Faire de la finance un véritable outil régulé au service de l’économie réelle


Thème : Finance


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La financiarisation de l’économie est un processus qui touche au mode de régulation de l’économie et à la logique d’accumulation. Dans sa phase industrielle, le développement du capitalisme reposait sur l’expansion de la production, les dividendes étant alloués en partie à des investissements permettant d’augmenter la capacité de production. Aujourd’hui, la logique financière est autre, et la simple circulation du capital engendre son expansion. L’investissement à court terme devient la norme et la seule spéculation fait augmenter la valeur d’un actif, induisant un risque beaucoup plus élevé qu’avec les investissements productifs, puisque dépendant essentiellement de la confiance que les acteurs lui portent et des évènements économiques et géopolitiques qui induisent une volatilité élevée. Il nous faut briser ce cycle et remettre la finance au service de l’économie réelle par une régulation renforcée des banques et des marchés financiers.

« Le monde occidental est passé en quelques années de l’exploitation intensive du travail à l’exploitation intensive du capital. » Peter Drucker


METTRE EN PLACE RAPIDEMENT DES MESURES FORTES

Notamment :

  • Cloisonner les marchés financiers et les activités des acteurs financiers, interdire aux banques de spéculer pour leur compte propre afin d’éviter la propagation des bulles et des krachs

  • Réduire la liquidité et la spéculation déstabilisatrice par des contrôles sur les mouvements de capitaux et des taxes sur les transactions financières

  • Limiter les transactions financières à celles répondant aux besoins de l’économie réelle

  • Décolérer la rémunération des traders de leurs performances spéculatives

  • Réglementer l’activité des agences de notation en exigeant que les notes des États résultent d’un calcul économique transparent

  • Affranchir les États de la menace des marchés financiers en garantissant le rachat des titres publics par la BCE


SÉPARER LES BANQUES DE DÉPÔT DES BANQUES D’INVESTISSEMENT

Séparer complètement les banques de dépôt des banques d’investissement. Le lobby bancaire, visant à dissuader tout effort sérieux en ce sens, a vidé de sa substance la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.


TRAITER FRONTALEMENT LE PROBLÈME DES PARADIS FISCAUX

Traiter frontalement le problème des paradis fiscaux, tels que définis par le Tax Justice Network (Tax Justice Network : http://www.taxjustice.net/) et non par le G20, allant de pénalités financières à l’interdiction de toute relation commerciale avec eux.

Appliquer les sanctions pénales du code des douanes (article 459) aux possesseurs d’un compte non déclaré à l’étranger (article 1649 A du CGI).

Surtaxer les profits des banques françaises ayant des filiales dans un ou plusieurs paradis fiscaux

7 600 milliards de dollars, soit 24 fois le budget annuel de l’État français, sont dissimulés dans les paradis fiscaux selon les estimations de l’économiste Gabriel Zucman.


AMENUISER LES RISQUES SYSTÉMIQUES PESANT SUR LE SECTEUR FINANCIER

Annuler les principales réformes comptables réalisées depuis 1990, destinées à favoriser la distribution de dividendes fictifs et, de manière générale, permettant aux entreprises des prises de risques inconsidérées en vue de maximiser ces dividendes.

Accroître la réglementation prudentielle pour éviter un risque sur l’ensemble du système financier, car la réforme dite de « Bâle III », déjà très insuffisante, n’entrera pleinement en vigueur qu’en 2023.

Mettre en place une agence de notation financière publique indépendante des marchés financiers, permettant de détecter sans complaisance les établissements à risque.


SOCIALISER LA GESTION DES BANQUES, RESPONSABILISER LEURS DIRIGEANTS

Socialiser la gestion des banques, en fixant la composition du conseil d’administration pour qu’il soit représentatif du corps social : représentants des syndicats patronaux et de travailleurs, des chambres de commerce et d’industrie, des clients, du personnel, de l’Université, du monde politique...

Favoriser le développement de banques « éthiques » et/ou coopératives.

Engager la responsabilité des dirigeants et des administrateurs des banques en cas de faute lourde de gestion, et mettre en place un corps d’auditeurs internes indépendants du conseil d’administration et chargés de vérifier la pertinence des choix réalisés par celui-ci.

N’avoir recours au sauvetage public qu’en cas de menace sur les activités vitales d’une banque.

Exiger la fin du secret bancaire afin de faciliter la traçabilité des financements du terrorisme, en France comme à l’étranger.

Œuvrer pour une réforme profonde de la gouvernance des banques centrales, dont la Banque centrale européenne qui vient d’être épinglée par l’ONG Transparency International pour le manque de contrôle démocratique de ses décisions.

https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/la-bce-epinglee-par-transparency-international-673210.html


DISSUADER LES RÉMUNÉRATIONS EXCESSIVES DES DIRIGEANTS ET DES ACTIONNAIRES

Surtaxer (taux et modalités à déterminer) les rémunérations de dirigeants d’entreprises lorsqu’elles dépassent un certain seuil (un demi-million d’euros par ex.), et utiliser les fonds ainsi récoltés pour financer le développement de l’économie sociale, solidaire et écologique (ESSE).

Modérer les ponctions de dividendes dans les entreprises dont l’État est actionnaire principal et promouvoir pour ces entreprises une politique d’investissements pour l’avenir plutôt que les bénéfices à court terme visant à équilibrer le budget.

Plafonner le versement de dividendes, chaque entreprise se voyant obligée de réinvestir ou de conserver en fonds propres une part des résultats bénéficiaires réalisés.

La finance ne devrait être ni l’ennemie, ni l’amie du personnel politique, mais une partenaire pour orienter prioritairement les flux de capitaux vers un usage responsable d’intérêt général.


TRAITER LE PROBLÈME DE LA DETTE

Mettre en œuvre un moratoire sur la dette publique.

Organiser un audit citoyen de la dette (c’est-à-dire mettre à disposition du public les informations et outils leur permettant de procéder à une analyse critique du processus d’endettement public), identifier précisément ses détenteurs et étudier sa restructuration.


REPRENDRE LE CONTRÔLE POLITIQUE DE LA MONNAIE

Reprendre le contrôle politique de la monnaie en invitant à un nouveau Bretton Woods et en négociant avec nos partenaires européens la mise de la BCE sous contrôle du Parlement européen.


GÉNÉRALISER LA TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

Généraliser la taxe sur les transactions financières à l’ensemble des opérations d’achat et de vente de produits financiers

Actuellement un impôt de bourse français existe, mais il ne touche ni les transactions sur actions en règlement différé, ni les produits dérivés, excluant donc la spéculation de son champ d’application.


SOLUTION POUR ABSORBER UNE PARTIE DE CHARGE DE LA DETTE DE L’ÉTAT

Une solution pourrait être la création d’un fonds souverain français pour réduire la dette publique et impulser la transition énergétique.

La dette publique correspond à l’ensemble des obligations financières engagées par l’État. A la fin du premier trimestre 2022, la dette publique au sens de Maastricht s’élève à 2 901,8 milliards d’euros, soit 114,5 % du produit intérieur brut (PIB) de la France. Cette dernière s’est fortement détériorée pendant la crise sanitaire, mais elle s’était déjà dégradée auparavant.

En 2000, la dette de la France s’élevait à 58,6 % du PIB, à savoir 871,1 milliards d’euros. Elle a donc plus que triplé en une vingtaine d’années, alors que le pouvoir d’achat des ménages a stagné sur la même période. En comparaison avec ses voisins européens, la France est plutôt un mauvais élève car seuls la Grèce, le Portugal, l’Italie et l’Espagne affichent des niveaux de dette plus élevés.


CHARGE DE LA DETTE EN AUGMENTATION

Cette tendance s’explique par un déficit public annuel qui est devenu la norme depuis des dizaines d’années. Depuis 1974, la France affiche chaque année un déficit public, c’est-à-dire que ses recettes sont inférieures à ses dépenses. Les recettes de l’État incluent les impôts, les taxes, cotisations sociales et autres. Les dépenses comportent, entre autres, les allocations familiales, l’assurance-maladie, l’assurance-chômage, l’enseignement, la défense et la charge de la dette. En 2020, pour remédier à la crise sanitaire, l’Etat a encouru un déficit de 209,2 milliards d’euros, le plus important depuis la seconde guerre mondiale.

Pour combler ce déficit, la France doit emprunter tous les ans quelques centaines de milliards d’euros sur les marchés financiers en émettant des bons du Trésor et des obligations assimilables au Trésor.

Dans la pratique, la France a des échéances de paiement tous les trimestres et doit donc refinancer une partie de sa dette en conséquence. Par exemple, sur les douze prochains mois, la France devra refinancer au moins 144 milliards d’euros, environ 6,5 % de son encours actuel, et financer son déficit budgétaire annuel.

Compte tenu de la conjoncture actuelle, la France ne bénéficie plus des faibles taux d’intérêt de ces dernières années. Elle doit désormais emprunter à plus de 2 % pour les émissions à dix et trente ans, ce qui va augmenter la charge de la dette, c’est-à-dire l’argent du budget alloué au seul paiement des intérêts.

L’augmentation des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) de 75 points de base le 8 septembre semble indiquer que la charge de la dette française va continuer à augmenter. Cette augmentation n’est sûrement pas la dernière, la BCE ayant pour objectif de réduire l’inflation à 2 %.

L’augmentation des taux directeurs aura aussi un impact sur la croissance du PIB qui est source de recette pour l’Etat. Enfin, la charge de la dette est aussi sensible à l’inflation, en raison de la part de l’encours indexée. La stratégie actuelle de refinancer perpétuellement la dette de la France n’est pas une solution soutenable, car cela équivaut finalement à transférer le poids de la dette des générations passées sur les générations futures, qui seront déjà certainement affectées par les effets négatifs du réchauffement climatique.

Pour ceux qui se demanderaient si la dette de la France est potentiellement annulable, il faut rappeler qu’elle est détenue à hauteur de 48,5 % par des non-résidents. Le restant est détenu par des OPCVM [organismes de placement collectif en valeurs mobilières] français, établissement de crédit et assurances français et Banque de France.

L’alternative à ne pas la rembourser, et donc faire défaut, serait de faire racheter sur le marché secondaire l’intégralité de la dette française par la Banque de France et la BCE, quand bien même serait-ce légalement possible, cela conduirait à un scénario d’hyperinflation et une perte de confiance dans la zone euro.

Dans ce contexte où l’augmentation de la charge de la dette risque de continuer à croître, il est impératif de trouver de nouveaux mécanismes pour limiter l’encours de dette publique et la charge de la dette, sans pour autant pénaliser les Français. La charge de la dette française a déjà atteint 39,4 milliards d’euros pour les sept premiers mois de 2022. Pour référence, la charge de la dette pour toute l’année 2021 était de 38,5 milliards d’euros.


CERCLE VERTUEUX

Un mécanisme à considérer serait la création d’un fonds souverain français ayant pour objectif d’investir dans des actifs d’infrastructures et énergétiques, en phase de construction ou d’opération, en France et à l’étranger. Les taux de rendement de ce genre de fonds, estimés entre 6 % et 12 % en fonction du format d’investissement et du risque, dépassant le taux de la charge de la dette française, un cercle vertueux serait créé car les dividendes générés par ce fonds souverain pourraient être réinvestis dans le fonds pour en augmenter sa taille ou utilisés pour repayer une partie de l’encours, de la charge de la dette française ou du déficit annuel.

Le secteur des infrastructures et de l’énergie en France et à l’étranger est en pleine mutation. A l’heure où la Chine investit massivement dans les nouvelles « routes de la soie », où les fonds privés d’infrastructures américains et européens déploient leurs capitaux dans la transition énergétique et où les fonds souverains de la péninsule arabique ont déjà développé leurs compétences dans ces secteurs, la France doit aussi jouer un rôle.

Pour pouvoir absorber une partie significative de la charge de la dette de l’Etat, ce fonds souverain devrait avoir une masse critique d’au moins 100 milliards d’euros.

Il restera à définir comment mettre en place son financement initial. Pour cela, il faudra considérer plusieurs sources comme la contribution directe de l’Etat, la vente potentielle d’une faible partie de la réserve d’or de la France, l’obtention de créances externes à faible coût garanties par l’Etat, la contribution citoyenne volontaire, la privatisation exceptionnelle de certains actifs non stratégiques ou peut-être même une contribution exceptionnelle de certaines entreprises qui se sentent

concernées par le destin de la France, sa capacité à être financièrement indépendante et à financer la transition énergétique.

Voir : « Pour pouvoir absorber une partie de la charge de la dette de l’Etat, la France doit créer un fonds souverain d’au moins 100 milliards d’euros » TRIBUNE Jean Suhas dans Le Monde


Signataires :

Mathieu Gitton, secrétaire de section de Belgique


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