Habiter dignement - Pour une politique sociale et écologique du logement


Thème : Logement


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Une contribution thématique du Laboratoire des idées de Refondations

Comme chaque année, la Fondation Abbé Pierre va publier, fin janvier, son rapport annuel sur le mal-logement. Une fenêtre va s’ouvrir, un petit marronnier qui va intéresser la presse quelques jours, puis, plus rien, le sujet va se refermer derrière les portes closes de l’insalubrité, de la suroccupation, des passoires thermiques, etc.

Et, toujours, ce constat : la difficulté que nous avons à faire jaillir la question du logement dans le débat public est inversement proportionnelle à l’ampleur du problème et aux enjeux qu’il soulève.

Ce constat est d’autant plus alarmant que le droit au logement est consacré par la loin et constitue un principe à valeur constitutionnelle !

Un enjeu social d’abord. Les chiffres affolent et s’affolent. 300 000 personnes sans domicile du tout ; près d’un million n’ont pas de domicile personnel ; 4 millions de personnes en situation de mal-logement ; 12 millions qui sont fragilisées par rapport au logement (c’est à dire qu’elles sont en suroccupation ou qu’elles subissent un effort financier excessif pour payer leur loyer). Ce qui fait un total de près de 15 millions de personnes ainsi comptabilisées (excluant les doubles comptes), en hausse constante.

La dépense liée au logement étant une dépense contrainte fixe, elle est en outre non négociable, les ménages rognent sur toutes les autres dépenses avant (mieux vaut limiter au maximum ses dépenses alimentaires que de ne pas payer son loyer) et son poids peut devenir insupportable à mesure que les ressources des ménages diminuent. En période d’inflation, l’équation devient impossible, surtout quand on intègre au calcul les dépenses énergétiques.


Un enjeu écologique ensuite. Avant la crise actuelle et l’inflation, qui touche en premier lieu l’énergie, 12 millions de personnes souffraient de précarité énergétique, souvent les mêmes qui sont touchés par le mal logement mais pas uniquement. Depuis 2006 et jusqu’à l’an dernier, on constatait une hausse de 44 % du nombre de ménages se privant de chauffage et de 42 % de ceux subissant un effort financier excessif pour faire face aux dépenses énergétiques. Ces chiffres sont malheureusement dépassés et l’on constate déjà, notamment dans le logement social, l’effet des hausses de prix, alors même que l’hiver n’a pas encore commencé.

A cela s’ajoute évidemment la question des passoires thermiques qui, des vieilles copropriétés des centres villes aux logements sociaux encore vétustes, constituent certainement l’un des principaux leviers et une marge de manœuvre de premier plan pour limiter l’empreinte carbone du pays.


Enjeu démocratique enfin. Parent pauvre des politiques publiques de ces dernières années, l’habitat est une victime facile car les conséquences de son délaissement ne se voient pas, elles se vivent dans l’ombre et dans le silence. Elle concerne l’intime et donc ce qui est invisible et peu propice aux mobilisations collectives. Elle touche pourtant la dignité de ceux qui vivent mal, qu’il est du devoir, pour tout progressiste, de défendre. Donner la priorité au logement, c’est considérer que les précarités individuelles, les misères invisibles doivent être au moins autant combattues que celles que l’on peut voir dans la rue ou objectiver facilement dans les médias.

Par cette contribution générale, qui a vocation à embrasser largement les sujets liés au logement, nous tenons à souligner le caractère structurant du logement et de l’habitat dans la conception que l’on a de notre société et de son devenir et de la dignité des gens. Nous avons donc la conviction que, pour parler de nouveau aux gens, le gauche doit mettre ce sujet au cœur de son agenda et porter l’ambition sociale- écologique que nous déclinons ci-après.

 

1. Logement : la facture des années Macron

A l’instar des autres politiques publiques, il n’y a pas de « en même temps » concernant le logement, mais une politique systématique et cohérente de lutte contre tout les outils collectifs à même de limiter le mal logement.

D’abord, la baisse de 5€ des APL, couplée à la réforme de la réduction de loyers de solidarité, faisant supporter en grande partie le coût de cette mesure sur les bailleurs sociaux, marqueur politique libéral aux effets immédiats pour les ménages modestes. Postérieure, la contemporanéisation des APL en 2021 a conduit à faire diminuer les montant de l’aide pour 41% des locataires et à en exclure un grand nombre de son éligibilité.

Ces mesures, en partie supportées par les bailleurs sociaux, conjuguées aux restrictions apportées à certains dispositifs fiscaux (l’APL accession pour les primo- accédant à la propriété modestes), le prêt à taux zéro raboté, les avantages fiscaux liés à l’investissement locatif également rognés : tout cela a conduit à faire chuter considérablement la production de logements privés et surtout sociaux sur un quinquennat. Chute que le COVID n’explique pas à lui seul.

Enfin, si l’on devait retenir un chiffre, c’est celui là : le budget logement a réduit de 3 milliard d’euros par an entre 2017 et 2021, devenant le premier contributeur aux économies de l’Etat. Conséquence directe, l’effort pour le logement en 2021 représentait 1,4 % du PIB, son plus bas niveau depuis 1940.

 

2. Le bouclier logement, socle de l’amélioration du pouvoir de vivre des ménages modestes

Dans le contexte rappelé ci-dessus, la crise du logement est avant tout une crise sociale à laquelle il est urgent de répondre par un ensemble de leviers que l’on connaît et que l’on maîtrise.


i. Soutenir le logement social. Victimes des choix politiques opérés ces cinq dernières années, le logement social ne plus faire face à l’ensemble des injonctions dont il est l’objet. Pourtant, il est urgent de leur permettre de le soutenir tant il constitue une solution centrale à la crise.

  • Avant tout nous devons porter le renforcement et le réarmement de la loi SRU, en relevant le seuil de l’obligation de production de logements sociaux à 30%, en renforçant très fortement les sanctions (amendes) en cas de non- respect des objectifs fixés par la loi SRU et en substituant les préfets aux maires défaillants ;

  • Plus et mieux produire. Nous devons également soutenir la mobilisation d’un maximum de leviers pour permettre aux bailleurs sociaux de plus et mieux produire. D’abord en donnant de nouvelles marges de manœuvres financières en revenant, notamment, sur la réforme des APL de 2017 ; ensuite en engageant une grande réflexion sur la mobilisation du foncier et bâtiments vacants, au moyen de l’outil fiscal ou des règles d’urbanisme ; enfin en portant une politique de densification raisonnée principalement à proximité des pôles de transports en commun, dont l’implantation doit bénéficier à tous plutôt que de servir les logiques spéculatives.


ii. Limiter le coût du logement privé
. La réponse à la crise du logement ne peut se limiter à une politique du logement social. Elle doit également tenir compte de la hausse des prix dans le parc privé, à la location et à l’achat.

  • Instaurer un bouclier logement, qui doit être une des grandes propositions portées par les socialistes dans le débat public pour les années à venir. Il s’agira d’une allocation logement complémentaire versée, sous condition de ressources, aux familles qui consacrent plus d’un tiers de leurs revenus pour se loger. Elle a vocation à devenir un acquis social essentiel, comme le furent jadis l’instauration du RMI ou de la CMU ;

  • Limiter pour tous le coût du logement, en encadrant les loyers dans l’ensemble des zones tendues, en mobilisant l’ensemble des outils permettant de limiter le coût du foncier en zones tendues (développement du bail réel solidaire et outils fiscaux et réglementaires) pour lutter contre la spéculation foncière. A terme, il conviendra d’imaginer un mécanisme permettant de diminuer et de ramener à un niveau raisonnable les prix de l’immobilier ;

  • Lutter inlassablement contre le logement indigne, notamment via l’outil de l’autorisation préalable de mise en location.


iii. Augmenter l’offre de logements. On estime qu’il faut produire plus de 150 000 logements sociaux et 500 000 logements au total par an pour faire face à la crise.

  • Libérer et mobiliser les logements existants. Il est urgent de se doter des outils permettant de mobiliser l’ensemble du bâti destiné au logement. D’abord en accentuant la lutte contre les meublés touristiques, ensuite en luttant contre la vacance de logements et en encourageant la réversibilité des bureaux vacants, enfin en s’attaquant à la question des résidences secondaires, dont la régulation devra faire l’objet d’un grand débat ;

  • Maîtrise de l’étalement urbain. Disons-le clairement, il sera nécessaire de continuer de construire pour y parvenir, à condition d’éviter l’étalement (et donc d’assumer une forme de densification de certaines parties du territoire) et de limiter l’empreinte écologique de la construction. Nous devons assumer cette ligne avec force et conviction, face à ceux qui, prenant prétexte de leur qualité de vie bloquent tout projet de construction.


iv. Tenir compte des inégalités générationnelles face au logement. Si le sujet du logement est le grand oublié du débat public, les jeunes et les personnes âgées sont, eux, les grands oubliés du débat sur la question du logement.

  • Pour les jeunes, la question de l’accès au logement. Il constitue une étape essentielle dans l’accès à l’autonomie et devient un parcours du combattant. D’un côté les prix dans le privé explosent, notamment dans les villes étudiantes ou dans les bassins d’emplois ; de l’autre, l’accès au logement social leur est quasi impossible compte tenu des critères retenus par les attributaires. Le nombre de foyers jeunes travailleurs et de logements étudiants devra augmenter. La question de l’accès des jeunes au logement devra être au cœur de nos réflexions pour les années à venir.

  • Pour les âgés, la question du maintien dans un logement digne, accessible et adapté. La grande transition démographique qui s’ouvre à nous avec le vieillissement de la génération du baby-boom met en tension l’ensemble du parc de logements, non adapté au vieillissement et au maintien à domicile, et non accessible. Notre discours et notre ambition sur le logement doit désormais tenir compte de cette donnée.

 

 

3. L’habitat durable, pour mettre en acte la social-écologie

Le logement doit être considéré comme un acteur central de la transition environnementale, signalant ainsi que l’urgence sociale et l’impératif environnemental peuvent se conjuguer plutôt que s’opposer.

i. Lutter contre la précarité énergétique. Nous devons soutenir et porter un plan massif d’investissement dans la rénovation énergétique, du parc social naturellement, mais également du parc privé (voir notamment les copropriétés dégradées). Ce type de rénovations fait chuter de 60 à 80% la consommation énergétique des ménages concernés et peut parfois réduire leur facture de 80 € par mois.

  • La création d’un tiers payant généralisé pour la réhabilitation des copropriétés privées, où la collectivité avance l’intégralité des travaux d’amélioration de performance énergétique du bâti et se rembourse au moment de la revente ou de la succession. Cette proposition, doit, aux côtés du bouclier logement, devenir une des revendications majeures des socialistes pour les années à venir ;

  • L’ambition d’un parc social entièrement réhabilité à moyen terme, à un rythme d’un million de logements rénovés par an.


ii. Promouvoir l’habitat durable. Sauf à considérer qu’il est acceptable que près de 16 millions de Français soient en situation de fragilité face au logement, il est indispensable de continuer à produire, et donc construire des logements, mais autrement.

  • Un principe intangible : le 100 % réversible. Nous devons désormais poser comme principe intangible le 100% réversible dans les constructions neuves de logements et de bureaux ;

  • Construire propre et vert. Nous devons fixer comme objectif la construction 0 déchets et décarbonnée au maximum, en veillant à ce que 100% des déchets produits par les chantiers deviennent des ressources dans des logiques d’économie circulaire; en accompagnant le développement des filières permettant de favoriser le rémploi, l’utilisation des éco-matériaux (biosourcés, géosourcés, réemployés, recyclés) dans la construction, en s’appuyant notamment sur le fret fluvial ou ferroviaire ; en soutenant la structuration de certaines filières (bois, terre), levier de développement économique et d’accélération de la transition environnementale ; en veillant à privilégier la rénovation à la démolition.


iii. Lutter contre les logiques d’étalement urbain et promouvoir une densité verte, mixte et durable. Rappelons que 60 % des constructions de logements neufs se font sur des terres artificialisées pour l’occasion. Nous devons promouvoir une densité verte et végétale, synonyme de renforcement du tissu de services et de mixité sociale, et pensée en fonction et avec les territoires pour s’adapter à leurs réalités.

  • Nous devons accélérer la lutte contre l’étalement urbain et la doter d’outils nouveaux en assumant la poursuite de l’effort de réhabilitation et de construction à l’intérieur des zones urbaines ; en soumettant la délivrance de permis de construire en zones naturelles (ENAF) à des conditions strictes et restrictives ;

  • Limiter le coût du foncier. Nous devrons envisager les moyens, notamment fiscaux et réglementaires pour limiter le coût du foncier en zones tendues (développement du bail réel solidaire et outils fiscaux et réglementaires) pour lutter contre la spéculation foncière.

***

Nous avons entre les mains les ingrédients d’une politique du logement de grande échelle, qui permettrait de conjuguer progrès social et protection de l’environnement. Nous disposons, dans tous les territoires des leviers, des compétences, du savoir faire pour la mettre en œuvre, de façon différenciée en fonction des enjeux et des spécificités de chacun. Nous savons que nous pouvons la financer et qu’elle repose sur les outils réglementaires immédiatement opérationnels, conformes à la Constitution et au droit européen.

L’ambition pour un logement digne et durable pour chacun est une question de volonté politique. Nous la porterons avec vigueur et détermination.


Signataires :

Thomas Chevandier (Paris),

Catherine Bossis (Aude),

Philippe Bies (Bas-Rhin),

Cécile Fadat (Haute-Vienne),

Mario Gonzalez (Paris),

Caroline Dervil (Hauts-de-Seine),

Olivier Archier (Paris),

Emmanuel Diallo (Paris),

Jean-Marc Germain (Paris),

David Assouline (Paris),

Lamia El Aaraje (Paris),

Nicolas Mayer- Rossignol (Seine-Maritime),

Claire Fita (Tarn)

Et l’ensemble des membres du groupe de travail « Logement et habitat » du Laboratoire des idées de Refondations.


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