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QUARANTE ANS APRÈS Je n’ai pas écrit le journal de mon vécu de la journée du 10 mai 1981, mais j’ai gardé en mémoire les émotions fortes que j’ai éprouvées, au cours de cette journée mémorable. Pour comprendre le retentissement qu’elle a eu en moi, je dois remonter à des dizaines d’années en arrière. En 1967, je militais au sein de la Convention des Institutions Républicaines. Nous n’étions pas très nombreux à cette époque, au nord-est de Paris. J’habitais à Tremblay-lès-Gonesse et n’avais que deux camarades de proximité : Saint-Martin et Jean-Paul Baietto qui habitaient Aulnay-sous-Bois. En mars 1967, nous nous interrogions dans un café d’Aulnay-sous-Bois, sur les initiatives à prendre pour élargir notre mouvement. Au terme de notre discussion, nous avons décidé d’inviter François Mitterrand, alors président de la Convention des Institutions Républicaines, à tenir une réunion à Aulnay-Sous-Bois. Celui-ci a accepté et nous avons préparé la réunion. Responsable du service d’ordre, j’ai dû recruter sur tout le territoire qui allait devenir le département de Seine-Saint-Denis. Notre réunion a été organisée dans les premiers jours du mois de mai, je n’ai plus la date exacte en tête. Tenue quelques jours après l’échec du président de Gaulle au référendum du 27 avril 1969 et sa démission le lendemain, notre réunion a connu un grand succès et la salle, alors appelée salle du 11 novembre était comble*. La presse nationale qui s’interrogeait sur une éventuelle candidature de François Mitterrand à la présidence de la République avait fait le déplacement, mais en fin politique Mitterrand avait bien analysé que la pléthore des candidatures de gauche, allant de Jacques Duclos à Gaston Defferre, en passant par Michel Rocard, se garda bien de répondre de façon claire à la question. Au cours de la réunion, nous avons fait circuler une feuille pour recueillir les noms des participants qui souhaitaient nouer une relation avec nous. Dans notre inexpérience, nous avons mis cette feuille en libre circulation et quelqu’un l’a subtilisée, alors qu’elle était couverte de dizaines de noms. Au terme de la réunion, nous avons pris le verre de l’amitié, en compagnie de François Mitterrand, chez notre ami Saint-Martin, à l’école Ambourget où son épouse était enseignante et bénéficiait d’un logement de fonction. Dans la salle de séjour notre petit groupe a prolongé la réunion, dans une atmosphère chaleureuse où nous avons eu le privilège d’une longue conversation avec celui qui portait tous nos espoirs. Quelques années plus tard, en mars 1971, j’ai été élu au Conseil municipal de Tremblay-lès-Gonesse, avec la liste d’union de la gauche menée par notre ami Georges Prudhomme, conseiller général communiste du canton de Sevran-Tremblay-Villepinte. Nous étions trois élus de la CIR : mes amis Maurice Montaclair et André Loton ; le parti socialiste était représenté par le camarade Sillard. La liste d’Union de la gauche, dopée par nos quatre présences, a connu un succès considérable, avec une progression de plus de 11 points. Lors de la première réunion du Conseil municipal, j’ai déclaré que nous relevions le progrès de notre liste, que j’en étais fier et que nous revendiquions des responsabilités proportionnelles à notre représentativité. Ce discours était inhabituel, dans une ville dominée par le parti communiste et un des auditeurs du public s’est penché vers mon épouse et lui a murmuré à l’oreille : « qui c’est ce con qui parle ? » Elle lui a répondu gentiment, c’est mon mari. Après la création du parti socialiste au congrès d’Epinay, notre action s’est développée, mais toujours en union avec nos amis communistes et leur leadeur local, mon ami Georges Prudhomme. Devenu maire adjoint à la culture je présidais, en 1981, l’un des bureaux de vote de l’école Jaurès, rue de Reims. Un peu après 17 heures, j’ai reçu un appel téléphonique m’informant que selon les sondages sortis des urnes, François Mitterrand serait élu président de la République, ce qui m’a procuré une joie qui me payait largement de tout le temps que j’avais passé dans ma vie, aux côtés de milliers d’autres, pour contribuer à ce résultat. Lorsque notre ami Georges Prudhomme, maire conseiller général de Tremblay-lès-Gonesse est passé dans notre bureau de vote, je lui ai appris discrètement la nouvelle et il a partagé notre joie. Au cours de la journée, j’ai eu à gérer un fait troublant. Un électeur d’une trentaine d’années s’est présenté devant l’urne, avec son vote à la main, et lorsque j’ai appelé le n° de sa carte d’électeur, l’assesseur qui tenait le cahier a déclaré rayé des listes ! L’électeur a alors vivement protesté. Je lui ai demandé de se calmer, le temps que je vérifie sur le cahier la raison de sa radiation. À ma stupéfaction, j’ai lu la mention décédé. J’ai appelé le juge d’instance chargé de superviser notre bureau. Il est apparu après enquête que les services de l’état-civil avaient commis une erreur. Cet électeur portait le même prénom que son père qui, lui, était effectivement décédé. Comme la loi électorale précise que nul ne peut être inscrit sur les listes, entre les deux tours d’un scrutin, le juge n’a pu lui permettre de voter. Le juge a recommandé que cet électeur se présente au premier tour du scrutin des Législatives qui suivraient la présidentielle et qu’alors il pourrait être réinscrit sur la liste électorale. J’ai bien connu la mère de cet électeur frustré, parce qu’elle était adhérente de la Société d’Histoire que je préside depuis 1973. Elle était communiste, ce qui explique la frustration de son fils qui était vraisemblablement un électeur potentiel de François Mitterrand. Après le dépouillement, je me suis rendu en mairie avec l’urne, les feuilles de dépouillement et l’équipe qui avait tenu le bureau de vote. La mairie était remplie par une foule en liesse qui a applaudi avec beaucoup d’enthousiasme les résultats du vote. Nous nous sommes ensuite dirigés sur Paris où nous avons participé au rassemblement qui saluait l’élection du candidat de la gauche unie, place de la Bastille. J’ai partagé ce moment de joie intense avec mon épouse France et mes camarades les plus proches. À Paris, le 5 mai 2021 Hervé REVEL * la salle du 11 novembre, située à proximité de la gare RER est aujourd’hui reconvertie en crèche.

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