FACE AU SCANDALE DES CONCESSIONS AUTOROUTIERES : PENSER EN SOCIALISTES DES ALTERNATIVES A LEUR GESTION DEVOYEE

Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021

Des communistes à la droite en passant par les centristes, l’unanimité politique qui se dégage pour constater les anomalies qui ont entaché le processus de privatisation de l’exploitation des autoroutes et pour reconnaître l’ampleur de la manne dont ont bénéficié les sociétés concessionnaires des autoroutes (SCA) parle d’elle-même. Les constats accablants de rapports successifs de plusieurs organismes indépendants (autorité de la concurrence, Cour des comptes) abondent dans le même sens.

Après la privatisation mal négociée en 2005-2006, au prix d’un manque à gagner estimé entre 12 et 50 milliards d’euros, les SCA ont bénéficié d’une rente de situation leur conférant une profitabilité record alors même que le « risque d’exploitation » qui aurait justifié de telles rémunérations paraissait d’emblée négligeable. L’exploitation était rentable dès la privatisation si bien que, selon le récent rapport d’une commission d’enquête du Sénat, les SCA ont servi entre 2006 et 2019 plus de 24,3 milliards d’euros de dividendes. Certains concessionnaires ont reversé en moyenne plus de 100% de leur bénéfice annuel à leurs actionnaires, preuve de l’irrationalité économique de ce modèle. Les concessions historiques, représentant plus de 90% du réseau concédé, auront déjà atteint leurs objectifs de profit en 2022 soit 9 à 14 ans avant leur fin prévue.

Allongements successifs de la durée des concessions ; hausse annuelle automatique des péages ; partage inique des bénéfices au détriment de l’investissement public dans les infrastructures : les signes attestant d’un déséquilibre structurel des relations entre l’État et les concessionnaires sont nombreux. Cette situation trouve ses racines, d’une part, dans le caractère obsolète de contrats presque identiques à ce qu’ils étaient au moment où l’État, à travers des sociétés d’économie mixte, participait directement à l’exploitation, ce qui résulte d’un manque de contrôle des paramètres financiers des concessions. L’insuffisante définition de l’équilibre économique des contrats a notamment permis aux concessionnaires de tirer parti de compensations avantageuses pour la réalisation de travaux ou encore pour la neutralisation de toute mesure fiscale touchant spécifiquement leur activité. D’autre part, la concentration du marché dans les mains de quelques acteurs bénéficiant de positions dominantes et dotés de moyens d’expertise juridique et financière plus importants que ceux de l’État préserve leur fort pouvoir de négociation. Il s’agit de Vinci, Eiffage et Abertis qui exploitent plus de 83% de la totalité du réseau autoroutier.

Face à cette situation, l’impuissance publique a trop longtemps prévalu. La responsabilité des socialistes est double. Nous devons rechercher et mettre en œuvre au plus vite les moyens d’empêcher toute nouvelle dérive des concessions actuelles. Nous devons aussi proposer pour l’avenir la vision ambitieuse d’un nouveau modèle, avec toutefois l’esprit de réalisme qui nous caractérise.

Dans l’immédiat, il faut limiter les dégâts causés par ce système néfaste. Nous avons déjà commencé à explorer toutes les pistes de nature à permettre d’écourter la durée des concessions, comme l’a d’ailleurs recommandé l’Autorité de régulation des transports dans son rapport de septembre 2020 sur l’économie des concessions autoroutières. En tout premier lieu, il faut empêcher de nouvelles prolongations des contrats et notamment le recours à la technique dite de « l’adossement » qui permet de compenser des travaux consentis par les SCA par un allongement de la durée de concession. Une telle mesure, en vertu de la loi dite « Macron » de 2015 devrait être soumise à autorisation législative. Les parlementaires socialistes s’engagent à fédérer les oppositions si une proposition devait intervenir en ce sens, afin d’obtenir son rejet. La vigilance reste de mise : interrogé à l’Assemblée nationale le 13 octobre 2020, le gouvernement a affirmé ne pas être actuellement en discussions avec les SCA mais n’a pas clairement écarté l’hypothèse de nouveaux adossements.

De nombreux arguments juridiques sont propres à justifier l’interruption des contrats sans dédommagement des concessionnaires ou avec un dédommagement limité. Des doutes sérieux existent en effet quant à la légalité de certaines clauses des concessions historiques. Leur durée excessive nous paraît déroger à l’impératif de remise en concurrence régulière, pourtant si cher aux libéraux. L’augmentation des péages indexée sur l’inflation, qui ne reflète pas l’augmentation réelle des charges d’exploitation, pourrait être illégale. La légitimité même du recours à des concessions est incertaine, étant donné le faible risque lié à l’exploitation. Sur le plan financier, l’excès de profit dont bénéficient les concessionnaires est caractérisé. Il constitue une modification flagrante de l’équilibre économique des contrats et pourrait justifier leur résiliation anticipée, sans compensation.

Dans la perspective d’ouvrir une renégociation formelle de toutes les concessions historiques, nous cherchons à établir solidement la légitimité en droit de ces arguments. C’est pourquoi, à travers une proposition de résolution, nous invitons le gouvernement à solliciter l’avis du Conseil d’État sur l’ensemble de ces motifs. Il paraît inconcevable que le gouvernement repousse cette démarche de bon sens et se prive de son conseil juridique le plus éminent, alors même que l’intervention de celui-ci permettrait de dissiper les incertitudes qui demeurent et d’entamer sur des bases solides l’indispensable revue de ces contrats.

Le contexte économique actuel a évolué et est particulièrement opportun. Un argument fort et mécaniste des théories économiques néolibérales vient en effet de tomber : celui de l’endettement. Depuis plusieurs décennies, il était entendu que la puissance publique trop endettée ne pouvait investir. Dès lors qu’un projet nécessitait des investissements importants, la sphère privée intervenait et intervient. Outre les autoroutes, certaines infrastructures portuaires et les parkings urbains ont subi le même sort, les grandes gares rentables plus récemment. Il s’agit d’une véritable déprédation de secteurs d’activité rentables comme les transports aujourd’hui ou les télécoms hier. Des outils puissants et règlementations l’ont aidé : mécanisme de la « double caisse » dans les aéroports, partenariats public privés déséquilibrés... L’économiste Gaël Giraud décrit ce phénomène avec le concept de « post- libéralisme ».

Par l’abondance d’épargne au niveau mondial et les taux négatifs qui en découlent, la stratégie de l’endettement, pour financer les transitions et l’adaptation de notre société à long terme, est pleine de bon sens. Il ne s’agit pas de financer le déficit budgétaire annuel, comme du crédit revolving, mais des investissements qui nous enrichissent et qui augmentent notre patrimoine commun : rénovation thermique des bâtiments, modernisation de nos infrastructures de transports, reconquête de notre souveraineté sur tout ce qui a été mal concédé.

Nous proposons une politique de bon sens et de bonne gestion parce que de long terme, qui ferait croitre notre « actif net » et pérenniserait des financements nécessaires. Il est sain de financer par l’endettement la remise en état du réseau ferroviaire et fluvial pour permettre au fret de reprendre sa place tant les voies et canaux ont souffert d’un cruel manque d’entretien. Il en va de même pour la création d’un réseau de véloroutes et de voies cyclables.

Nous devons conjointement envisager des alternatives à l’exploitation déléguée des autoroutes telle qu’elle a actuellement cours et concevoir un nouveau modèle. Il s’agit de gérer les autoroutes, qui appartiennent à notre patrimoine collectif, de manière plus conforme à l’intérêt général mais aussi de définir ce que nous voulons pour l’aménagement de la France de demain. Deux enjeux sont inextricablement liés, qu’il nous faut aborder de front : le niveau des tarifs et le financement de l’investissement dans les infrastructures.

Les tarifs autoroutiers, par leur niveau élevé, constituent un poste de dépense important pour de nombreux foyers ainsi que pour le secteur très en difficulté du transport routier. Les autoroutes doivent toutefois, à notre sens, demeurer soumises à péage, l’essentiel de leur bénéfice devant servir à financer la transition écologique dans les transports. Cela n’empêche pas d’imposer une modération des tarifs. Les infrastructures en France sont en effet sous-financées alors que la catastrophe climatique, déjà à nos

portes, impose de développer à marche forcée des alternatives sobres au transport routier, qui représente 28,5% des émissions françaises de gaz à effet de serre.

Si l’exploitation n’est pas nécessairement publique, la collectivité doit, bien évidemment, définir les conditions d’exécution du contrat. Deux options principales se dégagent :

1. La possibilité d’une exploitation en régie par un nouvel établissement public national

Il est possible de créer un établissement public national éventuellement assisté d’établissements régionaux qui opéreraient en direct les autoroutes à travers une régie publique. C’était par exemple le modèle choisi au Royaume-Uni avec l’opérateur « Highways England » devenu en 2015 une entreprise à capitaux publics. La création ex-nihilo imposera un travail long et complexe, à entreprendre le plus en amont possible du retour à l’État des concessions. Il faut rappeler la difficulté pour un employeur public de rassembler les compétences nécessaires à la gestion en propre d’une grande infrastructure. Mais, nous disposons dans ce domaine d’un véritable savoir-faire par la gestion des autoroutes non concédées, des routes nationales et d’une ingénierie reconnue comme de très grande qualité (CEREMA). Le passage à un statut d’exploitant supposera de recruter des professionnels qualifiés en proposant des rémunérations suffisamment attractives. Cette option est toutefois susceptible de soulever des objections relatives au droit européen de la concurrence, puisqu’elle consacrerait la réémergence d’un monopole commercial public et devrait à ce titre être conforme à l’article 37 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui prévoit « l’aménagement des monopoles nationaux » de façon à « [exclure] toute discrimination entre les ressortissants des États membres ». Ce nouvel établissement serait alors constitutif d’un service économique d’intérêt général (SIEG) au sens du droit de l’Union (art. 14 TFUE) et soumis à ce titre à des règles spéciales d’encadrement des subventions. C’est néanmoins possible si la loi en décide : il faut s’en donner les moyens, et accepter que l’Etat mène à nouveau de grands projets qui l’engagent pour plus de 10 ans, c’est-à-dire au-delà des frontières d’un unique quinquennat présidentiel.

2. Des délégations de service public exploitées par des sociétés d’économie mixte

L’on peut également constater que l’état des autoroutes françaises est excellent et qu’elles sont plus sûres que celles de pays voisins, à l’exemple de l’Espagne, opérant sous régie publique des autoroutes gratuites. De ce point de vue, technique et non financier, l’équilibre entre qualité de la gestion déléguée et efficacité du contrôle de l’État a été maintenu.

Une gestion mixte publique-privée permet de bien connaître le métier, de renforcer les savoir-faire ainsi que de pouvoir déléguer dans de bonnes conditions.

En s’appuyant sur ce constat, il est possible d’utiliser intelligemment les moyens juridiques dont disposent les pouvoirs publics pour prévoir de nouvelles concessions dans un cadre contractuel remanié L’État pourrait entrer au capital des sociétés concessionnaires qui redeviendraient des sociétés d’économie mixte. Il s’assurerait ainsi un contrôle direct sur l’exploitation et pourrait s’opposer aux excès des exigences des actionnaires privés. Une part des bénéfices lui reviendrait qui seraient intégralement employés au financement de transports décarbonés. La règle financière d’augmentation des péages serait revue pour être indexée sur les charges réelles d’exploitation et il serait mis fin à la clause de compensation automatique et intégrale des hausses de fiscalité touchant ces sociétés.

Il est possible de séparer la gestion des péages, qui reviendrait à l’État, pour ne déléguer que l’exploitation à proprement parler dans le cadre d’une régie intéressée. La SEM ou le partenaire privé ne supporte alors plus le risque-trafic. Ce modèle permet également à l’État de reprendre la main sur l’affectation des bénéfices, en attribuant directement à l’exploitant partenaire une rémunération clairement fixée.

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Refonder la gestion des autoroutes : il s’agit ni plus ni moins d’assurer la maîtrise publique de nos services publics et de nos biens communs !

La mobilité, capacité à nous déplacer dans de bonnes conditions pour nous rencontrer, constitue comme un fil qui nous relie. En portant un projet de refondation de l’exploitation des autoroutes, nous réaffirmons aussi notre préoccupation de soutenir la cohésion sociale et tout ce qui préserve l’unité de la nation française et nous permet de faire société. Nous inscrivons aussi le transport autoroutier dans la transition écologique, qui a vocation à conditionner toute l’action publique. Quelle que soit l’option retenue, ce projet nécessite l’engagement prolongée de l’État et un renforcement de ses compétences.

Ces propositions, offertes au débat entre militants, ont vocation à abonder le programme qui sera porté par le Parti socialiste et ses alliés à l’occasion d’élection présidentielle de 2022.

 

Christine PIRES BEAUNE, Députée du Puy-de-Dôme, Secrétaire Nationale au budget et à la fiscalité

Olivier JACQUIN, Sénateur de Meurthe-et-Moselle, Secrétaire National aux mobilités et aux transports

Rémi CARDON, Sénateur et 1er secrétaire fédéral de la Somme

David ASSOULINE, Sénateur de Paris

Jacques-Bernard MAGNER, Sénateur du Puy-de-Dôme

Hélène CONWAY-MOURET, Sénatrice des Français de l’étranger, SN à la défense

Christophe CLERGEAU, Président du groupe socialiste à la région Pays de la Loire, SN à l’Europe

Yannick TRIGANCE, Conseiller régional d’Ile-de-France, SN à l’éducation et à l’enseignement supérieur

Olivier GUCKERT, Conseiller Municipal de Commercy, 1er secrétaire fédéral de la Meuse

Louis BUYSSENS, Étudiant

Gaston LAVAL, Militant, Paris 10e

Jean-Marie BILIATO, SF Europe du Vaucluse

Véronique BARREAU, SF Droits des Femmes du Vaucluse

Christiane CONSTANT-FARRUGIA, Conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes, SF du Nouveau-Rhône

Frédéric ORAIN, 1er secrétaire fédéral du Loir-et-Cher

Vincent FAILLE, Conseiller Municipal de Lagny-sur-Marne, SF Formation de Seine-et-Marne

Luc DE VISME, Conseiller à l’AFE, SF de la FFE, section du Danemark

Richard TRONCY, militant à la section de Dijon

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