Thème : Logement
LE CONSENSUS DE LA MIXITÉ SOCIALE
En 1979, à Vaulx-en-Velin, éclatent les premières « émeutes » urbaines d'ampleur suite à l’arrestation d’un voleur de voiture. Le 27 octobre 2005, deux adolescents, Zyed et Bouna, trouvent la mort électrocutés dans un transformateur EDF, déclenchant trois semaines d’émeutes. En juin 2023, Nahel est tué par un policier lors d’un refus présumé d'obtempérer, provoquant une semaine d’émeute.
Dans chacune de ces situations, en plus du lien avec la police, la concentration de la pauvreté et du chômage a été identifiée comme l’une des principales causes de ces flambées de violence, avec la mixité sociale émergeant comme l'une des réponses potentielles. Depuis les années 1990, il y a un consensus politique autour des bienfaits de la mixité sociale. Personne ne remet vraiment en question cet objectif (ou du moins pas directement).
Elle répond à une vraie problématique : une spécialisation sociale croissante des territoires Français. Au sein des agglomérations certaines communes (ou quartiers) ont tendance à concentrer les populations les plus pauvres et d’autres les populations les plus riches. Par exemple en Ile de France l’écart de richesse est immense entre les Départements. Les revenus moyens sont deux fois plus élevés dans les Hauts-de-Seine qu’en Seine- Saint-Denis.
Cette ségrégation socio-spatiale favorise la reproduction des inégalités, de la pauvreté et des parcours de vie. Cette fracture entre les populations serait également, notamment pour la droite et l'extrême droite, la source de nombreux communautarismes car les populations émigrées (généralement plus pauvres) se concentrent à certains endroits mettant en “péril” l’unité de la nation.
Ces groupes ne se croisent pas, vivent dans un même pays mais séparés, certains cumulent les difficultés quand d’autres accumulent de l’argent à ne plus savoir qu’en faire.
QU’EST-CE DONC QUE LA MIXITÉ SOCIALE ?
La mixité sociale est vue comme une distribution uniforme des catégories de populations sur un territoire. Cependant ce n’est pas un phénomène qui se produit naturellement. En réalité, les gens qui se ressemblent ont tendance à se regrouper entre eux, et cela crée souvent des quartiers où tout le monde est plutôt similaire. Cet effet est renforcé par la mécanique des prix du logement qui exclut les pauvres lorsqu’ils sont trop élevés.
En réalité, la notion de mixité sociale est assez vague. Il est difficile de dire exactement ce qu'elle signifie concrètement, et à partir de quel moment on peut dire qu'on l'a réalisée. De plus, son contenu peut varier en fonction des opinions politiques de chacun.
En France, le critère principal retenu pour évaluer la mixité sociale est celui du logement social. On considère, particulièrement à gauche, que le logement social est un levier pour favoriser la mixité sociale. Son absence entretient la reproduction sociale car les ménages riches se réservent les parties de la ville les plus agréables et qui offrent le plus d’opportunités pour réussir dans la vie.
Au contraire, les ménages pauvres sont souvent concentrés dans des quartiers défavorisés, caractérisés par l'insécurité et le chômage, avec souvent peu d’espaces verts et de transport en commun. Cette concentration accentue les effets négatifs de la pauvreté, comme l'accès à l'emploi, les résultats scolaires et les comportements jugés déviants. On parle alors de théorie de la contagion sociale.
Contrairement à certaines idées reçues, la spécialisation sociale est plus marquée dans les quartiers riches. En l’absence de logement social il est plus facile pour un riche d’habiter dans un quartier pauvre que l’inverse. Les processus de gentrification observés dans les centres-villes des grandes métropoles (Bordeaux, Lyon, Toulouse…), où des populations plus riches remplacent les habitants plus pauvres, en sont une illustration flagrante.
La question de la mixité sociale dans les quartiers populaires masque souvent une inquiétude concernant la spécialisation ethnique de ces zones. En effet, la présence importante de populations immigrées est importante. Ce regroupement communautaire est parfois perçu comme une menace notamment par la droite et l'extrême droite.
DES POLITIQUES DE MIXITÉ SOCIALE À BOUT DE SOUFFLE
En France, deux grandes politiques publiques de mixité sociale ont été mises en place dans lesquelles les socialistes ont eu un rôle particulièrement important :
La rénovation urbaine des quartiers populaires,
Un taux minimum de logements sociaux par commune appelé taux SRU
La première consiste à mettre plus de riches chez les pauvres et la seconde plus de pauvres chez les riches.
UN BILAN DÉCEVANT DE LA RÉNOVATION URBAINE
À partir des années 1980, des mesures ont été prises pour rénover et améliorer les quartiers défavorisés construits pendant les trente glorieux et éviter la concentration de la pauvreté en attirant des populations plus aisées. Une étape importante dans ce processus a été franchie en 2004 avec la création de l'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), relancée en 2014 par François Hollande.
Son objectif était de démolir massivement les logements sociaux situés dans les quartiers populaires où vivent principalement des personnes défavorisées, pour les reconstruire ailleurs. En parallèle, des logements normaux ont été construits dans ces zones afin d'attirer d'autres catégories de populations.
Au cours des 20 dernières années, 48 milliards d'euros ont été investis dans 600 quartiers grâce à ce programme. Rien qu'entre 2014 et 2020, 160 000 logements ont été démolis, 408 000 logements ont été rénovés, et 142 000 logements sociaux ont été construits, dont 43% en dehors de ces quartiers. De plus, 79 000 logements de diversification ont été ajoutés pour attirer de nouveaux habitants.
Malheureusement, le bilan de la rénovation urbaine est plutôt mitigé. On constate même une légère augmentation de la proportion de ménages les plus pauvres dans ces quartiers. Seulement dans les quartiers où une grande partie des logements sociaux ont été détruits, on a observé une baisse de la pauvreté d'environ 5%. Cette baisse peut s'expliquer par le fait qu'il y a beaucoup moins de logements sociaux disponibles, mais cela a nécessité des investissements financiers massifs, des délais considérables et avec souvent une forte opposition pour se concrétiser. En résumé, beaucoup d’efforts pour des résultats pas très significatifs.
En plus, il n'y a pas vraiment eu d'afflux de nouvelles populations riches dans ces quartiers rénovés, mais plutôt l'installation de classes moyennes, souvent issues de groupes racisés, ce qui a conduit certains à remettre en question la véritable mixité sociale obtenue.
Cependant, la rénovation urbaine a significativement amélioré le cadre de vie des habitants de ces quartiers, en réintégrant des services publics et en améliorant l’espace public. Bien que cela n'ait pas entraîné de changement radical dans la composition de la population, cela a au moins eu un impact positif sur ces aspects. Sans ces actions, il est fort probable que la situation aurait été bien pire.
Cependant, ces interventions n'ont concerné que 600 quartiers. Combien d'autres quartiers ont besoin d'aide et ont connu une détérioration ? Un effet indésirable de cette rénovation urbaine est le déplacement de la pauvreté vers d'autres quartiers qui n'ont pas bénéficié du programme de l'ANRU.
UNE LOI SRU NON-APPLIQUÉE
La seconde politique de mixité sociale mise en place par l'État français est l'instauration, à partir des années 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin, un taux minimal de logements sociaux pour les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France), plus connu sous le nom de taux SRU. Initialement fixé à 20%, ce taux a été étendu jusqu’à 25% en 2013, (à nouveau sous un gouvernement socialiste).
Les communes qui ne respectent pas ce taux doivent mettre en place un plan de rattrapage en construisant de nouveaux logements sociaux.
Le bilan de ces mesures est malheureusement décevant. Sur la période 2020 à 2022, parmi les 1 031 communes concernées, 659 n'ont pas atteint leurs objectifs de construction de logements sociaux pour cette période. Cela représente 64% des communes, alors qu'elles n'étaient que 47% trois ans plus tôt, ce qui n’est déjà pas un chiffre très glorieux.
Malgré les sanctions prévues par l'État, qui se sont renforcées au fil des années, les communes récalcitrantes font de leur mieux pour éviter de construire des logements sociaux, même au prix de payer des amendes importantes.
Lorsque des logements sociaux sont effectivement construits, ils ont souvent tendance à se concentrer dans des zones moins attractives ou dans des endroits où il y en avait déjà, laissant certains quartiers dépourvus de ce type d'habitation.
De plus, même lorsque des logements sociaux sont construits dans des communes déficitaires, les maires veillent souvent à loger en priorité les habitants de leur commune, ce qui ne garantit pas que les plus nécessiteux soient les bénéficiaires. Une situation en contradiction avec la loi l'égalité et citoyenneté votée en 2017, qui exige pourtant que 25% des logements sociaux soient attribués aux 25% de demandeurs les plus pauvres en dehors des quartiers populaires.
LA SÉGRÉGATION SOCIALE EST-CE SI GRAVE ?
Rares sont jusqu’à présent les endroits où les politiques de mixité ont réellement réussi. Dans les quartiers populaires, elles se sont parfois construites contre les habitants qui ne perçoivent pas forcément être l’objet d’une ségrégation. Il ne faut pas confondre ségrégation spatiale et spécialisation sociale.
Au lieu de rechercher la dispersion des populations populaires, ne faudrait-il pas mieux accepter leurs regroupements tout en améliorant la qualité des services et du cadre de vie.
La déségrégation a un coût social. Les quartiers populaires sont un lieu de solidarité important pour aider les populations pauvres à régler leurs problèmes. Ils sont une importante étape dans l’intégration des populations immigrées. La mixité risque ainsi de vider les quartiers des familles les plus dynamiques et de renforcer les difficultés rencontrées.
A ce titre, ces quartiers seraient plutôt à valoriser qu’à détruire. Il ne faut pas faire de la mobilité forcée au risque qu’elle soit contreproductive. La rencontre entre les populations des quartiers mixtes est éphémère. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on habite sur le même palier que l’on va entamer des relations avec son voisin et éviter la reproduction sociale.
Le coût est également financier. La construction est beaucoup plus élevée dans les villes riches et les populations logées devront supporter les loyers correspondants ainsi que le coût de la vie locale. Finalement des micro-ségrégations au sein de la ville peuvent se créer. Conduisant parfois à un retour dans les quartiers d’origine.
REDISTRIBUONS LES RESSOURCES PAS SEULEMENT LA POPULATION
Les quartiers populaires continuent de faire les gros titres des débats et des polémiques médiatiques, mais restent souvent en marge de la redistribution des budgets de l'État. Il y a souvent un écart entre les discours politiques et la réalité des actions.
La rénovation urbaine représente des sommes considérables, mais elle peut être considérée comme un effort en trompe-l'œil. En effet, la majeure partie des financements provient des contribuables locaux (communes et agglomérations), des salariés (via Action Logement, l'ancien 1% logement), et des locataires (via les bailleurs sociaux), bien plus que de l'État et de la solidarité nationale.
Parallèlement, les aides spécifiques aux quartiers populaires en dehors de la rénovation urbaine, appelées politique de la ville, ont subi ces dernières années du fait de l’austérité une réduction de leur budget. De plus, le nombre et la taille des quartiers concernés ont augmenté à la fin de décembre 2023, sans moyens supplémentaires.
En outre, les réformes successives de l'assurance chômage, du conditionnement du Revenu de Solidarité Active (RSA), et bientôt de l'Allocation de Solidarité Spécifique (ASS) pour les chômeurs en fin de droits ont aggravé la situation économique des habitants de ces quartiers, qui sont les premiers concernés par ces aides.
Il ne faut pas arrêter les logiques de mixité sociale. Toutefois, il ne faut pas agir avec des œillères. Cette mobilité ne doit pas être forcée. La bonne voie se situe probablement dans un mélange de redistribution des populations et des ressources. La mixité doit être un moyen parmi d’autres de réduire les inégalités et non l’unique solution.
Par ailleurs, les dispositifs de mixité sociale existants doivent être défendus et améliorés par les socialistes pour favoriser leurs retombées positives. En particulier avec la menace de l'extrême droite (et parfois la droite), qui pourrait faire de leur destruction une attaque envers les plus fragiles.
Il est nécessaire que le taux minimal de logements sociaux dans les grandes villes soit apprécié à une échelle plus fine pour éviter la concentration de la pauvreté dans certains quartiers. Nous devons également porter l'inéligibilité des maires qui ne respectent pas leur trajectoire de création de logements sociaux pour rattraper leur retard.
La rénovation urbaine doit être pérennisée mais sous une nouvelle forme. Il est important que les compétences de l’ANRU soient élargies à tous les territoires en déprise, qu’ils soient urbains, ruraux, périphériques ou en risque climatique pour se concentrer sur l’amélioration de la qualité de vie comme le conseil le rapport « Ensemble, refaire ville », rédigé notamment par Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne.
Enfin, la promotion de la mixité sociale devrait s'appliquer à bien d'autres domaines que celui du logement. Une approche intégrée est nécessaire, prenant en compte les commerces, les équipements, la sécurité et les transports.
La mixité scolaire est particulièrement cruciale, car elle joue un rôle majeur dans la reproduction des inégalités. Les écoles publiques accueillent actuellement 42% d'élèves défavorisés, contre seulement 18% dans le privé. Cet écart s'est d'ailleurs accru de 10 points au cours des 30 dernières années. Nous devons porter une nationalisation de l’enseignement privé.
La ségrégation spatiale reflète ainsi les inégalités et les discriminations qui prennent racine dès l'école, se poursuivent au travail, et impactent donc les revenus et l'accès au logement.
Contributeurs : Emilie Alonzo (64 CN), Yann Herber (33 CN), Dylan Boutiflat (45 SN BN), Enzo Cabantous (69), Chrystelle Godefroy (76), Valérie Levesques (76)