Face à la montée du conservatisme religieux aux US : quels enseignements pour la gauche française ?


Thème : Féminisme


 

Depuis plusieurs décennies, les sociétés occidentales ont connu des avancées majeures en matière de droits des femmes et des minorités. L’accès à l’éducation, au travail, au droit de disposer de son corps, ainsi que la reconnaissance des droits des personnes LGBT+, ont constitué des conquêtes essentielles. Cependant, ces acquis sont aujourd’hui menacés par une résurgence du conservatisme religieux et politique, qui tente de remettre en cause l’égalité des sexes et les droits fondamentaux. Aux États-Unis, l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade a révélé à quel point ces droits peuvent être fragiles. En France, bien que l’IVG ait été constitutionnalisé en 2024, le contexte international rappelle que rien n’est jamais définitivement acquis.

La montée du conservatisme religieux : une menace globale

La montée des courants conservateurs s’observe tant aux États-Unis qu’en Europe. Aux États-Unis, la droite religieuse a réussi, en influençant la Cour suprême, à restreindre drastiquement l’accès à l’avortement dans de nombreux États. Cette offensive réactionnaire dépasse la question du droit à l’IVG : elle s’attaque également à l’éducation sexuelle, aux droits des personnes transgenres et à la place des femmes dans la société.

Cette dynamique n’est pas propre aux États-Unis. En Europe, la Pologne et la Hongrie ont adopté des lois restreignant l’IVG et stigmatisant les personnes LGBT+. En France, bien que ces attaques soient encore contenues, on observe une montée des discours conservateurs et réactionnaires, portés par des mouvements religieux ou politiques prônant un retour aux “valeurs traditionnelles”.

Les erreurs de la gauche américaine : une leçon pour la France

Une des erreurs majeures de la gauche américaine a été de se concentrer sur une politique des identités fragmentée plutôt que sur une vision universaliste des droits. Plutôt que de défendre un projet politique cohérent, elle s’est divisée en une multitude de luttes spécifiques, affaiblissant ainsi la capacité de mobilisation face à la droite conservatrice.

Jean Poperen soulignait justement : « Le droit à la différence conduit tout droit à la différence des droits. » Cette réflexion invite à ne pas perdre de vue l’objectif d’égalité réelle, qui ne doit pas s’opposer aux spécificités de chacun, mais au contraire permettre à toutes et tous de bénéficier des mêmes droits et opportunités.

Le féminisme doit s’inscrire dans un cadre universaliste, qui ne nie pas les discriminations spécifiques que peuvent subir certaines femmes en raison de leur origine, de leur classe sociale ou de leur orientation sexuelle, mais qui veille à construire un projet commun d’émancipation pour toutes. Un féminisme universaliste ne signifie pas gommer les différences, mais garantir à chaque femme les mêmes droits et la même capacité à exercer sa liberté, quelle que soit sa situation.

Comment protéger les acquis et aller plus loin ?

Face à cette montée du conservatisme, la gauche française doit non seulement défendre les droits existants, mais aussi proposer des mesures ambitieuses pour renforcer la place des femmes et des minorités dans la société. Voici quelques propositions :
1. Protéger et renforcer l’éducation à l’égalité

L’une des armes les plus efficaces contre le conservatisme est l’éducation. Il est essentiel de renforcer l’éducation à l’égalité entre les sexes dès le plus jeune âge, d’instaurer des cours d’éducation sexuelle et de lutte contre les stéréotypes de genre.

2. Sanctionner plus durement les violences sexistes et LGBTphobes

Malgré des avancées législatives, les violences faites aux femmes et aux minorités restent un problème majeur. Un renforcement des sanctions pénales et des dispositifs d’accompagnement des victimes est indispensable.

3. Défendre un féminisme universaliste qui conjugue émancipation individuelle et collective.

L’égalité entre les femmes et les hommes ne peut être dissociée d’une réflexion plus large sur les inégalités économiques et sociales. Garantir des droits fondamentaux comme l’accès à l’emploi, au logement et aux services publics est essentiel pour prévenir les discriminations et la précarité qui touchent certaines catégories plus que d’autres. C’est en structurant ces combats autour d’un projet commun d’émancipation que l’on renforce leur portée et leur légitimité.

Or, lorsque la gauche segmente ses luttes et se prête à l’assignation identitaire, elle fragmente ce projet et affaiblit ses valeurs. En cloisonnant les revendications, elle perd de vue l’universalité des droits et laisse le champ libre à l’extrême droite, qui instrumentalise ces divisions pour s’attaquer à l’égalité et à la justice sociale. Son objectif est clair : déconstruire l’universalisme républicain, seul véritable rempart contre ses velléités raciales et de divisions communautaires. En renonçant à une approche universaliste de l’émancipation, la gauche ne fait que nourrir, sans le vouloir, les stratégies identitaires de ses adversaires.

4. Contrer l’influence des mouvements religieux fondamentalistes

La laïcité doit être défendue comme un rempart contre l’imposition de normes religieuses réactionnaires. La vigilance est de mise face aux tentatives de certains groupes religieux de peser sur le débat public pour restreindre les droits des femmes et des LGBT+.

5. Garantir un accès réel et gratuit à l’IVG et aux soins reproductifs

Si l’IVG est désormais inscrit dans la Constitution, cela ne signifie pas que son accès est garanti partout et pour toutes. Il est impératif de lutter contre les déserts médicaux et les pressions exercées par certains groupes anti-choix.

6. Mieux valoriser les métiers du “care” et favoriser un accès égalitaire à tous les métiers.

Une société qui fonctionne est une société qui prend soin de ses membres. Les métiers du soin, de l’éducation, de l’accompagnement social et de la santé sont essentiels, mais restent encore sous-valorisés, tant sur le plan symbolique que salarial. Ces professions, très majoritairement occupées par des femmes, doivent être reconnues à leur juste valeur, avec une revalorisation des salaires et des conditions de travail.

Pourtant, la valorisation des métiers du “care” ne doit pas conduire à enfermer les femmes dans des rôles traditionnellement associés à leur genre. Il est tout aussi important de garantir que tous les métiers, y compris ceux majoritairement masculins, soient accessibles à toutes et tous sans distinction de genre.

Il est ainsi primordial d’encourager l’orientation scolaire et professionnelle sans biais sexistes, en permettant aux jeunes filles d’accéder aux carrières scientifiques, technologiques, de recherche ou encore aux sphères du pouvoir, comme la politique. L’objectif est de créer une société où chacun et chacune peut choisir sa voie en fonction de ses aspirations et compétences, et non en fonction des attentes de genre encore trop présentes.

Un féminisme universaliste doit s’attaquer aux structures qui perpétuent les inégalités tout en laissant aux individus la liberté de choisir leurs propres trajectoires. C’est ainsi que l’on garantit une égalité réelle et non une simple égalité formelle.

Une vigilance constante pour éviter un retour en arrière

Simone de Beauvoir écrivait : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Ce constat est plus actuel que jamais. Les attaques contre les droits des femmes et des LGBT+ aux États-Unis montrent que les acquis peuvent être remis en cause si les forces progressistes baissent la garde. En France, la gauche doit tirer les leçons de ces reculs en adoptant une stratégie claire, universaliste et ambitieuse, afin de garantir que les droits chèrement acquis ne soient pas érodés par la montée des forces conservatrices.

L’histoire nous apprend que les droits ne sont jamais donnés, mais toujours conquis par la lutte. Il est impératif que cette lutte continue, pour que l’égalité et la justice progressent, et non l’inverse.


Contributeurs :

Contributrice :
Cécile Fadat, Adjointe à la Maire de Condat, membre du CN, SF Fédération de la Haute Vienne


Signataires :

ADAM Magali, Adjointe au Maire de Elboeuf, membre du CN,

AVENET Eléonore, SF Égalité, Fédération de l'Hérault,

CHARLES Sylvain, CN JS, Fédération des Yvelines,

COURAUD Geneviève, Fédération des Bouches du Rhône,

DELGA Carole, Présidente de la Région Occitanie, Fédération de la Haute Garonne,

DESTRUHAUT Stéphane, VP du Conseil Départemental de la Haute-Vienne, membre du CF,

GONDARD Cecilia, Assemblée de Français de l’Etranger, SNA,

FRICHET Fabrice, section de Montbéliard, membre du CN,

GEISSMANN Céline, Conseillère municipale et métropolitaine de Strasbourg, membre du BN et du CN, Fédération du Bas-Rhin,

KIELEMOES Dominique, Conseillère de Paris, CNC,

LE MOËL-RAFLIK Annaïg, Adjointe au Maire de Lanester, membre du CN, SF du Morbihan,

MERLIER Lysandre, membre du CN, SF de la Haute-Vienne,

MOUNIER Pierre-Alexandre, Élu Municipal, membre du CN,

OLIVIER Maud, Ancienne Députée, Fédération de l’Essonne,

PARELON Julien, membre du BNA, Fédération de Paris,

RICHARDOT Pernelle, Élue de Strasbourg, membre du CN, Fédération du Bas-Rhin,

ROSSIGNOL Laurence, Sénatrice du Val-de-Marne,

SCHMELTZ Dominique, 1er fédéral de l’Aude, membre du CN,

SOUBELET Cécile, Secrétaire de section de Issy-les-Moulineaux,

VITRAC-POUZOULET Michel, Élue municipale, BNA, Fédération des Yvelines,

VIZIOZ-BRAMI Camille, Élue du 9eme arrondissement de Paris, Fédération de Paris


 

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