Justice, redistribution, capacités d’action publique : redonnons du sens à l’impôt ! |
Signataires : Brice Gaillard, Christine Pirès Beaune, Rémi Féraud, Paul C., Boris Vallaud, Patrick Kanner, Claude Raynal, Mickaël Bouloux, Isabelle Briquet, Philippe Brun, Thierry Cozic, Vincent Eblé, Eric Jeansannetas, Patrice Joly et Victorin Lurel.
NB : le présent texte est une synthèse. La note complète est disponible en cliquant ici
La France fait face à des défis sans précédent affectant la cohésion sociale et renforçant la légitimité de l’action publique : on obseve un creusement des inégalités et l’existence d’une quintuple crise économique, sociale, écologiste, sanitaire et géopolitique. Or le système fiscalo-social est un outil décisif pour faire face à ces bouleversements. Il donne à la puissance publique les moyens d’agir, et réduit nettement les inégalités. Il peut également réorienter notre économie, en planifiant les transitions et en modérant leurs impacts négatifs.
Pourtant, sur dix ans, les réformes d’Emmanuel Macron n’ont fait que réduire les impôts des plus aisés et des entreprises quand les inégalités s’envolaient. Cela a privé l’Etat en moyenne de 39 Mds par an (source : groupe socialiste du Sénat) : cela aurait permis d'investir 2,5 fois plus dans la transition écologique !
Face à cette vision néolibérale, nous pensons que le niveau des prélèvements obligatoires n’est pas un objectif en soi et ne doit plus constituer le principal curseur du financement des politiques publiques. Il faut donc sortir d’une logique comptable d’orthodoxie : au lieu de régler le niveau des dépenses sur les recettes, nous proposons de partir des besoins pour déterminer les recettes appropriées.
Le premier objectif doit donc être de rebâtir un système qui ne fasse pas payer plus à ceux qui gagnent et possèdent le moins : le capital doit être autant voire davantage taxé que le travail. Le second objectif doit être celui d’un système efficace, c’est-à-dire qui permet de financer les biens communs indispensables pour notre pays, et qui joue un rôle incitatif de transformation sociale et écologique. Enfin ce nouveau système fiscal doit accompagner l’achèvement de la décentralisation.
- Mieux taxer les revenus par une meilleure progressivité de l’impôt
- Redonner sa place centrale à l’impôt sur le revenu
Le recul relatif de l’impôt sur le revenu (IR) par rapport aux autres impôts touchant les personnes physiques a amplifié les inégalités. On compte aujourd’hui pas moins de 465 niches fiscales, qui représentent un manque à gagner de 36,2 Mds pour le seul IR (source : PLF 2023, « voies et moyens »). Si certaines ont une véritable utilité sociale, la plupart présentent des effets d’aubaine majeurs qui profitent très largement aux classes les plus favorisées.
A cette diminution du rendement de l’IR s’est ajoutée la montée en puissance d’impôts proportionnels ou indirectement liés aux revenus. La double imposition du revenu, via l’IR et la CSG, conjuguée à une TVA à l’effet dégressif, pèse lourdement sur les Français les plus modestes. Au total, les classes populaires versent en impôts une part de leurs revenus supérieure aux 0,1% les plus riches (Landais, Piketty, Saez, 2011). Nous ne pouvons plus demeurer les grands brûlés des réformes inabouties de 2013 et enterrer ce sujet majeur qui mérite une réflexion nouvelle.
Dans un contexte de défiance vis-à-vis de l’impôt, la fiscalité participative, fondée sur l’écoute et la pédagogie, serait également un outil puissant pour rapprocher les Français de l’impôt.
Les débats sur la progressivité de la CSG et sur sa fusion avec l’IR doivent être ouverts. Elle apparaît comme un idéal vers lequel tendre, mais exclut toute approche simpliste car elle impliquerait la suppression du quotient familial et ferait indubitablement des perdants.
Nous proposons de renforcer le rendement et la progressivité de l’IR, d’intégrer directement le versement des prestations sociales et de réfléchir à sa déconjugalisation. L’IR doit redevenir le pilier de la fiscalité des personnes.
Assujettir tous les Français à l’IR permettra de mieux en redistribuer les fruits en profitant des opportunités du prélèvement à la source, dont les bases ont été posées par les Socialistes dès 2016. Cette fiscalisation au premier euro, associée à un versement direct des transferts sociaux, est un système plus juste, plus simple et plus efficace.
Enfin nous devrons débattre sans tabou de la déconjugalisation de l’impôt, ce sera certainement l’un des grands combats progressistes et féministes des prochaines années. Le quotient conjugal apparaît aujourd'hui comme un dispositif dépassé au regard des nouvelles configurations familiales. Il désincite le travail des femmes et bénéficie principalement aux 15% des ménages les plus aisés. Plusieurs scénarii de réformes pourraient être étudiés, allant de l'individualisation de l'impôt à son simple plafonnement.
- Aligner la fiscalité du travail et du capital et supprimer la “flat tax”
Obnubilé par l’attractivité du régime fiscal pour les investisseurs, Emmanuel Macron a opéré un retour en arrière dogmatique sur la fiscalité des revenus du patrimoine, ignorant tout principe de justice sociale mais aussi de réalité. Le prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus de capitaux mobiliers s’est substitué à la grille progressive appliquée sous le quinquennat Hollande, mais a manqué son objectif de réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers l’investissement. Au contraire, il a fortement accru le versement de dividendes depuis 2018 (24,1 Mds d’euros en 2020) et leur concentration chez les plus aisés.
Le système fiscal ne doit pas conduire à ce que le travail soit moins rémunéré que le capital. Nous proposons la suppression du PFU et de mettre en œuvre une imposition progressive des revenus du capital. Cette mesure permettrait à la fois de générer une recette supplémentaire d’environ 2,3 Mds d’euros par an, de moins imposer les petits revenus du capital, et d’envoyer un signal très clair sur la valeur positive accordée au travail.
- Pour accroître l’égalité des chances, repenser la fiscalité du capital
- Un système actuel distinguant la taxation des stocks et des flux
En France, il existe une taxation du stock de capital avec principalement l’IFI et une taxation des flux de capitaux avec les DMTG et DMTO.
Disons-le d’emblée : l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) était loin d’être parfait. Assorti de trop nombreuses niches et d’un taux modéré, il fallait le réformer. Emmanuel Macron a fait le choix de le remplacer par un impôt sur la fortune immobilière (IFI) favorisant les ultra-riches dont le capital est moins lié à l’immobilier.
S’agissant de l’héritage, nous assistons à un phénomène inquiétant : la part de la fortune héritée dans le patrimoine total a doublé en 50 ans, remettant fondamentalement en cause la mobilité sociale et l’égalité des chances. Le niveau de patrimoine des parents détermine de plus en plus le niveau de vie de leurs enfants. En 2019 et 2020, les parlementaires socialistes, sous l’impulsion de Thierry Carcenac au Sénat et de Christine Pirès-Beaune à l’Assemblée, ont déposé des textes visant à réformer la taxation des héritages. Le système actuel est caractérisé par sa désuétude dans une société marquée par l’évolution des structures familiales. De plus, s’il affiche un taux supérieur élevé (45%), le système est mité par des exonérations nuisant à sa rentabilité et à son équité : assurances-vie, pacte Dutreil, exonérations diverses qui font peser la charge sur les classes moyennes supérieures, tout en étant peu justifiées économiquement. C’est pour cela que les Socialistes se sont engagés en faveur d’une réforme d’ampleur des droits de succession et de donation.
Enfin, ajoutons qu’il existe un régime de taxation spécifique pour les transactions immobilières caractérisé par sa linéarité.
En définitive, il apparaît que la fiscalité du capital est en France morcelée et fondée sur des approches différentes, voire contradictoires, qui génèrent une inégalité fiscale.
- Pour davantage de justice fiscale, une taxation unifiée du capital
Nous devons prôner le renforcement de l’imposition du capital par le biais d’un dispositif unifié de taxation du capital fusionnant ISF, donations, successions et DMTO, caractérisé par un taux faible et une assiette large, incorporant l’ensemble du capital et limitant au maximum les exonérations et niches.
Si l’ISF est un symbole politique fort, nous ne voulons pas pour autant en faire un totem indépassable : en effet, son simple rétablissement ne préservera pas la France de la montée des inégalités patrimoniales. Il nous faut privilégier une règle équitable et simple. Il n’est pas logique, pour ne prendre qu’un exemple, que les transmissions d’assurances-vie échappent quasi-totalement aux droits de succession. Pour ce qui est des flux, il convient tout d’abord d’inverser la logique et d’appliquer une taxation non pas sur celui qui transmet mais sur celui qui reçoit, puis de repenser les critères de la taxation pour protéger plus efficacement les épargnants tout en évitant des comportements d’évitement.
- Pour une approche systémique du financement de l’action publique
- Fiscalité des entreprises : des enjeux multiples et majeurs
La fiscalité des entreprises doit reposer sur un principe d’équilibre, pour remplir des objectifs de juste répartition de la valeur créée et d’orientation de notre modèle productif, mais également de compétitivité. Elle doit aussi contribuer au financement des investissements dans les infrastructures, l’éducation ou la recherche.
La France mène depuis plusieurs décennies une politique très favorable aux grandes entreprises, au détriment des PME et ETI, qui correspondent davantage aux besoins de notre économie et de notre société : emplois durables et de qualité, implantation territoriale plus solide, actionnariat stable. Nous proposons d’ouvrir un débat sur toutes les mesures fiscales qui pourraient permettre ce rééquilibrage : ciblage des crédits d’impôt, progressivité de l’impôt sur les sociétés, taxation des multinationales à l’échelle européenne.
Nous soutenons donc le principe d’une plus grande taxation des activités générant des externalités négatives sur l’environnement et la société, à la fois pour compenser leurs impacts et les orienter vers des pratiques plus vertueuses. C’est le cas par exemple du secteur de la livraison, qui s’est fortement développé, mais génère des externalités (pollution, nuisances, congestion urbaine) et s’accompagne d’une précarisation des travailleurs. Le produit d’une taxation spécifique pourrait financer les communes, premières concernées par ces externalités.
Enfin, il faut mettre un terme à la suppression des impôts de production. Ils financent des éléments indispensables : transports collectifs, routes, services publics de proximité. Qu’adviendra-t-il de la compétitivité de nos entreprises lorsque les infrastructures ne seront plus financées et deviendront obsolètes ? L’enjeu désormais est celui de la compétitivité hors-coûts et de l'innovation, donc de l’investissement privé et public. Nous défendons une simplification des impôts mais une préservation de leur niveau pour financer les infrastructures, ainsi que l’effort d’éducation, de formation et de recherche.
La fiscalité et les aides publiques doivent également être utilisées pour contraindre à mieux répartir les résultats entre le capital et le travail, à réduire l’écart des salaires, à renforcer la place des salariés dans la gouvernance ou encore à respecter l’égalité de rémunération entre femmes et hommes.
- Financer les politiques territoriales : démocratie et accès aux services publics
Nous voulons réhabiliter la notion d’autonomie des collectivités par un financement approprié. Le gouvernement se gargarise d’avoir stabilisé les dotations aux collectivités, alors qu’il a en réalité totalement remis en cause leur autonomie et leur capacité décisionnelle depuis 2017, par une stratégie de désarmement fiscal. Le “pacte de Cahors” puis l’autoproclamé “pacte de confiance” en 2022 traduisent des volontés clairement recentralisatrices.
Pour approfondir l’autonomie politique des collectivités territoriales et donc la démocratie locale, nous devons garantir un niveau suffisant de ressources, correspondant aux compétences transférées par l’Etat vers les collectivités et permettant de préserver la capacité décisionnelle des collectivités.
Nous voulons universaliser l’impôt local pour renforcer un lien entre les territoires et leurs habitants. Parce que les collectivités territoriales ont la charge des services publics locaux qui font le quotidien, il est fondamental que chacun puisse y être associé.
Nous constatons également qu’aujourd’hui, la base d’une part prépondérante des taxations affectées aux collectivités demeure le foncier, dont les bases cadastrales locatives sont désuètes. C’est donc pour des raisons tant pratiques que principielles que nous souhaitons poser une question à la fois simple et ambitieuse : les impôts locaux doivent-ils être majoritairement basés sur le foncier ?
C’est pour cela que nous militons pour la refondation complète de l’impôt local en remplacement des dispositifs existants et fondés sur un principe d’universalité et sur une assiette appropriée, afin de reconnecter les citoyens aux territoires et de reconstruire une réelle autonomie politique et une capacité d’initiative pour les collectivités.
- Le financement de la sphère sociale au 21ème siècle
Nous devons mettre un terme à la mécanique funeste qui a consisté depuis 30 ans à supprimer les ressources de la Sécu, pour ensuite présenter comme inévitables des réformes sur les retraites ou le chômage. En réduisant en 10 ans de 14 points les cotisations patronales sur les salariés touchant le SMIC, c’est la capacité des classes populaires à se protéger contre les aléas de la vie qui est fragilisée : si le salaire net est le revenu d’aujourd’hui, le salaire brut est celui de toute une vie. Les exonérations patronales sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 SMIC doivent aussi être revues du fait de leur absence d’effet (CAE, 2019). Les hausses de salaires doivent systématiquement être préférées aux primes, qui ne contribuent pas au financement de la Sécu. Il faudra enfin réduire le poids des taxes non affectées, comme les parts de TVA, pour pérenniser son financement.
Face à l’hypocrisie d’un gouvernement qui a créé une cinquième branche sous forme de coquille vide, nous devons définir les moyens de la prise en charge de nos aînés en perte d’autonomie. Il faut permettre de dégager les 40 Mds annuels dont nous aurons besoin.
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Notre enjeu aujourd’hui, dans cette période d’incertitudes, est de réhabiliter l’impôt comme moteur de transformation, en complément de son rôle de justice sociale et de financement.
Les désordres actuels nécessitent un retour de la fonction planificatrice de la puissance publique. Pour cela, la fiscalité compte parmi les outils les plus puissants et il doit conserver un fort degré de stabilité, de simplicité et de clarté. Mais nous défendons également une conception renouvelée de l’impôt, qui doit résonner avec nos défis contemporains et permettre la concrétisation du nouveau pacte social et écologique dont notre société a besoin aujourd’hui.