Thème : IA
« Drill, baby drill », dixit Trump qui décide d’ouvrir en grand l’exploitation du gaz de schiste et des énergies fossiles au mépris de la protection de l’environnement. Un gaz, dit « naturel liquéfié, GNL » qu’il entend vendre encore plus massivement qu’aujourd’hui notamment aux européens à la place du gaz russe.
« Plug, baby plug » lui répond E. Macron à la veille du sommet sur l’IA. Pour lui, la France, pour tous les investisseurs du monde, la France, c’est le pays de la « ruée vers l’or » de l’IA. La raison, l’énergie décarbonée « pas chère et largement disponible ». Ah, bon ?
L’IA constitue certainement le sujet le plus chevelu à tout point de vue de la nouvelle donne industrielle et économique mondiale. Comme toutes les avancées technologiques et scientifiques, l’IA doit être maîtrisée et mise au service de l’intérêt commun. Les bénéfices potentiels sont nombreux et déjà visibles dans le domaine du diagnostic de maladies graves, de la génomique ou du climat et bien d’autres aspects de la recherche scientifique. Si l’intelligence artificielle est porteuse d’immenses opportunités, elle pose d’innombrables problèmes éthiques (contenus, addictions, sort des datas workers, …). En fait, est ce un produit commercial qui doit trouver son marché ou autre chose, un bien commun ?
Il est désormais certain que l’IA existe et va se développer notamment en fonction des lois du marché capitaliste. Devons pour autant renoncer à notre souveraineté numérique nationale et européenne ? La chaîne de valeur de l’IA doit être parfaitement intégrée en termes de contenu et de contenant. La France ne doit pas se contenter de vouloir être seulement un hébergeur des contenus d’autrui. Investissons dans l’intelligence de nos chercheurs et de nos ingénieurs pour développer une IA correspondant aux besoins de la France et de l’Europe !
A contrario, ce qui est envisagé par le PR, c’est l’hébergement massif de data centers en France. Ça ne dit pas où se créera le contenu, la plus-value et les emplois à haute valeur ajoutée. Aurons-nous à gérer des hangars logistiques ou des usines où les droits sociaux seront à mettre en perspective avec une volonté d’extraterritorialité ?
L’IA pose des problèmes de souveraineté numérique mais également des problèmes de souveraineté énergétique.
Les travaux du Shift project de JM Jancovici publiés jeudi 6 mars 2025 nous donnent un aperçu des problèmes énergétiques posés par l’IA. Les besoins électriques mondiaux estimés pour l’IA pourraient ainsi passer de 200 TWH en 2022 à plus de 2000 TWH en 2030.
Aux USA, les projets de data centers pourraient entraîner la construction de centrales à gaz de schiste dédiées dans un temps court ou miser sur la création de réacteurs SMR également dédiés.
En France, le PR mise sur la disponibilité du parc EDF, notamment nucléaire, pour répondre aux besoins des 35 nouveaux datas centers prévus dans 9 régions par l’Élysée.
En 2024, la France a été excédentaire en matière de production électrique, notamment du fait du faible nombre d’arrêts pour maintenance et rechargement des réacteurs nucléaires EDF. La disponibilité du parc les années précédentes avait été globalement plus faible. Faut-il en tirer des conclusions définitives sur une électricité inépuisable et à faible coût, « open bar » en France ?
Les prévisions non démenties de RTE « Futurs énergétiques 2050 » indiquent une montée très forte de la demande électrique notamment corrélée avec la baisse de l’utilisation des combustibles fossiles. Certes, RTE prévoyait en 2022 un besoin énergétique croissant sur le numérique. Les annonces récentes du PR ne figuraient pas dans cette prévision du besoin électrique des datas centers.
Le parc nucléaire français a été mis en service de façon rapide et massive dans les années 80. Le dernier réacteur mis en service avant l’EPR de Flamanville a été ouvert en 1998 à Civaux. En dépit des travaux de maintenance effectués sous le contrôle de l’ASNR, combien de réacteurs seront encore en service en 2050 ? L’hypothèse de construction de nouveaux EPR (6 puis 8) pas avant 2035 dans l’hypothèse la plus favorable ne permettrait pas de pallier en nombre et puissance la sortie d’exploitation des réacteurs les plus anciens. La montée en charge des énergies renouvelables devrait être très progressive.
Par rapport à la probable tension sur la demande électrique, faut-il favoriser l’installation de datas centers surabondants par rapport aux besoins domestiques de la France ?
Ces datas centers seront énergivores également pour un autre bien commun, l’eau. Nécessairement réfrigèrés en permanence, ils rejetteront également abondamment dans l’atmosphère des gaz à effets de serre.
Enfin, la question du contenu (prix à long terme, disponibilité/effacement,) des contrats commerciaux d’hébergement de ces datas centers devra être posée. RTE et ENEDIS prévoient des investissements de 100 milliards chacun sur l’ensemble du réseau électrique. Qui paiera la part des datas centers ?
L’hypothèse possible de création de réacteurs nucléaires SMR pour l’usage dédié des datas centers devra être expertisée en termes de sûreté, de sécurité et de responsabilité civile. En France, les choix difficiles du nucléaire ont été faits dans les années 70 sans réelle concertation mais pour répondre à des besoins énergétiques domestiques et dans le souci de l’indépendance énergétique de la France. Quid de la concertation pour la construction de ces datas centers ?
A l’identique, dans le contexte géopolitique actuel, il existe un besoin de souveraineté énergétique française et européenne.
Le PR semble gérer en direct la politique énergétique du pays au sein du conseil de politique nucléaire (CPN) et les multiples effets d’annonce (fusion ASN/IRSN, EPR 2, éviction du PDG
d’EDF) se font au mépris de toute concertation avec le Parlement. Ainsi, la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE) ne fera pas l’objet d’une loi débattue au Parlement.
Pour toutes ces raisons, il est temps pour la France et pour l’Europe de se doter d’une approche commune dans les domaines du numérique et de l’énergie. L’Europe semble avoir la volonté de développer une réelle défense européenne s’appuyant sur une industrie forte en investissant des moyens financiers importants. Rien ne justifie désormais de ne pas avoir la même démarche pour préserver notre souveraineté numérique et énergétique.
Contributeurs :
Alain Delmestre, Secrétaire National à la transition énergétique,
Claude Charlot, les membres du groupe de travail « intelligence artificielle » et les membres du groupe de travail « énergie »
Alexane Riou (75, secrétaire national adjointe), Isabelle Rocca (75, secrétaire national adjointe, maire adjointe Paris 12), Franck Gagnaire (37, secrétaire national, maire adjoint Tours), Simon Castre Saint Martin (69), Romain Blachier (69), Bertrand Thibault (68, conseil fédéral), Pierre Jouvet (26, secrétaire général, député européen), Rémi Cardon (80, porte-parole, sénateur), Corinne Narassiguin (93, secrétaire national, sénatrice), Dorinne Bregman (75, secrétaire national adjointe, maire adjointe), Jérôme Saddier (58, co-animateur groupe des experts), Augustin Ballot (français de l'étranger), Bruno Billoux (47, secrétaire de section, conseiller municipal), Pierre Yves Calais (75, conseil fédéral), Christophe Cerin (75), Mathieu Delmestre (co-secrétaire section Paris 12, maire adjoint Paris 12), Julie Delmestre (75), Karl Légeron (75), Michael Leon (77, secrétaire fédéral adjoint), Estelle Picard (79, conseil national), Gérard Raiser (75, secrétaire section), Juliette Sabatier (75, bureau fédéral, maire adjointe Paris 13), Karim Ziady (75, conseil national, conseiller municipal Paris), Éric Zuccarelli (75)