Il n’y a pas de décentralisation sans autonomie financière


Thème : Décentralisation


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« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » Par ces mots, la constitution de la cinquième République commence en son article premier. La décentralisation est depuis son Acte II écrite dans notre texte fondamental, celui qui fixe le contrat social entre les citoyens et leurs institutions. C’était une obligation de la Charte européenne de l'autonomie locale que nous avions ratifiée. La décentralisation et l’autonomie sont le choix clair et précis des représentants du peuple. 

Le processus de décentralisation est une longue bataille, porté par les militants socialistes depuis les années 60. On retrouve l’autonomie des collectivités et des lois de décentralisation dans la plupart des pays d’Europe avec des champs de compétences plus ou moins élargis. A la tribune de l’Assemblée Nationale, le ministre de l’intérieur et de la décentralisation, Gaston Defferre, nous faisait remarquer ce manquement de la France qui refusait jusqu’alors le tournant de la décentralisation : « Partout, un nouveau droit a été reconnu. Partout, pour y parvenir, la décentralisation est devenue la règle de vie. Partout, sauf en France ». 

Après 23 années de règne de la droite, la France réussit enfin en 1982 le difficile équilibre de rimer autant avec « indivisible », qu’avec « décentralisée ». 

Cette décentralisation dispose d’un sens profond qui doit guider le rapport entre l’Etat et les collectivités. En 1966 déjà, Michel Rocard disait : « C'est à ce niveau que se joue la confiance d'un peuple dans ses institutions et son apprentissage pratique de la démocratie ». L’enjeu pour nos collectivités est donc double : maintenir la confiance du peuple envers ses institutions et aider les citoyennes et les citoyens à apprendre la démocratie. Les articles 72 et suivants de la Constitution de 1958 proclament la libre administration des collectivités pour parfaire cette volonté démocratique du législateur

Cette libre administration n’est pas un présent offert par l’Etat central aux collectivités, qui peut être repris à tout moment. La libre administration des collectivités est l’écho du fait démocratique. Si les citoyennes et les citoyens votent pour que des femmes et des hommes les représentent alors ces derniers sont libres dans leurs actions dans le cadre de la loi de la République, celle qui s’applique à toutes et tous. 

L’enjeu de la proximité est lui aussi prégnant et il est d’ailleurs repris par la charte européenne de l’autonomie locale : « L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens ». Nos collectivités chacune avec leurs histoires et leurs compétences maillent le territoire et apportent au plus près des citoyens des services publics et un goût de la démocratie locale. C’était déjà là tout l’enjeu de la réforme portée par Gaston Defferre : « C'est bien servir la France, et c'est renforcer la démocratie que de permettre à des élus de décider sur place des solutions à apporter aux problèmes qu'ils connaissent mieux que quiconque ».

La crise sanitaire du COVID que nous avons traversée a été un révélateur du rôle de proximité des collectivités territoriales en général et des Départements en particulier. Les Départements ont été le bouclier des plus faibles dans les trois versants de cette crise : 

  • La crise sanitaire avec la mobilisation sans précédent des services des conseils départementaux et des Services Départementaux d’Incendie et de Secours qui leur sont liés ; 
  • La crise économique qui a heurté de nombreux milieux parmi lesquels notamment la filière agricole et celle du tourisme ; 
  • La crise sociale pour finir qui a exacerbé les inégalités. 

Nous avons fait face. Nous faisons encore et toujours face. 

Mais nous ne faisons pas face pour maintenir à tout prix cet échelon de proximité inventé dès 1790 par les révolutionnaires. 

Nous faisons face pour Matthieu qui se retrouve au RSA, deux ans après sa perte d’emploi et que nos conseillers en insertion vont accompagner pour qu’il puisse retrouver le chemin de l’emploi. 

Nous faisons face pour Manon, élève dans un collège qui profite de repas sains et équilibrés le midi dans nos cantines à moindre coût, car ses parents ont peu de revenus. 

Nous faisons face pour Serge, retraité dont les enfants ne pourraient payer les frais de l’aide à domicile qui lui permet de rester dans sa maison le plus longtemps possible. 

Nous faisons face enfin pour Lucie, pupille de la nation que nous prenons en charge dès sa naissance, car ses parents n’ont pas la possibilité de l’élever eux-mêmes et à qui nos assistants familiaux vont apprendre l’amour d’une famille. 

Nous faisons face avec cette idée profonde que nos collectivités sont utiles et portent des missions capitales pour nos concitoyens. Elles contribuent à maintenir la dignité des personnes dont les parcours de vie peuvent être écornés au fil des difficultés qui se présentent à elles. Leurs limites territoriales nous permettent d’être à la fois un échelon de proximité tout en étant assez grands pour maintenir la solidarité entre les territoires. 

Nous faisons face mais pas à n’importe quel prix. 

Nous n’utilisons pas de grandes formules comme « Nous sommes en guerre » mais nos collectivités mènent chaque jour des batailles contre la misère, la pauvreté ou encore la maladie. Discrètement, humblement mais avec force pour offrir à nos compatriotes un véritable bouclier social !

Pour nous ce n’est pas un jeu. Ce n’est pas une addition de chiffres où une virgule dans le Projet de Loi de Finance qui permet à Bercy d’économiser quelques millions ou quelques milliards sur le dos des collectivités. C’est le chemin de Matthieu, Manon, Serge et Lucie que l’on barre. Un chemin qui était déjà semé d’embuches et sur lequel nos services venaient apporter du réconfort, de l’aide, une seconde chance.  

Les Départements ne peuvent plus lever l’impôt en contradiction avec notre texte fondamental, la constitution : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ». En contradiction également avec la règlementation européenne précitée et ratifiée par le parlement qui stipule « qu’une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi ».

Nous n’avons pas une compensation exacte des transferts de compétences de l’Etat : en matière de RSA, d’APA, de PCH ou d’ASE les comptes n’y sont pas et nous obligent à rogner sur d’autres programmes. L’augmentation considérable des dépenses liées à l’insertion due à la crise sanitaire que nous avons traversée ne trouve comme réponse qu’une possible reprise de ces compétences encore plus couteuses pour les Départements que son maintien ! La revalorisation dernière du RSA n’est pas intégralement compensée et va encore grever nos budgets de plusieurs millions d’euros. 

Là encore la constitution s’insurge : « Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » et le texte européen confirme : « Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences. »

L’augmentation mécanique des frais de fonctionnement se heurtait au pacte de Cahors et maintenant au pacte de confiance qui de manière insensée alors que le niveau du RSA augmente, que le point d’indice augmente et que le prix de l’énergie explose continue de nous opposer des amendes pour tout dépassement des objectifs fixés en matière d’augmentation des frais de fonctionnement. 

L’inflation devrait approcher les 6% pendant que la Dotation Globale de Fonctionnement n’évoluera pas en 2023. C’est trois milliards d’euros qui devront alors être supportés par les collectivités. 

La situation devient critique et parce que nous ne pouvons ni ne voulons nous soustraire à nos obligations légales en matière de solidarité et d’aménagement du territoire, nous allons devoir faire des choix dans les autres politiques que nous menons. 

Devra-t-on bientôt dégrader les repas des cantines dans les collèges ou cesser la mise en place de tarifs sociaux ? Devra-t-on bientôt cesser nos politiques culturelles ? Devra-t-on bientôt cesser nos politiques en faveur de l’environnement ? 

Nous sommes les garants d’une institution départementale existant depuis la Révolution, garants d’une institution stable dans l’histoire et en mouvement dans ses actions. Une institution à la fois républicaine et sociale. Nous ne pouvons nous dérober devant nos missions d’éducation à la démocratie. 

C’est notre rôle fondamental de développer le goût des collégiens, de porter des politiques culturelles ambitieuses pour les ouvrir à tous, de défendre l’environnement. C’est finalement notre rôle fondamental de préparer un meilleur avenir pour les jeunes générations. 

C’est à notre niveau que se joue et que se jouera encore la confiance du peuple français en ses institutions. C’est à nous qu’incombe la lourde tâche d’apprendre la démocratie aux citoyens en devenir et à ceux qui le sont déjà. 

Nous ne laisserons pas mourir nos services publics et notre action démocratique. Nous ne serons pas passifs face à cette nouvelle forme de destruction des services publics. Parce que nous sommes républicains, démocrates et socialistes, nous nous engageons pour défendre nos services publics de la recentralisation qui guette !


¹ Article 2 : « Le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne et, autant que possible, dans la Constitution. »
² Discours de M. Gaston Defferre, ministre de l'intérieur et de la décentralisation, sur le projet de loi relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, à l'Assemblée nationale le 27 juillet 1981.
³ Cette citation provient du rapport intitulé « Décoloniser la province » publié au printemps 1966.
⁴ « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. »
⁵ Article 4-3
⁶ Discours de M. Gaston Defferre, ministre de l'intérieur et de la décentralisation, sur le projet de loi relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, à l'Assemblée nationale le 27 juillet 1981.
⁷ Article 72-2 de la constitution
⁸ Article 9-3 de la Charte européenne de l’autonomie local
⁹ Article 72-2 de la constitution

Les signataires : 

Kléber Mesquida Président du Conseil Départemental de l’Hérault, 

Jean-Luc Gleyze Président du Conseil Départemental de Gironde et Président du groupe des Départements de gauche de l’ADF, Chaynesse Khirouni Présidente du Conseil Départemental de Meurthe et Moselle, Françoise Laurent-Perrigot Présidente du Conseil Départemental du Gard, Jean-Claude Leblois Président du Conseil Départemental de Haute-Vienne, Michel Ménard Président du Conseil Départemental de Loire-Atlantique, Sophie Pantel Présidente du Conseil Départemental de Lozère, Germinal Peiro Président du Conseil Départemental de Dordogne, Christophe Ramond Président du Conseil Départemental du Tarn, Hélène Sandragné Présidente du Conseil Départemental de l’Aude, Christine Tequi Présidente du Conseil Départemental de l’Ariège, Charlette Boué Vice-Présidente du Conseil Départemental du Gers, Julien Pradel 1er secrétaire fédéral du Parti Socialiste de l’Hérault et conseiller municipal du Caylar, Christian Assaf conseiller régional et Président du Groupe Socialistes et Citoyens d’Occitanie, Renaud Calvat Maire de Jacou Vice-Président du Conseil Départemental de l’Hérault et Président du groupe Majoritaire Solidaire et Ecologique, Hussein Bourgi sénateur de l’Hérault et conseiller régional d’Occitanie, Claudine Vassas-Mejri Maire de Castries et 1ère Vice-Présidente du Conseil Départemental de l’Hérault, Philippe Vidal Maire de Cazouls-lès-Béziers et Vice-Président du Conseil Départemental de l’Hérault, Patricia Weber Vice-Présidente du Conseil Départemental de l’Hérault, Vincent Gaudy Maire de Florensac et Vice-Président du Conseil Départemental de l’Hérault, Gabrielle Henry Vice-Présidente du Conseil Départemental de l’Hérault, Jean-Louis Gély Vice-Président du Conseil Départemental de l’Hérault, Marie Passieux Vice-Présidente du Conseil Départemental de l’Hérault, Jacques Rigaud Vice-Président du Conseil Départemental de l’Hérault, Sylvie Pradelle Vice-Présidente du Conseil Départemental de l’Hérault, Julie Garcin-Saudo conseillère départemental déléguée de l’Hérault, Jean Almarcha conseiller départemental de l’Hérault, Manar Bouida conseillère départementale de l’Hérault, Zita Chelvi-Sandin conseillère départementale de l’Hérault, Jean-Luc Falip conseiller départemental de l’Hérault, Serge Guidez conseiller départemental de l’Hérault, Gaëlle Levêque Maire de Lodève et conseillère départementale de l’Hérault, Jérôme Lopez Maire de Saint-Mathieu-de-Tréviers et conseiller départemental de l’Hérault, Michaël Delafosse Président de Montpellier Méditerranée Métropole et Maire de Montpellier, Jean-Noël Badenas Président de la Communauté de Communes Sud Hérault Maire de Puisserguier et conseiller régional d’Occitanie, Josian Cabrol Président de la Communauté de Communes du Minervois au Caroux, Pierre Mathieu Président de la Communauté de Communes Grand Orb, Jean-Louis Requi Président de la Communauté de Communes Lodévois et Larzac, Jean Arcas Président du Pays Haut Languedoc et Vignoble et Maire d’Olargues, Hussam Almallak Maire de Vailhauques, Michel Arrouy Maire de Frontignan, Francis Bardeau Maire de Nebian, Francis Barsse Maire de Bédarieux, Philippe Doutremepuich Maire de Causse de la Selle, Béatrice Fernando Maire de Plaissan, Aurélien Manenc Maire de Lunas, Françoise Matheron Maire Saint Bauzille de Montmel, Eric Penso Maire de Clapiers, Jean-Pierre Pugens Maire de Montarnaud, Eric Riguet Maire de Murles, Frédéric Roig Maire de Pégairolles-de-l'Escalette, Philippe Salasc Maire d’Aniane,


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