont pas aux échelles suffisantes pour répondre au défi de la santé des Humains et de la santé des sols. La réponse passe nécessairement par une réhabilitation de la régulation des marchés agricoles et par une certaine planification alimentaire et écologique de l’agriculture afin d’étendre les initiatives prometteuses, dans un soucis d’efficacité et de cohésion sociale.

L'agriculture et la forêt sont les poumons verts de nos sociétés

Le rapport du GIEC de 2019 nous rappelle que les terres émergées constituent la base principale des moyens de subsistance et du bien-être des humains, incluant l’approvisionnement en nourriture, en eau douce et en de multiples autres services écosystémiques offerts par la biodiversité. A l'échelle mondiale, le rapport estime à 23 % la contribution du secteur agricole au total net des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES). En intégrant l’amont et l’aval du système agroalimentaire, cette contribution s’élève même jusqu'à 37 %. Il souligne également que l'agriculture, la forêt et les espaces naturels constituent un puits d'environ 29 % du seul CO2 produit, ce qui traduit le potentiel considérable de captation du secteur des terres.

Tant à l'échelle nationale, européenne qu’internationale, la poursuite de modèles agricoles émetteurs de GES et destructeurs de ressources naturelles (eau, matière organique, biodiversité) seraient une impasse.

L'agriculture est confrontée à un défi redoutable. L'objectif affiché par la France de neutralité carbone en 2050 implique pour l'agriculture une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre dans les 25 ans à venir ainsi qu’une hausse de la séquestration de carbone dans les sols. Il est clairement inatteignable avec les règles actuelles de la Politique Agricole Commune (PAC) et sur la seule bonne volonté des acteurs.

Derrière des discours gouvernementaux pour une « France nation verte », la PAC actuelle dans sa déclinaison française, demeure injuste et inefficace avec des aides à l’hectare sans réelles contreparties qui confortent les rentes foncières au détriment de la rémunération du travail. D’inefficacité et d’injustice il s’agit également avec la faiblesse des mesures de soutien au pouvoir d'achat pour l’équilibre alimentaire des populations les plus fragiles.

Aller vers la neutralité carbone implique une profonde modification des modes de production, de transformation et de consommation alimentaire pour réduire les émissions de GES et augmenter la séquestration du carbone dans le sol des activités agricoles et forestières.

Depuis un siècle, les Socialistes ont su accompagner les grandes transformations de l'agriculture

Les Socialistes ont porté l'organisation collective des agriculteurs avec la création des syndicats agricoles et des coopératives indépendants des grands propriétaires fonciers dès la fin du XIXeme siècle. Et c’est dans l’entre-deux-guerres, avec le Front populaire, qu’est créé l'Office du blé pour garantir un prix minimum aux producteurs et lutter contre les spéculateurs.

A la Libération, le statut de fermage a protégé les fermiers et les métayers en leur garantissant des baux de longue durée à loyer encadré ainsi qu’en facilitant l’accès à la propriété de la terre à ceux qui la travaillent. Dans les années 1960, le mouvement qui a conduit à la mise en place des SAFER a établi une régulation des marchés fonciers qui a longtemps permis le contrôle des agrandissements pour favoriser l’installation des jeunes agriculteurs. Toujours à la même époque, le mouvement socialiste a structuré les coopératives de production en promouvant notamment l’achat de matériels en commun.

Acteurs de la négociation du marché commun et de la PAC, les Socialistes ont mis en œuvre des instruments de régulation des marchés, notamment avec la création des quotas laitiers en 1984. Récemment, dans le même esprit, ils ont obtenu le maintien du système de régulation encore à l’oeuvre dans la viticulture ainsi que la généralisation, pour les produits sous indications géographiques, de la gestion collective de l'offre.

Dès la fin des années 1990, les Socialistes ont développé les mesures agro- environnementales territoriales pour accompagner la transition environnementale via des contrats pluriannuels. Ils ont aussi été leaders dans la promotion du modèle de l'agroécologie et du stockage du carbone dans les sols, aujourd'hui repris par tous.

Il convient également de rappeler les avancées sociales telles que le statut des agricultrices, le combat pour une retraite agricole digne, les mesures pour la protection des conditions de travail et de rémunération des salariés des exploitations agricoles et des entreprises agroalimentaires, ainsi que l’introduction récente d’une conditionnalité sociale pour bénéficier des subventions de la PAC. Sans oublier le soutien constant des gouvernements socialistes pour la recherche agronomique et l'enseignement technique et supérieur agricole.

En s'appuyant sur sa Commission Nationale à l’Agriculture et la Ruralité, et en dialogue constant avec la diversité des associations rurales et des syndicats d'agriculteurs et de salariés du secteur, le Parti Socialiste continue d’être une force de propositions et un vecteur crédible de la mise en oeuvre du changement.

Pour une planification alimentaire et écologique et des mesures de solidarité sociale

La transition écologique nécessite incontestablement une planification alimentaire et écologique s'appuyant sur la régulation des marchés, la protection des biens communs, une fiscalité incitative pour l'environnement et une juste répartition des aides publiques.

Il est indéniable que la crise climatique entraînera un accroissement de la variabilité des volumes de production. Pour assurer la sécurité alimentaire du local au global, il est impératif de revoir la question des politiques de stockage de denrées alimentaires. L'Union européenne doit être force de proposition pour modifier les règles agricoles de l'OMC qui prohibent ce type de politiques au nom de la croyance dans les vertus stabilisatrices des marchés libéralisés.

Disposer de stocks alimentaires de sécurité est indispensable comme il en existe déjà pour le pétrole. La plus forte variabilité des rendements impose également de pouvoir prioriser l'alimentation sur la production d'énergie à partir de matières premières agricoles. Flexibiliser les politiques de soutien aux agro-carburants et au biogaz est une priorité afin d'orienter les produits agricoles vers l'alimentation pour faire baisser les tensions sur les marchés en cas de crise alimentaire.

S'il convient de sortir de l'option néolibérale du tout marché, le réflexe de l'autosuffisance alimentaire en France et en Europe conduirait également à une fragilité croissante face aux chocs climatiques. Il s’agit donc de renvoyer dos à dos néolibéraux et néoprotectionnistes, et d’affirmer que la sécurité alimentaire nécessite tout autant d'échanges commerciaux équitables que de stocks alimentaires. En particulier, engager des accords de gouvernement à gouvernement avec les pays du pourtour méditerranéen notamment sera le moyen de construire la sécurité alimentaire sur les deux rives de la Méditerranée. Cette reconfiguration du multilatéralisme doit également s’accompagner de mesures-miroirs afin d’avoir l’assurance que les importations respectent les règles de production en vigueur dans l’UE et de tirer les standards vers le haut.

Une réforme de la PAC en profondeur pour accompagner la transformation des systèmes de production

Au début des années 1990, la fin de la politique des prix garantis et des protections aux frontières imposée par l'OMC ainsi que l'introduction des aides directes à la surface ont progressivement déconnecté la politique agricole et la politique alimentaire. L'urgence climatique impose de rebâtir les liens entre production et consommation, et ce en partant des territoires. Cela nécessite d'enclencher une réforme en profondeur de la PAC pour sortir de la logique néolibérale à l’œuvre depuis 1992 qui conduit vers une renationalisation des politiques agricoles au sein de l’Union européenne.

Cette réforme nécessite de promouvoir par grande filière une planification des volumes de production pour les adapter à la demande tout en garantissant un prix minimum aux agriculteurs souhaitant s’engager dans la transition. Pour les secteurs à forts enjeux environnementaux et paysagers, les quotas de production constituent toujours un outil efficace pour répartir la production sur le territoire.

Elle implique enfin de développer les principales techniques de l'agroécologie et d’enclencher un vaste processus de rééquilibrage en faveur des protéines végétales et de reconstruction de systèmes de polyculture élevage seuls capables de mettre fin à l'utilisation massive des pesticides et des fertilisants de synthèse et à augmenter le stockage du carbone dans le sol.

Assurer la protection des ressources communes

La lutte contre le changement climatique implique une maîtrise collective de nos ressources communes que sont l'eau, la terre et les semences.

A défaut d’une politique publique de l’eau refondée sur l’objectif de bonne gestion, au sens de son économie et de son partage, nous prenons le double risque de l’inefficacité et du délitement démocratique. Le stockage de l’eau de pluie est incontournable dans de nombreux territoires, mais il n’est pas acceptable de voir apparaitre des formes de privatisation d’une ressource commune surtout quand elles constituent des palliatifs à des systèmes de production intenables.

Ainsi l’enjeu majeur est de se doter d’un processus efficient sur le court et le long terme, au niveau local et national, pour arbitrer entre l’ensemble des attentes sur des bases scientifiques : alimentation en eau potable, protection de la biodiversité, préservation de la fertilité des sols pour la production de nourriture, sécurité contre les incendies, production d’énergie.

Pour le foncier, la libéralisation des marchés à l’œuvre depuis plus de deux décennies se traduit par une course démesurée à l’agrandissement qui peut condamner le défi majeur du renouvellement des générations d’agriculteurs. Elle se manifeste par le relâchement du contrôle administratif sur les transactions foncières, par les failles législatives permises par la généralisation des sociétés d’exploitation et l’arrivée de fonds financiers et enfin par le recours à un travail externalisé. L’enrichissement de quelques-uns se traduit par l’appauvrissement de nos sols et de notre société. A l’inverse, l’histoire a bien montré que « la terre a celui qui la travaille » constitue l’un des piliers des démocraties. Une grande loi foncière est la mère de toutes les batailles : statut de l’actif, transparence des marchés, autorité publique de régulation.

L'évolution des trajectoires professionnelles, notamment avec l'arrivée de nombreux actifs non issus du milieu agricole, implique de mettre en place de nouvelles formes juridiques adaptées (SCOP, SCIC,..). Dans le même état d’esprit il convient d’imaginer des modes de transmission du capital moins prohibitifs pour la relève attendue, ce qui nécessite également de modifier les règles fiscales pour éviter la patrimonialisation des droits sociaux.

Faire évoluer les régimes alimentaires et limiter les gaspillages

Cette transition nécessite des mesures fortes de réduction du gaspillage et une évolution des régimes alimentaires : « manger moins de viande mais manger mieux de viande » doit être un leitmotiv appuyé par un renouvellement des stratégies de différenciation comme la promotion de la viande produite à base d’herbe.

Des projets alimentaires territoriaux bien dotés et pilotés par les collectivités territoriales doivent devenir un outil central pour construire la concertation et les coopérations locales entre citoyens et producteurs. Ils devront être un lieu privilégié pour endiguer la précarité alimentaire.

Le contrôle de la volatilité des prix agricoles est également nécessaire pour éviter l'accroissement des marges des intermédiaires qui savent faire passer les hausses prix aux consommateurs, ces derniers ne voyant pas souvent leur prix d'achat baisser dans les mêmes proportions quand les prix agricoles diminuent. Alors que l'inflation alimentaire atteint plus de 12% actuellement, il est temps de se rappeler que, dans l’histoire, les mesures d'encadrement des prix alimentaires ont constitué les premières bases des politiques macro- économiques.

Consolider la construction européenne et bâtir une mondialisation équilibrée

Universaliste par essence, la matrice socialiste est la plus à même pour trouver les moyens d’action collectifs pour lutter contre le changement climatique tout en luttant contre les inégalités sociales. Cet enjeu de l’agroécologie n'est pas seulement national, il est européen et planétaire. L’histoire et l’actualité des combats portés par les Socialistes en font des acteurs clés de la refondation européenne incarnée aujourd’hui par le Green Deal européen. L’Union européenne est le seul niveau où pourront émerger les bases d’une nouvelle mondialisation qui fera ses priorités des droits humains, de l’'urgence climatique et de la protection des écosystèmes.

 

Signataires : POTIER Dominique (Député 54), ANDRIEU Eric (Député européen), COLSON François (44), CARROGET Jacques (44), THIMEL François (SF-74), COURLEUX Frédéric (51), MICHENOT Dominique (44), GILBERT Didier (35), BARAT Geneviève (23 - Conseillère Regionale Nouvelle Aquitaine), BENNETOT Jacques (76), BELLIARD Jean-Louis (44-Conseiller Régional des Pays de La Loire), BRUN Philippe (Député 27), BOUCHET-POISSON Gérard (44), CHARTIER Gérard (44), CHERRET Pierre (64 - Conseiller Régional Nouvelle Aquitaine), CLERGEAU Christophe (44 - SN - Conseiller Regional Pays de la Loire), DELAPORTE Arthur (Député 14), DONNEN Marie- Claire (54 - Conseillère Regionale Grand Est), DOUIX Patrice (43), GAROT Guillaume (Député - 53), GLOANEC-MAURIN Karine (41 - Conseillère Régionale Centre -Val de Loire), GRANDEMANGE Erik (88), JOURDAN Chantal (Députée 61), Kermen Jacques (22), LECONTE Olivier (76), LE CLEZIO Monique (22), L'HONEN Adeline (44), MATHIEU Sylvain (SF-58), MORIN Georges-André (75), PEIRO Germinal (Président du Conseil Départemental - 24), QUENARD Eric (SF-51), RAVARD Antoine (22 - BN), REPARET Jean (75), ROUAUX Claudia (Députée 35), SANTIAGO Isabelle (Députée 94), VALLAUD Boris (Député 40)

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