Immigration et citoyenneté. Réguler et intégrer, renouer avec les classes populaires, refaire des Français


Thème : Citoyenneté


 

Remise en cause du droit du sol, de la protection sociale des étrangers et réactivation des débats sur la déchéance de nationalité : la droitisation du débat public sur l’immigration vient toucher aux fondements même de notre pacte républicain. La gauche en général, et le Parti socialiste en particulier restent pourtant inaudibles face à la nouvelle hégémonie culturelle de l’extrême-droite. Les partis de gauche n’ont à y opposer qu’un discours humanitaire sur l’accueil inconditionnel quand les réponses attendues par nos concitoyens sont avant tout politiques, économiques et sociales.


Sondage après sondage, élections après élections, les électeurs et les classes populaires marquent leur préoccupation profonde pour les sujets d’immigration et d’intégration, en plaçant ces questions en tête des sujets prioritaires (y compris chez les électeurs de gauche) et en votant d’abord pour les partis d’extrême-droite et de droite qui traitent la question à leur façon. Un élément d’espoir dans ce tableau sombre, et un élément sur lequel une réponse de gauche doit être construite : les mêmes sondages montrent le recul des préjugés racistes dans l’électorat. Ce n’est donc pas un ralliement à l’idéologie du “Grand Remplacement”, son approche raciste et sa solution “remigratoire”.


Mais c’est un désaveu du discours “sans-frontiériste” de la gauche morale, celle qui voit l’immigration comme une pure question éthique. C’est aussi un rejet de l’approche sociale-libérale qui considère l’immigration de travail comme une nécessité absolue pour le bon fonctionnement de l’économie française. Et un rappel à l’impératif le plus élémentaire de la gauche, celui qu’elle a progressivement abandonné depuis 1983 pour se rallier au laissez-faire, laissez-passer: l’idéal de maîtrise démocratique de notre destin national. Une idéal qui s’incarne dans l’ambition de réguler démocratiquement les flux de capitaux, de marchandises mais aussi de personnes.


Comment la gauche en est-elle arrivée à un tel abandon de ses principes et à une telle désaffection de la part de ceux qu’elle est censée défendre ? En refusant de voir, à côté des effets positifs, les effets négatifs de l’immigration de travail sur les franges les plus défavorisées de notre société — a fortiori quand le flux de nouveaux entrants n’est pas anticipé : pression sur l’emploi et les salaires des travailleurs les plus précaires, déstabilisation du fonctionnement de notre système de protection sociale et de nos hôpitaux, concurrence pour l’accès au logement social, renforcement de la ségrégation sociale. Tout ceci est nié, tû ou tenu pour accessoire.


Cette gauche qui se tait souffre d’amnésie : elle a pourtant pendant longtemps mis tous ces sujets au cœur de sa réflexion. Dès Marx qui parlait de l’immigration comme une « armée de de réserve du capital » au service du patronat pour casser les grèves et faire baisser les salaires des ouvriers. Dès Jaurès qui prônait un « socialisme douanier », soucieux d’associer au contrôle de la circulation des capitaux et des marchandises celui de la circulation des personnes, pour mieux protéger les travailleurs et paysans nationaux. Et jusqu’à la prise du pouvoir en 1981, la gauche syndicale et politique française a toujours tenu la même ligne : reprendre le sujet de l’immigration au patronat, maîtriser les flux pour éviter la déstabilisation du marché du travail, et intégrer les nouveaux venus par l’action syndicale et sociale.


Ce sont ces convictions qu’il faut retrouver, seules à même de répondre aux attentes des classes populaires. En commençant par renouer avec l’impératif de maîtrise des flux migratoires. Oui, nous, socialistes, pouvons contrôler l’immigration de travail, ce n’est pas un phénomène purement mécanique auquel il faudrait se résoudre. Nous avons besoin sur ce sujet de refaire de la politique face aux forces du marché et définir à l’avance le nombre de ceux que nous pouvons accueillir en fonction de nos capacités d’intégration, de nos intérêts et de nos valeurs. Il nous faut donc une loi d’orientation pluriannuelle de la politique d’immigration et d’intégration par le Parlement, seule à même de garantir un traitement démocratique de la question de l’immigration. Cette mesure est approuvée par 60% des électeurs de gauche et 80% des Français [« Les Français satisfaits que le projet de loi immigration ait été voté », sondage Elabe, 20 décembre 2023.]. Une fois votée, cette loi devra être appliquée, avec justesse mais avec fermeté. Il en va de la crédibilité de nos institutions républicaines: nos concitoyens ne pardonnent plus le laxisme des gouvernements de droite, du centre et de gauche dans l’exécution des reconduites à la frontière.


La gauche doit aussi protéger les travailleurs — qu’ils soient Français ou étrangers — en conditionnant toute immigration dans les “métiers en tension” à l’amélioration préalable des salaires et des conditions de travail dans les secteurs concernés. Chaque arrivée programmée de travailleurs immigrés dans un secteur d’activité devra être précédée d’une négociation de branche permettant par l’amélioration des salaires et des conditions de travail de renforcer préalablement l’attractivité de ces métiers pour les travailleurs déjà présents sur le territoire — à nouveau, qu’ils soient Français ou étrangers.


La perspective régulatrice doit aussi permettre de conforter une puissante ambition intégratrice. Là aussi, la gauche française doit se souvenir qu’elle a inventé les politiques d’intégration des immigrés à la fin des années 80. Cette alliance inédite entre engagement de l’État pour l’accueil des étrangers et exigence d’en faire des citoyens à part entière a ensuite été copiée partout en Europe.


Mais nos politiques d’intégration, sous le double coup des coupes budgétaires et de l’idéologie de l’accueil à tout prix, c’est-à-dire sans effort ni engagement des nouveaux venus, sont aujourd’hui bien mal en point. Il faut là aussi en finir avec le laissez-faire qui arrange autant les tenants de l’idéologie “No Border” que la droite néolibérale. Le principe d’un accès conditionnel aux titres de séjour en fonction des efforts d’intégration doit donc être défendu tout comme doivent être significativement renforcer les moyens de l’intégration qui sont certes coûteux mais qui sont en réalité un investissement garant d’un avenir désirable.


Contre l’idéologie du « grand remplacement » promue par l’extrême et une partie de la droite, la gauche, et nous socialistes en particulier, devrons dans le même temps montrer qu’avec un volontarisme et un investissement public fort dans une intégration enfin active, il est possible de refaire des Français, refaire des citoyens, car la France — c’est sa caractéristique — est une nation de citoyens et les immigrés d’aujourd’hui doivent être les citoyens de demain.


Refaire des citoyens doit passer d’abord par l’investissement massif dans l’accès à la langue et l’acquisition par les nouveaux venus des principes républicains qui constituent le socle commun à tous les citoyens — ce socle qui rend notre société désirable vue de l’étranger. Cela doit être une exigence aussi bien pour l’immigration de travail que pour les bénéficiaires du regroupement familial. L’intégration doit également porter sur le développement prioritaire de la formation continue des immigrés pour une meilleure adaptation des compétences des salariés nouvellement arrivés aux besoins du marché du travail de manière à ce qu’ils soient détenteurs des mêmes compétences attendues par le marché du travail. Enfin, par la lutte résolue contre la ségrégation sociale, d’autant plus efficace que les flux d’entrée seront régulés.


Si l’on ajoute à cela la naturalisation de ceux qui travaillent ici et contribuent à la vie sociale depuis des années et la consolidation d’une politique d’asile généreuse au moyen de procédures raccourcies, se dessine alors un volontarisme en faveur des nouveaux venus qui sera alors au moins aussi conséquent que le volontarisme qui permet aux jeunes enfants nés en France de bien grandir ici.


A défaut d’un tel volontarisme dans la régulation des flux, dans l’intégration au sein de la communauté des citoyens, l’extrême droite, ou une droite radicalisée, continuera à améliorer ses résultats électoraux et finira par accéder au pouvoir mettant en danger les immigrés d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Celles et ceux qui sont actuellement persécutés dans leurs pays seront les premiers mis en danger par une politique d’extrême droite qui romprait avec le droit d’asile républicain. La restriction drastique dans l’accès à la nationalité française des étrangers déjà intégrés les maintiendra dans l’insécurité d’un statut social précaire. Et enfin les Français d’origine étrangère seront des citoyens de deuxième catégorie à qui le Rassemblement national veut, par exemple, interdire certains métiers.


Et pour mettre en œuvre une politique publique regroupant les orientations que nous proposons ci-dessus, nous socialistes devrions prendre l’engagement de créer un ministère de la citoyenneté de plein exercice. Nous sortirions ainsi la gestion de flux entrants et celle des résidents de la seule logique du ministère de l’intérieur. Et nous tendrions ainsi à une politique de la citoyenneté au-delà du seul phénomène migratoire. Un tel ministère de la citoyenneté aurait ainsi pour mission de renforcer l’éducation aux principes républicains, d’encourager l’engagement civique et associatif et de promouvoir l’intégration et la cohésion sociale. Il travaillerait également à la lutte contre les discriminations et à la valorisation du sentiment d’appartenance nationale. Son objectif serait d’enfin redonner du sens concret à ce fameux “vivre-ensemble” qui parfois paraît tellement abstrait et de renforcer les leviers de la participation civique dans un contexte de fractures sociales et identitaires exacerbées.


Chacun selon les spécificités locales, les Sociaux-démocrates danois, les Travaillistes anglais et le SPD allemand — nos alliés au Parlement européen — a su renouer avec une approche régulatrice et intégratrice de l’immigration. Ce n’est qu’à ces conditions que le Parti Socialiste pourra casser la montée jusqu’ici inexorable de l’extrême droite, reconquérir les classes populaires, redevenir majoritaire et espérer gouverner et ainsi protéger la République, la nation des citoyens, de l’emprise du national-populisme.


Contributeurs

Premiers signataires :

  • Cécile Fadat, Adjointe de la Maire de Condat-sur-Vienne, membre du CN, membre du SF de la Haute-Vienne
  • Bassem Asseh, Premier adjoint de la maire de Nantes, membre du SF de la Loire-Atlantique
  • Benjamin Vulbeau, militant section de La Madeleine
  • Daniel Szeftel, militant section de Paris 9ème

 

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